Intervention de Marlène Schiappa

Réunion du mardi 21 janvier 2020 à 17h35
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations :

S'agissant du congé paternité, ma conviction est issue des dix années que j'ai passées à la tête du réseau Maman travaille et des travaux de recherche et ouvrages lus sur le sujet. J'estime que le congé paternité n'a pas d'effet automatique sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Souvent, il est dit que le congé paternité permettra aux femmes et aux hommes d'être payés de la même manière. Cela n'est pas le cas. Dans les pays d'Europe du Nord, un congé paternité très long existe alors que les inégalités salariales entre les femmes et les hommes demeurent importantes. Cela s'explique par un biais culturel que des chercheurs anglophones ont baptisé « bonus pour le père » (daddy bonus) et « pénalité pour la mère » (mommy penalty). Un même événement au travail, l'annonce d'une grossesse, fait naître le présupposé que le futur père s'investira davantage dans l'entreprise en raison de son sentiment de responsabilité accru, alors que la future mère s'en désintéressera au profit des layettes et que, plus fragile, elle devra être mise de côté. Sans être une généralité, ce phénomène, documenté par les sociologues, se produit encore suffisamment fréquemment pour que l'on puisse en tirer des conséquences.

Comme vous l'avez dit, madame la présidente, il ne s'agit pas de recourir à une obligation car le congé maternité, lui-même, n'est pas obligatoire. Je ne suis pas non plus favorable à ce que la durée du congé paternité soit égale à celle du congé maternité, qui se justifie aussi pour des raisons biologiques. Enfin, certains demandent que le congé paternité soit pris en dehors du congé maternité afin d'obliger le père à s'occuper du bébé. Je n'y suis pas du tout favorable car cela doit relever du choix des familles. Surtout, le second parent doit pouvoir jouer son rôle. On sait à quel point il est difficile de s'occuper seule d'un enfant que l'on vient de mettre au monde, sans famille ni amis à proximité. Il est souhaitable que le second parent soit présent dans la construction de la famille. Je livre là une conviction personnelle mais les parlementaires décideront des conditions qu'ils voudront attribuer à ce congé.

L'enjeu est aussi celui de la répartition du congé parental, pour laquelle le quinquennat précédent a commis l'erreur d'obliger le second parent à prendre la fin du congé du premier parent, sans quoi il serait perdu. Je ne dis pas cela pour blâmer le quinquennat précédent, car j'ai été, à cette époque, auditionnée en tant que présidente d'association.

En fin de compte, les pères n'ont pas été plus nombreux, mais plutôt moins nombreux à prendre un congé. En matière de politique familiale, vous le savez, une sorte de réflexe de Pavlov conduit les Français à aller dans le sens contraire d'une obligation qui a été fixée. Mais des raisons économiques peuvent également expliquer ce résultat puisque le congé parental n'est indemnisé qu'à hauteur de 300 euros – 500 euros, avec l'allocation familiale. Nous pouvons donc encore travailler à améliorer le congé parental.

Pour ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, je partage les propos de Mme la présidente. Outre les décisions des entreprises et le choix individuel, les mesures des pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans ce domaine. La responsabilité est donc tripartite : l'État crée des dispositifs et permet aux citoyens de s'en saisir ; les individus choisissent ou non de les utiliser ; les entreprises décident ou non d'appliquer une politique active en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.

Dans les dernières années, cette question a pris de l'importance. Les entreprises qui ont organisé des formations, des évaluations de collaborateurs ou « people review », des actions de ressources humaines permettant d'identifier le potentiel des femmes et de les faire progresser, obtiennent des résultats, à la différence de celles qui ne font rien. Il n'y a donc pas de mystère : une entreprise qui veut agir peut le faire. C'est la raison pour laquelle, il y a deux ans, nous avions mené une action selon le principe du « name and shame » (désigner et blâmer) pour montrer du doigt les entreprises qui ne respectaient pas assez l'égalité entre les femmes et les hommes, selon les critères non pas du Gouvernement mais de l'observatoire Ethics and Boards.

Nous avons proposé à ces entreprises de participer à une formation, financée par l'État, pour qu'elles s'engagent sur ces sujets. On constate en effet une ignorance des dispositifs légaux par toutes les parties. Ainsi, de nombreux employeurs et salariés ignorent qu'une femme qui rentre de congé maternité peut demander une augmentation égale à la moyenne des augmentations dans son service, à poste égal. Il faut donc mener un important travail d'information sur ce sujet.

Concernant les féminicides, je suis très favorable à l'utilisation du mot, et fière qu'Emmanuel Macron ait été le premier Président de la République à l'utiliser dans un discours. En outre, le terme a été inséré dans l'ensemble des documents de communication institutionnelle de l'État. Il figure désormais dans le Petit Robert : c'était le mot de l'année 2019 ; je ne sais pas si l'on peut s'en réjouir, mais l'évolution est nette.

Vous êtes les législateurs, mais il me semble que le féminicide recouvre une violence spécifique basée sur le genre de la personne qui est tuée – une femme – mais différents cas de figure : dans certains pays, on tue les petites filles à la naissance parce qu'elles sont des filles ; en Amérique latine, par exemple, on tue les femmes dans la rue ou au sein des cartels parce qu'elles sont des femmes ; plus généralement, les hommes tuent leur femme parce qu'elle est une femme.

La commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) préconise d'intégrer l'expression « à raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre de la victime » dans le code pénal. Dans ce nouveau cadre, on ne qualifierait pas la personne qui est victime, mais la motivation sexiste de l'auteur des faits, qui considère que la femme peut être tuée parce qu'elle lui appartient, comme un objet. Une telle modification permettrait de mieux appréhender et sanctionner les meurtres de femmes « parce qu'elles sont des femmes », comme le dit la CNCDH.

Pour autant, cette inscription du féminicide dans le code pénal fait l'objet de nombreux débats sémantiques, philosophiques, juridiques absolument passionnants. Je suis prête à en discuter avec vous, si d'aventure vous souhaitiez l'inscrire dans le débat parlementaire.

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