Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 15h00
Protection des victimes de violences conjugales — Présentation

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

La prévention et la lutte contre toutes les formes de violences qui frappent nos concitoyens dans leur intimité, dans le cadre qui devrait être le plus protégé, celui du foyer sont, vous le savez, parmi les sujets les plus difficiles et les plus complexes : difficiles, car peu visibles, parfois tabous ; complexes parce qu'ils suscitent chez les victimes des sentiments ambivalents dus généralement à l'emprise de celui aux côtés duquel elles vivent et dont parfois elles dépendent.

Si notre arsenal législatif a pu longtemps paraître très abouti, les comportements visés n'ont cependant, à l'analyse, pas toujours reçu les réponses adaptées. Des initiatives locales comme celles conduites en Seine-Saint-Denis, à Créteil ou à Pontoise, ont permis de développer, dans le cadre des politiques partenariales, des outils ou des organisations innovantes : toutefois, force est de constater qu'au niveau national, nous ne pouvions nous satisfaire des effroyables statistiques auxquelles la nation tout entière se devait de répondre.

Nos voisins, l'Espagne notamment, nous ont montré que les violences conjugales étaient non pas une fatalité sociale mais une criminalité qui, comme toutes les autres, devait pouvoir être combattue grâce à des politiques publiques volontaires. Ils nous appartenait donc de réagir et je veux, une nouvelle fois, saluer l'initiative de Marlène Schiappa qui a su porter au niveau nécessaire un mal enfin perçu comme un enjeu national.

Dès le 9 mai 2019, j'avais adressé aux procureurs généraux et aux procureurs de la République une circulaire pour leur rappeler que la lutte contre les violences conjugales était une priorité de nos politiques pénales, afin de m'assurer que les outils dont ils disposaient, tel le téléphone grave danger, étaient pleinement déployés, et qu'aucun signe d'alerte n'était laissé sans traitement.

C'est dans ce même esprit que j'ai demandé à l'Inspection générale de la justice d'expertiser, à partir des procédures d'homicides intraconjugaux définitivement jugés, les éventuels dysfonctionnements ou, plus exactement, les indices qui, mieux identifiés, auraient peut-être permis d'éviter le pire. Cette inspection a été très riche d'enseignement et se poursuit aujourd'hui afin d'élaborer une méthodologie de retour d'expérience systématique en cas d'homicide intrafamilial.

Les procureurs de la République, je le sais, sont très mobilisés autour de cette criminalité et loin de moi l'idée de chercher des responsabilités individuelles de professionnels, d'intervenants sociaux, de membres des forces de l'ordre ou de magistrats après la commission de chaque infraction. Mais je crois que, face au constat que j'ai rappelé, il nous appartient à tous d'analyser chaque situation afin d'éviter qu'elle ne se reproduise. Il s'agit là d'une responsabilité collective, systémique.

C'est dans ce contexte général, auquel j'ai fait allusion il y a quelques instants, que le Premier ministre a lancé le 3 septembre 2019 le Grenelle des violences conjugales qui a permis, grâce à l'engagement de tout le Gouvernement et au-delà, de tout le tissu associatif et de citoyens engagés, de dégager des voies pour donner aux femmes et aux hommes victimes de violences intrafamiliales les moyens de retrouver leur dignité.

L'urgence à agir a conduit le Parlement à adopter à l'unanimité une première loi promulguée le 28 décembre 2019. Visant à agir contre les violences au sein de la famille, elle a renforcé les moyens de lutte contre les violences au sein du couple et leurs incidences sur les enfants. Elle a ainsi amélioré le traitement des requêtes en ordonnance de protection, permis l'aménagement de l'autorité parentale en présence d'un crime conjugal, institué la suspension automatique de l'exercice de l'autorité parentale d'un parent poursuivi ou condamné pour un crime commis sur la personne de l'autre parent et permis la mise en oeuvre du bracelet anti-rapprochement qui sera déployé, comme je m'y étais engagée, d'ici à l'automne 2020, après avis de la CNIL – Commission nationale de l'informatique et des libertés. Cette loi a, enfin, assoupli les critères permettant de recourir au téléphone grave danger.

J'ai présenté l'ensemble de ces dispositions, d'application immédiate pour la plupart, aux magistrats dans le cadre d'une circulaire diffusée ce matin-même qui, outre l'explication de l'ensemble de ces dispositions ainsi que des outils très pratiques, comporte des instructions de politique pénale générale, issues des travaux du Grenelle des violences conjugales, relatives à l'accompagnement des victimes, au suivi des auteurs et à l'organisation, dans les juridictions, de filières d'urgence afin de garantir la diligence indispensable à la prévention du pire.

Je saisirai cette semaine le Conseil d'État d'un décret pour inscrire dans le code de procédure civile les dispositions permettant la mise en oeuvre effective dans les délais désormais réduits à six jours de la procédure d'ordonnance de protection, telle que vous l'avez votée il y a moins d'un mois.

Au-delà de l'ordonnance de protection, j'ai attentivement suivi nos échanges dans le cadre de l'examen de la loi du 28 décembre dernier et les dispositions qui nécessitaient une traduction réglementaire figurent dans le projet de décret dont j'ai parlé à l'instant.

Mais les enseignements des travaux menés dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, ou de ceux prônés par les députés du groupe La République en marche, à l'issue de leurs journées de travail en région, ont conduit à formuler de nombreuses propositions qui exigent des modifications de nature législative. C'est pourquoi nous nous retrouvons aujourd'hui afin d'examiner la proposition de loi sur laquelle vous allez discuter et de parachever ce travail commencé depuis bientôt cinq mois.

Ce texte, qui vous est aujourd'hui soumis, tend, ainsi que l'a exposé Mme la rapporteure, à assurer la protection effective des victimes de violences familiales, qu'il s'agisse d'un parent ou des enfants. À cette fin, il modifie le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale et complète, sur des points particulièrement importants, la loi du 28 décembre dernier. Je reprendrai ici, en quelques mots, les points évoqués par Mme la rapporteure.

Au plan civil, la proposition de loi prend acte de la situation dans laquelle se trouve une victime de violences familiales et propose d'écarter la médiation familiale comme mode de résolution des conflits en cas d'emprise. L'emprise, c'est cet état psychologique défini par le psychiatre Gérard Lopez comme étant « destiné à obtenir l'adhésion de la victime au système agresseur », qui prive la victime du libre arbitre essentiel à toute médiation qui ait du sens. À l'égard des enfants, la proposition de loi envisage de décharger automatiquement les descendants et ascendants de leur obligation alimentaire dans les cas les plus graves ; elle évitera ainsi de placer des enfants dans la situation insupportable de payer la prise en charge de celui de leur parent, devenu indigent, qui fut l'assassin de l'autre.

Au plan pénal, la proposition de loi se concentre sur trois axes majeurs : faciliter le signalement des violences conjugales ; améliorer les procédures pénales concernant ces infractions ; procéder à l'amélioration des incriminations et au renforcement de la répression.

En ce qui concerne la question essentielle du signalement, la proposition de loi prévoit que, en cas de violences d'une particulière gravité et qui démontrent la situation d'emprise de la victime, les médecins et professionnels de santé pourront porter ces faits à la connaissance du procureur de la République même s'ils n'ont pas réussi à obtenir l'accord de la victime. Je connais parfaitement les débats que soulève la question de la levée du secret médical et ne doute pas que votre chambre saura trouver le point d'équilibre entre la garantie de deux intérêts qui, loin d'être contradictoires, me paraissent converger, puisqu'ils n'ont d'autre objectif que de protéger.

S'agissant des règles de procédure, est prévue, en premier lieu, l'interdiction absolue du recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales. Cette interdiction, qui est le pendant de ce que la proposition de loi envisage en matière civile, répond à une demande répétée des associations ; elle se justifie par la situation évidente d'emprise dans laquelle se trouvent le plus souvent les victimes.

L'efficacité de la procédure sera par ailleurs accrue en permettant au juge d'instruction ou au juge des libertés et de la détention d'ordonner, en cas de violences conjugales, dans le cadre d'un contrôle judiciaire et donc avant toute condamnation, la suspension du droit de visite et d'hébergement à l'égard des enfants, y compris en l'absence de violences directes à leur encontre. On sait que ces visites sont souvent difficiles pour les enfants et peuvent être un moyen, pour le parent violent, de renforcer son emprise sur le conjoint. Dans le même esprit, la possibilité pour les enquêteurs de saisir des armes au cours d'une procédure pour violences au sein du couple sera renforcée afin d'éviter qu'elles ne soient utilisées par la personne mise en cause.

La proposition de loi prévoit également de renforcer la répression sur les points suivants : le harcèlement au sein du couple, qui aura conduit la victime à se suicider, ou à tenter de le faire, sera désormais réprimé de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende ; les comportements d'espionnage au sein du couple seront plus largement incriminés ; la lutte contre l'exposition de mineurs à la pornographie, notamment sur des sites internet, sera renforcée.

Enfin, notre droit devrait être adapté afin de réprimer plus efficacement encore toutes les formes de pédocriminalité et de faciliter la poursuite et la condamnation des personnes qui visionnent sur internet des sévices sexuels commis à leur demande sur des mineurs résidant à l'étranger. De ce point de vue, deux éléments méritent d'être soulignés : premièrement, le fait de donner mandat à une personne de commettre des crimes tels que le viol ou le délit d'agression sexuelle sur un mineur sera puni à titre autonome, y compris si le crime ou le délit n'a été ni commis ni tenté ; deuxièmement, les règles de compétence de la loi française dans l'espace seront modifiées pour qu'il soit permis de poursuivre, en France, le complice du crime réalisé à l'étranger, sans avoir à obtenir la preuve que l'auteur principal étranger aura été condamné pour ce crime.

Si certaines de ces dispositions figuraient dans la proposition de loi telle qu'elle a été déposée, d'autres ont été ajoutées par la commission et par votre rapporteure. Je tiens à souligner la qualité de leur travail et de leur engagement.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement soutiendra très fortement cette proposition de loi. La lutte contre ces actes qui meurtrissent chaque jour des femmes, et parfois des hommes, et heurtent la société toute entière, doit être sans faille. La proposition de loi contribue davantage encore à la réalisation d'un tel objectif. Je ne doute pas qu'elle recevra dans cette enceinte un vaste soutien.

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