Intervention de Erwan Balanant

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 15h00
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwan Balanant :

Le 10 novembre 2019, dans le Bas-Rhin, Sylvia était poignardée par son mari après lui avoir demandé le divorce. Le lendemain, en Loire-Atlantique, Karine, âgée de quarante-huit ans, était tuée de la même manière par Tony, dont elle était séparée depuis deux ans. Idem, le jour suivant, en Seine-Saint-Denis : Aminata, trente et un ans, était tuée par Alou devant leurs deux enfants. En 2019, 116 femmes ont été tuées par leur conjoint ; ce sont 116 décès de trop, 116 constats de l'impuissance de notre justice face à ce fléau. Et encore n'ai-je évoqué ici que des actes de violence qui ont connu une issue fatale. N'oublions pas les autres victimes, de nombreuses femmes mais aussi des hommes et des enfants, qui survivent à ces violences et sont bien souvent anéanties. Nous n'avons pas de mots pour décrire les conséquences irréversibles des violences conjugales sur la vie des victimes.

Les chiffres des violences conjugales sont consternants et les lacunes de la justice, elles, sont bien réelles. Les mains courantes et les procès-verbaux de renseignement judiciaire ne débouchent sur des investigations que dans 18 % des cas. Dans 41 % des cas d'homicides ou tentatives d'homicides conjugaux, la victime s'était déjà signalée. De façon inique, notre société est trop souvent restée sourde aux alertes, participant ainsi à la banalisation de l'inacceptable.

Nous devons placer au coeur de notre action la définition de réponses et de mesures qui permettront à chacun de se sentir en sécurité dans son foyer. À cet égard, l'engagement du Président de la République, Emmanuel Macron, et de son gouvernement, sont à la hauteur des enjeux.

Les recommandations formulées à l'occasion du Grenelle des violences conjugales sont des pistes d'amélioration visant à rompre la spirale infernale des violences au sein du couple, et à éloigner et soigner les auteurs des violences. Certaines conclusions du Grenelle ont déjà été mises en oeuvre – je pense notamment à la grille d'évaluation du danger, qui apportera une aide précieuse aux forces de l'ordre chargées d'évaluer la dangerosité des situations : nous espérons qu'elle produira rapidement des résultats concrets.

Dans cette même lignée, la proposition de loi de Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha introduit des mesures que nous jugeons cruciales et qui devraient produire des améliorations concrètes et significatives en matière de prise en charge et de protection des victimes. Le groupe MODEM et apparentés se félicite notamment de plusieurs avancées telles que la prise en compte des victimes collatérales que sont les enfants des femmes et hommes battus par leur conjoint. De même, nous nous félicitons que les professionnels de santé aient désormais la possibilité de procéder au signalement nécessaire lorsqu'ils ont l'intime conviction que l'un de leurs patients est victime de violences conjugales et se trouve en situation de danger immédiat. Nous nous réjouissons également des dispositions de l'article 9 qui faciliteront la saisie des armes des conjoints violents. C'est un point fondamental, compte tenu de l'omniprésence des armes à feu dans les violences au sein du couple. En 2018, 66 % des homicides consécutifs à ces violences et commis par des hommes ont été perpétrés avec une arme, et 80 % – on le sait moins – lorsqu'ils ont été commis par des femmes.

Le groupe MODEM et apparentés défendra plusieurs amendements et soulèvera quelques interrogations, afin d'aller plus loin en matière de mesures protectrices. L'article 4, notamment, suscite des questions. Dans la rédaction initiale de cette disposition, la possibilité d'évincer la médiation familiale en cas de violences conjugales ne semblait être laissée au juge que lorsqu'une condamnation était intervenue : or la version issue de la commission étend cette option à toutes les situations de violences alléguées, comme l'a indiqué Mme la garde des sceaux s'agissant de l'emprise. En l'état, cette modification nous semble quelque peu radicale, car la médiation familiale pourrait ainsi être écartée dans de nombreux cas, y compris de manière infondée ou abusive – même s'il n'est évidemment pas de notre souhait de revenir sur la question de l'emprise. Nous jugeons néanmoins cette rédaction un peu trop forte : le débat aura lieu et nous pourrons certainement avancer ensemble.

Lutter contre la spirale infernale des violences conjugales, c'est aussi prévenir la récidive des auteurs et organiser leur réinsertion. Nous pensons qu'un outil est la clé de la réussite de ces deux objectifs : le stage de responsabilisation destiné aux auteurs de violences conjugales, qui se traduit par une forte réduction du nombre de passages à l'acte. Durant deux jours, par groupe de sept ou huit condamnés, ces personnes réfléchissent, aux côtés de psychologues et de travailleurs sociaux, au processus de la violence, à la portée de leurs actes et aux conséquences subies par leurs victimes. Ce stage incite les auteurs à verbaliser les sentiments et les émotions qui conduisent habituellement à la brutalité. Cette solution semble appropriée et mérite selon nous d'être développée davantage, notamment dans les territoires d'outre-mer et partout en France, lorsque les taux de violences conjugales sont particulièrement élevés.

Enfin, nous appelons votre attention sur l'article 11, qui vise en substance à encadrer plus strictement l'accès des mineurs aux sites pornographiques – un enjeu crucial, dont je me suis également saisi dans le cadre de la mission qui m'a été confiée sur le harcèlement scolaire. Bien que cet article traite d'une problématique à laquelle nous devons faire face et qu'il serait judicieux d'approfondir, il nous semble toutefois que les modalités pratiques d'une limitation d'accès à de tels sites sont complexes. Le sujet mérite à notre sens une réflexion autonome et approfondie, distincte de celle liée aux violences conjugales.

En conclusion, il va de soi que le groupe MODEM et apparentés se félicite de cette proposition de loi. Nous appelons de nos voeux la mobilisation de la société tout entière pour que la lutte contre ces violences devienne le combat de cette décennie.

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