Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • accident
  • incendie
  • inspection
  • installation
  • lubrizol
  • seveso
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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La séance est ouverte à seize heures trente.

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Nous poursuivons nos travaux, avec la dernière audition de la mission d'information de la Conférence des présidents, qui, partant de ce retour d'expérience, vise à identifier des pistes de réflexion pour faire des propositions.

Monsieur le rapporteur et moi-même avions prévu de clôturer le cycle d'auditions en entendant deux ministres, d'abord Madame Agnès Buzyn, puis vous-même, madame la ministre de la transition écologique et solidaire. Nous pourrons ainsi vous poser nos questions, non seulement à l'aune de ce que nous avons compris de l'événement et de toutes les informations que nous avons reçues, mais aussi au regard du travail effectué par vos services depuis l'incendie.

Vous avez déjà eu l'occasion de vous exprimer à plusieurs reprises, notamment à l'Assemblée nationale, devant la commission du développement durable. C'est toutefois la première fois que vous intervenez devant la mission d'information. Il était important que nous puissions vous rencontrer pour clore la séquence des auditions, avant d'entamer la rédaction du rapport. Celle-ci s'appuiera sur toute la matière recueillie, notamment lors de la consultation citoyenne que nous avons décidée, pour laquelle nous avons reçu énormément de contributions. Tout cela servira à éclairer nos travaux et nos propositions.

Je poserai donc trois questions avant de donner la parole à notre rapporteur puis, bien évidemment, à vous-même, pour un propos liminaire.

Nous savons que vous avez demandé à vos services une enquête accident ou, plus précisément, une mission d'inspection, que vous avez confiée à Pierre-Franck Chevet, connu comme ayant été le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Pourriez-vous nous indiquer le champ ainsi que le calendrier de ce travail, et s'il est en voie d'achèvement ? Comment cette mission a-t-elle procédé ? Est-elle dépendante de l'enquête judiciaire en cours ? Certains éléments de ce travail d'inspection pourraient-ils d'ores et déjà nous être confiés ou doivent-ils tous être versés à l'enquête judiciaire ? De premières pistes ont-elles été identifiées ?

Pourriez-vous également évoquer devant nous les trois chantiers que vous avez tout récemment mentionnés devant le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT), en précisant vos propositions pour chacun d'entre eux ? Cela nous permettrait sans doute d'orienter notre réflexion et d'identifier éventuellement d'autres chantiers. Le travail d'inspection a-t-il d'ores et déjà pointé des manquements ou des défaillances des services de l'État, ou du moins des marges d'amélioration ?

Enfin, la question des autorisations accordées durant l'année 2019 a été souvent soulevée – pour ma part, je m'interroge sur ce point depuis le début.

Ces autorisations font suite aux simplifications apportées notamment par la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSOC.

Sur le site de Lubrizol, une augmentation des quantités de substances stockées avait été demandée, dans des proportions non négligeables, puisque l'on évoque 1 598 tonnes supplémentaires. La modification prévue visait à utiliser des bacs multiproduits pour l'atelier mélange et à stocker de nouveaux produits dans les bâtiments et zones de stockage existantes du site. Certains travaux étaient nécessaires pour obtenir l'autorisation d'augmenter le volume des produits stockés. Une seconde demande avait été formulée pour obtenir un récipient de stockage destiné à la manutention. Des travaux étaient également nécessaires pour qu'elle aboutisse. Je souhaiterais donc savoir s'ils ont été réalisés et dans quelles conditions.

Plus généralement, comme l'ont soulevé certaines des personnes auditionnées, ne sommes-nous pas allés trop loin dans la simplification, au-delà du seul cas de Lubrizol ? Supprimer l'évaluation environnementale va-t-il dans le bon sens ? Ne faut-il pas faire la distinction entre les sites Seveso, à haut risque, et les autres types d'installations ? Sur ce point, ne faudrait-il pas corriger le tir ? La question est légitime.

Enfin, l'audition de la ministre des solidarités et de la santé nous a permis d'évoquer le rapport environnemental, préalable à l'étude épidémiologique et de santé. M. le rapporteur et moi-même croyons savoir que ce rapport est terminé. Pouvez-vous déjà en partager les conclusions ou, si tel n'est pas le cas, préciser la date à laquelle nous recevrons ce document, qui paraît indispensable à l'étude épidémiologique et de suivi médical ? Le rapport environnemental pourra aussi rassurer la population, laquelle éprouve encore quelques inquiétudes sur les aspects sanitaires et environnementaux, qui sont intimement liés.

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Je vous remercie, madame la ministre, d'être présente avec nous cet après-midi. Comme le précisait Monsieur le président, vous êtes la dernière personnalité interrogée, au terme de trente-trois auditions et près de cinquante heures d'entretien.

Nous avons souhaité terminer la séquence avec vous puisque c'est votre ministère qui gère les sujets liés non seulement à l'environnement, mais également aux risques technologiques. Lors de nos trente-trois réunions, les personnes auditionnées – représentants des pouvoirs publics, des services de l'État, des citoyens – ont eu l'occasion de détailler les faits, le déroulé de l'incendie, la manière dont ils ont vécu cette séquence, ainsi que les suites qui ont été données. Certains nous ont également fait part de leurs inquiétudes, de leurs attentes, parfois même de leur colère.

Avant de rendre le rapport dont j'ai la charge, il nous a semblé indispensable de confronter les propos que la mission a entendus avec l'expertise de votre ministère. Je ne doute pas que ses membres auront des questions à vous poser, afin d'être éclairés sur l'ensemble des aspects comme sur les mesures de moyen et long terme qui seront prises pour assurer le suivi de cet accident industriel.

Pour ma part, je souhaiterais évoquer avec vous la réglementation Seveso et les inspections par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). J'ai cru comprendre que le nombre de sites Seveso était en augmentation dans ce pays, par exemple les sites d'avitaillement d'hydrogène étant classés ainsi. De même, certains sites d'éoliennes ainsi que de nombreux nouveaux types de sites pourraient être classés Seveso même s'ils n'ont aucun rapport avec l'industrie, du moins telle que nous pouvons l'imaginer.

Ces dernières années, les DREAL ont été soumises à des réorganisations, notamment du fait de la fusion des régions, ce qui a eu une incidence sur le nombre de contrôles non seulement des sites Seveso, mais également de toutes les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), dont le nombre de contrôles par année est réglementé.

Le site de Lubrizol respectait la réglementation, puisque le nombre de visites et de contrôles était largement supérieur au nombre minimal exigé par année. En revanche, les contrôles des sites ICPE qui ne sont pas Seveso semblent avoir été peu importants. Le cas de Normandie Logistique est criant à cet égard, son responsable ayant déclaré qu'il n'avait jamais été contrôlé.

Estimez-vous important de contrôler les sites ICPE qui ne sont pas Seveso, notamment les sites attenants à ces derniers ? Dans le cas de Lubrizol, on a vu qu'un site jouxtant un site Seveso peut avoir des conséquences sur un éventuel suraccident. Lorsqu'un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) ou tout autre document est élaboré pour anticiper les situations à risques, il convient de mesurer exactement ce qui pourrait se passer.

La mission a également évoqué à de nombreuses reprises la problématique du régime d'antériorité : le site de Normandie Logistique, antérieur à l'arrivée de Lubrizol sur le territoire rouennais, ne pouvait pas être déplacé du fait de l'activité de ce second acteur. Pensez-vous qu'il soit nécessaire de réexaminer ce régime ? Quelles contraintes peut entraîner cette révision ?

Ma dernière question porte sur l'alerte et l'information à la population, un sujet très débattu depuis l'incendie de Lubrizol et relayé par le préfet. Aujourd'hui, les outils dont disposent les acteurs du terrain pour répondre à des situations à risque sont assez peu nombreux. La possibilité de déclencher des sirènes, de contacter la presse locale, d'organiser des conférences de presse ou simplement de passer en direct sur la radio officielle des situations à risque, France Bleu, ne permet pas de toucher massivement la population.

Une directive européenne, qui doit être transposée dans le droit français d'ici à 2022, a établi que la France doit choisir entre différentes technologies. Si le préfet pousse à adopter la technologie Cell Broadcast, le ministre de l'Intérieur, que nous avons auditionné en décembre, a indiqué qu'un choix devait être fait dans les prochains mois, sans préciser de technologie, ni d'échéance pour sa mise en place. D'ailleurs, savez-vous si le sujet a évolué depuis ? Quelle technologie la France devrait-elle choisir, selon vous ?

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élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Je voudrais tout d'abord vous remercier de me donner à nouveau l'occasion d'échanger avec vous sur cette catastrophe industrielle, qui a frappé les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà, le 26 septembre dernier.

À leurs côtés dès les premières minutes, l'ensemble des services de l'État s'est mobilisé. Je voudrais souligner en premier lieu combien l'intervention des pompiers au cours de l'incendie a été exemplaire. Elle a permis de maîtriser un incendie dont tous les experts reconnaissent qu'il était hors norme, dans des délais records. Les 200 pompiers mobilisés ont fait preuve de beaucoup de courage dans la lutte contre le feu, et je voudrais leur rendre hommage. Grâce à eux, on ne déplore aucune victime.

Cet engagement est aussi celui des agents de mon ministère, chargés du contrôle des installations classées, afin de prévenir les accidents industriels. Je voudrais souligner en particulier l'engagement des inspecteurs de la DREAL Normandie, dès les premières heures de l'accident. Leur connaissance de l'installation a permis de prévenir tout suraccident. Au-delà de la crise, les services de l'État sont restés très mobilisés dans la durée, pour gérer les conséquences environnementales de l'incendie, en particulier le nettoyage de la darse.

Je voudrais aussi rappeler que c'est sous l'impulsion de la DREAL Normandie que l'application du plan de prévention des risques technologiques de Lubrizol avait permis de supprimer deux cuves de gaz de pétrole liquéfié (GPL) et une d'acide chlorhydrique, à proximité des bâtiments qui ont brûlé. Cette initiative a évité des conséquences encore plus dramatiques.

Au-delà de la réaction immédiate, le Gouvernement s'est engagé dans la durée pour faire face aux conséquences de l'accident, et cela, dans la transparence la plus absolue. Notre rôle est de présenter les faits tels qu'ils sont et, sur cette base, de prendre les mesures qui s'imposent. C'est pourquoi toutes les informations, toutes les données scientifiques et leurs interprétations ont été rendues publiques, au fur et à mesure que nous en disposions.

Nous avons constitué et réuni à plusieurs reprises un comité de dialogue et de transparence, que vous connaissez bien. Composé d'habitants, d'élus, des industriels, d'associations environnementales, d'acteurs économiques, de représentants du monde agricole, des organisations syndicales et des services de l'État, il a permis à l'ensemble des parties prenantes de nouer des échanges apaisés et transparents sur toutes les conséquences environnementales, sanitaires et sociales de l'accident. Le comité a d'ailleurs eu à se prononcer très récemment sur la reprise très partielle d'activité du site.

Je voudrais aussi rappeler que, dès la fin du mois de septembre, nous avons imposé une surveillance environnementale post-accidentelle, en prenant un arrêté de mesures d'urgence pour chacun des deux sites concernés.

S'agissant de l'alimentation, plus de 500 prélèvements ont été réalisés, dont les résultats se sont avérés inférieurs aux normes en vigueur. Des prélèvements continuent d'être effectués pour vérifier que ces résultats restent bien conformes dans la durée.

Concernant les suies, les résultats sont cohérents avec ce que l'on appelle couramment le bruit de fond, c'est-à-dire la pollution chronique constatée, notamment pour les hydrocarbures, les métaux et les dioxines. Quelques traces ont été mesurées pour le soufre, le zinc et le phosphore. Bien que ces éléments aient bien été présents dans les produits de Lubrizol, leur très faible concentration ne nécessite pas de mesures de précaution particulières.

Dans les sols, plus de 1 000 prélèvements ont été réalisés dans les 125 communes potentiellement touchées par le panache. Ils ne présentent aucune anomalie particulière, hormis quelques traces à Rouen pour deux métaux, le plomb et le mercure, qui, étant présents avant l'incendie, ne peuvent donc lui être imputés.

J'ai par ailleurs demandé à l'Agence française de la biodiversité – dénommée Office français de la biodiversité depuis le 1er janvier –, aux agences de l'eau Seine-Normandie et Artois-Picardie, à l'Office national des forêts et au Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) de réaliser un protocole de suivi sur les eaux de surface et la biodiversité. Les analyses effectuées sur les cours d'eau, notamment la Seine, font apparaître de faibles concentrations en hydrocarbures, dont le lien avec l'accident n'est pas établi et qui ne portent pas atteinte au milieu. Aucune mortalité piscicole n'a été constatée.

Je voudrais souligner que les analyses environnementales ont été réalisées avec la plus grande rigueur, afin de mesurer toute concentration anormale de polluants dans les milieux. Si nous avons réalisé – pour la première fois – des analyses complètes très tôt et sur un spectre aussi large, c'est pour que l'information la plus exhaustive soit apportée sur les conséquences sanitaires et environnementales de ce sinistre, conformément à notre engagement de transparence.

Toutes ces données nous permettront de réaliser une cartographie complète de l'état de l'environnement à la suite de l'incendie, donc de mener une étude quantitative des risques sanitaires, pour déterminer le suivi le plus approprié.

Le rapport sur toutes ces mesures était effectivement attendu aujourd'hui. Il avait été prescrit aux deux exploitants de mener des prélèvements très nombreux, ce qui constitue un programme très lourd. Au mois de décembre, ces derniers avaient signalé une saturation des laboratoires d'analyses au préfet, ce qui retarde un peu la remise du rapport. Cela confirme qu'il faut s'assurer de disposer d'un réseau capable d'effectuer des prélèvements en masse, comme nous avons eu besoin de le faire dans le cadre de cet accident, puis de rendre les analyses dans des délais raisonnables. Nous pourrions souhaiter à l'avenir de disposer des analyses dans des délais plus rapides.

La catastrophe de Lubrizol doit aussi nous permettre d'apprendre et d'améliorer nos procédures. Dès la survenue de l'accident, la DREAL a engagé une enquête administrative, comme c'est systématiquement le cas. J'avais par ailleurs lancé une mission d'inspection pour tirer tous les enseignements de cet incendie, afin de progresser dans la politique de prévention des risques comme dans la gestion de crise.

Mon idée, inspirée de ce qui existe dans les secteurs des transports, qu'ils soient terrestres, maritimes ou aériens, était non seulement de conduire une enquête administrative mais également de développer une véritable culture de l'enquête accident, qui ne se confond pas avec l'enquête judiciaire. Si cette dernière vise à déterminer les responsabilités, l'enquête administrative a pour rôle, comme dans l'aérien, les transports terrestres ou le maritime, de tirer toutes les conséquences des accidents, indépendamment de l'enquête judiciaire, pour prévenir la survenue de nouveaux événements. C'est dans cet esprit que j'avais demandé cette mission aux inspections.

Dès le début du mois d'octobre, j'avais également demandé à l'ensemble des préfets de vérifier auprès des exploitants des sites Seveso le caractère opérationnel des mesures de maîtrise des risques, notamment en cas d'incendie. Ils devaient aussi s'assurer que les exploitants étaient à même de tenir à disposition la liste des produits présents sur un site ou sur une partie des sites, dans des formulations intelligibles par tout le monde. Il n'aura échappé à personne que la liste des produits présents sur le site de Lubrizol, une fois qu'elle a pu être mise à disposition du public, n'était pas très parlante et que des connaissances de spécialiste étaient nécessaires pour l'interpréter.

J'ai donc tenu à ce que l'on tire immédiatement les conséquences de cet accident pour les autres sites, à la fois pour s'assurer que tous les exploitants de sites Seveso avaient bien réfléchi à leur plan d'intervention et pour que l'on ne se heurte pas à la même difficulté de communication de la liste des produits présents dans la zone concernée.

Aujourd'hui, les causes précises de l'incendie sont inconnues. En raison du secret de l'instruction, nous n'avons évidemment pas obtenu d'éléments de l'enquête judiciaire. Néanmoins, les constats de nos inspections et des experts qui se sont penchés sur ce sujet nous amènent à explorer plusieurs pistes d'amélioration. Elles ont naturellement vocation à être précisées et complétées dans les prochaines semaines, avec la conclusion de la mission d'inspection, grâce aux travaux menés par le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, avec lequel j'ai échangé en début de semaine, et naturellement aux recommandations de votre mission d'information ainsi qu'à celles de la commission d'enquête du Sénat.

La première piste consiste à disposer, le plus rapidement possible, de la liste des produits stockés dans une zone affectée par un incendie, dans des termes compréhensibles par tous.

Une deuxième piste réside dans la capacité à faire réaliser des prélèvements en grand nombre et à obtenir les résultats des analyses dans des délais rapides. Dans le cas de l'accident de Lubrizol, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) est venu en appui. Si l'on peut réfléchir à doter l'institut d'une capacité d'intervention permanente, on doit aussi constater l'engorgement des bureaux d'études et des laboratoires d'analyses, responsable du retard que prend la remise du rapport, attendu aujourd'hui. Le réseau d'intervenants en situation post-accidentelle, qui réunit les prestataires capables d'intervenir, devra donc être renforcé.

Troisième piste d'amélioration : la modernisation des dispositifs de dialogue et de concertation avec les riverains. Nous devons progresser dans la culture du risque, à la fois vis-à-vis de ceux qui travaillent sur ces sites et de ceux qui vivent à proximité. De nombreuses procédures formelles existent, qui n'atteignent pas forcément leur objectif, celui de développer la culture du risque.

Enfin, sans entrer dans tous les sujets que balaient les inspections, y compris la distinction entre produits combustibles et produits non inflammables, qui n'a plus vraiment lieu d'être dans un incendie, nous aurons aussi à progresser en matière de classification.

Aujourd'hui, contrairement à ce qui existe dans le domaine des transports, nous menons une enquête accident sans disposer d'une structure dédiée. Une telle entité me semble utile, y compris dans les relations avec l'autorité judiciaire. Dans le secteur aérien, par exemple, les enquêteurs accident peuvent avoir accès à certaines données de l'enquête judiciaire. Cela suppose que les textes le prévoient, or ce n'est pas le cas aujourd'hui dans le domaine des risques industriels. Cette situation peut nous conduire à réfléchir à des évolutions législatives visant à élaborer des dispositifs pour que le retour d'expérience soit aussi efficace que dans l'aérien. Ce secteur peut s'adosser à des textes internationaux, lesquels n'existent pas dans le domaine des risques industriels.

L'accident de Lubrizol montre le rôle très important que jouent nos inspecteurs des installations classées. J'ai fait le choix de maintenir leurs moyens en 2020. Nous réfléchissons par ailleurs à la façon de renforcer les contrôles de terrain, y compris en déchargeant les inspecteurs de certaines tâches administratives.

En conclusion, avant de répondre plus précisément à vos questions, je vous confirme ce que j'avais pu dire au début des travaux, ainsi que dans des auditions plus à chaud. Le Gouvernement, vous l'avez compris, est vraiment attaché à tirer tous les enseignements de cet accident : c'est un enjeu non seulement pour la protection des populations mais aussi pour la pérennité de notre tissu industriel, dont l'activité, pour être acceptée, doit plus que jamais répondre à une double exigence de prévention des risques et de maîtrise des impacts, accidentels ou non, sur la santé et sur l'environnement.

J'en viens à vos questions. J'ai en partie répondu à celle concernant la mission d'inspection confiée à Pierre-Franck Chevet, ancien président de l'ASN, à Nathalie Homobono et aux inspecteurs du Conseil général de l'environnement et du développement durable. Il s'agit, indépendamment de l'enquête judiciaire qui s'attache à définir les responsabilités des uns et des autres, de tirer tous les enseignements de ce type d'accident.

S'agissant d'éventuelles défaillances, je rappelle que trente-neuf inspections du site ont été réalisées par le service responsable des installations classées depuis 2013. Par ailleurs, c'est à l'exploitant d'un site industriel qu'incombe la responsabilité de maîtrise des risques sur son site, de même que lui incombe la charge d'assurer le caractère opérationnel et effectif des dispositifs de maîtrise des risques qu'il a mis en place.

Les études de danger ont permis d'écarter un certain nombre de risques, et il apparaît que le service d'inspection des installations classées a, en l'espèce, parfaitement remplit son rôle. La mission d'inspection n'a d'ailleurs pas identifié de défaillance particulière, et ses conclusions portent moins sur le fonctionnement du service des installations classées que sur la nécessité de faire éventuellement évoluer la réglementation, les procédures des enquêtes accidents, voire, nonobstant le caractère probabiliste de ces enquêtes accidents, de n'écarter aucune piste et de réfléchir à la mise en oeuvre de moyens proportionnés pour l'ensemble des risques.

S'agissant des ICPE, et notamment des éoliennes, leur nombre est en forte augmentation, et nos inspecteurs ont été très sollicités ces derniers temps, non seulement du fait de cette augmentation mais également par la mise en place des PPRT. Cela a conduit les équipes du ministère à réfléchir aux moyens de préserver le coeur de métier de ces inspecteurs, dont la fonction première est d'être sur le terrain. Il est donc impératif d'éviter qu'ils ne soient surchargés par des procédures administratives.

Cela m'amène à votre question sur l'allègement et la simplification des procédures. En la matière s'est opérée une sorte d'aller-retour : avant mai 2016 en effet, toute modification faisait l'objet, au cas par cas, d'une décision du préfet, qui optait soit pour l'application de la procédure complète, soit pour un simple arrêté complémentaire. Les textes de 2016 ont introduit des complexités sur lesquelles nous sommes ensuite revenus, avec cette idée qu'il ne s'agit en aucun cas de moins bien prendre en compte les risques, mais d'évaluer au mieux, dans chaque cas, la nécessité ou non d'une nouvelle étude de danger, notamment lorsque les modifications demandées n'ont que peu d'incidences en matière de risques.

C'est toute la question de l'équilibre à trouver entre le bon niveau de procédure et le temps nécessaire aux contrôles sur site, sachant que je suis pour ma part convaincue que, quelle que soit la nécessité des procédures, rien ne remplace la vérification in situ.

À cet égard, j'en profite pour préciser que les deux arrêtés qui ont pu être mis en cause concernaient, pour l'un, une reclassification des produits sans modification des quantités présentes sur le site, et, pour l'autre, une autorisation qui n'avait pas été mise en oeuvre ; on ne peut donc en aucun cas les suspecter d'avoir un rapport avec l'incendie qui nous occupe.

En matière d'installations classées, le régime d'antériorité et les droits acquis permettent à une usine qui existait avant la mise en place de la réglementation la soumettant à autorisation de poursuivre ses activités, sans procéder à une étude de danger. Toutefois, si elle change de catégorie ou si l'augmentation de son activité l'amène à franchir un seuil, elle doit le déclarer. Par ailleurs, le fait d'avoir été dispensée des procédures ne la dispense pas de respecter les prescriptions liées à la prévention des accidents. Or les industriels ne remplissent pas systématiquement leurs obligations de déclaration, ce qui me renforce dans l'idée qu'accroître la présence des inspecteurs sur les sites Seveso irait dans le bon sens.

La question des dispositifs d'alerte et d'information des populations fait partie des éléments examinés par la mission interministérielle consacrée à la prévention et à la gestion de crise, dont nous n'avons pas encore les conclusions.

L'information des populations repose encore largement sur des dispositifs de sirènes, même si, de fait, les chaînes de télévision, la radio et les réseaux sociaux sont aussi utilisés désormais. La mission aura à nous faire des recommandations sur le sujet, mais je considère que le Cell Broadcast, qui consiste à prévenir par SMS toutes les personnes dans un périmètre donné, quel que soit leur opérateur, est une piste à creuser. Il faut néanmoins garder à l'esprit que tout le monde ne possède pas de smartphone ou n'est pas en permanence l'oeil rivé à celui-ci. Ces questions sont plutôt du ressort du ministère de l'Intérieur, mais il me semble donc qu'il n'existe pas de dispositif miracle susceptible de se substituer à l'ensemble des dispositifs existants. Garder une multiplicité de canaux, tout en tirant parti des évolutions technologiques, me paraît donc offrir des garanties d'efficacité.

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J'aimerais quelques précisions sur les répercussions d'un accident comme celui de Lubrizol sur la biodiversité. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail indique qu'une exposition aiguë a un impact faible sur la faune et la flore mais qu'on peut craindre la pollution liée à une exposition chronique. Pouvez-vous donc nous repréciser les détails du protocole mis en place pour cette surveillance à long et à moyen termes sur l'impact environnemental de l'accident ?

Par ailleurs, est-il prévu de mettre en place sur le site de l'incendie un protocole de suivi spécifique des sols ?

Enfin, ATMO réalise tous les jours des mesures destinées à repérer les molécules correspondant à une pollution atmosphérique dite normale ; pensez-vous qu'il serait souhaitable et possible de disposer d'un protocole spécifique destiné à ce type d'accidents et permettant la surveillance de molécules particulières ?

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Lors de la dernière séance du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, vous avez annoncé, Mme la ministre, que vous souhaitiez travailler « sur une plus grande efficacité dans le suivi immédiat d'un incendie, avec la disponibilité, en tout lieu et toute circonstance, des moyens nécessaires aux mesures de toxicité ou aux mesures dans l'environnement dans les plus brefs délais. » Pouvez-vous nous donner des précisions sur ce qui va être concrètement engagé par votre ministère pour mettre en oeuvre ces orientations, qui vont tout à fait dans le bon sens ?

J'aurais notamment voulu savoir si l'instruction du 12 août 2014, relative à la gestion des situations « incidentelles » ou accidentelles impliquant des installations classées pour la protection de l'environnement, sera étendue aux émissions dans l'air des incendies industriels et en particulier aux émissions de suie.

J'ai compris que le Gouvernement comptait s'appuyer, pour mettre en oeuvre son plan d'action, sur les conclusions des travaux de la commission d'enquête du Sénat et de notre mission d'information. Entendez-vous également solliciter le Conseil national de l'air, que j'ai l'honneur de présider et qui rassemble différents acteurs concernés par la qualité de l'air, l'État, des ONG, des collectivités, des entreprises, des experts, des acteurs de la santé et des représentants des salariés ?

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Madame la ministre, ce que vous avez dit de la transparence rejoint les propos qu'a tenus juste avant vous Mme Buzyn. Il n'empêche que, malgré la transparence dont a pu faire preuve le Gouvernement, force est de constater qu'il n'a pas nécessairement convaincu la population, qui n'a pas cru à vos affirmations.

Trop de transparence tuerait-elle la transparence, ou la transparence sans la pédagogie n'est-elle rien ? Envisagez-vous de corriger la communication gouvernementale dans la gestion de ce type de crise, et ne serait-il pas approprié de nommer un porte-parole officiel plutôt que de laisser les différents ministères s'exprimer, au risque de susciter des messages parfois contradictoires, comme cela a été le cas avec les vaches laitières, dont il a d'abord été dit que leur lait était propre à la consommation, avant que soit diffusée, le lendemain, l'information contraire ?

Cette amélioration de la communication est d'autant plus nécessaire qu'il ressort de la consultation en ligne lancée sur le site de l'Assemblée nationale que nombre de nos concitoyens n'ont pas compris les messages envoyés par les différents membres du Gouvernement.

Enfin, je vous demande, comme à Mme Buzyn, qui ne m'a pas répondu parce qu'elle estimait que ce n'était pas de son ressort, si vous ne pensez pas que, même si toutes les vérifications techniques ont été faites, la réouverture, même partielle, de Lubrizol a été, eu égard à l'inquiétude de la population, trop prématurée.

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Dans le cas qui nous intéresse, la chaîne de commandement ainsi que tout le système de gestion de crise ont fonctionné normalement. Ce qui a péché en revanche, c'est la communication. La communication de crise doit répondre à plusieurs enjeux : sans être trop anxiogène, elle doit cependant être transparente ; elle doit être étayée par des explications rationnelles et faire appel à des experts. Or, face à une crise, la population ne s'en remet pas toujours à la rationalité. N'y a-t-il pas, dans ces conditions, un immense effort à faire pour éduquer nos concitoyens au risque ? Par exemple, si le public est obligatoirement consulté lors de l'élaboration d'un plan particulier d'intervention (PPI), aucun retour n'est ensuite prévu, une fois le PPI établi. Ne faudrait-il pas envisager des évolutions réglementaires ou législatives pour remédier à cette situation ?

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Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention, d'une part, sur les récentes déclarations du parquet concernant les manquements de sécurité de la part des deux entreprises victimes de l'incendie, Lubrizol et Normandie Logistique ; d'autre part, sur les outils de dialogue et de concertation que le ministère compte mettre en oeuvre pour permettre une meilleure communication entre les différentes parties prenantes lors d'un accident industriel.

En premier lieu, le réquisitoire supplétif du parquet de Paris, en date du 19 décembre dernier, conclut à des manquements de sécurité de la part des deux entreprises. Parmi ces manquements, il est notamment reproché à Normandie Logistique de ne pas avoir mis à jour l'état des stocks, ce qui m'amène à conclure que l'entreprise n'était peut-être pas en mesure de connaître, à l'instant « t », les produits entreposés sur son site, et donc le risque associé. Bien que l'enquête soit en cours et qu'il convienne de s'astreindre à un devoir de réserve pour le bon déroulement de celle-ci, dans le respect de la présomption d'innocence, quelles mesures préconisez-vous pour que l'État puisse être tenu informé des produits stockés par une entreprise ? Ne peut-on pas envisager la mise en place d'un jeu de données périodiques partagé entre l'exploitant et les DREAL, afin de connaître les produits dangereux présents sur chaque site ? On pourrait, pour cela, s'inspirer du modèle de la contractualisation établie, dans un domaine qui n'est pas celui des accidents industriels, entre Enedis et les collectivités, qui définit les données devant être fournies par le concessionnaire à l'autorité concédante. À partir du moment où une entreprise est classée Seveso, peut-on envisager qu'elle transmette périodiquement la liste des produits qu'elle détient sur son site ?

La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, a introduit, à l'article L. 541-48 du code de l'environnement, la notion de plateforme industrielle, dont le décret d'application du 21 novembre 2019 précise les contours. Pourriez-vous nous préciser en quoi cette notion doit permettre de mieux anticiper les risques d'incidents industriels ?

En second lieu, vous avez précisé, lundi dernier devant le Conseil supérieur de la prévention des risques, le plan d'action que vous comptez mettre en oeuvre pour répondre aux défaillances constatées lors de la gestion de cette crise.

Je soutiens ardemment la modernisation des outils de dialogue et de concertation que vous avez annoncée et qui me semble nécessaire, dans un contexte où la parole de l'autorité publique est très rapidement mise en doute.

Je vous avais interpellée, le 2 octobre dernier, à l'occasion de votre audition devant la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, sur l'opportunité de réformer les commissions de suivi de site (CSS) pour que ces dernières deviennent les interlocuteurs privilégiés en cas de crise. Concrètement, je soutiens l'idée qu'il faut que les commissions de suivi de site, qui ont l'avantage de réunir l'ensemble des parties prenantes, élus locaux, associations locales, exploitants, salariés et administration, puissent assumer une double fonction : la première, en temps normal, étant de continuer à être un lieu d'information et d'échanges, afin que l'ensemble des acteurs puissent être informés de la vie du site industriel – par exemple, des projets des différents exploitants, des incidents qui ont eu lieu et des actions entreprises pour la prévention du risque – ; la seconde, en temps de crise, serait d'être le vecteur de diffusion d'une information cohérente, et cela à l'ensemble des acteurs. En d'autres termes, les CSS ne pourraient-elles pas permettre, en cas de crise, une communication ascendante et descendante plus fluide entre les autorités et les différents acteurs locaux concernés, dans l'idée notamment de mieux informer la population ?

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Je voudrais revenir sur la culture du risque, qui, d'une manière ou d'une autre, a été évoquée dans toutes nos auditions. Les salariés d'une ICPE sont souvent les premiers concernés par la culture du risque, et l'on a constaté, dans les territoires où leur présence était numériquement importante, qu'ils contribuaient grandement à la sensibilisation de la population. Qu'en est-il, à l'inverse, des territoires où leur présence n'est pas particulièrement notable ?

Qu'en est-il également de la sous-traitance ? Les salariés employés par des sous-traitants ont-ils été formés aux risques ? À la suite du rapport Le Déaut sur la sûreté des installations industrielles, la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, dite loi Bachelot, avait permis aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d'associer la totalité des salariés présents, y compris lorsqu'il s'agissait de sous-traitants : ne pourrait-on pas envisager de réintroduire, sur les sites Seveso, un lieu de dialogue où les salariés puissent se familiariser avec la culture du risque et améliorer ainsi la sécurité ?

Vous avez souligné le rôle des inspecteurs et leur professionnalisme, que personne ici ne remet en cause. Si leur mission de contrôle et d'expertise ne pose guère problème, il n'en va pas de même de leur gestion de la réglementation, comme on l'a vu avec l'autorisation de réouverture partielle de Lubrizol. C'est la raison pour laquelle nous proposons, avec d'autres collègues, de créer, à l'image de ce qui existe dans le domaine du nucléaire avec l'ASN, une autorité de sûreté des sites Seveso. L'objectif n'est pas de multiplier les strates administratives mais de regrouper l'ensemble des inspecteurs sous l'égide d'une autorité unique – éventuellement déclinée dans chaque territoire. Le préfet resterait in fine maître de la décision, mais il pourrait s'appuyer sur cette instance, indépendante et transparente. Que pensez-vous d'une telle proposition ?

Pour en revenir ensuite aux commissions de suivi de site, se pose la question de la participation des habitants. Yves Blein, que nous avons auditionné en sa qualité de président de l'Association des collectivités pour la maîtrise des risques (AMARIS), nous a indiqué, en s'appuyant sur son expérience à Feyzin, que renforcer le poids des riverains au sein de la commission permettait de mieux sensibiliser la population à la culture du risque : y seriez-vous favorable ?

Ensuite, alors que, dans nombre de domaines industriels comme les transports ou la filière chimique, on procède à des retours d'expérience à partir des accidents qui ont pu se produire, dans le cas qui nous occupe, l'enquête judiciaire n'étant pas terminée, on ne connaît toujours pas les causes de l'accident, ce qui rend compliqué de prendre les mesures nécessaires pour qu'un incendie ne se reproduise pas : s'il est lié à une intrusion extérieure, cela implique en effet de renforcer la sécurité autour du site ; en revanche, si c'est un fût qui en est à l'origine, il faudra plutôt revoir les procédures de traçabilité.

Enfin, le Président de la République a récemment affirmé devant la Convention citoyenne pour le climat qu'il étudierait toutes les propositions, sans filtre. S'agissant des propositions de notre mission, je suppose que vous ne nous ferez pas ce cadeau, mais peut-on savoir au travers de quel filtre vous les examinerez ?

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Bruno Millienne a évoqué la désignation d'un interlocuteur unique pour la gestion de crise. Mme Buzyn a proposé que le ministère de la santé soit cet interlocuteur unique, estimant que la santé publique prenait le pas sur tous les autres sujets. Qu'en pensez-vous ?

Vous avez indiqué avoir demandé aux préfets, dès le 2 octobre, de s'assurer auprès des industriels du caractère opérationnel des mesures de maîtrise de risque en cas d'incendie : quels ont été les retours des préfets ? Vous ont-ils fait part de problèmes particuliers, notamment sur les PPRT ?

Comment, concrètement, entendez-vous renforcer les contrôles des DREAL sur le terrain, et dans quels délais ? Avez-vous demandé pour cela un rapport à la direction générale de la prévention des risques (DGPR) ?

J'ai bien entendu enfin ce que vous nous avez dit au sujet de l'antériorité. Il semblerait que Normandie Logistique soit précisément une entreprise qui a d'abord été un site de stockage classique, avant de devenir une ICPE, ce qu'elle avait obligation de déclarer à l'État. Or, manifestement, cette déclaration n'aurait pas été faite auprès de la DREAL, qui n'aurait donc pas mis en oeuvre les contrôles réglementaires. Comment une entreprise ou un site industriel peut-il savoir qu'il est assujetti aux obligations des ICPE, s'il ne dispose pas en interne des compétences nécessaires pour cette expertise ?

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Mais ces entreprises font de la veille juridique !

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élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Nous sommes en effet amenés à surveiller l'impact sur l'environnement comme sur la santé, d'abord immédiatement après l'accident, pour évaluer la toxicité aiguë, puis par un suivi de moyen et de long termes. J'ai donc fait appel à plusieurs organismes – l'Agence française de la biodiversité, désormais Office français de la biodiversité, les agences de l'eau, l'Office national des forêts – dans le cadre de la surveillance immédiate de l'environnement : ils n'ont pas constaté de mortalité particulière des poissons ni du gibier. Ce suivi de l'environnement se poursuivra à moyen et à long termes. Des prélèvements ont été effectués sur le site de Lubrizol immédiatement après l'incendie et une action importante de curage a été engagée. Des actions seront évidemment menées pour s'assurer de la bonne remise en état du site et des prélèvements de suivi concernant les eaux souterraines seront réalisés pour vérifier que la pollution résiduelle a bien été éliminée.

Nous avons pu disposer rapidement d'informations en mobilisant à la fois l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), ATMO Normandie et le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS). C'était une réaction à chaud : nous avons missionnant dans l'urgence les acteurs qui pouvaient intervenir rapidement.

Dans ce genre d'accident, chaque minute compte : nous devons nous assurer de disposer 24 heures sur 24 des compétences nécessaires pour faire les prélèvements et les analyses dans le cadre du Réseau des intervenants en situation post-accidentelle (RIPA) ; les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), que M. le président du Conseil national de l'air connaît bien, peuvent certainement participer à ce suivi. Nous avons pu mobiliser immédiatement l'INERIS ainsi que le SDIS appuyé par la Sécurité civile car ils disposaient de moyens de prélèvements et d'analyses ; néanmoins, nous devons garantir que ce sera bien le cas en toutes circonstances. Pour ce faire, nous serons amenés à revoir l'instruction du 12 août 2014 pour inclure l'obligation d'identification préalable des substances à rechercher afin de faciliter les opérations de surveillance. Bien évidemment, le Conseil national de l'air aura beaucoup à nous apporter et il serait donc intéressant qu'il puisse se saisir du sujet.

En dépit de toutes les informations qui ont été diffusées, nous n'avons pas pu surmonter une certaine méfiance de la population. C'est assez structurel dans la société actuelle : la parole publique et scientifique est suspecte, presque par principe. Beaucoup pensent que les réseaux sociaux savent mieux que les experts, lesquels présentent pourtant des garanties d'indépendance fortes. C'est une dimension avec laquelle il faut bien s'habituer à vivre !

La communication immédiatement après l'accident doit être réfléchie, y compris dans le choix des termes. Je ne suis pas sûre que l'ensemble des citoyens aient compris le message sur l'absence de toxicité aiguë. Certaines déclarations ont pu être perçues comme dissonantes par rapport à la réalité vécue par les habitants, en particulier les propos rassurants sur la qualité de l'air, alors même qu'une odeur pénible a persisté pendant des semaines et qu'un certain nombre d'habitants ont ressenti des nausées et des maux de tête : il y avait un écart entre les mesures et la perception, ce qui crée forcément de la suspicion.

Par ailleurs, d'autres dissonances ont pu jeter le trouble, par exemple quand des productions agricoles ont été consignées pendant plusieurs jours tandis que l'on rassurait sur l'état de l'environnement immédiat : cela n'a pas semblé parfaitement logique. C'est vraiment le sens de la mission interministérielle sur la gestion de crise : comment s'assurer que les messages sont adaptés et compréhensibles ? Comment éviter de donner l'impression que l'on prend plus de précautions pour des productions agricoles à 300 kilomètres qu'en proximité immédiate du site, où l'on diffuse des messages rassurants ? Cela doit forcément nous faire réfléchir.

Le Premier ministre a fait le choix du préfet pour s'exprimer au nom du Gouvernement. C'est une bonne chose : il y a, dans nos territoires, des fonctionnaires dont c'est la responsabilité. Toutefois, dans notre réflexion sur la création d'un bureau d'enquêtes sur les accidents liés aux risques industriels, nous devons prendre en compte une dimension qui peut être importante : certaines personnes en dehors de la chaîne hiérarchique peuvent intervenir en toute indépendance pour faire le point sur la situation. Quand le responsable du bureau d'enquêtes accidents vient rendre compte de son travail ou quand, dans des circonstances plus dramatiques, le parquet antiterroriste communique, leur crédibilité est sans doute supérieure.

Est-il pertinent de mettre en place une autorité administrative indépendante, comme c'est le cas pour le nucléaire ? La situation est très différente : à l'origine, la création de l'Autorité de sûreté nucléaire se justifiait par la proximité des grands exploitants nucléaires – Commissariat à l'énergie atomique (CEA), EDF, Orano – avec l'État ; une telle proximité n'existe pas avec les industriels privés. De plus, cela poserait forcément des problèmes de frontières : maintenir les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) non Seveso sous la responsabilité des DREAL tout en créant une structure responsable pour les sites Seveso risquerait de nous empêcher d'atteindre la taille critique en matière d'expertise.

En outre, la question de l'indépendance réelle de cette autorité se poserait, notamment à l'égard des préfets, alors que nous tentons d'être plus efficaces dans l'anticipation des risques pour l'environnement en délivrant une autorisation unique : il est en effet important de s'occuper non seulement d'industrie mais aussi de protection de la biodiversité – et à la fin, ça s'appelle une DREAL ! Il me semble donc compliqué d'aller dans ce sens. A contrario, disposer d'une structure professionnelle pour les enquêtes accidents constitue une piste intéressante.

Concernant le redémarrage du site, il n'est pas banal pour une installation industrielle d'être arrêtée depuis bientôt quatre mois, d'autant qu'elle était le fournisseur d'un certain nombre d'autres acteurs. Doit-on fermer purement et simplement le site, ou bien peut-on examiner la possibilité d'un redémarrage partiel ? Bien évidemment, personne n'imaginerait de refaire fonctionner la partie du site qui a été le lieu de l'incendie, mais la question se pose pour la partie dépourvue de processus chimique confiné. L'étude de danger a été actualisée préalablement à la demande d'autorisation de réouverture de 10 % du site et le débat a eu lieu dans le cadre du comité pour la transparence et le dialogue. Il a semblé au service chargé d'instruire la demande que, sans préjuger du redémarrage de l'ensemble de l'installation, cette réouverture pouvait se faire dans des conditions maîtrisées en termes de risques.

In fine, il serait effectivement appréciable de savoir quelle a été la cause de l'accident. Cela étant, même si les hypothèses sur l'origine de l'incendie restent ouvertes, celui-ci a vraisemblablement démarré dans la zone de stockage de produits à l'air libre. Nous pouvons déjà en tirer des enseignements utiles et prendre un certain nombre de mesures dans le cadre de l'enquête accident, qui pourront être complétées une fois les résultats de l'enquête judiciaire connus.

De manière générale, concernant la culture du risque, nous disposons de nombreuses structures et avons souvent l'occasion d'informer les populations, par exemple dans le cadre d'enquêtes publiques, ou encore dans les commissions de suivi de site, qui rassemblent les associations, les collectivités, l'industriel, les salariés et l'État. On peut réfléchir à la composition de ces commissions, qui pourraient avoir un rôle plus actif en situation post-accidentelle. Il existe par ailleurs, dans les principaux bassins industriels, des secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles et des risques (SPPPI).

Nous aurions presque besoin d'un travail de sociologue et d'analyse des pratiques existant dans d'autres pays pour parvenir à mieux sensibiliser la population au risque. J'ai toutefois été frappée par le fait que, en matière de risques naturels, les populations et les élus semblaient désormais totalement préparés à leur survenue dans certains territoires en raison de leur fréquence ; les plans communaux de sauvegarde fonctionnent bien. Les inondations dans le sud de notre pays ont malheureusement provoqué la mort de douze personnes ces derniers mois mais, dans ces conditions très particulières, on a su évacuer des populations et prendre des mesures de précaution. Finalement, j'ai l'impression que les progrès ont été moins rapides en matière de risques technologiques : nous devrons sans doute nous inspirer de cette culture des risques naturels pour l'étendre aux risques technologiques, même si ces derniers sont heureusement moins récurrents. En tout cas, nous avons manifestement des marges de progrès.

Pour répondre à Mme Stéphanie Kerbarh, des insuffisances ont été soulevées par le parquet. La DREAL a dressé un certain nombre de procès-verbaux pour des manquements. Je ne commenterai pas l'enquête judiciaire en cours mais il est clair que certaines choses sont perfectibles, par exemple la fourniture d'informations concernant les produits présents sur site. Il existe des réponses assez simples, comme le fait de disposer d'un site informatique – un cloud – afin que l'information reste disponible même en cas d'incendie.

Le décret du 21 novembre 2019 relatif aux plateformes industrielles pourra aussi avantageusement être mis à profit pour le partage des moyens d'intervention et des réseaux de mesures.

Sur la question de l'interlocuteur unique, je note que le ministère de la santé est volontaire.

Il est vrai que les citoyens s'intéressent d'abord aux risques en matière de santé ; cela étant, laissons le Premier ministre prendre connaissance des propositions de l'inspection interministérielle sur ces questions. Je reste convaincue que les préfets, qui représentent l'ensemble du Gouvernement, ainsi qu'un bureau d'enquêtes accident ont un rôle à jouer dans ce type de crises.

Nous avons rappelé aux exploitants la nécessité de s'assurer qu'ils avaient bien en tête leur plan d'intervention en cas d'incendie. Ce rappel n'a pas été inutile : si je n'ai pas de remontées spectaculaires de la part des préfets, certains industriels m'ont dit que c'était une bonne idée de réviser leur plan d'opération interne (POI) en cas d'incendie.

L'augmentation des contrôles de terrain renvoie à la modernisation de l'action publique. Il est possible d'alléger un certain nombre de missions en les digitalisant et en faisant accomplir les tâches plus administratives par d'autres agents que les inspecteurs. Nous devons dès cette année libérer du temps pour que ces derniers augmentent le nombre de contrôles de terrain.

Concernant la sous-traitance, nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet à propos du nucléaire : normalement, quand on fait intervenir un sous-traitant, celui-ci est réputé être informé de l'ensemble des mesures de sécurité qui sont prises sur le site.

S'agissant des CHSCT, il est bien prévu, notamment pour les installations classées Seveso, de maintenir un comité « santé, sécurité et conditions de travail » (CSSCT) au sein du CSE. Il est en effet très important que les salariés travaillant dans ce type de sites continuent à être étroitement associés à la prévention des risques.

Enfin, la question de l'antériorité renvoie à la responsabilité des industriels. Un industriel doit normalement disposer d'un service compétent s'il manipule des matières dangereuses : il doit connaître la réglementation. Par ailleurs, les fédérations professionnelles et les chambres de commerce et d'industrie peuvent jouer un rôle d'information. Le ministère publie également régulièrement des informations et organise des animations locales. Nous devons compter sur la responsabilité des acteurs, faute de quoi il faudrait instaurer un processus de surveillance permanente, ce qui ne paraît pas réaliste.

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Avec ou sans filtre, madame la ministre ? (Sourires.)

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élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

Vous savez, dans tous les débats avec le Parlement, le Gouvernement accepte de nombreux amendements. S'agissant d'un sujet d'intérêt général, toutes les propositions sont les bienvenues !

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Madame la ministre, au nom de la mission d'information, je vous remercie pour votre présence et pour les réponses que vous avez apportées. Je signale aux membres de la mission que c'était notre dernière audition : nous aurons l'occasion de nous revoir en présence du rapporteur pour la présentation du rapport.

L'audition s'achève à dix-huit heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à Rouen

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 16 h 30

Présents. - M. Damien Adam, M. Christophe Bouillon, M. Dominique Da Silva, M. Jean-Luc Fugit, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Bruno Millienne, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Annie Vidal

Excusé. - M. Pierre Cordier