Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du mercredi 22 janvier 2020 à 15h00
Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution - prorogation du mandat des membres de la haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Depuis la dernière révision constitutionnelle, en 2008, certaines nominations par le Président de la République à des fonctions dans des entreprises et établissements publics, des autorités administratives indépendantes ou d'autres structures sui generis sont soumises à l'avis préalable des commissions parlementaires « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ». En théorie, le Parlement dispose donc d'un pouvoir de veto lorsque l'addition des votes négatifs dans les commissions compétentes représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Les projets de loi dont nous sommes saisis prévoient en premier lieu de retirer de la liste des fonctions concernées la présidence de la Française des jeux, dont la majorité du capital a été ouverte au secteur privé. En second lieu, ils prévoient que le Parlement soit appelé à se prononcer non plus sur la nomination des dirigeants des trois établissements publics qui composaient la SNCF, à savoir la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités, mais sur celle du seul dirigeant de la société nationale, conformément au droit commun régissant les sociétés à participation publique – et en conséquence de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire. Que l'on ait ou non approuvé cette réforme, nous constatons une fois de plus que le pouvoir de contrôle du Parlement s'en trouvera amenuisé.

À cette liste initiale, le Sénat et la commission des lois de l'Assemblée ont procédé à des ajouts, notamment ceux, à l'initiative de groupe de la France insoumise, de deux organismes : la direction générale de l'ANSM et celle de l'ANSES ; nous nous en réjouissons. Nous soutenons également l'ajout par le Sénat de la direction générale de l'OFII et de la présidence de la CADA. Cette dernière étant une institution sensible, nous déplorons le dépôt par le Gouvernement d'un amendement de suppression de cet ajout.

Revenons-en au fond. Si je disais en préambule que le pouvoir de veto du Parlement est théorique, c'est parce que depuis la session 2011-2012, il s'est exprimé à 109 reprises sur des nominations proposées par le Président de la République, et que pas une fois il n'a fait usage de son droit de veto, la somme des votes négatifs recueillis à l'Assemblée nationale et au Sénat n'ayant jamais atteint les trois cinquièmes des suffrages exprimés. L'une ou l'autre des deux commissions compétentes a toutefois formulé un avis négatif à cinq reprises, marquant ainsi le désaccord de la chambre concernée, mais sans pour autant empêcher la nomination du candidat pressenti.

Certes, un candidat au Conseil supérieur de la magistrature a bien été recalé en 2015 par la commission des lois de l'Assemblée nationale – un épisode cocasse puisque le candidat en question avait été proposé par le président de l'Assemblée nationale lui-même, qui était par définition de la même sensibilité politique que la majorité des membres de la commission. Puisque le candidat n'était pas proposé par le Président de la République, cependant, la procédure ne relevait pas de l'alinéa 5 de l'article 13 de la Constitution dont nous débattons. C'est à croire que l'autorité d'un président de l'Assemblée est plus aisée à mettre en cause par les parlementaires… Remettons en outre ce veto en perspective : il s'agit en effet d'un cas unique.

Pour le groupe Libertés et territoires, le Parlement ne saurait en aucun cas être considéré comme une simple chambre d'enregistrement des décisions du Président de la République et du Gouvernement. De ce point de vue, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire ne sont pas de simples ajustements techniques destinés à tirer les conséquences de mesures prises par des ordonnances récentes – surtout dans le contexte de l'examen de la réforme des retraites pour laquelle le recours aux ordonnances se multipliera, nous obligeant à légiférer sans aucune visibilité, pendant que les partenaires sociaux discuteront du financement.

Cette méthode soulève de profondes interrogations puisque le Parlement est appelé à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n'ont pas encore été ratifiées, sur des sujets aussi importants que la police des jeux, la régulation des transports et l'organisation du réseau ferroviaire. Il en va de même pour le changement de mode de nomination au CSA prévu par le projet de loi portant réforme de l'audiovisuel, sur lequel le Parlement n'a pas encore voté.

Il faut donc envisager l'évolution de la procédure actuelle afin de renforcer les prérogatives du Parlement, par exemple en adoptant le principe d'un vote positif aux trois cinquièmes des deux commissions, comme l'a proposé Stéphane Peu en commission, ou, à défaut, la règle du veto à la majorité simple.

Soucieux du respect des prérogatives du Parlement, nous jetons donc sur ce texte un regard nuancé.

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