Intervention de Geoffroy Roux de Bézieux

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Geoffroy Roux de Bézieux, président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) :

Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, de nous accueillir. Nous nous réjouissons d'autant plus de dialoguer avec plaisir et sérieux avec les élus de la République que nous n'avons pas eu l'occasion de le faire ces derniers temps. Le moment est important pour faire entendre notre point de vue sur la réforme du système de retraite.

Permettez-moi de rappeler, à titre liminaire, quel est notre système aujourd'hui en vigueur. On tend un peu à l'oublier, notre régime est fondé à près de 99 % sur la répartition. Dans l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France est le seul pays à afficher un tel pourcentage, l'Allemagne n'étant pas très loin de nous, avec 90 %. D'autres pays ont mis en place un système mixte capitalisation-répartition différent.

Ce système par répartition a pour caractéristique très importante que les actifs cotisent pour financer les pensions des retraités, en espérant que, conformément au contrat social en vigueur depuis 1945, les générations suivantes feront de même à leur tour. Évidemment, la démographie a un impact proportionnel d'autant plus fort que la répartition est importante. Elle n'a pas le même dans un régime par capitalisation, chacun cotisant pour sa propre retraite.

La démographie française est particulière : notre natalité est forte et la croissance de la population, du fait de cette dernière et de l'immigration, est plus importante que dans les autres pays d'Europe, hormis quelques exceptions comme l'Irlande. Cette démographie nous permet aujourd'hui de bénéficier d'un âge de départ à la retraite assez précoce et d'un niveau de pension assez élevé, comparés à ceux qu'offrent les autres pays européens.

Autre élément mal connu dans le débat public, l'âge légal de départ à la retraite, qui a été fixé à 62 ans, masque de très fortes disparités, bien sûr entre les secteurs privé et public, mais aussi entre salariés du secteur privé, c'est-à-dire ceux que nous employons. Aujourd'hui, grosso modo, un tiers de ces salariés liquide sa retraite avant 62 ans en faisant jouer les dispositifs existants – pénibilité, carrière longue, handicap, incapacité de travail ; un autre tiers la liquide entre 64 et 67 ans, en raison de la décote qui s'applique si l'on part à la retraite avant 67 ans en n'ayant pas tous ses trimestres ; les autres, qui représentent 40 %, partent à 63,4 ans. La réalité est donc plus complexe que l'idée que se font les Français du départ à la retraite à l'âge de 62 ans.

Pour notre part, nous n'étions pas demandeurs d'un système universel ; nous étions favorables à un régime à points entendus comme une façon de comptabiliser les années de travail au sein de notre système par répartition. C'est d'ailleurs ainsi que fonctionne, depuis 1947, le régime géré par le groupement d'intérêt économique regroupant l'AGIRC et l'ARRCO. Nous pensions plus sage et plus vertueux de distinguer trois grands régimes. L'un regrouperait la fonction publique et inclurait les régimes spéciaux. Un autre serait dédié aux salariés du secteur privé, que nous aurions cogéré avec nos partenaires syndicaux. Au passage, je rappelle que l'AGIRC-ARRCO est cogéré avec ces mêmes partenaires et qu'il a encore démontré récemment, avec l'accord signé en 2015 et entré en vigueur au 1er janvier 2019, sa capacité de gestion : il est équilibré et dispose de réserves équivalentes à six mois de prestations, soit environ 70 milliards d'euros. Cet accord prévoit d'ailleurs un âge pivot avec une décote temporaire.

Le troisième régime – sans doute le plus difficile à mettre en place, compte tenu des plus fortes disparités – s'appliquerait aux indépendants. Nous pensions que de rapprocher ces trois régimes aurait déjà constitué une réforme importante.

Compte tenu du programme présidentiel et du fait que nous sommes républicains, nous avons néanmoins discuté avec Jean-Paul Delevoye et, plus récemment, avec le Premier ministre en défendant, sans parler de lignes rouges, deux principes de base.

Le premier est l'équilibre financier. Nous ne le défendons pas uniquement par obsession budgétaire, comptable ou paramétrique, mais parce que de son respect dépend la crédibilité du système par répartition. Peut-être avez-vu lu cette étude qui montre que 80 % des moins de 30 ans pensent qu'ils n'auront pas de retraite. Il s'agit donc de ne laisser exister aucun doute sur le financement futur du système, tant à court terme, entre 2022 et 2027, compte tenu du déficit du régime actuel, qu'à moyen terme.

Le second principe que nous défendons est la non-augmentation du coût du travail, ce qui ne vous surprendra pas de la part des employeurs. Ce coût a baissé depuis 2015, année où a été instauré le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), converti depuis en baisse de charges. Depuis cette date, nous avons créé, je le dis avec le sourire, pas loin du million d'emplois qui avait suscité la polémique à l'époque. On peut certes discuter du CICE comme seule cause de cette évolution, étant entendu qu'interviennent toujours, en économie, des facteurs exogènes et conjoncturels. Il n'empêche que la baisse du coût du travail crée de l'emploi et qu'envoyer un signal politique inverse serait extrêmement dommageable à cet égard. Or moins d'emplois, c'est moins de cotisations et donc moins de finances pour les retraites : on rentrerait dans un cycle très défavorable. Nous nous préparons donc à aborder, demain, la conférence de financement dans l'esprit de parvenir à l'équilibre financier sans hausse du coût du travail – ce que dit, d'ailleurs, la lettre du Premier ministre.

Cela signifie que l'essentiel des économies nécessaires passera par une mesure d'âge. Reste à savoir laquelle. J'entends les commentaires de certains syndicats réformistes pour qui l'âge pivot tel qu'il était programmé est une mesure aveugle. Peut-être peut-on travailler à le moduler. En tout cas, fondamentalement, l'essentiel des efforts de financement nécessaires pour apporter de la crédibilité à la réforme et au régime en général doit être apporté par une telle mesure.

Cette mesure d'âge sera probablement moins exigeante que celles qu'ont adoptées nos voisins européens. Ainsi, en raison de sa démographie différente, l'Allemagne envisage actuellement de faire passer l'âge légal – et non optionnel – de 65 à 67 ans.

Si mesure d'âge il y a, les employeurs devront faire un effort en matière d'emploi, non pas des seniors – ce qui ne veut rien dire –, mais des personnes entrant dans la catégorie d'âge de 60 à 65 ans. Notre taux d'emploi de cette catégorie est, en effet, inférieur à la moyenne européenne, contrairement à celui de la catégorie des 55-60 ans, qui est aujourd'hui supérieur, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans. Nous avons demandé à Mme Pénicaud des statistiques sur le taux d'emploi des 60-65 ans dans le secteur public et dans le secteur privé, mais, attendant toujours sa réponse, nous ne pouvons pas montrer que, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, le privé emploie plus de seniors que le public. Si, donc, nous avons certainement des efforts à faire, nous ne sommes pas les seuls.

J'en termine en indiquant que si nous ne sommes pas parvenus à un accord dans trois mois, nous comptons sur le Gouvernement pour mettre en place une telle mesure d'âge, car elle est indispensable à l'équilibre financier des retraites.

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