Intervention de Alexandra Louis

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 15h00
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis :

Je voudrais vous parler de la solitude, du sentiment de culpabilité, de la fatigue, de la honte, de la peur, de la souffrance, parfois de la terreur et, paradoxalement, d'espoir, d'attachement, de résilience et de courage. Ces sentiments qui s'entremêlent et s'entrechoquent escortent bien souvent, parfois même jusqu'à leur linceul, celles et ceux qui sont victimes de violences conjugales. C'est en partie cela qui rend leurs parcours si complexes et chaque situation si unique. Au-delà du funeste nombre des féminicides, c'est pour chacune de ces personnes que nous devons agir.

Pendant longtemps, notre société s'est abstenue de regarder ces violences en face ; sans doute était-il bien plus facile de fermer la porte sur ces drames, de les reléguer dans l'intimité des foyers.

Il suffit de se tourner vers la littérature, le cinéma, pour voir à quel point ce phénomène est ancré et ancien. Je pense à Sganarelle dans Le Médecin malgré lui de Molière : beaucoup rient, alors qu'il promet le fouet à son épouse. Dans un registre bien plus tragique, dans le film Rocco et ses frères de Visconti, la jeune Nadia, incarnée par Annie Girardot, est violentée, violée puis finalement tuée par celui qui n'a jamais accepté qu'elle lui échappe. Il prononcera les mots : « Elle est à moi ! », qui témoignent assez bien de la volonté de possession et de domination qui caractérisent les auteurs de ces violences. Bien souvent, toutefois, il suffit de regarder dans son propre entourage pour se rendre compte que ces drames du quotidien ne relèvent pas que du passé et de la littérature.

C'est fort de ce constat que le 25 novembre 2017, le Président de la République a affirmé que la France ne doit plus être un pays où les femmes ont peur. Si les précédents gouvernements et législateurs ont oeuvré avec conviction dans cette lutte, il était essentiel de reconsidérer dans son ensemble l'arsenal de protection des victimes.

Le Gouvernement, sous votre impulsion, madame la secrétaire d'État, a donc lancé un exercice inédit et indispensable, le Grenelle des violences conjugales, qui a permis de travailler avec toutes celles et tous ceux qui oeuvrent au quotidien sur le terrain aux côtés des victimes, ainsi que les victimes elles-mêmes. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui et qui est issue de ces travaux, s'insère dans un dispositif plus global.

L'enjeu est de lever de nombreux obstacles qui entravent le parcours des victimes. Trop souvent, après l'enfer des violences, elles doivent affronter le dédale kafkaïen des procédures judiciaires et administratives. Sans prétendre dresser le catalogue de toutes les mesures proposées – elles ont déjà été présentées – , je souhaite évoquer certaines d'entre elles.

L'aide juridictionnelle provisoire sera accordée de droit dans les situations d'urgence. S'il n'y a pas d'accès au droit, il n'y a pas de justice. Il est indispensable que les victimes soient assistées par un avocat le plus tôt possible. Un terme définitif sera mis aux médiations en matière pénale en cas de violences au sein du couple, comme en matière civile en cas de violences ou d'emprise manifeste. Ceux qui s'immiscent indûment dans la vie privée de leur conjointe, notamment en les géolocalisant ou en violant le secret de leurs correspondances, seront mieux réprimés. Les médecins, dans un cadre précis et protecteur, seront autorisés à signaler les cas de violences conjugales les plus graves. La saisie des armes sera facilitée en cas d'enquête pour violences.

Ce texte met également l'accent sur la protection des enfants. Dans le cadre de la loi du 3 août 2018, nous avons adopté une circonstance aggravante : les auteurs de violences conjugales sont condamnés plus lourdement quand ils se livrent à ces violences en présence d'enfants.

La présente proposition de loi vise à améliorer encore la situation des enfants. Elle permettra au juge de suspendre le droit de visite ou d'hébergement des personnes mises en examen ou sous contrôle judiciaire. C'est souvent à l'occasion de l'exercice de ce droit que des violences se produisent.

Cette disposition s'ajoute à celles relatives à la suspension de l'exercice de l'autorité parentale, et à son retrait, votées dans la loi du 28 décembre 2019. Les enfants ne doivent plus être pris en otage dans la spirale des violences conjugales.

Je vous le dis d'ores et déjà : je suis convaincue que la protection des enfants ne doit pas passer par une judiciarisation – je sais que ce débat viendra bientôt. La place d'un enfant n'est pas dans un commissariat, dans le bureau d'un juge ou dans un prétoire. N'ajoutons pas à la souffrance de ces enfants pris en otage, enfermés dans le carcan des violences conjugales, l'angoisse des procès qui sont toujours une épreuve. Ils ont besoin d'un accompagnement psychologique plutôt que d'être exposés à la lumière froide des salles d'audience.

Enfin, si la loi est le socle nécessaire de la lutte contre les violences conjugales, elle ne peut pas tout. Je le dis humblement : il faudra encore beaucoup de volonté ainsi qu'une vigilance et une mobilisation constantes de toute la société.

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