Intervention de Marlène Schiappa

Réunion du mardi 21 janvier 2020 à 17h35
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations :

Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Marie-Pierre Rixain, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi pour commencer, comme le veut la tradition, de vous présenter mes meilleurs voeux pour la nouvelle année, pour vous et pour vos proches. Je souhaite qu'en 2020, nous puissions ensemble poursuivre la mobilisation inédite que nous avons initiée en 2019 dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et, plus largement, pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Je voudrais en profiter pour remercier les députés qui se sont mobilisés dans le cadre du Grenelle des violences conjugales. Je sais que vous êtes nombreuses et nombreux à vous être engagés avec le Gouvernement, en mobilisant autour de vous les associations, les élus, les expertes et les experts avec lesquels vous avez l'habitude de travailler au quotidien. Je vous dis pour cela un grand merci, car vos retours de terrain ont été importants pour nourrir les actions des onze groupes de travail nommés par le Gouvernement.

Comme vous le savez, le Président de la République a fait de l'égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat et il a appelé devant les chefs d'État du monde entier, à la tribune de l'ONU, à en faire une grande cause mondiale. Cela a déjà été marqué par des engagements concrets, mais 2020 sera aussi une année particulière à cet égard, puisque la France va concrétiser l'un des engagements internationaux du Président de la République dans le cadre du partenariat de Biarritz, qui a été conclu dans le cadre de la présidence française du G7.

À cette occasion, des pays membres du G7 ainsi que d'autres, partenaires du groupe et dits « like-minded », se sont engagés à adopter au cours de l'année qui vient une loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Pour ce qui est de la France, il s'agit d'une loi pour l'émancipation économique des femmes – en d'autres termes, pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'économie –, que je porte avec Bruno Le Maire, et sur laquelle nous avons déjà commencé à travailler, notamment en engageant une consultation citoyenne.

L'année 2020 sera aussi un moment important en termes de diplomatie féministe, puisqu'en juillet 2020, se tiendra à Paris le forum Génération Égalité, également appelé Pékin+25, organisé sous l'égide de l'ONU par la France, en partenariat avec le Mexique. Ce sera d'abord l'occasion d'avoir un rendez-vous mondial de tous les féministes, quels que soient leur statut, leur âge ou leur lieu de vie partout dans le monde, mais ce sera aussi l'occasion de former des coalitions d'État – j'y reviendrai.

Je veux remercier à nouveau l'ensemble des députés qui se sont mobilisés dans le cadre du Grenelle des violences conjugales. Je sais que vous êtes nombreux à vous être engagés pour que ce Grenelle existe et qu'il trouve une résonance dans vos circonscriptions grâce à une mobilisation importante. Depuis une dizaine d'années, plusieurs associations féministes demandaient un Grenelle des violences conjugales : ensemble, nous l'avons créé.

Pendant trois mois, onze groupes de travail ont été chargés de formuler des propositions sur des sujets aussi variés que les violences intrafamiliales, l'éducation, la santé, le monde du travail, la situation particulière des territoires ultramarins – je me suis rendue à la Réunion, notamment pour y tenir un Grenelle spécifique sur la question des outre-mer –, le handicap, l'accueil dans les commissariats et les gendarmeries – une question qui a donné lieu à de nombreuses mesures –, l'hébergement, la justice, les violences psychologiques et l'emprise, ainsi que les violences économiques. Demain, je recevrai au secrétariat d'État les responsables de tous les groupes de travail du Grenelle des violences conjugales pour échanger avec eux, leur faire part de l'avancement de nos travaux et les informer sur le suivi des mesures qui ont été décidées dans le cadre du Grenelle des violences conjugales.

Comme vous le savez, ces groupes de travail ont restitué publiquement, le 29 octobre dernier, les résultats de leurs travaux. Je sais que les parlementaires y ont été très attentifs et se sont emparés de certaines propositions, dont certaines ont été reprises dans la proposition de loi des députés Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha, que je voudrais remercier chaleureusement – ainsi que tous ceux qui se sont engagés aux côtés du député Aurélien Pradié dans le cadre de la précédente proposition de loi, également issue des débats de ce Grenelle des violences conjugales. L'examen en commission du texte de Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha, qui a eu lieu la semaine dernière, a montré à quel point cette proposition de loi est riche et mobilise fortement les parlementaires, grâce au caractère très concret des mesures qu'elle contient.

Outre ces mesures d'ordre législatif, dont nous aurons l'occasion de reparler ici dans quelques instants, mais aussi et surtout en séance publique la semaine prochaine, de nombreuses autres mesures ont été annoncées par le Premier ministre le 25 novembre dernier, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, en clôture du Grenelle des violences conjugales. Ces mesures ont été déclinées en trois objectifs majeurs, qui guident notre action : prévenir les violences et les féminicides, protéger et accompagner les victimes, et enfin punir les auteurs des violences.

Le Premier ministre a ouvert ce Grenelle des violences conjugales le 3 septembre 2019, c'est-à-dire le 3919, une date qui n'a pas été choisie au hasard, puisqu'elle fait référence au 3919, le numéro d'écoute géré par l'association Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF). Je voudrais rappeler qu'avant le Grenelle des violences conjugales, seulement 8 % à 9 % de la population française connaissait le 3919, et que ce chiffre est passé à plus de 64 %. Si le reproche est parfois fait au Gouvernement de trop communiquer sur ce sujet, j'estime pour ma part qu'il ne communique jamais assez en la matière. Les chiffres que je viens de vous indiquer montrent à quel point il est important de le faire, et je souhaite qu'un jour, 90 %, voire 100 % des Français connaissent le 3919. J'en profite pour saluer la mobilisation collective que nous appelions de nos voeux et qui a permis une telle progression de la connaissance du numéro d'écoute : cela a été possible grâce aux journalistes qui ont joué le jeu, aux élus locaux qui se sont engagés, aux préfets qui ont organisé des événements. À travers vous, mesdames et messieurs les députés, qui représentez la Nation, j'adresse mes remerciements à toutes les personnes qui se sont mobilisées.

Le nombre d'appels a considérablement augmenté, puisque l'on en compte aujourd'hui 600 par jour en moyenne contre 200 auparavant – le jour du lancement du Grenelle des violences conjugales, la plateforme a connu un pic de 1 661 appels. Le 3919 existe depuis longtemps et l'État soutient la FNSF depuis des années : ainsi, le Premier ministre lui a attribué le label Grande cause nationale pour l'année 2018, un an avant le Grenelle des violences conjugales.

Lorsque j'ai été nommée au Gouvernement, j'ai appris que tous les appels au 3919 ne pouvaient pas trouver de réponse. J'ai donc, dès mon entrée en fonction, augmenté considérablement les subventions de la plateforme, qui ont bénéficié de 125 000 euros supplémentaires. Nous avons travaillé main dans la main avec le Grenelle des violences conjugales pour évaluer l'augmentation des appels et faire en sorte de continuer à garantir un accueil et une écoute de qualité, grâce à la mise en place de formations et de recrutements.

Je profite de cette audition pour rappeler que, comme vous le savez tous ici, le 3919 est, non pas un numéro d'urgence, mais un numéro d'écoute et d'accompagnement : le numéro d'urgence, c'est le 17, c'est-à-dire le numéro de la police. Si je fais ce rappel, c'est qu'il y a encore des personnes qui pensent que le 3919 est un numéro d'urgence : or, ce n'est pas le cas. Le rôle des écoutantes n'est pas de raccrocher pour localiser l'endroit où ont lieu les violences conjugales signalées, mais d'écouter, d'accompagner et d'orienter vers la police ou la gendarmerie, mais aussi vers des associations, des parcours d'accompagnement et des hébergements. Il est important d'insister sur ce point afin de préserver la qualité d'appel du 3919, mais aussi afin de ne pas susciter des attentes auxquelles les écoutantes du 3919 ne sauraient répondre.

Conformément à ce que souhaitait le Président de la République, le Premier ministre a annoncé que, dans les mois qui viennent, le 3919 serait accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept – à l'heure actuelle, ce numéro n'est pas ouvert le week-end –, afin que les victimes de violences conjugales puissent être écoutées, accompagnées et protégées en permanence. Conformément aux dispositions légales en vigueur, nous allons donc ouvrir un marché public, qui devra notamment prendre en compte les particularités de l'outre-mer et la question de l'accessibilité de ce numéro aux personnes en situation de handicap. Je le répète, notre objectif est de faire en sorte que le 3919 soit ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.

Je me suis récemment rendue dans les locaux du 3919 – c'était mon premier déplacement de l'année 2020 – pour échanger avec les équipes et les écoutantes. Le nombre d'appels est toujours très élevé, et comprend une grande proportion d'appels de proches et de témoins – beaucoup plus élevée qu'avant le Grenelle des violences conjugales. Cela aussi montre que la mobilisation, qui a été vraiment collective, a permis à des proches et à des témoins de s'interroger sur cette question, au point d'aller eux-mêmes chercher de l'information sur ce qu'ils pouvaient faire pour soutenir les femmes victimes de violences : j'y vois un signal assez positif.

La prévention des violences conjugales commence, bien sûr, par l'éducation dès le plus jeune âge. Pour faire baisser le seuil de tolérance aux violences, tous les personnels de l'éducation nationale vont désormais être formés pour mieux les repérer. Cela va commencer à la rentrée 2020 pour l'année 2020-2021. Les modules de formation sont en préparation, et un document unique de signalement est en cours de rédaction par les services de l'éducation nationale afin de faciliter le repérage et le signalement de ces violences.

Avec Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, nous mettons en oeuvre tout ce qui est possible pour renforcer la protection et la prise en charge des enfants victimes de violences conjugales. Je rappelle, mesdames et messieurs les députés, que vous aviez voté dès l'année 2018, dans le cadre de la loi contre les violences sexistes et sexuelles, le renfort de la protection des enfants face aux violences conjugales, en considérant que le fait de commettre des violences conjugales en présence d'enfants est constitutif de circonstances aggravantes.

Par ailleurs, en présence d'un cas de violence conjugale avéré, il sera désormais systématiquement demandé à l'aide sociale à l'enfance de procéder à un état de la situation ou à une évaluation administrative de la situation familiale. Les unités d'accueil médico-judiciaires pédiatriques vont être généralisées, afin d'accueillir la parole des enfants dans les meilleures conditions possibles. Cinq unités sont en cours d'expérimentation et leur retour d'expérience, attendu pour la fin du premier trimestre, va permettre ensuite de définir les modalités de généralisation.

Pour ce qui est de la protection et de l'accompagnement des victimes, s'il a été question avec le mouvement #MeToo de « libération de la parole des femmes », je préfère quant moi parler plutôt de « libération de l'écoute des femmes », car il me semble que les femmes parlent depuis des générations – vous le savez, vous qui êtes nombreux à porter depuis des années ce combat de l'écoute des femmes. En tant que représentants des pouvoirs publics, notre responsabilité consiste maintenant à créer de meilleures conditions de dépôt et de suivi des plaintes. La parole des femmes victimes de violences ne doit plus être une parole en l'air, mais une parole permettant une judiciarisation et une protection. Nous avons donc créé, avec Christophe Castaner et Nicole Belloubet, une plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles, qui permet aux victimes de dialoguer vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept avec des policiers et des gendarmes spécialement formés, afin de préparer le cas échéant l'enregistrement d'une plainte.

Lorsque la plateforme, qui s'appelait à l'origine signalement-violences-sexistes-sexuelles.gouv.fr, a été créée, vous avez été nombreux à nous signaler que ce nom était trop difficile à retenir et à transmettre. Conformément à l'engagement que j'avais pris devant les députés, nous avons travaillé à la mise en place d'un nouveau nom pour la plateforme, qui s'appelle désormais arretonslesviolences.gouv.fr. Il s'agit d'une plateforme de signalement à la police et à la gendarmerie, accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Si vous entendez parler, notamment dans le cadre de votre permanence de député, de cas de violences conjugales, je vous invite très sincèrement à partager ce numéro, différent du 3919.

Je le répète une fois encore, le 3919 est un numéro d'écoute et d'accompagnement dans la durée, qui permet de diriger les femmes vers les associations et les acteurs compétents, tandis que la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr sert à prévenir la police et la gendarmerie, et éventuellement à prendre rendez-vous avec quelqu'un qui va ouvrir un dossier en vue de la réception de la plainte proprement dite. On sait en effet qu'un grand nombre de féminicides surviennent au moment de la séparation. Or les professionnels et les associations de travailleurs sociaux nous disent que permettre aux femmes de préparer davantage leur départ permet aussi d'avoir une plainte circonstanciée et de bénéficier des conseils de la police – notamment sur ce qu'une femme peut faire ou ne pas faire pour ne pas se mettre elle-même en tort.

Le dépôt de plainte ressemble, encore aujourd'hui, trop souvent à un parcours du combattant pour les femmes : nous avons donc la volonté de simplifier autant que possible cette démarche. C'est pourquoi, fin 2019, je me suis rendue à l'école de gendarmerie de Chaumont avec Christophe Castaner, pour le lancement des formations des policiers et des gendarmes consacrées aux violences sexistes et sexuelles. La formation initiale des policiers et des gendarmes comprend désormais 120 heures de formation regroupées en différents modules, consacrés notamment à l'accueil en commissariat ou en gendarmerie des femmes ayant subi des violences sexistes et sexuelles, aux précautions particulières à prendre quand la victime est traumatisée, voire en état de sidération, ce qui peut l'empêcher de s'exprimer, et à la nécessité de faire preuve de la plus grande délicatesse possible pour ne pas ajouter un nouveau traumatisme ou des difficultés supplémentaires à ce qu'elle a déjà vécu.

Nous avons également travaillé, avec des expertes et des experts, à l'élaboration d'une grille d'évaluation du danger, qui permet aux policiers et aux gendarmes, au moyen d'une liste de questions et de réponses, de voir s'il existe un danger de mort imminent pouvant nécessiter de mettre une femme à l'abri de toute urgence, ou si on peut prendre le temps de mettre en place un accompagnement. Ce n'est évidemment pas un algorithme ayant une valeur scientifique mais, je le répète, cela permet aux policiers et aux gendarmes de disposer d'un support d'évaluation du danger. Ce nouveau dispositif, qui constitue un moyen concret d'améliorer les conditions de prise en charge des femmes victimes de violences, permet également de mieux caractériser les plaintes sur une base légale, en mettant fin aux remarques du genre : « Ce n'est pas grave, c'est une dispute » ou encore « C'est une affaire privée », et de transmettre ensuite ces plaintes au parquet. Cette grille d'évaluation du danger, qui doit permettre d'éviter un passage à l'acte violent de la part du conjoint ou du compagnon, va, comme c'est le cas pour tous les nouveaux dispositifs mis en place, faire l'objet au bout de six mois d'une évaluation, suivie si nécessaire de modifications et d'adaptations proposées par les experts.

Un autre enseignement du Grenelle des violences conjugales, c'est que quand une femme a décidé de porter plainte, elle doit pouvoir être entendue et protégée au plus vite. Sur ce point, je voudrais saluer devant vous le travail effectué par la garde des sceaux, Nicole Belloubet, qui a mis au jour un certain nombre de dysfonctionnements de façon documentée et très claire, et ainsi permis d'y apporter des réponses. Nous travaillons actuellement au déploiement des « chambres d'urgence », un dispositif expérimenté dans les parquets de Créteil, d'Angoulême et de Rouen. Un schéma de fonctionnement va être établi à partir de cette expérimentation, afin que les chambres d'urgence puissent être modélisés et surtout généralisées et que l'on puisse, grâce à elles, raccourcir le délai de traitement des violences conjugales.

Nous savons tous qu'il arrive que des féminicides soient commis entre le moment de dépôt de la plainte et le moment du jugement, ce qui est totalement inadmissible – j'ai moi-même en tête le cas d'un homme qui a été tout simplement libéré en attendant son procès en appel. Nous devons absolument éviter ce genre de situation, qui met par terre tout le travail que nous menons : si, d'un côté, les pouvoirs publics, les élus et les associations se mobilisent pour agir contre les violences conjugales et que, de l'autre côté, on entend parler de cas comme celui-ci que j'ai évoqué, toujours très médiatisés, cela équivaut à adresser des messages contradictoires aux victimes de violences conjugales, avec lesquelles il est ensuite très difficile de renouer la confiance pour les convaincre qu'un dépôt de plainte est utile et permettra de les protéger. Ce « bout de chaîne » doit être vraiment pris au sérieux, et je sais que la ministre de la justice est très vigilante sur ce point.

En complément de toutes ces mesures, 1 000 places d'hébergement vont être créées par le ministre de la cohésion des territoires et du logement, qui est en train de recenser les besoins sur tout le territoire. De notre côté, nous avons signé une charte qui améliore la coordination entre les services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) d'une part, le 3919 d'autre part, et nous avons mis en oeuvre une plateforme de géolocalisation des places d'urgence destinée aux forces de l'ordre, mais aussi aux travailleurs sociaux.

Lors d'un déplacement dans le Sud-Ouest, j'ai été témoin d'une situation ubuesque : après avoir constaté qu'il y avait trois chambres disponibles dans un foyer d'hébergement de femmes victimes de violences conjugales, je me suis entendu dire, dans un foyer situé dans un département voisin, qu'une femme avait dû repartir chez elle, le foyer affichant complet : les trois places d'hébergement disponibles à vingt minutes en voiture ne pouvaient être proposées à cette femme, au motif qu'elles étaient situées dans un autre département et que les règles d'attribution ne permettaient pas la mise à disposition entre deux départements – il n'était du moins pas prévu de chercher à mettre en oeuvre de telles solutions, qui paraissaient trop compliquées…

Pour mettre fin aux situations de ce genre, la plateforme de géolocalisation des places recense toutes les places disponibles afin que les professionnels concernés et les élus puissent disposer d'informations précises. Tous les élus locaux qui tiennent des permanences ont vu un jour arriver une femme venant de quitter son domicile avec sa valise ou son petit baluchon, et à qui il a fallu dire qu'on ne savait pas où trouver une place d'hébergement. Désormais, la plateforme permettra de savoir où des places d'hébergement sont disponibles pour mettre à l'abri une femme qui en a besoin.

Cela dit, comme son nom l'indique, l'hébergement d'urgence n'est bien évidemment pas une solution pérenne, c'est pourquoi nous avons mis en place un dispositif nouveau et unique : grâce à la garantie Visale apportée par Action logement, l'État se porte garant pour les femmes victimes de violences conjugales qui veulent louer un nouveau logement. Ce dispositif est très utile, car il dispense les femmes concernées de préparer un dossier de location et de trouver pour cela un garant – ce qui les obligeait parfois à solliciter leur famille ou leur belle-famille. C'est un poids en moins pour ces femmes qui, grâce au garant qui leur est fourni, peuvent plus facilement trouver à se reloger avec leurs enfants de manière pérenne. Il est très important de faire connaître ce dispositif que vous avez voté dans le cadre de la loi ELAN, qui permet également aux femmes victimes de violences conjugales de quitter le domicile commun sans être redevables des loyers impayés. Combinées, ces deux mesures sont de nature à permettre un nouveau départ dans des conditions aussi sereines que possible.

La question de la sanction des auteurs est également très importante. En effet, le nombre de femmes tuées chaque année ne baisse pas. J'ai parfois pu lire qu'il augmentait : en réalité, depuis qu'il existe un décompte des femmes victimes de mort violente au sein d'un couple – il a été mis en place sous le président Chirac –, on reste hélas entre 120 et 150 décès par an, avec seulement quelques variations selon les années : on a ainsi connu une baisse en 2018, suivie d'une hausse en 2019. Je vous indique ces chiffres sous réserve, car certains ne sont pas encore documentés, mais une chose est certaine, c'est qu'ils ne diminuent pas, en dépit de la volonté des gouvernements successifs. Cela montre bien qu'il nous faut sans doute changer de paradigme dans notre approche, notamment juridique, de cette question.

Plusieurs acteurs ont formulé pendant le Grenelle des violences conjugales la volonté très forte que les hommes violents soient pris en charge afin d'aller au bout de la réponse pénale. Avant de continuer sur ce point, je voudrais dire un mot sur la méthodologie du décompte des féminicides en France. Si ce décompte existe depuis de nombreuses années, il est impossible au Gouvernement, pour des questions relevant du principe de séparation des pouvoirs, d'annoncer un chiffre en temps réel, car cela reviendrait à juger coupable ou non telle ou telle personne dans tel ou tel cas, ce qui est inconcevable. Même si parfois, ce n'est pas l'envie qui nous manque de faire des commentaires sur une affaire de féminicide, nous devons veiller à respecter le principe de séparation des pouvoirs, laisser la justice faire son travail et les procès se dérouler sans pression de l'exécutif. C'est pourquoi le ministère de l'intérieur publie chaque année, de façon normée, une enquête menée non par les membres du Gouvernement, mais par les administrations responsables.

Mise en oeuvre à Arras, la prise en charge des hommes auteurs de violence a permis de faire diminuer le taux de récidive de 60 %, grâce à des mesures de prévention. Nous souhaitons généraliser ce dispositif et, d'ici à la fin du quinquennat, chaque région de France disposera de deux centres de prise en charge des hommes auteurs de violences conjugales. L'État financera ces centres à hauteur de deux millions d'euros, et nous lançons un appel à cofinancement auprès des collectivités territoriales. Nous avons besoin de l'engagement de tous les acteurs, et je sais pouvoir compter sur votre mobilisation, notamment pour diffuser et promouvoir largement dans vos territoires cet appel à candidature.

Enfin, je veux dire que la mobilisation des parlementaires a permis d'adopter très rapidement le dispositif anti-rapprochement pour les auteurs de violence, et je vous en remercie. Dès cette année, 1 000 bracelets anti-rapprochement vont être mis à disposition par la justice, en complément du dispositif déjà existant, à savoir le téléphone grave danger (TGD).

J'en viens maintenant à l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'économie.

L'année 2020, je l'ai dit, sera capitale pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'économie. L'engagement pris par le Président de la République lui-même à Biarritz, dans le cadre de la présidence française du G7, permettra l'adoption d'une loi, comme l'a proposé le conseil consultatif pour l'égalité entre les femmes et les hommes du G7.

Présidé par Nadia Murad et Denis Mukwege, co-prix Nobel de la paix en 2018, ce conseil rassemble une trentaine d'experts et expertes de l'égalité entre les femmes et les hommes, tels que, pour la France, Mercedes Erra, publicitaire et entrepreneuse ; pour le Canada, Michael Kaufman, chercheur féministe ; pour l'Angleterre, la comédienne Emma Watson, et d'autres personnalités, qui se sont engagées à réaliser une veille mondiale des meilleures lois pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

Si la France dispose d'un arsenal législatif sans cesse renforcé s'agissant de la protection contre les violences, elle a considéré qu'elle pouvait sans doute aller plus loin en matière d'égalité entre les femmes et les hommes dans l'économie. Comme tous les pays membres du G7, États-Unis inclus, elle s'est donc engagée à adopter une nouvelle loi. Je précise ce point, car, lors de la présidence française du G7, il nous avait été dit après la présentation de la ministérielle sur l'égalité entre les femmes et les hommes qu'il n'était pas envisageable que l'ensemble des pays du G7 s'engagent. Cela a pourtant été le cas, et les États-Unis ont fait de même, notamment pour reconnaître les activistes féministes dans le monde, ou pour lutter contre l'excision et les mutilations génitales.

S'agissant de l'égalité entre les femmes et les hommes, il y a urgence à agir puisque, selon le Forum économique mondial, elle sera atteinte en 2234 dans le monde si rien n'est fait. Pour traduire notre engagement sans attendre, le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, et moi-même avons lancé une grande consultation citoyenne, en partenariat avec la plateforme make.org. Nous avons déjà recueilli plus de 70 000 participations et 471 000 votes, un record de participation citoyenne pour la préparation d'une loi. Si les thématiques qui se dégagent à l'heure où nous parlons sont assez variées, la question du congé paternité revient souvent. Bruno Le Maire, Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé du « parcours des 1 000 premiers jours » et moi-même partageons la conviction qu'un congé paternité de onze jours est trop court pour permettre au père de s'engager véritablement dans la vie familiale. Nous voulons donc l'allonger, et proposerons aux parlementaires d'en discuter dans le cadre de la loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'économie.

Les quotas seront également débattus. La loi Copé-Zimmermann reste à ce jour l'un des textes les plus efficaces dans le monde pour l'égalité entre les femmes et les hommes parce qu'elle a prouvé ses effets, mesurables très rapidement après son adoption. En 2019, les conseils d'administration et de surveillance des entreprises du SBF120 comptent en moyenne 43 % de femmes et ceux des entreprises du CAC40, 43,7 %. Grâce à cette loi, la France est devenue leader s'agissant de la place des femmes dans les conseils d'administration en Europe.

À l'inverse, en l'absence de quotas, des hommes sont majoritairement nommés et très rarement des femmes, notamment dans les comités exécutifs (COMEX) de grandes entreprises. Nous étudions comment féminiser ces comités. À la suite de la mission que je lui avais confiée sur le sujet, Brigitte Grésy, présidente du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes a remis à Bruno Le Maire et moi-même, en décembre, un rapport qui contient plusieurs propositions. Nous les soumettrons également aux internautes sur femmeseco.make.org.

Cette loi traitera également de la place des femmes dans les métiers scientifiques et technologiques, une question abordée, entre autres travaux parlementaires, par le très précieux rapport d'information de la députée Céline Calvez. Avec Cédric O, nous poursuivons l'objectif de faciliter l'entrepreneuriat des femmes, notamment dans les nouvelles technologies, et d'orienter ces dernières davantage vers les métiers scientifiques, ceux de l'ingénierie ou des industries du futur.

Le calendrier parlementaire étant chargé – vous êtes mieux placés que quiconque pour le savoir –, nous souhaitons poursuivre le débat et les consultations, pour présenter cette loi aux parlementaires dès que possible en 2020, et débattre ensemble de ces mesures sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'économie.

Le Forum Génération Égalité se tiendra par ailleurs en juillet à la porte de Versailles – notez la date, si vous souhaitez y prendre part. Notre constat est qu'aucun pays du monde n'a atteint l'égalité. Certains, comme le Rwanda, ont réussi à instaurer la parité en politique ; en Europe du Nord, notamment en Suède, les hommes s'engagent davantage dans les tâches familiales, domestiques et ménagères. Enfin, dans certains pays, tels les États-Unis, la part des femmes qui créent des entreprises est élevée. Mais aucun pays, y compris, naturellement, la France, n'est parvenu à une véritable égalité dans tous les domaines entre les femmes et les hommes.

Pour atteindre ce but, nous avons besoin de nous nourrir de nos avancées. La volonté du Gouvernement est donc de faire avancer la grande cause mondiale pour l'égalité entre les femmes et les hommes, avec l'engagement de la diplomatie féministe, voulue par le Président de la République, et que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et moi-même soutenons.

La France est très honorée d'accueillir le Forum Génération Égalité à Paris, sous l'égide de l'Organisation des Nations unies (ONU). C'est une reconnaissance de son leadership international en matière de droits humains en général, et des droits des femmes en particulier. Après un lancement au Mexique, les 7 et 8 mai, le forum se poursuivra par la rencontre de l'ensemble des participants à Paris, du 7 au 10 juillet.

Il s'agira d'un moment fort de la diplomatie féministe : nous attendons plus de 5 000 participantes et participants du monde entier, dont, je l'espère, des députés ainsi que des représentantes et des représentants non seulement de la société civile, particulièrement des jeunes et des activistes, notamment des pays du Sud, mais aussi du secteur privé. Trente à cinquante chefs d'État et de gouvernement nous feront l'honneur de leur présence. Paris sera à cette date le centre mondial du combat pour les droits des femmes, et, après le Mexique, le lieu de notre engagement.

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