Intervention de S Exc Nikolaus Meyer-Landrut

Réunion du mercredi 22 janvier 2020 à 15h00
Commission des affaires européennes

S Exc Nikolaus Meyer-Landrut :

Je vous remercie pour vos différentes questions. En ce qui concerne le droit de la concurrence, je ne vais pas me prononcer sur une décision particulière, avec beaucoup de facettes, il faudrait entendre l'autorité de la concurrence. Mais cela a permis de réfléchir aux axes dans lesquels le droit de la concurrence doit évoluer. La nouvelle Commission européenne commence à y réfléchir et à émettre des perspectives. Selon nous, il y a quelques points importants. D'abord, avons-nous encore dans le monde d'aujourd'hui des éléments adaptés pour définir le marché pertinent ? Il faut se pencher sur la question pour moderniser le droit de la concurrence. Ensuite, les décisions se basaient dans le passé sur le statu quo. Or, les marchés aujourd'hui sont souvent très dynamiques, il faudrait donc réfléchir aux moyens d'intégrer les évolutions possibles du marché dans ce type de décision. Il y a des moyens de le faire, comme revenir sur la décision deux ans après ou ne pas nécessairement prononcer une interdiction. Il faut donc savoir comment mieux gérer la dynamique de marché dans les décisions de concurrence. Le troisième sujet est celui de l'apparition d'acteurs externes sur lesquels nous ne sommes pas certains que les mêmes règles d'aides d'État soient appliquées qu'en Europe.

Il y a des sujets sur lesquels nous devons avancer et il y a une grande communauté de vues entre la France et l'Allemagne. La nouvelle Commission européenne commence à apporter des réponses plus constructives. D'un autre côté, il y a les géants d'internet et le droit de la concurrence peut aussi être notre arme contre des positions trop dominantes de ces géants, donc ne démantelons pas, pour construire des trains, le droit de la concurrence, au risque de nous retrouver sans outil sur les marchés de demain..

En ce qui concerne le marché des batteries, il s'agit d'une première décision de la Commission européenne. Il existe un second projet porté par l'Allemagne avec d'autres États membres devant la Commission. Il faut comprendre que ces fonds publics ne peuvent être que des fonds de démarrage, il faut ensuite trouver les industriels pour en faire des projets économiquement viables. Cela ne peut pas devenir des subventions durables.

Cela peut aider dans d'autres secteurs mais lorsque je rencontre les industriels notamment de l'aéronautique, l'aviation, l'automobile, les banques, je me rends compte que les défis devant lesquels ces secteurs se trouvent, du fait de la révolution numérique, sont souvent très différents. Il faut donc peut-être regarder ce qu'il faut faire secteur par secteur et le droit européen de la concurrence n'est pas toujours la réponse. Cela peut être le soutien public, la recherche ou un autre encadrement juridique. La concurrence internationale a une influence très variable sur les différents secteurs industriels, donc il faut un travail plus détaillé, secteur par secteur, parce que ce n'est pas nécessairement une décision ou un instrument qui répondra à des situations différentes.

En ce qui concerne l'harmonisation de la fiscalité, il existe une position commune franco-allemande par rapport à la proposition de l'ancienne Commission européenne sur l'harmonisation des assiettes de l'imposition sur les sociétés. Cette proposition ne progresse pas au niveau européen, mais pas en raison de l'absence d'avancées franco-allemandes. La question qui se pose est celle de savoir si les Allemands et les Français souhaitent progresser sur cette question au niveau bilatéral. Pour le moment, cela n'a pas été fait parce que cela implique un ajustement de la fiscalité sur les entreprises dans l'un ou l'autre des États.

Sur la taxation du numérique, la position allemande est de faire tous les efforts nécessaires pour un accord international au sein de l'OCDE avant la fin de l'année. Toutefois, si cela n'est pas possible, en 2021 nous nous trouverons face à la question de mettre en place une législation européenne. Aujourd'hui, le travail prioritaire est d'essayer d'arriver à un règlement international de cette question.

En ce qui concerne l'Iran, il y a un parfait accord entre la France et l'Allemagne sur ce qu'il est nécessaire de faire dans la perspective de maintenir l'accord de 2015 et cette position est partagée par les acteurs européens. Une fois le règlement des différends déclenché, l'acteur principal est le haut-représentant pour la politique étrangère de l'Union européenne, M. Borrell, qui est celui par lequel ces consultations se font avec les Iraniens.

En ce qui concerne les négociations commerciales menées par le Royaume-Uni, je ne sais pas ce que le Premier ministre va faire. Mais je me demande si Boris Johnson va être tenté par une négociation commerciale avec les États-Unis en parallèle ou en amont de la négociation commerciale avec l'Union européenne. Le jour où le Royaume-Uni parviendra à un accord avec les États-Unis, la probabilité d'un accord avec l'Union en sera fortement diminuée. Pour la défense, le Royaume-Uni est un pays important, mais dans la relation avec le Royaume-Uni à partir du 1er février 2020, la différence est qu'il devient un pays tiers, dans tous les sens du terme. Avec ce pays tiers, on peut construire des coopérations. Il faut donc regarder les types de coopérations dans chaque domaine. Mais nous devons faire attention à ce que l'on ne se retrouve pas, à la fin, avec des coopérations individuelles, c'est-à-dire le « cherry picking » que le Royaume-Uni a toujours souhaité.

Sur l'élargissement, nous souhaiterions que le Conseil européen de mars puisse rouvrir la perspective pour l'adhésion de la Macédoine du Nord et l'Albanie. Les propositions pour améliorer le processus d'élargissement sont intéressantes. Toutefois, aujourd'hui, chaque État membre détient un veto sur chaque décision individuelle d'élargissement. Chaque ouverture et fermeture d'un chapitre se décident donc à l'unanimité au Conseil. À ce titre, l'argument selon lequel il s'agit d'un processus automatique dès lors que les négociations sont ouvertes ne correspond ni à la réalité ni aux règles en vigueur. Néanmoins, si on peut améliorer ces règles, cela peut être envisagé, mais l'objectif selon nous est d'arriver à un cadre permettant d'avancer sur cette question en mars.

Pour arriver à un consensus en matière de défense, je pense qu'il faut un échange beaucoup plus intense entre les différents acteurs, entre les deux assemblées et développer une culture stratégique commune, qui pourra déboucher sur un plus grand consensus. Cela ne va pas se réaliser en une seule réunion. Les parlementaires allemands, qui doivent voter pour l'envoi de troupes allemandes, doivent en être conscients et échanger avec vous sur vos analyses, vos perspectives, vos préoccupations, et cela aura inexorablement un effet sur une culture plus proche qui pourra se développer.

Sur les perspectives financières, nous ne voulons pas de négociations sur ce sujet en mars et négocier sur un fonds de transition juste en juin : il s'agit d'un « paquet ». Le montant de 1 %, que beaucoup de personnes considèrent comme insuffisant, est un chiffre dynamique, avec des montants élevés. C'est le seul budget qui s'autorise une augmentation automatique d'année en année. Selon les calculs effectués, on constate la perte de 13 milliards d'euros par an sur les sept ans, et pour l'Allemagne cela représente une augmentation en moyenne de 10 milliards d'euros par an. Donc il n'est pas étonnant que le ministre des finances allemand trouve qu'il s'agit d'un montant élevé. Une vraie négociation doit donc être menée sur le montant, sur les mécanismes de correction et sur les modalités de répartition de ces crédits entre les différents objectifs.

Pour la réduction des gaz à effet de serre à horizon 2030 et le charbon, il y a quatre grands secteurs qu'il faut regarder dans ce domaine, et pas seulement la production d'énergie, car les mix énergétiques français et allemand sont différents. L'Allemagne a pris des décisions sur le charbon et, à côté, il y a la production de CO2 par l'industrie, les bâtiments et les transports. Si on veut atteindre les objectifs de réduction voulus en 2030 et la neutralité carbone à horizon 2050 sans faire des efforts sur les trois autres secteurs, on n'y arrivera pas. Mon souhait, en matière de coopération franco-allemande, c'est que malgré nos différences dans le mix énergétique, nous prenions le temps d'échanger sur les sujets pour lesquels nous avons les mêmes difficultés et les mêmes objectifs.

En ce qui concerne les personnes en situation irrégulière, je rappelle que l'accord avec la Turquie en 2016 était un accord avec l'Union européenne et non avec l'Allemagne, même si l'Allemagne a beaucoup poussé dans ce sens. Le ministre de l'intérieur allemand est en train de discuter avec son homologue français, examinant des solutions beaucoup plus européennes et souhaite, si la Commission européenne fait des propositions en ce sens, durant le second semestre 2020, sous présidence allemande, arriver à des conclusions. Du point de point de vue national, les évolutions de la législation allemande ont eu lieu dans les années 2015, 2016 et 2017, donc le travail aujourd'hui a trait au cadre européen.

La « redistribution » des demandeurs d'asile n'est pas une idée qui fonctionne. Nous souhaiterions qu'il y ait d'abord un pré-examen à la frontière des États européens. Ce « pré-examen » permettrait d'éliminer des listes de demandes d'asile celles qui ne sont manifestement pas justifiées au titre de l'asile ; puis un examen plus approfondi aurait lieu sur la base des droits d'asile nationaux et de règles de solidarité à définir. II ne faut pas qu'une personne déboutée en Allemagne puisse faire une nouvelle demande en France sur le même fondement juridique. Il s'agira donc de faire évoluer les principes de Dublin pour aboutir à un nouveau système d'asile européen.

Les industriels allemands investissent en France dans beaucoup de secteurs, surtout les grands groupes. Pour l'industrie de défense, il y a eu avant Noël un accord important entre les fabricants de turbines Safran et MTU pour « l'avion de combat du futur ». Il y a aussi une base d'échanges entre constructeurs de chars. Ces projets sont structurants pour notre industrie de défense, pour les décennies à venir.

Quant à la Libye, c'était important pour nous que M. Poutine et M. Erdogan viennent à Berlin. Notre objectif premier était de réunir tous les acteurs concernés, car nous pensons qu'il n'y aura pas de véritable cessez-le-feu sur le terrain si les alliés des différentes factions ne parviennent pas à s'entendre. Cette première étape fut un succès, ce n'est bien sûr qu'une première étape.

La santé de l'économie allemande n'est pas si mauvaise que cela. Nous attendons 0,9 % de croissance cette année, ce qui est certes plus bas que les années précédentes. L'économie allemande étant particulièrement dépendante des échanges internationaux, le vrai risque serait que M. Trump instrumentalise les relations commerciales entre les États-Unis et l'Allemagne pour en tirer un profit électoral.

Il ne faut pas établir une concurrence entre l'allemand et l'anglais, la lutte serait perdue d'avance. L'anglais c'est un peu comme les mathématiques : c'est une connaissance de base, nécessaire mais sans grande valeur ajoutée. À l'inverse, l'allemand doit être présenté comme une compétence en plus qui permet de faire la différence.

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