Je voudrais saluer les héros qui ne font pas le pont entre le 1er novembre et le week-end pour pouvoir examiner le projet de loi de finances. Je vous remercie pour votre engagement et votre disponibilité.
Je suis parfaitement conscient du délai très court dont le Parlement dispose pour prendre connaissance du dispositif qui vous est proposé et pour l'amender. Nous sommes ici dans un cas de force majeure. L'enjeu nous dépasse, vous comme moi, puisqu'il s'agit de l'intérêt général de la Nation française : nous devons avoir des comptes publics bien tenus et donner à nos partenaires européens la garantie que nous respecterons nos engagements. Ces deux raisons nous ont conduits à vous proposer, dans des délais très courts, ce dispositif.
Commençons par un petit retour en arrière. En août 2012, le Gouvernement conduit par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a introduit, par une loi de finances rectificative (LFR), une taxe de 3 % sur les dividendes, notamment ceux versés par des filiales européennes à leur maison mère en France.
Pour être tout à fait complet et éviter toute polémique sur le sujet, je voudrais rappeler ce qui avait conduit à l'adoption de cette taxe de 3 % sur les dividendes. Certains disent qu'elle avait vocation à se substituer à la retenue à la source sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), jugée contraire au droit européen par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). C'est vrai et je le reconnais bien volontiers. Mais, soyons tout à fait honnêtes, cette taxe visait aussi à appliquer pleinement le programme du candidat François Hollande, qui avait prévu d'instaurer une différence de traitement fiscal entre les dividendes distribués et ceux qui étaient réinvestis dans l'entreprise. Allons jusqu'au bout du raisonnement et au bout des motifs qui ont conduit à l'option de cette taxe et aux difficultés présentes.
M. Christian Eckert, rapporteur général de votre commission au moment du vote du texte, a reconnu, dès 2015, alors qu'il était devenu secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics, l'incompatibilité de cette imposition litigieuse avec le droit européen. Lors de la séance du 23 novembre 2015, il déclarait devant le Sénat : « Il est vrai que le dispositif de cette contribution additionnelle a fait l'objet d'une mise en demeure de la Commission européenne. »
Dès avril 2015, en effet, la Commission européenne avait mis en demeure la France à propos de la taxe de 3 % sur les dividendes. Je ne fais que rappeler des faits sur lesquels l'Inspection générale des finances devra faire toute la transparence. Nous sommes ici pour trouver une solution.
Le 17 mai 2017, la CJUE a « retoqué » la taxe, jugée incompatible avec la directive sur le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales. Selon la CJUE, il est contraire au droit européen d'appliquer cette taxe de 3 % aux dividendes perçus de la part d'une filiale établie ailleurs dans l'Union européenne. La CJUE soulignait le risque d'une double imposition. En revanche, les autres types de dividendes pouvaient rester assujettis à ce prélèvement.
Cette décision de la CJUE nous avait d'ailleurs amenés à ne provisionner qu'un peu plus de 5 milliards d'euros dans la trajectoire budgétaire du projet de loi de finances, en estimant que l'annulation des recettes de la taxe ne serait que partielle. Le Conseil constitutionnel en a jugé différemment le 6 octobre dernier : il a déclaré cette différence de traitement inconstitutionnelle car méconnaissant les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Il a donc annulé l'intégralité de la taxe avec effet rétroactif, ce qui conduit à une facture de 10 milliards d'euros pour l'État, en tenant compte des intérêts moratoires dont le montant s'élève à 1 milliard d'euros environ.
Au sujet de cette taxe sur les dividendes, j'ai parlé de scandale d'État. Je ne retire pas ma formule. Quand il s'agit de 10 milliards d'euros et des comptes de la Nation, je pense qu'il est légitime de s'interroger sur le maintien dans le temps d'une taxe dont le secrétaire d'État au budget avait lui-même reconnu qu'elle faisait l'objet d'une mise en demeure de la part de l'Union européenne, c'est-à-dire d'un ensemble politique auquel nous sommes partie et dont nous devons respecter les règles. Quand l'amateurisme fait perdre une telle quantité d'argent public, je pense qu'on peut effectivement parler de scandale d'État.
C'est l'Inspection générale des finances – et non pas cette réunion de commission – qui devra faire la lumière sur cette affaire et établir les responsabilités des uns et des autres. Pour l'heure, nous devons nous intéresser au choix qui a été fait par le Président de la République, par le Premier ministre et par moi-même : solder au plus vite les comptes du passé pour nous tourner de manière résolue vers l'avenir.
Dès juillet, face aux 4 milliards d'euros de dépenses non budgétées, nous avons fait le nécessaire pour prévoir 5,7 milliards d'euros de réserves afin d'anticiper cette annulation. Par ailleurs, l'article 13 du projet de loi de finances pour 2018, qui prévoit la suppression de la taxe sur les dividendes, a été adopté par votre Assemblée.
Pour cette majorité, il aurait été beaucoup plus commode d'inventer une nouvelle taxe sur une nouvelle base, comme cela se fait depuis deux quinquennats, afin d'éviter d'avoir à effectuer ce remboursement et à affronter les difficultés. Nous avons préféré trancher dans le vif en supprimant cette taxe illégale, en refusant de la remplacer par une nouvelle perception pérenne, et en ayant recours à une contribution exceptionnelle pour solder les comptes du passé et nous tourner vers l'avenir. Je salue le choix – sage et responsable – de la majorité.
L'État doit rembourser 10 milliards d'euros. Les finances de la France doivent être bien tenues. Nous ne mettons pas la poussière sous le tapis ; nous ne cherchons pas dissimuler la difficulté ; nous sommes transparents vis-à-vis des Français sur le problème et sur les solutions.
Notre pays doit aussi respecter ses engagements européens. Nous aurions pu laisser filer les déficits, en arguant que cette ardoise de 10 milliards d'euros nous empêchait de tenir notre parole. Aux Français, nous aurions expliqué que nous n'avions pas le choix, que nous devions payer l'incurie du passé et que nous respecterions nos engagements européens quand nous le pourrions mais, en tout cas, pas en 2017, 2018 ou 2019. Au contraire, avec le Président de la République et le Premier ministre, nous avons choisi de tenir strictement nos engagements européens pour garder à la parole politique française tout son poids et toute sa crédibilité.
Nous avons donc opté pour une solution qui partage la charge à égalité entre l'État et les plus grandes entreprises françaises : 5 milliards d'euros de contributions exceptionnelles seront demandés aux entreprises ; 5 milliards d'euros seront imputés sur le budget 2018 pour ce qui est de la part de l'État. Nous sommes conscients de demander un effort important aux entreprises concernées. Je leur suis reconnaissant de cet effort civique consenti pour que les comptes de la Nation soient bien tenus.
Rappelons qu'environ 320 entreprises – celles dont le chiffre d'affaires dépasse 1 milliard d'euros – sont concernées par ces contributions exceptionnelles. Par souci d'équité, nous avons décidé de faire deux tranches. Les 320 entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros s'acquitteront d'une contribution exceptionnelle représentant 15 % du montant de leur impôt sur les sociétés (IS), ce qui portera leur taux d'IS de 33,33 % à 38,33 % en 2017. Les 110 entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 3 milliards d'euros devront en outre payer une seconde contribution additionnelle de 15 % de leur IS, qui portera leur taux d'IS de 33,33 % à 43,33 % en 2017.
C'est un effort important, mais nécessaire. Nous avons voulu qu'il soit équitable et l'avons donc fait porter principalement sur les entreprises au chiffre d'affaires le plus élevé. Cette mesure ne s'appliquera qu'une fois. Elle ne remet aucunement en question le cadre défini par le projet de loi de finances pour 2018, celui d'une baisse de l'IS. Aux chefs d'entreprise que j'ai longuement rencontrés, j'ai confirmé que l'IS serait bien ramené de 33,33 % à 25 % d'ici à 2022, ce qui représente une perte de plus de 10 milliards d'euros pour les finances publiques de l'État.
Il faut donc comparer l'effort exceptionnel qui est demandé avec le choix de la baisse de l'IS qui sera adopté, si vous en décidez ainsi, la semaine prochaine. En outre, la baisse de l'IS se conjugue avec la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur les revenus du capital, la sanctuarisation du crédit d'impôt recherche (CIR) et la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégements pérennes de charges.
Si je peux comprendre une certaine focalisation sur ces contributions exceptionnelles, j'aimerais cependant que l'on regarde le panorama global dessiné par les décisions que nous avons prises pour les entreprises, la croissance et l'emploi en France. Cette décision, nécessaire et équilibrée, est éminemment politique. Elle était difficile à prendre et nous avons pris le temps d'en mesurer les effets, tout en étudiant des dizaines d'autres options.
L'étalement présentait le défaut majeur d'alourdir la charge financière pesant sur l'État, puisque le taux d'intérêt moratoire est de 4 % par an. Même en négociant un taux plus avantageux, la charge financière de l'État s'en serait trouvée accrue. Nous avons également pensé à appliquer un taux unique, mais il aurait été moins juste pour les entreprises. Quant à la possibilité d'un plafonnement, elle a été disjointe par le Conseil d'État. Or, je ne veux prendre aucun risque juridique dans une affaire où trop de risques juridiques ont déjà été pris.
Nous évaluons les rentrées fiscales de cette surtaxe à 4,8 milliards d'euros en 2017, au titre de l'acompte qui sera payé au plus tard le 20 décembre de cette année. Ce montant représentera 95 % de la contribution exceptionnelle et de la contribution additionnelle dues au titre de l'exercice en cours par les entreprises redevables qui clôturent leurs comptes le 31 décembre 2017. Les rentrées fiscales devraient être de 600 millions d'euros en 2018, ce qui correspond au solde de 5 %, auquel s'ajoutera la contribution due par les entreprises qui n'auront pas clôturé leurs comptes au 31 décembre 2017.
Ces rentrées devraient nous permettre de maintenir notre déficit public sous le seuil de 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2017 et de respecter ainsi nos engagements européens. Dans les conclusions qu'il nous a adressées, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge d'ailleurs plausible l'hypothèse selon laquelle ces recettes seraient de l'ordre de 5 milliards d'euros en 2017.
Venons-en aux 5 milliards d'euros qui sont à la charge de l'État. Nous devrions avoir purgé le gros de la dette l'année prochaine : 300 millions d'euros provisionnés et 4 milliards d'euros ponctionnés en 2018. Ces 4 milliards d'euros représentent environ 0,2 point de PIB. Le déficit budgétaire devrait ainsi passer de 2,6 % à 2,8 %, c'est-à-dire une fois encore sous la barre des 3 % qui nous est imposée par l'Union européenne.
Le HCFP estime que ce projet de loi de finances rectificative est singulier puisque nous sommes confrontés à une situation singulière. Il nous demande de tenir compte du contexte économique et des estimations de recettes et des dépenses de 2017, ce qui sera fait dans le projet de loi de finances rectificative présenté la semaine du 13 novembre.
Voilà les quelques indications que je voulais porter à votre connaissance, en entrant le plus possible dans le détail. En politique, il faut savoir prendre des décisions difficiles. C'est tout à notre honneur d'affronter les difficultés, de ne pas les cacher. C'est exactement ce que nous proposons de faire avec ce projet de loi de finances rectificative qui permet de solder une affaire qui, à mon sens, n'a que trop duré.