Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 16h30
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Nous sommes en effet amenés à surveiller l'impact sur l'environnement comme sur la santé, d'abord immédiatement après l'accident, pour évaluer la toxicité aiguë, puis par un suivi de moyen et de long termes. J'ai donc fait appel à plusieurs organismes – l'Agence française de la biodiversité, désormais Office français de la biodiversité, les agences de l'eau, l'Office national des forêts – dans le cadre de la surveillance immédiate de l'environnement : ils n'ont pas constaté de mortalité particulière des poissons ni du gibier. Ce suivi de l'environnement se poursuivra à moyen et à long termes. Des prélèvements ont été effectués sur le site de Lubrizol immédiatement après l'incendie et une action importante de curage a été engagée. Des actions seront évidemment menées pour s'assurer de la bonne remise en état du site et des prélèvements de suivi concernant les eaux souterraines seront réalisés pour vérifier que la pollution résiduelle a bien été éliminée.

Nous avons pu disposer rapidement d'informations en mobilisant à la fois l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), ATMO Normandie et le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS). C'était une réaction à chaud : nous avons missionnant dans l'urgence les acteurs qui pouvaient intervenir rapidement.

Dans ce genre d'accident, chaque minute compte : nous devons nous assurer de disposer 24 heures sur 24 des compétences nécessaires pour faire les prélèvements et les analyses dans le cadre du Réseau des intervenants en situation post-accidentelle (RIPA) ; les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), que M. le président du Conseil national de l'air connaît bien, peuvent certainement participer à ce suivi. Nous avons pu mobiliser immédiatement l'INERIS ainsi que le SDIS appuyé par la Sécurité civile car ils disposaient de moyens de prélèvements et d'analyses ; néanmoins, nous devons garantir que ce sera bien le cas en toutes circonstances. Pour ce faire, nous serons amenés à revoir l'instruction du 12 août 2014 pour inclure l'obligation d'identification préalable des substances à rechercher afin de faciliter les opérations de surveillance. Bien évidemment, le Conseil national de l'air aura beaucoup à nous apporter et il serait donc intéressant qu'il puisse se saisir du sujet.

En dépit de toutes les informations qui ont été diffusées, nous n'avons pas pu surmonter une certaine méfiance de la population. C'est assez structurel dans la société actuelle : la parole publique et scientifique est suspecte, presque par principe. Beaucoup pensent que les réseaux sociaux savent mieux que les experts, lesquels présentent pourtant des garanties d'indépendance fortes. C'est une dimension avec laquelle il faut bien s'habituer à vivre !

La communication immédiatement après l'accident doit être réfléchie, y compris dans le choix des termes. Je ne suis pas sûre que l'ensemble des citoyens aient compris le message sur l'absence de toxicité aiguë. Certaines déclarations ont pu être perçues comme dissonantes par rapport à la réalité vécue par les habitants, en particulier les propos rassurants sur la qualité de l'air, alors même qu'une odeur pénible a persisté pendant des semaines et qu'un certain nombre d'habitants ont ressenti des nausées et des maux de tête : il y avait un écart entre les mesures et la perception, ce qui crée forcément de la suspicion.

Par ailleurs, d'autres dissonances ont pu jeter le trouble, par exemple quand des productions agricoles ont été consignées pendant plusieurs jours tandis que l'on rassurait sur l'état de l'environnement immédiat : cela n'a pas semblé parfaitement logique. C'est vraiment le sens de la mission interministérielle sur la gestion de crise : comment s'assurer que les messages sont adaptés et compréhensibles ? Comment éviter de donner l'impression que l'on prend plus de précautions pour des productions agricoles à 300 kilomètres qu'en proximité immédiate du site, où l'on diffuse des messages rassurants ? Cela doit forcément nous faire réfléchir.

Le Premier ministre a fait le choix du préfet pour s'exprimer au nom du Gouvernement. C'est une bonne chose : il y a, dans nos territoires, des fonctionnaires dont c'est la responsabilité. Toutefois, dans notre réflexion sur la création d'un bureau d'enquêtes sur les accidents liés aux risques industriels, nous devons prendre en compte une dimension qui peut être importante : certaines personnes en dehors de la chaîne hiérarchique peuvent intervenir en toute indépendance pour faire le point sur la situation. Quand le responsable du bureau d'enquêtes accidents vient rendre compte de son travail ou quand, dans des circonstances plus dramatiques, le parquet antiterroriste communique, leur crédibilité est sans doute supérieure.

Est-il pertinent de mettre en place une autorité administrative indépendante, comme c'est le cas pour le nucléaire ? La situation est très différente : à l'origine, la création de l'Autorité de sûreté nucléaire se justifiait par la proximité des grands exploitants nucléaires – Commissariat à l'énergie atomique (CEA), EDF, Orano – avec l'État ; une telle proximité n'existe pas avec les industriels privés. De plus, cela poserait forcément des problèmes de frontières : maintenir les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) non Seveso sous la responsabilité des DREAL tout en créant une structure responsable pour les sites Seveso risquerait de nous empêcher d'atteindre la taille critique en matière d'expertise.

En outre, la question de l'indépendance réelle de cette autorité se poserait, notamment à l'égard des préfets, alors que nous tentons d'être plus efficaces dans l'anticipation des risques pour l'environnement en délivrant une autorisation unique : il est en effet important de s'occuper non seulement d'industrie mais aussi de protection de la biodiversité – et à la fin, ça s'appelle une DREAL ! Il me semble donc compliqué d'aller dans ce sens. A contrario, disposer d'une structure professionnelle pour les enquêtes accidents constitue une piste intéressante.

Concernant le redémarrage du site, il n'est pas banal pour une installation industrielle d'être arrêtée depuis bientôt quatre mois, d'autant qu'elle était le fournisseur d'un certain nombre d'autres acteurs. Doit-on fermer purement et simplement le site, ou bien peut-on examiner la possibilité d'un redémarrage partiel ? Bien évidemment, personne n'imaginerait de refaire fonctionner la partie du site qui a été le lieu de l'incendie, mais la question se pose pour la partie dépourvue de processus chimique confiné. L'étude de danger a été actualisée préalablement à la demande d'autorisation de réouverture de 10 % du site et le débat a eu lieu dans le cadre du comité pour la transparence et le dialogue. Il a semblé au service chargé d'instruire la demande que, sans préjuger du redémarrage de l'ensemble de l'installation, cette réouverture pouvait se faire dans des conditions maîtrisées en termes de risques.

In fine, il serait effectivement appréciable de savoir quelle a été la cause de l'accident. Cela étant, même si les hypothèses sur l'origine de l'incendie restent ouvertes, celui-ci a vraisemblablement démarré dans la zone de stockage de produits à l'air libre. Nous pouvons déjà en tirer des enseignements utiles et prendre un certain nombre de mesures dans le cadre de l'enquête accident, qui pourront être complétées une fois les résultats de l'enquête judiciaire connus.

De manière générale, concernant la culture du risque, nous disposons de nombreuses structures et avons souvent l'occasion d'informer les populations, par exemple dans le cadre d'enquêtes publiques, ou encore dans les commissions de suivi de site, qui rassemblent les associations, les collectivités, l'industriel, les salariés et l'État. On peut réfléchir à la composition de ces commissions, qui pourraient avoir un rôle plus actif en situation post-accidentelle. Il existe par ailleurs, dans les principaux bassins industriels, des secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles et des risques (SPPPI).

Nous aurions presque besoin d'un travail de sociologue et d'analyse des pratiques existant dans d'autres pays pour parvenir à mieux sensibiliser la population au risque. J'ai toutefois été frappée par le fait que, en matière de risques naturels, les populations et les élus semblaient désormais totalement préparés à leur survenue dans certains territoires en raison de leur fréquence ; les plans communaux de sauvegarde fonctionnent bien. Les inondations dans le sud de notre pays ont malheureusement provoqué la mort de douze personnes ces derniers mois mais, dans ces conditions très particulières, on a su évacuer des populations et prendre des mesures de précaution. Finalement, j'ai l'impression que les progrès ont été moins rapides en matière de risques technologiques : nous devrons sans doute nous inspirer de cette culture des risques naturels pour l'étendre aux risques technologiques, même si ces derniers sont heureusement moins récurrents. En tout cas, nous avons manifestement des marges de progrès.

Pour répondre à Mme Stéphanie Kerbarh, des insuffisances ont été soulevées par le parquet. La DREAL a dressé un certain nombre de procès-verbaux pour des manquements. Je ne commenterai pas l'enquête judiciaire en cours mais il est clair que certaines choses sont perfectibles, par exemple la fourniture d'informations concernant les produits présents sur site. Il existe des réponses assez simples, comme le fait de disposer d'un site informatique – un cloud – afin que l'information reste disponible même en cas d'incendie.

Le décret du 21 novembre 2019 relatif aux plateformes industrielles pourra aussi avantageusement être mis à profit pour le partage des moyens d'intervention et des réseaux de mesures.

Sur la question de l'interlocuteur unique, je note que le ministère de la santé est volontaire.

Il est vrai que les citoyens s'intéressent d'abord aux risques en matière de santé ; cela étant, laissons le Premier ministre prendre connaissance des propositions de l'inspection interministérielle sur ces questions. Je reste convaincue que les préfets, qui représentent l'ensemble du Gouvernement, ainsi qu'un bureau d'enquêtes accident ont un rôle à jouer dans ce type de crises.

Nous avons rappelé aux exploitants la nécessité de s'assurer qu'ils avaient bien en tête leur plan d'intervention en cas d'incendie. Ce rappel n'a pas été inutile : si je n'ai pas de remontées spectaculaires de la part des préfets, certains industriels m'ont dit que c'était une bonne idée de réviser leur plan d'opération interne (POI) en cas d'incendie.

L'augmentation des contrôles de terrain renvoie à la modernisation de l'action publique. Il est possible d'alléger un certain nombre de missions en les digitalisant et en faisant accomplir les tâches plus administratives par d'autres agents que les inspecteurs. Nous devons dès cette année libérer du temps pour que ces derniers augmentent le nombre de contrôles de terrain.

Concernant la sous-traitance, nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ce sujet à propos du nucléaire : normalement, quand on fait intervenir un sous-traitant, celui-ci est réputé être informé de l'ensemble des mesures de sécurité qui sont prises sur le site.

S'agissant des CHSCT, il est bien prévu, notamment pour les installations classées Seveso, de maintenir un comité « santé, sécurité et conditions de travail » (CSSCT) au sein du CSE. Il est en effet très important que les salariés travaillant dans ce type de sites continuent à être étroitement associés à la prévention des risques.

Enfin, la question de l'antériorité renvoie à la responsabilité des industriels. Un industriel doit normalement disposer d'un service compétent s'il manipule des matières dangereuses : il doit connaître la réglementation. Par ailleurs, les fédérations professionnelles et les chambres de commerce et d'industrie peuvent jouer un rôle d'information. Le ministère publie également régulièrement des informations et organise des animations locales. Nous devons compter sur la responsabilité des acteurs, faute de quoi il faudrait instaurer un processus de surveillance permanente, ce qui ne paraît pas réaliste.

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