Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 16h30
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Je voudrais tout d'abord vous remercier de me donner à nouveau l'occasion d'échanger avec vous sur cette catastrophe industrielle, qui a frappé les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà, le 26 septembre dernier.

À leurs côtés dès les premières minutes, l'ensemble des services de l'État s'est mobilisé. Je voudrais souligner en premier lieu combien l'intervention des pompiers au cours de l'incendie a été exemplaire. Elle a permis de maîtriser un incendie dont tous les experts reconnaissent qu'il était hors norme, dans des délais records. Les 200 pompiers mobilisés ont fait preuve de beaucoup de courage dans la lutte contre le feu, et je voudrais leur rendre hommage. Grâce à eux, on ne déplore aucune victime.

Cet engagement est aussi celui des agents de mon ministère, chargés du contrôle des installations classées, afin de prévenir les accidents industriels. Je voudrais souligner en particulier l'engagement des inspecteurs de la DREAL Normandie, dès les premières heures de l'accident. Leur connaissance de l'installation a permis de prévenir tout suraccident. Au-delà de la crise, les services de l'État sont restés très mobilisés dans la durée, pour gérer les conséquences environnementales de l'incendie, en particulier le nettoyage de la darse.

Je voudrais aussi rappeler que c'est sous l'impulsion de la DREAL Normandie que l'application du plan de prévention des risques technologiques de Lubrizol avait permis de supprimer deux cuves de gaz de pétrole liquéfié (GPL) et une d'acide chlorhydrique, à proximité des bâtiments qui ont brûlé. Cette initiative a évité des conséquences encore plus dramatiques.

Au-delà de la réaction immédiate, le Gouvernement s'est engagé dans la durée pour faire face aux conséquences de l'accident, et cela, dans la transparence la plus absolue. Notre rôle est de présenter les faits tels qu'ils sont et, sur cette base, de prendre les mesures qui s'imposent. C'est pourquoi toutes les informations, toutes les données scientifiques et leurs interprétations ont été rendues publiques, au fur et à mesure que nous en disposions.

Nous avons constitué et réuni à plusieurs reprises un comité de dialogue et de transparence, que vous connaissez bien. Composé d'habitants, d'élus, des industriels, d'associations environnementales, d'acteurs économiques, de représentants du monde agricole, des organisations syndicales et des services de l'État, il a permis à l'ensemble des parties prenantes de nouer des échanges apaisés et transparents sur toutes les conséquences environnementales, sanitaires et sociales de l'accident. Le comité a d'ailleurs eu à se prononcer très récemment sur la reprise très partielle d'activité du site.

Je voudrais aussi rappeler que, dès la fin du mois de septembre, nous avons imposé une surveillance environnementale post-accidentelle, en prenant un arrêté de mesures d'urgence pour chacun des deux sites concernés.

S'agissant de l'alimentation, plus de 500 prélèvements ont été réalisés, dont les résultats se sont avérés inférieurs aux normes en vigueur. Des prélèvements continuent d'être effectués pour vérifier que ces résultats restent bien conformes dans la durée.

Concernant les suies, les résultats sont cohérents avec ce que l'on appelle couramment le bruit de fond, c'est-à-dire la pollution chronique constatée, notamment pour les hydrocarbures, les métaux et les dioxines. Quelques traces ont été mesurées pour le soufre, le zinc et le phosphore. Bien que ces éléments aient bien été présents dans les produits de Lubrizol, leur très faible concentration ne nécessite pas de mesures de précaution particulières.

Dans les sols, plus de 1 000 prélèvements ont été réalisés dans les 125 communes potentiellement touchées par le panache. Ils ne présentent aucune anomalie particulière, hormis quelques traces à Rouen pour deux métaux, le plomb et le mercure, qui, étant présents avant l'incendie, ne peuvent donc lui être imputés.

J'ai par ailleurs demandé à l'Agence française de la biodiversité – dénommée Office français de la biodiversité depuis le 1er janvier –, aux agences de l'eau Seine-Normandie et Artois-Picardie, à l'Office national des forêts et au Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) de réaliser un protocole de suivi sur les eaux de surface et la biodiversité. Les analyses effectuées sur les cours d'eau, notamment la Seine, font apparaître de faibles concentrations en hydrocarbures, dont le lien avec l'accident n'est pas établi et qui ne portent pas atteinte au milieu. Aucune mortalité piscicole n'a été constatée.

Je voudrais souligner que les analyses environnementales ont été réalisées avec la plus grande rigueur, afin de mesurer toute concentration anormale de polluants dans les milieux. Si nous avons réalisé – pour la première fois – des analyses complètes très tôt et sur un spectre aussi large, c'est pour que l'information la plus exhaustive soit apportée sur les conséquences sanitaires et environnementales de ce sinistre, conformément à notre engagement de transparence.

Toutes ces données nous permettront de réaliser une cartographie complète de l'état de l'environnement à la suite de l'incendie, donc de mener une étude quantitative des risques sanitaires, pour déterminer le suivi le plus approprié.

Le rapport sur toutes ces mesures était effectivement attendu aujourd'hui. Il avait été prescrit aux deux exploitants de mener des prélèvements très nombreux, ce qui constitue un programme très lourd. Au mois de décembre, ces derniers avaient signalé une saturation des laboratoires d'analyses au préfet, ce qui retarde un peu la remise du rapport. Cela confirme qu'il faut s'assurer de disposer d'un réseau capable d'effectuer des prélèvements en masse, comme nous avons eu besoin de le faire dans le cadre de cet accident, puis de rendre les analyses dans des délais raisonnables. Nous pourrions souhaiter à l'avenir de disposer des analyses dans des délais plus rapides.

La catastrophe de Lubrizol doit aussi nous permettre d'apprendre et d'améliorer nos procédures. Dès la survenue de l'accident, la DREAL a engagé une enquête administrative, comme c'est systématiquement le cas. J'avais par ailleurs lancé une mission d'inspection pour tirer tous les enseignements de cet incendie, afin de progresser dans la politique de prévention des risques comme dans la gestion de crise.

Mon idée, inspirée de ce qui existe dans les secteurs des transports, qu'ils soient terrestres, maritimes ou aériens, était non seulement de conduire une enquête administrative mais également de développer une véritable culture de l'enquête accident, qui ne se confond pas avec l'enquête judiciaire. Si cette dernière vise à déterminer les responsabilités, l'enquête administrative a pour rôle, comme dans l'aérien, les transports terrestres ou le maritime, de tirer toutes les conséquences des accidents, indépendamment de l'enquête judiciaire, pour prévenir la survenue de nouveaux événements. C'est dans cet esprit que j'avais demandé cette mission aux inspections.

Dès le début du mois d'octobre, j'avais également demandé à l'ensemble des préfets de vérifier auprès des exploitants des sites Seveso le caractère opérationnel des mesures de maîtrise des risques, notamment en cas d'incendie. Ils devaient aussi s'assurer que les exploitants étaient à même de tenir à disposition la liste des produits présents sur un site ou sur une partie des sites, dans des formulations intelligibles par tout le monde. Il n'aura échappé à personne que la liste des produits présents sur le site de Lubrizol, une fois qu'elle a pu être mise à disposition du public, n'était pas très parlante et que des connaissances de spécialiste étaient nécessaires pour l'interpréter.

J'ai donc tenu à ce que l'on tire immédiatement les conséquences de cet accident pour les autres sites, à la fois pour s'assurer que tous les exploitants de sites Seveso avaient bien réfléchi à leur plan d'intervention et pour que l'on ne se heurte pas à la même difficulté de communication de la liste des produits présents dans la zone concernée.

Aujourd'hui, les causes précises de l'incendie sont inconnues. En raison du secret de l'instruction, nous n'avons évidemment pas obtenu d'éléments de l'enquête judiciaire. Néanmoins, les constats de nos inspections et des experts qui se sont penchés sur ce sujet nous amènent à explorer plusieurs pistes d'amélioration. Elles ont naturellement vocation à être précisées et complétées dans les prochaines semaines, avec la conclusion de la mission d'inspection, grâce aux travaux menés par le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, avec lequel j'ai échangé en début de semaine, et naturellement aux recommandations de votre mission d'information ainsi qu'à celles de la commission d'enquête du Sénat.

La première piste consiste à disposer, le plus rapidement possible, de la liste des produits stockés dans une zone affectée par un incendie, dans des termes compréhensibles par tous.

Une deuxième piste réside dans la capacité à faire réaliser des prélèvements en grand nombre et à obtenir les résultats des analyses dans des délais rapides. Dans le cas de l'accident de Lubrizol, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) est venu en appui. Si l'on peut réfléchir à doter l'institut d'une capacité d'intervention permanente, on doit aussi constater l'engorgement des bureaux d'études et des laboratoires d'analyses, responsable du retard que prend la remise du rapport, attendu aujourd'hui. Le réseau d'intervenants en situation post-accidentelle, qui réunit les prestataires capables d'intervenir, devra donc être renforcé.

Troisième piste d'amélioration : la modernisation des dispositifs de dialogue et de concertation avec les riverains. Nous devons progresser dans la culture du risque, à la fois vis-à-vis de ceux qui travaillent sur ces sites et de ceux qui vivent à proximité. De nombreuses procédures formelles existent, qui n'atteignent pas forcément leur objectif, celui de développer la culture du risque.

Enfin, sans entrer dans tous les sujets que balaient les inspections, y compris la distinction entre produits combustibles et produits non inflammables, qui n'a plus vraiment lieu d'être dans un incendie, nous aurons aussi à progresser en matière de classification.

Aujourd'hui, contrairement à ce qui existe dans le domaine des transports, nous menons une enquête accident sans disposer d'une structure dédiée. Une telle entité me semble utile, y compris dans les relations avec l'autorité judiciaire. Dans le secteur aérien, par exemple, les enquêteurs accident peuvent avoir accès à certaines données de l'enquête judiciaire. Cela suppose que les textes le prévoient, or ce n'est pas le cas aujourd'hui dans le domaine des risques industriels. Cette situation peut nous conduire à réfléchir à des évolutions législatives visant à élaborer des dispositifs pour que le retour d'expérience soit aussi efficace que dans l'aérien. Ce secteur peut s'adosser à des textes internationaux, lesquels n'existent pas dans le domaine des risques industriels.

L'accident de Lubrizol montre le rôle très important que jouent nos inspecteurs des installations classées. J'ai fait le choix de maintenir leurs moyens en 2020. Nous réfléchissons par ailleurs à la façon de renforcer les contrôles de terrain, y compris en déchargeant les inspecteurs de certaines tâches administratives.

En conclusion, avant de répondre plus précisément à vos questions, je vous confirme ce que j'avais pu dire au début des travaux, ainsi que dans des auditions plus à chaud. Le Gouvernement, vous l'avez compris, est vraiment attaché à tirer tous les enseignements de cet accident : c'est un enjeu non seulement pour la protection des populations mais aussi pour la pérennité de notre tissu industriel, dont l'activité, pour être acceptée, doit plus que jamais répondre à une double exigence de prévention des risques et de maîtrise des impacts, accidentels ou non, sur la santé et sur l'environnement.

J'en viens à vos questions. J'ai en partie répondu à celle concernant la mission d'inspection confiée à Pierre-Franck Chevet, ancien président de l'ASN, à Nathalie Homobono et aux inspecteurs du Conseil général de l'environnement et du développement durable. Il s'agit, indépendamment de l'enquête judiciaire qui s'attache à définir les responsabilités des uns et des autres, de tirer tous les enseignements de ce type d'accident.

S'agissant d'éventuelles défaillances, je rappelle que trente-neuf inspections du site ont été réalisées par le service responsable des installations classées depuis 2013. Par ailleurs, c'est à l'exploitant d'un site industriel qu'incombe la responsabilité de maîtrise des risques sur son site, de même que lui incombe la charge d'assurer le caractère opérationnel et effectif des dispositifs de maîtrise des risques qu'il a mis en place.

Les études de danger ont permis d'écarter un certain nombre de risques, et il apparaît que le service d'inspection des installations classées a, en l'espèce, parfaitement remplit son rôle. La mission d'inspection n'a d'ailleurs pas identifié de défaillance particulière, et ses conclusions portent moins sur le fonctionnement du service des installations classées que sur la nécessité de faire éventuellement évoluer la réglementation, les procédures des enquêtes accidents, voire, nonobstant le caractère probabiliste de ces enquêtes accidents, de n'écarter aucune piste et de réfléchir à la mise en oeuvre de moyens proportionnés pour l'ensemble des risques.

S'agissant des ICPE, et notamment des éoliennes, leur nombre est en forte augmentation, et nos inspecteurs ont été très sollicités ces derniers temps, non seulement du fait de cette augmentation mais également par la mise en place des PPRT. Cela a conduit les équipes du ministère à réfléchir aux moyens de préserver le coeur de métier de ces inspecteurs, dont la fonction première est d'être sur le terrain. Il est donc impératif d'éviter qu'ils ne soient surchargés par des procédures administratives.

Cela m'amène à votre question sur l'allègement et la simplification des procédures. En la matière s'est opérée une sorte d'aller-retour : avant mai 2016 en effet, toute modification faisait l'objet, au cas par cas, d'une décision du préfet, qui optait soit pour l'application de la procédure complète, soit pour un simple arrêté complémentaire. Les textes de 2016 ont introduit des complexités sur lesquelles nous sommes ensuite revenus, avec cette idée qu'il ne s'agit en aucun cas de moins bien prendre en compte les risques, mais d'évaluer au mieux, dans chaque cas, la nécessité ou non d'une nouvelle étude de danger, notamment lorsque les modifications demandées n'ont que peu d'incidences en matière de risques.

C'est toute la question de l'équilibre à trouver entre le bon niveau de procédure et le temps nécessaire aux contrôles sur site, sachant que je suis pour ma part convaincue que, quelle que soit la nécessité des procédures, rien ne remplace la vérification in situ.

À cet égard, j'en profite pour préciser que les deux arrêtés qui ont pu être mis en cause concernaient, pour l'un, une reclassification des produits sans modification des quantités présentes sur le site, et, pour l'autre, une autorisation qui n'avait pas été mise en oeuvre ; on ne peut donc en aucun cas les suspecter d'avoir un rapport avec l'incendie qui nous occupe.

En matière d'installations classées, le régime d'antériorité et les droits acquis permettent à une usine qui existait avant la mise en place de la réglementation la soumettant à autorisation de poursuivre ses activités, sans procéder à une étude de danger. Toutefois, si elle change de catégorie ou si l'augmentation de son activité l'amène à franchir un seuil, elle doit le déclarer. Par ailleurs, le fait d'avoir été dispensée des procédures ne la dispense pas de respecter les prescriptions liées à la prévention des accidents. Or les industriels ne remplissent pas systématiquement leurs obligations de déclaration, ce qui me renforce dans l'idée qu'accroître la présence des inspecteurs sur les sites Seveso irait dans le bon sens.

La question des dispositifs d'alerte et d'information des populations fait partie des éléments examinés par la mission interministérielle consacrée à la prévention et à la gestion de crise, dont nous n'avons pas encore les conclusions.

L'information des populations repose encore largement sur des dispositifs de sirènes, même si, de fait, les chaînes de télévision, la radio et les réseaux sociaux sont aussi utilisés désormais. La mission aura à nous faire des recommandations sur le sujet, mais je considère que le Cell Broadcast, qui consiste à prévenir par SMS toutes les personnes dans un périmètre donné, quel que soit leur opérateur, est une piste à creuser. Il faut néanmoins garder à l'esprit que tout le monde ne possède pas de smartphone ou n'est pas en permanence l'oeil rivé à celui-ci. Ces questions sont plutôt du ressort du ministère de l'Intérieur, mais il me semble donc qu'il n'existe pas de dispositif miracle susceptible de se substituer à l'ensemble des dispositifs existants. Garder une multiplicité de canaux, tout en tirant parti des évolutions technologiques, me paraît donc offrir des garanties d'efficacité.

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