Intervention de Hervé Saulignac

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 15h00
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Saulignac :

Après la proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié, voici un texte de plus sur un sujet majeur. Pourquoi pas ? À condition qu'il ne soit pas un texte pour rien. En effet, regardons en face la réalité des faits qui nous oblige : si nous sommes ici aujourd'hui, c'est en raison de l'échec des politiques publiques successives qui n'ont pas permis d'inverser la courbe tragique des violences conjugales, alors que d'autres nations y sont parvenues mieux que nous. Des milliers de femmes violentées, des hommes aussi, des milliers de familles meurtries, des milliers d'enfants traumatisés par le spectacle insupportable de la brutalité et, en fin de compte, des dizaines de milliers de victimes ne veulent pas d'une loi de plus si elle ne réduit pas les souffrances.

On estime à 220 000 le nombre de femmes victimes de violences conjugales chaque année – mais reformulons cette phrase d'un autre point de vue : on estime à 220 000 le nombre d'hommes violents passant à l'acte. Je le dirai d'une autre manière encore en m'adressant aux collègues qui sont du même sexe que moi : statistiquement, il y aurait parmi nous trois ou quatre députés qui sont des hommes violents – et j'aimerais être sûr que notre hémicycle démente cette statistique. Je n'hésite cependant pas à affirmer qu'une vague de honte submerge l'homme que je suis quand je pense que quatre d'entre nous lèvent peut-être la main sur leur compagne.

Pour une victime, fuir l'enfer de la violence s'apparente un peu à jouer au loto. Elle sera peut-être accueillie par des policiers formés et bienveillants qui sauront l'écouter et l'accompagner. Elle obtiendra peut-être un hébergement d'urgence où elle pourra dormir avec ses enfants, ainsi qu'une ordonnance de protection qui lui offrira la sécurité qui lui est due. Et peut-être un juge pénal condamnera-t-il son conjoint, auquel un juge aux affaires familiales retirera ensuite l'autorité parentale.

Ou bien cette victime n'aura pas tiré les bons numéros, et fera partie de ces 60 % de femmes qui, alors même qu'elles sont connues de la justice, ont perdu la vie, en dépit de leurs démarches, sans parler de celles qui décident d'en finir avant que leur bourreau ne se charge de les tuer.

Probablement a-t-on demandé à ces femmes d'aller voir la police, de recourir à la justice ; peut-être s'est-il trouvé un médecin ou un travailleur social pour déclencher une prise de conscience ; puis le système se grippe. Combien sont-elles à avoir perdu la vie en raison des dysfonctionnements du système ?

Notre mission de législateur réside en cela aussi : donner les moyens humains et matériels à un système qui en manque encore cruellement. Ce ne sont pas tant de mesures nouvelles que nous avons besoin que de moyens supplémentaires pour mettre en oeuvre les dispositions en vigueur.

En la matière, il faudra se résoudre à rompre avec la politique des petits pas. Aucun pas ne sera jamais trop grand s'il sauve une vie. Madame la rapporteure, je crains que votre texte – même s'il comporte des avancées que je salue – ne soit qu'un petit pas de plus.

Je ne doute ni de votre sincérité ni de votre détermination dans ce combat. Je salue également l'implication du groupe de travail contre les violences conjugales. Toutefois, balayer la question des moyens, c'est renoncer à ce combat.

Prenons par exemple l'article 7, qui constitue une avancée précieuse, sensible, en reconnaissant le suicide forcé. Cette avancée sera-t-elle applicable dans les faits ? À l'heure actuelle, lorsque la police constate une mort violente, elle enquête pour en déterminer la cause. S'il s'agit d'un suicide, l'enquête est close. Sans moyens supplémentaires accordés à la police et à la justice, comment en sera-t-il autrement demain ?

L'article qui suscitera le plus de débats est probablement l'article 8 prévoyant la levée du secret médical. Je sais que vous n'aimez pas cette appellation ; pourtant, c'est ainsi que l'on parlera de cette disposition, et c'est ainsi qu'elle sera comprise par les victimes de violences conjugales.

Les médecins semblent particulièrement divisés à son sujet. J'ai tendance à écouter ce que disent les spécialistes des mécanismes de violences conjugales ; or il se trouve qu'ils sont farouchement opposés à cet article. Leurs arguments me semblent s'imposer à notre conscience – ils s'imposent à la mienne.

Signaler, c'est bien ; mais que se passera-t-il ensuite ? Que se passera-t-il si la femme concernée refuse de témoigner ? Que se passera-t-il si elle est menacée ? Que se passera-t-il si la plainte est classée ? Le problème n'est pas tant le signalement, mais ce que l'on en fait, ainsi que notre capacité à garantir autant que possible la protection d'une femme signalant ce qu'elle subit.

Chers collègues, vous comprendrez que le groupe Socialistes et apparentés votera presque naturellement en faveur du texte, tant la cause relève pour nous d'un combat historique. Toutefois, notre exigence morale nous amène à exhorter le Gouvernement à ne pas se contenter d'un texte de plus, parce qu'on ne peut pas faire l'impasse politique sur un tel sujet au cours de la législature.

On se moque parfois de la politique du chiffre. Dorénavant, le chiffre doit être notre boussole, notre obsession. Nourrissons ensemble l'ambition d'en faire reculer un : le nombre de féminicides, qui figure comme une tache rouge sang dans le bilan de nos politiques publiques !

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