COMMISSION SPÉCIALE CHARGÉE D'EXAMINER LE PROJET DE LOI INSTITUANT UN SYSTÈME UNIVERSEL DE RETRAITE
Mercredi 29 janvier 2020
La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
La commission spéciale procède à une table ronde avec les organisations patronales.
Nous poursuivons les auditions relatives aux projets de loi qui ont été renvoyés à notre commission spéciale. Les réunions que nous tiendrons ce matin et cet après-midi seront consacrées à deux tables rondes avec les partenaires sociaux. Je leur souhaite, au nom des membres de la commission spéciale, la bienvenue et remercie également les organisations qui ont accepté d'y participer aujourd'hui.
Conformément aux décisions du bureau de la commission spéciale, afin de favoriser nos échanges, chaque organisation disposera d'un temps de parole de 10 minutes. Chaque rapporteur interviendra ensuite pendant trois minutes, puis chaque groupe politique disposera d'un temps de parole de 5 minutes. Après une première série de réponses, les autres collègues pourront poser leurs questions, dans un temps ne pouvant excéder une minute chacun.
Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, de nous accueillir. Nous nous réjouissons d'autant plus de dialoguer avec plaisir et sérieux avec les élus de la République que nous n'avons pas eu l'occasion de le faire ces derniers temps. Le moment est important pour faire entendre notre point de vue sur la réforme du système de retraite.
Permettez-moi de rappeler, à titre liminaire, quel est notre système aujourd'hui en vigueur. On tend un peu à l'oublier, notre régime est fondé à près de 99 % sur la répartition. Dans l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France est le seul pays à afficher un tel pourcentage, l'Allemagne n'étant pas très loin de nous, avec 90 %. D'autres pays ont mis en place un système mixte capitalisation-répartition différent.
Ce système par répartition a pour caractéristique très importante que les actifs cotisent pour financer les pensions des retraités, en espérant que, conformément au contrat social en vigueur depuis 1945, les générations suivantes feront de même à leur tour. Évidemment, la démographie a un impact proportionnel d'autant plus fort que la répartition est importante. Elle n'a pas le même dans un régime par capitalisation, chacun cotisant pour sa propre retraite.
La démographie française est particulière : notre natalité est forte et la croissance de la population, du fait de cette dernière et de l'immigration, est plus importante que dans les autres pays d'Europe, hormis quelques exceptions comme l'Irlande. Cette démographie nous permet aujourd'hui de bénéficier d'un âge de départ à la retraite assez précoce et d'un niveau de pension assez élevé, comparés à ceux qu'offrent les autres pays européens.
Autre élément mal connu dans le débat public, l'âge légal de départ à la retraite, qui a été fixé à 62 ans, masque de très fortes disparités, bien sûr entre les secteurs privé et public, mais aussi entre salariés du secteur privé, c'est-à-dire ceux que nous employons. Aujourd'hui, grosso modo, un tiers de ces salariés liquide sa retraite avant 62 ans en faisant jouer les dispositifs existants – pénibilité, carrière longue, handicap, incapacité de travail ; un autre tiers la liquide entre 64 et 67 ans, en raison de la décote qui s'applique si l'on part à la retraite avant 67 ans en n'ayant pas tous ses trimestres ; les autres, qui représentent 40 %, partent à 63,4 ans. La réalité est donc plus complexe que l'idée que se font les Français du départ à la retraite à l'âge de 62 ans.
Pour notre part, nous n'étions pas demandeurs d'un système universel ; nous étions favorables à un régime à points entendus comme une façon de comptabiliser les années de travail au sein de notre système par répartition. C'est d'ailleurs ainsi que fonctionne, depuis 1947, le régime géré par le groupement d'intérêt économique regroupant l'AGIRC et l'ARRCO. Nous pensions plus sage et plus vertueux de distinguer trois grands régimes. L'un regrouperait la fonction publique et inclurait les régimes spéciaux. Un autre serait dédié aux salariés du secteur privé, que nous aurions cogéré avec nos partenaires syndicaux. Au passage, je rappelle que l'AGIRC-ARRCO est cogéré avec ces mêmes partenaires et qu'il a encore démontré récemment, avec l'accord signé en 2015 et entré en vigueur au 1er janvier 2019, sa capacité de gestion : il est équilibré et dispose de réserves équivalentes à six mois de prestations, soit environ 70 milliards d'euros. Cet accord prévoit d'ailleurs un âge pivot avec une décote temporaire.
Le troisième régime – sans doute le plus difficile à mettre en place, compte tenu des plus fortes disparités – s'appliquerait aux indépendants. Nous pensions que de rapprocher ces trois régimes aurait déjà constitué une réforme importante.
Compte tenu du programme présidentiel et du fait que nous sommes républicains, nous avons néanmoins discuté avec Jean-Paul Delevoye et, plus récemment, avec le Premier ministre en défendant, sans parler de lignes rouges, deux principes de base.
Le premier est l'équilibre financier. Nous ne le défendons pas uniquement par obsession budgétaire, comptable ou paramétrique, mais parce que de son respect dépend la crédibilité du système par répartition. Peut-être avez-vu lu cette étude qui montre que 80 % des moins de 30 ans pensent qu'ils n'auront pas de retraite. Il s'agit donc de ne laisser exister aucun doute sur le financement futur du système, tant à court terme, entre 2022 et 2027, compte tenu du déficit du régime actuel, qu'à moyen terme.
Le second principe que nous défendons est la non-augmentation du coût du travail, ce qui ne vous surprendra pas de la part des employeurs. Ce coût a baissé depuis 2015, année où a été instauré le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), converti depuis en baisse de charges. Depuis cette date, nous avons créé, je le dis avec le sourire, pas loin du million d'emplois qui avait suscité la polémique à l'époque. On peut certes discuter du CICE comme seule cause de cette évolution, étant entendu qu'interviennent toujours, en économie, des facteurs exogènes et conjoncturels. Il n'empêche que la baisse du coût du travail crée de l'emploi et qu'envoyer un signal politique inverse serait extrêmement dommageable à cet égard. Or moins d'emplois, c'est moins de cotisations et donc moins de finances pour les retraites : on rentrerait dans un cycle très défavorable. Nous nous préparons donc à aborder, demain, la conférence de financement dans l'esprit de parvenir à l'équilibre financier sans hausse du coût du travail – ce que dit, d'ailleurs, la lettre du Premier ministre.
Cela signifie que l'essentiel des économies nécessaires passera par une mesure d'âge. Reste à savoir laquelle. J'entends les commentaires de certains syndicats réformistes pour qui l'âge pivot tel qu'il était programmé est une mesure aveugle. Peut-être peut-on travailler à le moduler. En tout cas, fondamentalement, l'essentiel des efforts de financement nécessaires pour apporter de la crédibilité à la réforme et au régime en général doit être apporté par une telle mesure.
Cette mesure d'âge sera probablement moins exigeante que celles qu'ont adoptées nos voisins européens. Ainsi, en raison de sa démographie différente, l'Allemagne envisage actuellement de faire passer l'âge légal – et non optionnel – de 65 à 67 ans.
Si mesure d'âge il y a, les employeurs devront faire un effort en matière d'emploi, non pas des seniors – ce qui ne veut rien dire –, mais des personnes entrant dans la catégorie d'âge de 60 à 65 ans. Notre taux d'emploi de cette catégorie est, en effet, inférieur à la moyenne européenne, contrairement à celui de la catégorie des 55-60 ans, qui est aujourd'hui supérieur, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans. Nous avons demandé à Mme Pénicaud des statistiques sur le taux d'emploi des 60-65 ans dans le secteur public et dans le secteur privé, mais, attendant toujours sa réponse, nous ne pouvons pas montrer que, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, le privé emploie plus de seniors que le public. Si, donc, nous avons certainement des efforts à faire, nous ne sommes pas les seuls.
J'en termine en indiquant que si nous ne sommes pas parvenus à un accord dans trois mois, nous comptons sur le Gouvernement pour mettre en place une telle mesure d'âge, car elle est indispensable à l'équilibre financier des retraites.
Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer devant les élus de la République sur un sujet ô combien important.
Depuis le départ, la CPME a toujours considéré qu'il existait, comme l'a relevé Geoffroy Roux de Bézieux, trois grandes catégories d'actifs : les plus de 18 millions de salariés, les près de 6 millions de fonctionnaires et assimilés et les 3 millions de libéraux et indépendants. Je remarque que, selon notre type d'activité, nous n'appréhendons pas tous la retraite de la même façon. Le sujet épidermique de l'âge de départ n'est pas le premier que le travailleur indépendant a en tête lorsqu'il pense à la retraite. C'est pourquoi la CPME a toujours considéré que, si un régime universel était intéressant, il fallait néanmoins conserver les grandes caractéristiques propres à chaque catégorie d'actifs.
Nous étions, pour notre part, favorables à un régime universel plafonné à 40 000 euros de revenus, c'est-à-dire à un plafond annuel de sécurité sociale (PASS), qui concernerait à peu près 75 % des actifs, avec, en parallèle, trois grands régimes complémentaires obligatoires qui seraient gérés selon la même règle d'or que l'AGIRC-ARRCO – interdiction de s'endetter, obligation d'équilibrer, et si jamais il y a dette, l'encadrer par une doctrine pour ne pas mettre la poussière sous le tapis. On s'affranchit ainsi de la garantie de l'État en appliquant le principe de subsidiarité dans son acception la plus noble.
Le pouvoir exécutif a fait un autre choix, celui de porter cette cotisation universelle jusqu'à 120 000 euros, ce qui rebat toutes les cartes. Cette réforme, qui est nécessaire, est peut-être un peu trop ambitieuse en ce qu'elle gomme ces particularités, qui sont réelles.
Il ne peut y avoir de réforme crédible qui ne soit pas équilibrée : dans le cas contraire, nous nous mentirions tous. À l'évidence, la réalité de l'évolution démographique se dresse, tel un mur, devant nous. D'ailleurs, si cette réforme devait ne pas aboutir, la situation nécessiterait que les partenaires sociaux se mettent rapidement autour de la table pour trouver des mesures d'équilibre dans le système actuel. De toute façon, quel que soit le système choisi et qu'on le veuille ou non, il faudra bien trouver le moyen d'atteindre l'équilibre et de faire en sorte que les pensions restent une réalité pour les retraités d'aujourd'hui et de demain.
D'emblée, la CPME a considéré qu'il ne servait à rien de tourner autour du pot : à partir du moment où tous, salariés comme employeurs, nous sommes d'accord qu'il ne faut pas baisser les pensions ni augmenter les cotisations, la France étant déjà le pays d'Europe qui consacre le plus d'argent à son système de retraite, il reste une mesure d'âge. Nous étions plutôt favorables à un report de l'âge légal de la retraite à 63 ans assorti de mesures incitatives plutôt que négatives, pour encourager les actifs à rester plus longtemps dans la vie active.
Pour autant – c'est le patron de petite et moyenne entreprises (PME) qui emploie des menuisiers et des charpentiers qui parle –, il faut reconnaître que lorsque l'on commence à travailler jeune, parfois avant sa majorité, il est tout à fait normal que l'on puisse partir un peu plus tôt à la retraite. Certains métiers également, de beaux métiers, sont physiquement plus exposés que d'autres, qu'il faut pouvoir prendre en considération. Je fais, en l'espèce, allusion à la pénibilité, un terme que je n'aime absolument pas.
Oui, bien sûr, mais il ne faut pas se tromper de combat : il faut lutter contre la pénibilité, mais il ne faut pas tuer le travail.
Nous pensons que l'on pourrait régler à la fois la question des carrières longues et celle des métiers physiquement exposés, en décidant, au niveau interprofessionnel – surtout pas de l'entreprise, qui est incapable de calculer la fréquence et la durée de manutention des charges lourdes ou d'exposition aux vibrations ou décibels –, de l'éligibilité de tel métier au dispositif relatif à la pénibilité. S'il a été pratiqué pendant un certain temps, qu'il faudra définir et qui nécessitera des projections financières, ce métier donnerait droit à un temps supplémentaire de retraite. Comme ils se conjuguent souvent avec une carrière longue, les métiers en question pourraient continuer à bénéficier du dispositif actuel, à savoir partir à la retraite dès 60 ans, si l'âge pivot était fixé à 64 ans.
Telle est la position de la CPME sur la pénibilité. Le dispositif ne peut être crédible que si la cartographie des métiers potentiellement exposés est établie de façon interprofessionnelle, et si le temps supplémentaire de retraite susceptible d'être accordé aux salariés concernés est calculé en fonction de la durée d'activité qu'ils ont eue dans ces métiers.
Pourquoi sommes-nous contre l'augmentation des cotisations ? Celles-ci, vous le savez, sont réglées à 60 % – en tout cas dans le secteur marchand – par les employeurs et à 40 % par les salariés. Dans notre pays, c'est un vrai combat que d'éviter toute dérive du coût du travail. Nous n'évoluons pas tout seuls, il y a une concurrence internationale, et même nationale. Il importe donc de veiller à ce que le coût du travail en France demeure compatible avec celui de nos concurrents : on le sait, au moindre décrochage, c'est immédiatement du chômage.
Augmenter la part salariale reviendrait non seulement à rogner le pouvoir d'achat mais aussi, puisque notre système par répartition fonctionne par la solidarité intergénérationnelle, à refiler aux générations montantes le poids de son financement. Je crains qu'en empruntant cette voie, on n'engendre une guerre des générations : dans trente ou quarante ans, les actifs pourraient trouver injuste d'être fortement ponctionnés pour des retraités qui seraient partis à la retraite beaucoup plus tôt qu'ils ne le pourraient eux-mêmes. Les termes du débat s'en trouveraient alors inversés. Ne reste donc plus, encore, que la mesure d'âge assortie des éléments régulateurs attachés aux carrières longues et aux métiers physiquement exposés.
Nous avons imaginé que ce futur système puisse également encourager les actifs à mettre de l'argent de côté dans un compte épargne bonus qui servirait à convertir des jours de congés payés ou issus d'un dispositif de réduction du temps de travail, des primes ou des heures supplémentaires. Ce compte, qui ne serait, bien entendu, liquidé qu'au moment de la retraite, permettrait d'amortir le coût d'un éventuel malus. Il ne s'agirait pas d'un compte épargne-temps ; il ne jouerait que pour la retraite. Ce dispositif existe d'ailleurs déjà dans certains secteurs d'activité, en lien avec le plan d'épargne pour la retraite collectif ou le plan d'épargne retraite.
Enfin – et je me prépare, en disant cela, à des dîners familiaux un peu compliqués –, il me semble que la solidarité intergénérationnelle sur laquelle est fondé notre régime par répartition demande que l'on remédie au décalage observé entre les actifs et les retraités au regard de l'assujettissement à la contribution sociale généralisée (CSG). Tout le monde doit se voir appliquer le taux de 9,2 %, alors qu'il est de 8,3 % pour certains retraités. Lorsque l'on bénéficie d'une retraite financée par ses contemporains actifs, c'est une éventualité qui paraît normale à envisager. Je conviens toutefois que, politiquement, elle soit difficile à défendre.
Nous sommes bien conscients que la réforme des retraites est un sujet complexe qui touche tous les Français. Depuis maintenant dix-huit mois, l'U2P a essayé d'y apporter sa contribution, forte de sa particularité, puisque notre organisation a la chance de regrouper près de 2,8 millions d'entreprises ayant à leur tête des artisans, des commerçants et des professionnels libéraux, chacune de ces catégories présentant des situations extrêmement diverses au regard de la retraite. Nous avons travaillé avec le haut-commissaire à la réforme des retraites et ses collaborateurs en vue de formuler des propositions.
Si beaucoup de nos adhérents, notamment professionnels libéraux, disposent de retraites assez conséquentes, celles que touchent les artisans sont bien souvent très modestes. Nombreux sont ceux qui ont des carrières très longues, ayant commencé à travailler à l'âge de 14 ou 15 ans ; leur situation constituait donc, pour nous, une priorité. Certains professionnels, tels les médecins, entrent, eux, dans la vie active beaucoup plus tard et effectuent donc des carrières très courtes.
Onze caisses différentes gèrent, au sein de régimes autonomes qui ne soulèvent pour l'instant pas de difficultés particulières, la retraite des professionnels libéraux, alors que les artisans commerçants n'en comptent plus qu'une. S'il fallait trouver un avantage au Régime social des indépendants (RSI), qui a occasionné beaucoup de difficultés, ce serait ce regroupement unitaire.
D'une façon générale, comme l'ont dit Geoffroy Roux de Bézieux et François Asselin, nous n'étions pas favorables à un régime universel allant jusqu'à 3 PASS, c'est-à-dire 120 000 euros, dans la mesure où seuls 350 000 Français dépassent ce seuil. Cela priverait les indépendants de toute initiative individuelle, à rebours de leur état d'esprit, même s'il est vrai que les revenus de beaucoup de nos adhérents, notamment les artisans, sont inférieurs à 40 000 euros, c'est-à-dire à 1 PASS.
Les cotisations des artisans constituent un sujet particulier, qui a d'ailleurs été repris par le haut-commissaire : d'une part, l'assiette ne leur est aujourd'hui pas du tout favorable ; d'autre part, si le taux devait passer de 24,75 % à 28,12 %, ce serait, pour nous, très problématique. Nous apprécions que le projet de loi envisage une assiette compatible avec la non-augmentation des cotisations compte tenu du relèvement du taux.
Toutefois, certains de nos adhérents qui exercent des professions libérales sont assujettis à des taux supérieurs à 28,12 %. Ils s'interrogent sur les conséquences potentielles de la baisse de leurs cotisations sur le niveau de leur pension, et demandent donc très clairement le maintien d'un régime complémentaire de branche, de façon que ce niveau reste inchangé.
Par ailleurs, nous sommes très intéressés par le minimum de retraite à 1 000 euros, tout en nous interrogeant sur les conditions d'accès à ce niveau de pension. Il se pourrait qu'elles soient votées ici, au Parlement, de telle sorte qu'elles ne seraient applicables qu'à peu de nos adhérents. Nous vous appelons donc à la vigilance sur ce point. Pour le dire de façon très claire, par rapport au minimum vieillesse de 900 euros – pas du tout injustifié – que toucheraient des gens qui auraient peu travaillé, il ne nous paraît pas injuste que ceux qui auraient effectué une carrière complète touchent 1 000 euros. Et encore cette différence nous paraît-elle insuffisante. Nous souhaiterions donc que le minimum de retraite soit porté à hauteur du SMIC, à des conditions d'accès compatibles avec la situation de nos entreprises.
S'agissant de la pénibilité, nous partageons naturellement le point de vue selon lequel la mesure ne doit pas en incomber à nos entreprises. Quand vous êtes artisan dans le bâtiment et que vous employez trois salariés, il vous est impossible de remplir des cases pour distinguer entre les heures pénibles effectuées dans la journée et les autres. C'est impossible à vivre et à mettre en oeuvre !
En revanche, nous ne nions pas que certains de nos adhérents méritent, du fait de leur métier, de pouvoir partir plus tôt. Nous sommes même demandeurs d'un élargissement de ce dispositif aux indépendants, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Un artisan couvreur monte sur les toits de la même façon que son salarié, et il n'y a pas de raison pour qu'il ne soit pas traité de la même façon – à condition que la pénibilité ne soit pas mesurée par l'entreprise elle-même, car c'est totalement impossible
Il serait anormal que je n'évoque pas les réserves des caisses. Que ce soit chez les professionnels libéraux ou chez les artisans, elles ont été gérées comme il convient, c'est-à-dire avec prévoyance. Nous estimons donc tout à fait normal de réaffecter les réserves actuelles aux professions qui les ont constituées. Quant à la gouvernance, à ce stade, il nous a seulement été indiqué que les partenaires sociaux en seraient partie prenante, mais sans que soit bien précisée leur marge de manoeuvre.
Je suis naturellement d'accord avec mes homologues : il est inenvisageable, y compris pour les plus jeunes, de bâtir un régime qui ne soit pas équilibré en perspective. Nous l'indiquerons dans le cadre de la conférence de financement, un régime de retraite bâti pour de longues années implique de réfléchir à l'évolution du monde du travail. Aujourd'hui, les retraites sont assises sur le travail, mais les métiers évoluant, nous devrons sans doute nous interroger sur une évolution également du système dans les prochaines années.
Enfin, la valeur du point constitue un élément fondamental du système. Comme nos collègues, nous ne sommes pas favorables à une baisse des pensions. Le système de valorisation du point doit donc garantir à chacun son droit à la retraite et la possibilité de l'évaluer suffisamment tôt sans que les aléas liés à des décisions prises ici ou là puissent la remettre en cause.
Le monde agricole a comme particularité d'avoir les retraites les plus petites qui soient servies en France aujourd'hui. Cela explique que nous demandions depuis longtemps une réforme systémique, afin d'aller vers un peu plus d'uniformité, car, à cotisations identiques, ce que touchent les agriculteurs à la retraite est bien loin de qui est observé dans d'autres secteurs.
Au cours de la concertation qui a été menée depuis dix-huit mois, nous avons été entendus sur nombre de points. Nous avons notamment fortement défendu le minimum de retraite à 85 % du SMIC, avec son inscription dans le marbre, et des cotisations minimales correspondant à ce minimum de retraite.
Le Gouvernement s'est engagé à traiter, parallèlement à la réforme et de façon correcte, le cas des retraités actuels. Porter le montant minimal de leur pension également à 85 % du SMIC fait encore partie des sujets de négociation. Ces demandes ne sont pas mirobolantes, il ne s'agit que de revenir à la réalité. Un premier pas avait déjà été fait, à 75 % du SMIC, il s'agit donc aujourd'hui d'arriver à 85 %, sachant qu'une grande partie de nos retraités agricoles ne touche pas plus de 750 euros par mois. Pour des gens qui ont travaillé toute leur vie et nourri la population, c'est un montant ridicule, alors que la retraite moyenne est de 1 390 euros nets par mois. L'engagement d'amener tout le monde à 85 % du SMIC, le monde agricole en a toujours été exclu. Notre objectif, dans le cadre de ce projet de loi, est donc clair : l'équité doit valoir pour tous.
Pour avancer dans ce projet de réforme, nous avons besoin de clarifier le niveau des cotisations des actifs dans le futur système. Je l'ai dit, nous sommes favorables à la réforme et à l'actualisation des cotisations, avec un minimum. Le taux de cotisation va passer de 21,11 % aujourd'hui à 28,12 %. Nous avons négocié la refonte de l'assiette de la CSG, que nous payons, depuis sa mise en place, sur des assiettes « super-brutes », c'est-à-dire que nous cotisons à fonds perdus. Cette réadaptation d'assiette va contribuer à minimiser la hausse de ces cotisations, qui vont être transformées en points retraite, ce qui nous va bien.
Nous avons, cependant, un souci pour la génération des agriculteurs nés jusqu'en 1975 : ils vont faire leur entrée dans le nouveau système de cotisation, mais liquideront leur retraite aux conditions actuelles et ne percevront pas le bénéfice conséquent de cette hausse. En effet, notre système de liquidation obéit à des plafonds qui nous causent quelques inquiétudes, quand bien même nos adhérents vont cotiser pour la solidarité. Nous avons demandé que l'on nous communique des chiffres très précis sur ce point, mais nous sommes encore dans l'impasse. Il importe donc de clarifier l'impact de la réforme pour cette génération.
Nous sommes aussi préoccupés pour les jeunes agriculteurs, qui constituent une autre de nos priorités, puisque notre réseau défend le renouvellement des générations. Ces jeunes bénéficient aujourd'hui d'exonérations de cotisations pour faciliter leur installation : elles ne sauraient être remises en compte dans le futur système.
La retraite à 1 000 euros pour une carrière complète doit également bénéficier aux chefs d'exploitation. Beaucoup d'agriculteurs ont démarré en tant qu'aides familiaux ou salariés agricoles, et nous avons l'impression qu'ils ne seront pas concernés par cette pension plancher. Nous poussons fortement pour que les anciens retraités soient intégrés dans le dispositif, mais nous le faisons aussi pour toute une frange d'agriculteurs qui risquent d'en être exclus, même dans le cadre de la future réforme. Nous parlons bien de carrières complètes, mais de carrières complètes agricoles.
Bien sûr, le cas des conjoints collaborateurs doit également être réglé. Il s'agit d'une catégorie essentiellement féminine, qui s'essouffle, puisque nous en perdons 9 % par an, et qui est assujettie à des cotisations de très faible niveau. Nous demandons que leurs cotisations soient ramenées au niveau des minimums afin qu'elles disposent demain d'une retraite minimale, comme tout le monde. Même si cela implique d'augmenter le niveau de leurs cotisations, nous sommes prêts à le supporter si cela permet de les amener demain au niveau de la pension plancher, dans la mesure où les intéressées ne touchent aujourd'hui que 550 euros par mois. Que fait-on aujourd'hui, avec une somme pareille, alors que l'on a travaillé toute sa vie ?
Un de nos autres soucis est la bonification pour enfants, qui doit être améliorée. Nous nous sommes toujours battus pour qu'elle soit forfaitisée et non calculée au pourcentage. Une bonification de 5 % sur une base de 1 000 euros équivaut à 50 euros, et à 150 euros sur une base de 3 000 euros. Les agriculteurs se trouvent donc encore pénalisés, d'où la demande de forfaitisation des bonifications : un enfant représente les mêmes charges que l'on dispose d'un petit revenu ou d'un gros.
Nous avons noté une avancée sur le cumul emploi-retraite. Compte tenu de la faiblesse du montant des pensions, nombre de retraités agricoles continuent de travailler dans le cadre d'activités saisonnières ou de remplacements. Nous demandons cependant que les choses soient bien clarifiées : de même que le code rural impose à l'agriculteur, pour toucher sa retraite, d'arrêter son activité agricole et de libérer ses terrains, demain, dans le cadre du régime unique de retraite, les mêmes règles devront s'appliquer à toutes les catégories socioprofessionnelles ; on ne peut pas toucher une retraite dans une autre activité. Tout le monde doit être logé à la même enseigne.
S'agissant du compte pénibilité, nous considérons qu'il doit être maintenu tel quel. Je rejoins en cela les représentants des artisans et commerçants. Bien souvent, les agriculteurs travaillent seuls dans leur exploitation. Comment voulez-vous qu'ils enregistrent le temps passé à des tâches pénibles, et comment voulez-vous qu'il n'y ait pas de dérives ? Qui contrôlera ? Comment une machine administrative peut-elle gérer cette question ? Les risques de dérive sont trop importants. Aujourd'hui, les critères tels qu'ils sont appliqués aux employeurs nous conviennent, nous n'en demandons pas l'extension et surtout pas au collège des exploitants agricoles. Puisque nous sommes les seuls garants et gestionnaires de nos exploitations, la gestion nous en reviendra pour nos propres moyens. Très vite, nous nous trouverons face à une usine à gaz insurmontable et incontrôlable.
Pour ce qui est de la gouvernance, nous revendiquons un poste dans la gestion de la future Caisse nationale de retraite. Notre organisme de protection sociale est très présent sur le terrain ; il restera l'interlocuteur du monde agricole, mais pourrait tout à fait élargir son public, compte tenu de son implantation. Nous tenons à conserver le guichet unique du régime agricole, mais nous entendons également participer à la gouvernance de la future Caisse de retraite, le rang de deuxième système de protection sociale en France de notre régime nous donnant toute légitimité pour cela.
Au-delà des questions d'équilibre, nous vous avons peu entendus sur la gouvernance proposée. Quel regard y portez-vous et quelles évolutions pourraient, selon vous, y être apportées ?
S'agissant des carrières longues, vous avez proposé, monsieur Asselin, de maintenir le dispositif et, éventuellement, de le faire évoluer. Selon vous, quelles formes pourrait prendre cette évolution si l'on envisage ce que pourrait être une carrière longue demain ?
Notre système de retraite ne peut pas réparer toutes les inégalités de la société et du monde du travail. C'est au sein de ce dernier qu'il faut traiter les difficultés. La première d'entre elles, que vous êtes plusieurs à avoir abordée, concerne l'emploi des seniors. Il ne faut pas se le cacher, notre pays n'obtient pas de bons résultats en la matière. D'une manière générale, la France maltraite ses jeunes et ses aînés. Quelle politique pouvons-nous mettre en oeuvre pour renforcer l'accès à l'emploi de ces deux catégories et le maintien dans l'emploi de nos aînés, tout en favorisant les constructions progressives de fin de carrière ?
Les inégalités entre les femmes et les hommes doivent aussi être traitées tout au long de la carrière. À cet effet, un index de l'égalité professionnelle a été créé il y a un an. Pouvez-vous nous dire de quelle façon il se met en place ? A-t-il donné de premiers résultats ? Les entreprises qui rencontrent des difficultés pour instaurer des mesures en faveur de l'égalité sont-elles accompagnées ?
Enfin, il existe dans notre pays un mal-être au travail particulièrement fort. À ce sujet, le Bureau international du travail publie un chiffre éloquent. Ce phénomène est souvent lié au stress, il se traduit par des accidents du travail et des maladies professionnelles. Son coût est évalué à près de 60 milliards d'euros, soit 3 % du produit intérieur brut (PIB). Comment renforcer les politiques de prévention et améliorer les conditions de travail de nos concitoyennes et de nos concitoyens ?
Le projet de loi organique prévoit un cycle quinquennal de régulation de l'équilibre financier du système des retraites. Or on considère traditionnellement que les cycles économiques ont une durée de dix ans. Êtes-vous favorable à la périodisation de cinq ans ou auriez-vous souhaité des paliers décennaux ? Pour vous, la règle d'or, qui contraint le Gouvernement à respecter de manière très régulière l'équilibre financier du système, est-elle un gage de sérieux, ou la percevez-vous comme une contrainte pour le régime ?
L'extension du champ du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) aux retraites complémentaires va sans doute quelque peu accroître la place de la représentation nationale dans la gestion du système. D'un autre côté, avec la conférence des financeurs, vous aurez un lieu où vous exprimer et formuler des propositions. Globalement, comment jugez-vous la place que vous occupez au sein de la nouvelle organisation ?
Dans vos propos liminaires, vous sembliez regretter qu'on ne laisse pas davantage de place à la capitalisation. J'en fais la remarque pour rappeler que le projet du Gouvernement tend effectivement à conforter le système par répartition au détriment de la capitalisation. Pressentant que le mot « capitalisation » risque de revenir souvent sur le tapis au cours des prochaines semaines, je trouvais intéressant de relever ce constat dressé par les premiers intéressés, qui va plutôt dans notre sens.
Dans le cadre de la conférence des financeurs, aurez-vous des propositions à formuler s'agissant de la participation des employeurs à l'effort qui devra être accompli pour ramener le système à l'équilibre ? Il nous est arrivé ici de débattre, dans le cadre des PLFSS, d'allégements généraux de cotisations, qui ne se sont guère montrés probants sur les gains de productivité pour les entreprises. Sans nullement grever la compétitivité de ces dernières – ce n'est pas notre objectif, surtout en ce moment –, vous semble-t-il envisageable de supprimer ou de redéfinir certains allégements généraux ? Par exemple, nous avons discuté du fameux « bandeau familles » – soit les allégements généraux en faveur des familles au-delà de 2,5 SMIC – qui n'avait pas d'effet positif sur la compétitivité mais engendrait une perte substantielle de cotisations pour le régime de protection sociale. Or notre système aime opérer des bascules entre les branches de la sécurité sociale. Pourrait-on envisager, demain, une participation des employeurs à l'effort de guerre ?
Je voudrais vous interroger sur la philosophie de la réforme. Vous auriez souhaité, avez-vous indiqué, une organisation en trois régimes de retraite. Les entreprises relevant de vos organisations nous disent toutes qu'elles ont du mal à recruter les compétences dont elles ont besoin. Ne pensez-vous pas que la réforme, en lissant les statuts – qui ont des conséquences importantes en matière de retraite – facilitera la mobilité professionnelle ? Celle-ci est en effet limitée dans nos territoires, notamment ceux qui sont éloignés des centres urbains.
J'en viens plus spécifiquement au titre Ier, qui contient des mesures essentielles sur les affiliations et les règles de calcul des pensions et des cotisations. Tout système d'assurance sociale est assorti d'un plafond : 40 000 euros pour la sécurité sociale, 330 000 euros pour le régime complémentaire. Il est proposé de plafonner le nouveau système à 120 000 euros par an. Ce choix me semble concilier l'ambition d'universalité – 99 % des salariés étant entièrement couverts – et l'exigence de justice redistributive. Comment jugez-vous les effets de la réforme au regard des principes d'équité et de bonne gestion ? Quelle transition vous semblerait nécessaire ?
S'agissant des transitions, nombreuses sont celles qu'il faut organiser en matière de cotisations. Si le projet retient comme cible les règles actuellement applicables aux salariés, d'autres catégories professionnelles verront leur taux et leur assiette de cotisations profondément remaniés – les fonctionnaires, bien sûr, mais aussi certains indépendants et des salariés relevant de régimes spéciaux. Avez-vous, en tant qu'employeur, des attentes particulières sur les choix qui seront faits en la matière ? Pour quelles transitions vous paraît-il nécessaire de prévoir un temps assez long ? De manière générale, les modalités de transition vous conviennent-elles ?
Enfin, j'aimerais poser une question aux représentants de la FNSEA sur un sujet qui dépasse le périmètre du titre Ier mais qui m'est cher : le statut futur du conjoint collaborateur. J'ai du mal à percevoir comment son évolution pourrait contribuer au rapprochement des conditions de travail entre hommes et femmes. Je considère qu'il a tendance à maintenir les femmes dans une forme de précarité. Il a contribué, en son temps, à leur fournir une protection sociale ; comment envisagez-vous son avenir ?
Le taux d'activité des seniors est un sujet essentiel. Des dispositifs existent pour remédier à sa faiblesse, tels le cumul emploi-retraite et la retraite progressive, mais on constate une certaine frilosité dans le recours à cette dernière. Les chiffres ne progressent que lentement. Dès lors, on peut voir un léger paradoxe à ce que le projet de loi relève l'âge minimal de départ en retraite progressive de 60 à 62 ans. De votre point de vue, quels sont les facteurs de blocage ? Que proposeriez-vous concrètement pour dynamiser la retraite progressive ?
J'en viens à un deuxième sujet, tout aussi important : la pénibilité. Là aussi, le projet de loi introduit une réforme d'ampleur, puisqu'il ouvre le dispositif du compte professionnel de prévention (C2P) aux fonctionnaires. Aujourd'hui, le financement de la mesure est assez basique, car il ne relie pas la pénibilité de l'entreprise à son niveau de cotisations. Considérez-vous qu'il serait intéressant d'établir ce lien et d'appliquer un principe « pénible payeur », qui permettrait de dynamiser les engagements en matière de prévention ?
S'agissant des facteurs de risque en l'absence de C2P, les prises de position de M. Asselin et de M. Griset m'ont beaucoup intéressé, qui tiennent au fait que le chef d'entreprise partage, pour une large part, la situation de son salarié, une spécificité que n'a pas mentionnée le MEDEF. Monsieur Roux de Bézieux, quel est le point de vue du MEDEF à ce sujet ? Seriez-vous favorable à un dispositif qui traiterait de façon horizontale, sans contraintes bureaucratiques, sur la base d'accords de branche et de référentiels reconnus, les facteurs de pénibilité, et qui permettrait d'alimenter le C2P ?
Enfin, monsieur Verger, j'ai été étonné d'entendre que vous étiez quelque peu réticent à envisager que l'agriculteur procède à la cession partielle de son exploitation lorsqu'il prend sa préretraite progressive. J'avais le sentiment que la profession manifestait le souhait d'accompagner le renouvellement des exploitations et d'assurer leur transmission en bon état.
Je suis convaincue que le projet de loi permettra de sécuriser la retraite de ceux de nos concitoyens qui ont travaillé toute leur vie ou qui ont connu des interruptions de carrière involontaires – pour cause de chômage, de maladie ou d'invalidité – ou subies, par exemple pour élever un enfant handicapé.
Comment, à votre avis, mieux prendre en compte les périodes d'études ou de stage pour les jeunes ? Le projet de loi prévoit le rachat de périodes de stage ou d'études supérieures dans les mêmes conditions qu'actuellement, mais comment pourrait-on aller plus loin, notamment concernant les stages ? Dans le cas des stages longs, qui donnent lieu à une gratification minimale – qui est de l'ordre de 577 euros mensuels – peut-on imaginer un dispositif qui obligerait l'employeur à cotiser pour le stagiaire, ce qui permettrait à ce dernier d'acquérir des points de retraite ?
En votre qualité de partenaires sociaux, vous occuperez une place de premier plan au sein du conseil d'administration de la future Caisse nationale de retraite universelle (CNRU). C'est un outil essentiel au pilotage du système universel, qui permettra de valoriser les complémentarités entre démocratie sociale et démocratie parlementaire.
Le choix de la confiance dans le paritarisme ne saurait pour autant laisser de côté le Parlement. Par quels leviers envisagez-vous d'associer et d'informer celui-ci ? Quelle place imaginez-vous pour la démocratie parlementaire dans cette future organisation, sans complexifier ni alourdir les procédures ?
Le fonctionnement concret de la future CNRU est renvoyé à une ordonnance. Selon le modèle traditionnel des établissements publics administratifs, un directeur général et un conseil d'administration exerceront conjointement les responsabilités. Quelle est votre conception de l'articulation entre les missions du directeur général et celles du conseil d'administration ? Quelle place envisagez-vous de confier à la future assemblée générale et au conseil citoyen ?
Quelles sont vos propositions concernant l'élaboration du schéma de transformation ? Certaines priorités de nature à garantir la réussite de la transformation vous paraissent-elles absentes du projet de loi déposé au Parlement ?
Enfin, le pilotage annuel et pluriannuel du système par la CNRU s'appuiera sur des projections indépendantes et actualisées. Le nouveau comité d'expertise indépendant des retraites jouera, à ce titre, un rôle central pour garantir l'information. Dans ce contexte, comment concevez-vous l'articulation de vos travaux avec ceux du Conseil d'orientation des retraites(COR) ?
Nous aurons l'occasion, dès la semaine prochaine, en commission, d'apporter des clarifications à certaines dispositions du projet de loi, dans le respect de la confiance accordée aux acteurs du paritarisme et de notre engagement d'équilibre.
Monsieur Jumel, nous avons décidé de cette organisation, hier, en réunion de bureau. Souffrez que les rapporteurs parlent 3 minutes chacun sur leur titre et qu'ils interrogent les organisations patronales et syndicales autant que vous. On ne remet pas en question, en cours de réunion, l'organisation de nos travaux. Les représentants des groupes s'exprimeront après les rapporteurs.
Messieurs les représentants des organisations patronales, partagez-vous la vision d'ensemble qui inspire la réforme systémique des retraites ? Trouvez-vous ses apports opportuns ? Certaines mesures, comme la conservation à 100 % des droits constitués avant l'entrée en vigueur du système universel, suscitent des interrogations légitimes : les partagez-vous ?
Trois sujets me paraissent essentiels, à quelques jours de l'examen du projet de loi en commission.
D'abord, la phase de transition jouera un rôle-clé dans le succès du déploiement du système universel de retraite. Cette transition sera déterminante pour assurer la conversion des droits acquis et valoriser l'ensemble des carrières à hauteur des efforts contributifs des assurés. Quelles priorités vous semblent devoir être prises en compte pour assurer le succès de cette conversion ? Par quels outils et leviers comptez-vous être associés à la phase de transition ?
Ensuite, la suppression de l'obligation d'affiliation au régime de retraite complémentaire est une conséquence logique du nouveau régime universel lisible et transparent. Au-delà de la phase de transition, le rôle des organismes qui gèrent actuellement ces régimes n'est toutefois pas clairement arrêté. Quelles garanties envisagez-vous pour que, demain, l'ensemble des agents qui composent ces régimes complémentaires participent effectivement au système universel ? Comment analysez-vous le sort particulier réservé au personnel navigant, dont l'affiliation à un régime complémentaire sera maintenue, à titre dérogatoire ?
Enfin, le choix d'une pluralité de dates d'entrée en vigueur, énoncé à l'article 63, est la traduction pragmatique de la mise en place progressive du système universel au fil des générations. Il conviendra d'associer les partenaires sociaux et le Parlement à ces différentes échéances et d'assurer une information régulière sur l'avancement des travaux. Quels outils de suivi des phases d'application de la réforme pourrait-on, selon vous, instituer ?
Les partenaires sociaux sont au coeur du projet de loi de la réforme des retraites. Vous avez largement contribué, en effet, à la préparation du projet, en concertation avec le Gouvernement, depuis presque deux ans. Nous notons les progrès que vous avez soulignés, notamment pour les commerçants, les artisans et les agriculteurs, autant de catégories professionnelles fortement sécurisées par la réforme. Nous prenons aussi acte des opportunités que vous avez identifiées et des points de vigilance sur lesquels vous avez insisté.
Votre regard expérimenté nous serait fort utile s'agissant du régime à points proposé et des mécanismes de gouvernance associés. La conférence sur le financement et l'équilibre des retraites, dont vous êtes pleinement partie prenante, s'ouvre demain. Elle a pour objectif d'élaborer des mesures de nature à restaurer l'équilibre financier du système de retraite d'ici à 2027. Avant que vous ne rendiez vos conclusions, d'ici à la fin avril, nous souhaiterions savoir dans quel état d'esprit vous abordez la conférence. Comment envisagez-vous l'articulation de la prise en compte de la pénibilité des métiers avec le retour à l'équilibre ?
Le projet de loi renvoie à des ordonnances ou à des décrets le soin d'apporter des précisions sur les transitions de chacun des régimes vers le système cible. Le Parlement fixe le cadre, et les parties au dialogue social en spécifieront les modalités. Dans la mesure du possible, au cours des débats parlementaires, nous transformerons certaines habilitations en dispositions légales. Pouvez-vous dresser un bilan d'étape des concertations ? À cet égard, y a-t-il des éléments que vous souhaitez porter à notre connaissance ?
Enfin, je souhaite mettre l'accent sur deux objets d'attention pour le groupe La République en Marche, car ce sont des enjeux majeurs et indissociables de la réforme : la pénibilité et l'emploi des seniors.
S'agissant de la pénibilité, les chiffres montrent une corrélation significative entre, d'une part, les conditions de travail et, d'autre part, le bien-vivre et le bien-vieillir au travail puis à la retraite. Des négociations sont en cours avec la ministre du travail sur tous les volets du dossier : la prévention, la reconversion et la réparation. Nous nous réjouissons de cette ouverture de la concertation. Nous considérons que les entreprises et les organisations patronales ont un rôle majeur à jouer dans la prise en considération de la pénibilité dans les branches et les entreprises. Les sujets sont nombreux : la reconnaissance de la pénibilité, qui suppose l'identification des expositions aux risques ; la prise en considération de la poly-exposition ; les bonnes pratiques en matière de prévention ; les conséquences de la pénibilité sur les retraites ; le temps de travail ; les dispositifs de reconversion. Si nous entendons la condition d'applicabilité que vous soulignez à l'unisson, nous sommes toutefois convaincus de la nécessité impérieuse d'avancer sur tous ces sujets. Quelles responsabilités estimez-vous devoir assumer dans la prévention de la pénibilité au travail ? Dans quelle mesure êtes-vous prêts à vous engager dans cette direction ?
S'agissant des seniors, on qualifie souvent ainsi des actifs à partir de l'âge de 45 ou 50 ans, c'est-à-dire plus de quinze ans avant leur départ à la retraite. Ils connaissent un des plus faibles taux d'emploi au sein des pays développés. La France peut et doit progresser ; il n'y a pas de fatalité. Il nous faut collectivement reconnaître que les plans seniors dans les entreprises sont peu ambitieux et que les sociétés ne se sont pas encore saisies pleinement du sujet. Alors que s'engage la réforme de notre système de retraite, il est indispensable d'obtenir des résultats en ce domaine. Le Gouvernement s'est fortement impliqué en confiant, à Sophie Bellon une mission et à Muriel Pénicaud l'ouverture de concertations avec vos organisations. Nous soutenons sans réserve cette dynamique. Que pouvez-vous nous en dire ? Quelle est votre ambition en matière d'emploi des seniors ? Dans le cadre de la réforme des retraites, quelles mesures d'incitation ou d'accompagnement pourraient, selon vous, favoriser la retraite progressive ? Nous vous attendons vraiment sur tous ces sujets.
Je crois me faire le porte-parole des groupes de la minorité en disant notre regret que ceux-ci ne disposent que de 5 minutes pour s'exprimer, à la suite des interventions des sept rapporteurs. Ces derniers ont leur propre regard et nous le respectons, mais cela donne à réfléchir sur la façon, peut-être un peu hâtive, dont nous avons défini l'organisation de nos travaux hier après-midi, en réunion de bureau. L'exigence de pluralité et l'importance de ce texte justifieraient peut-être, madame la présidente, que l'on revoie certaines dispositions.
Le sujet essentiel des retraites doit être abordé avec tout l'humanisme qu'il implique. Le troisième ou quatrième temps de vie est une période qui doit être considérée par la collectivité nationale comme un moment important, pendant lequel le respect de la dignité des hommes et des femmes doit être assuré. Le système de retraite n'est pas qu'une question d'arithmétique et de comptabilité, il doit également renforcer le pacte républicain et le contrat social en garantissant l'assentiment de la nation sur le traitement réservé à nos aînés. Cependant, il requiert toute notre vigilance, parce que plus de 300 milliards d'euros sont en jeu, l'équivalent de 14 % à 15 % du PIB.
À l'évidence, le sujet requiert de la confiance. On ne peut pas aborder ce texte ni écrire une nouvelle page de notre histoire sans faire montre de clarté et de responsabilité. La « loi Woerth » du 9 novembre 2010 avait préfiguré nos débats actuels. La question est de savoir si, globalement, on prend le sujet dans le bon sens. Pour notre part, c'est l'équilibre financier du système, la soutenabilité du régime qui importent. On ne pourra pas adresser un message clair aux Français et leur garantir un niveau de pension si on ne s'assure pas que le régime est équilibré et solide.
S'agissant de la mesure d'âge, j'ai cru comprendre que vous êtes tous favorables à ce qu'une décision courageuse soit prise, pour assurer la soutenabilité du système. Ai-je bien compris votre position ?
Les régimes autonomes sont excédentaires, bien gérés et ne demandent rien à personne ; ils ne posent pas de difficultés et ne constituent pas une anormalité au sein de la nation. Que pensez-vous du fait qu'on souhaite les supprimer à marche forcée ?
Vous allez participer à la conférence sur le financement. Êtes-vous d'avis de mobiliser immédiatement, pour respecter l'échéance de 2027, les réserves accumulées grâce aux cotisations des adhérents de ces régimes autonomes et complémentaires ? Ou bien considérez-vous que la conférence ne doit pas traiter de la question des réserves ?
Que vous inspire la relation entre la future CNRU et les autres caisses ? Avez-vous des propositions à formuler en la matière ? Nourrissez-vous des appréhensions ? Ne craignez-vous pas la nationalisation du système, dès lors que le directeur de la caisse sera désigné par l'État et qu'une série de procédures devront être validées par décret ? Approuvez-vous cette façon de prendre la main sur la question des retraites, qui renvoie au précédent assez fâcheux de l'assurance chômage ?
L'emploi des seniors est traité dans les articles 24 à 27. Je présume qu'en tant qu'employeurs, vous avez besoin des compétences de vos aînés, qui ont l'expérience du travail en entreprise. Je serai très attentif à vos suggestions en la matière, car ce texte doit nous permettre de progresser.
J'ai cru comprendre que vous étiez favorables à un système de pénibilité universel, mais extrait de l'entreprise, peut-être adossé à un système de santé au travail qui serait revu. Ne serait-ce pas le moment d'accomplir un grand pas sur cette question ?
Pouvez-vous me confirmer que vous êtes d'accord pour limiter le système universel à 1 PASS ?
Enfin, monsieur Griset, vous avez évoqué des mesures incitatives pour rester plus longtemps en activité. Pourriez-vous nous donner quelques pistes ?
Je vais m'efforcer de ne pas épuiser mes 5 minutes pour laisser plus de temps de parole à nos collègues des oppositions. Ils ont en effet très envie d'échanger, et je me réjouis que les organisations patronales soient ainsi positivement considérées.
Je ferai deux observations préalables. D'abord, s'agissant du plafond de cotisations, je rejoins le propos d'Olivier Véran : nous avons fait le choix du plafonnement à 3 PASS parce que nous avons retenu l'option de la répartition et non de la capitalisation. Cela étant, les entreprises ont tout leur rôle dans l'amélioration du système de retraite. Nous avons voté, il y a quelques mois, des dispositions en matière d'épargne salariale, d'abondement, d'intéressement, de participation, d'actionnariat salarié. Dans le cadre du régime universel que nous voulons, il restera évidemment toujours possible d'améliorer le niveau futur de la retraite des salariés de vos entreprises.
Ensuite, nous comptons sur vous, puisque la démocratie parlementaire a fait une grande place, dans le texte, à la démocratie sociale. Nous espérons que la conférence sur le financement trouvera une issue positive. En effet, comme vous l'avez tous observé, nous avons besoin d'un système équilibré et solide. Mais c'est aussi la crédibilité de la future gouvernance qui est en jeu : si nous ne savons pas équilibrer le système d'ici à 2027, comment concevoir que les organisations patronales et salariales seront capables d'en assurer le fonctionnement à long terme ? Votre responsabilité dans les semaines qui viennent sera donc éminente.
J'aimerais vous entendre sur l'équilibre du régime à court terme. J'ai bien entendu qu'il ne fallait pas renchérir le coût du travail, mais nous aimerions connaître votre point de vue sur le futur cocktail de mesures concernant les intérêts produits par les réserves, d'éventuelles réaffectations de cotisations, ainsi que la question des âges.
Par ailleurs, comment pouvons-nous moduler l'âge d'équilibre à long terme dans le système cible en fonction de la pénibilité ? Je ne reviens pas sur les excellentes questions de Jacques Maire, qui a évoqué la possibilité d'utiliser un autre système d'organisation et de définition de la pénibilité.
Robert Verger a souligné les difficultés rencontrées par certains retraités, qui perçoivent des pensions indignes. Le texte soumis à notre examen ne traitera évidemment que des nouveaux entrants. Aussi le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés a-t-il proposé au Premier ministre que, parallèlement à l'examen du projet de loi, une mission parlementaire soit confiée aux rapporteurs généraux des commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat, pour que nous puissions objectiver le débat, définir un calendrier et apporter des réponses avant que la loi soit promulguée.
Enfin, nous avons besoin de vos propositions sur l'emploi des seniors et les retraites progressives, non seulement par considération pour les fins de carrière, mais aussi parce que l'économie française est faite de compétences, qui doivent être protégées et surtout transmises d'une génération à l'autre : c'est fondamental pour la cohésion de nos entreprises et pour y faire vivre le pacte social.
Pour aller dans le sens de M. Viry, je suggère que le bureau se réunisse à nouveau pour dresser le bilan du déroulement de nos échanges ce matin.
Il n'y a aucun problème ; je n'ai pas l'habitude de brimer l'opposition au sein de la commission des affaires sociales. Nous réunirons le bureau immédiatement après cette réunion, car je voudrais éviter ce genre de procès d'intention.
Merci, madame la présidente.
Nous autres députés avons eu quatre jours pour prendre connaissance de 1 500 pages d'une très grande technicité. Je voudrais savoir dans quelles conditions vous-mêmes avez eu à connaître de ce texte et quand l'étude d'impact vous a été transmise. Disposez-vous de simulations financières qui vous permettent d'apprécier, entre autres choses, le déroulement de la période de transition ? Avez-vous une idée de l'évolution dans le temps du taux de remplacement et du niveau de vie relatif entre les actifs et les inactifs ? Connaissez-vous les détails de la future gouvernance ? N'entraîne-t-elle pas, à vos yeux, le risque d'une mise en échec du paritarisme ?
L'étude d'impact montre que la part des dépenses de retraite consacrées au minimum contributif demeurera la même avant et après la réforme, jusqu'en 2040. Comment l'expliquez-vous alors que le dispositif est censé, au contraire, monter en puissance ?
La réforme va avoir un impact sur les pensions et les cotisations. Les taux de cotisation des salariés et des employeurs vont être modifiés dans le secteur privé. Avez-vous dressé un bilan de l'évolution des contributions des employeurs et des salariés par décile, par niveau de salaire, par secteur d'activité économique ? La question vaut aussi pour les indépendants.
Lorsque l'on regarde les insuffisances de notre système de retraite que la réforme prétend résoudre – même si on doute de sa capacité à le faire –, on se dit qu'au fond, on se construit la meilleure des pensions en réalisant la meilleure des carrières. Il y a un lien patent entre la carrière professionnelle et la retraite. À cet égard, plusieurs déterminants me paraissent importants, car on ne peut pas seulement s'inscrire dans une logique de réparation des injustices liées à la vie au travail. Le premier de ces déterminants est le niveau des salaires. Ne faut-il pas s'interroger sur le partage de la valeur ajoutée et la ventilation des salaires dans l'entreprise ? À l'issue du Grand débat consécutif au mouvement des « gilets jaunes », le choix a été fait de ne pas augmenter les salaires et d'accroître le montant de la prime d'activité. Autrement dit, ce n'est pas le travail qui paye, mais la solidarité nationale. Or la prime d'activité ne crée aucun droit à la retraite. Vous voyez ce que cela peut signifier si la politique d'accroissement du pouvoir d'achat doit prendre durablement cette forme.
Deuxième déterminant, les différences de pension entre les femmes et les hommes sont le reflet de leur vie professionnelle et des discriminations dont les femmes ont été victimes sur le plan salarial et du déroulement de leur carrière. Si les femmes et les hommes étaient rémunérés de manière égale, le montant annuel de cotisations serait supérieur de 3 milliards d'euros. Qu'entendez-vous faire pour résoudre ces problèmes ? Je ne crois pas que ce soit à la solidarité nationale, par le biais de nos cotisations, de corriger des discriminations. De la même manière, concernant le déroulement de la carrière professionnelle, que pensez-vous de l'idée d'instaurer un congé paternité – qu'un certain nombre d'entreprises appliquent déjà de leur propre initiative –, dont les modalités seraient à définir ?
Le troisième déterminant a été abondamment évoqué : la pénibilité et, en corollaire, les carrières longues, l'un et l'autre pouvant être liés. En la matière, la réforme proposée ne constituerait pas vraiment un progrès. S'agissant des carrières longues, les personnes souhaitant partir à 60 ans se verront appliquer une décote de 10 % ; pour bénéficier de la surcote, il faudra travailler au-delà de 64 ans. Quelles sont vos intentions ? Vous avez applaudi à la suppression du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et à sa transformation en C2P, mais l'ensemble des travailleurs du bâtiment en ont été exclus, comme l'essentiel des travailleurs de l'industrie, en particulier chimique, les caissières ou encore les égoutiers. Comment fait-on pour résoudre cette situation tragique, tant sur le plan de la réparation que de la prévention ? De quelle façon impliquer les entreprises, les faire participer au financement de la pénibilité ? Peut-être par une sorte de bonus-malus.
Le dernier déterminant concerne les carrières hachées, et il est d'autant plus important que les pensions seront calculées sur toute la carrière et plus seulement sur les vingt-cinq meilleures années. À cet égard, il y a, me semble-t-il, un lien patent entre, d'une part, la réforme de l'assurance chômage consécutive à ce que je qualifierais d'échec prémédité par le Gouvernement du dialogue social, et, d'autre part, le calcul des pensions. Du fait de la réforme de l'assurance chômage, il est plus difficile d'acquérir des droits et d'en conserver le bénéfice ; il y aura donc beaucoup plus de chômeurs non indemnisés, qui, de ce fait, n'accumuleront pas de points. De la même manière, l'âge pivot introduit par la réforme va créer un problème aux seniors, dont le taux d'emploi est faible, même si je ne sous-estime pas les efforts que vous engagez. Les personnes ayant connu une carrière hachée auront à choisir entre l'allocation de solidarité spécifique ou une pension affectée d'une forte décote. De la même façon, les périodes de chômage indemnisé seront prises en compte sur la base de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, et non à partir du dernier salaire, comme c'était le cas jusqu'à présent. On a du mal à concevoir comment, dans ces conditions, le sort des carrières hachées pourrait être amélioré. D'ailleurs, on en a confirmation en passant au crible les cas signalés dans l'étude d'impact ; on constate que tout cela est faux.
Enfin, la conférence sur le financement se fonde sur le rapport du COR. Or celui-ci indique, à propos du déficit constaté, qu'on ne subit pas un dérapage des dépenses de retraite mais une insuffisance de cotisations, dont une part provient de la réforme de l'assurance chômage, qui entraîne moins de versements de l'UNEDIC à la branche vieillesse. Les exonérations au titre des heures supplémentaires et de la prime exceptionnelle contribuent également à réduire les ressources. Il est difficile d'entrer dans cette discussion si on ne considère pas que, en tant qu'employeur, on a une part de responsabilité dans cette situation. De quelle manière...
Chacun ici sait que le système de retraite doit évoluer et s'appuyer sur la confiance, comme vous l'affirmiez, monsieur Roux de Bézieux, en commençant votre propos. Je fais partie de ceux qui veulent que les choses évoluent. En notre qualité de parlementaires, nous essayons, en faisant preuve d'un peu d'exigence, de participer à l'élaboration de cette réforme d'ampleur. Outre les mesures paramétriques, il y a tant d'éléments techniques qu'on peut légitimement demander à être éclairés. Nous ressentons, vous avez dû le percevoir, une certaine frustration, due au fait que le Gouvernement nous demande de l'habiliter à légiférer par ordonnances. D'où ma première question : aurez-vous accès au contenu des ordonnances, parce que nous ne pourrons pas les modifier – c'est ça, le Parlement ! Si l'on veut de la confiance, il est essentiel de savoir ce qu'il y a dans les ordonnances.
S'agissant du financement, le Conseil d'État a enjoint au Gouvernement de renforcer l'étude d'impact. J'imagine que vous portez avec exigence la même demande, car vous ferez partie, demain, des acteurs principaux de la conférence sur le financement. Comme l'a dit Olivier Véran, les parlementaires que nous sommes souhaitent l'application de la règle d'or. Nous débattons du PLFSS, qui représente, avec l'ensemble des branches de la sécurité sociale, 500 milliards d'euros – plus que le budget de l'État ! Il ne serait donc pas illégitime que, chaque année, nous puissions apporter notre contribution, exprimer notre vision des choses sans attendre la clause de revoyure dans cinq ou dix ans. Les choses sont si complexes qu'il peut y avoir des erreurs de conception. Si on doit les corriger, il faut le faire rapidement. Aussi souhaiterions-nous avoir, d'une façon ou d'une autre, un échange sur cet immense chantier. Je suis très heureux que nous puissions d'ores et déjà en débattre avec les organisations patronales ce matin. Dans une démocratie sociale et parlementaire organisée, on devrait, me semble-t-il, avoir ce genre d'échanges au moins une fois par an, pour délibérer de l'état de la France et des grands sujets auxquels nous sommes confrontés.
J'ai bien entendu que les organisations patronales ne sont pas favorables à des mesures de relèvement des cotisations, mais il va bien falloir trouver un compromis avec les syndicats de salariés, dont la préférence irait plutôt à un cocktail de mesures – pour reprendre l'expression de Patrick Mignola – portant à la fois sur les cotisations et sur la durée. L'idée de toucher au Fonds de réserve pour les retraites constitue-t-elle, pour vous, un tabou absolu ou seriez-vous prêts à faire un pas dans cette direction, étant entendu qu'une clause de revoyure poserait une limite de temps de quatre ou cinq ans ?
Les agriculteurs, et Alain Griset l'a également indiqué, s'inquiètent de l'harmonisation des taux de cotisation, compris entre 14 % et 28 %, les agriculteurs étant à 17 %. Quelles garanties avez-vous obtenues dans le temps, et comment les choses vont-elles se passer ? Alain Griset disait tout à l'heure qu'il n'y aurait pas d'augmentation des cotisations, mais simplement une modification de l'assiette. Dans ces conditions, peut-on avoir la certitude que le revenu disponible restera le même, le maintien du niveau des retraites étant un objectif que nous partageons tous ?
Enfin, alors que la réforme prévoyait initialement la suppression de tous les régimes spéciaux, ce qui était une très bonne chose, certains de ces régimes spéciaux se sont déjà vu accorder des dérogations – personnels navigants, aiguilleurs du ciel, certains personnels des centres culturels nationaux. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez et si, selon vous, la justice peut être au rendez-vous dans ces conditions ?
Pour ce qui est de la pénibilité, je suis tout à fait d'accord avec Jacques Maire lorsqu'il qualifie de très mauvais signal le relèvement de 60 ans à 62 ans de l'âge auquel il sera possible de mettre en oeuvre une cessation progressive d'activité. De fait, c'est à cet âge-là que la transmission est la plus efficace, sans compter que ce dispositif constitue un très bon moyen de lutter contre la pénibilité en permettant à un travailleur en fin de carrière d'effectuer moins de tâches répétitives et compliquées, en consacrant 20 % ou 30 % de son temps à la transmission de son savoir – une mission dont les travailleurs concernés s'acquittent avec honneur – à un jeune qui, de son côté, peut ainsi démarrer plus tôt son activité professionnelle.
J'en termine, madame la présidente, en souhaitant que, sur ce texte majeur, un nouveau « round » réunissant tous les participants à cette table ronde puisse se tenir avant que les ordonnances ne soient ratifiées. C'est cela aussi, une démocratie vivante, parlementaire et sociale.
Monsieur Roux de Bézieux, vous avez mis en avant la question de l'équilibre financier du régime. Vous ayant lu attentivement, j'ai retenu cette phrase relevée sous votre plume : « Il y a un problème d'équilibre qui n'est pas de l'épaisseur d'un trait. » En 2018, le déficit était de 3,5 milliards d'euros et, selon les projections, il sera de 12 milliards d'euros d'ici à 2025. Or ce montant n'est pas si éloigné de celui des « niches » sociales qui ont permis au patronat de faire des économies sur le dos de la branche vieillesse de l'assurance maladie, grâce aux allégements de cotisations sociales. Ce point a été souligné par la Cour des comptes, qui en chiffre le montant à 10 milliards d'euros – et l'État ne compensant pas le manque à gagner, nous en sommes pour nos frais de 5,2 milliards d'euros, ce qui est assez considérable. En tout état de cause, il y a là bien plus que l'épaisseur d'un trait, où nous pourrions trouver un début de solution dans la recherche de l'équilibre du régime.
Or vous nous dites qu'il n'est pas question de toucher au niveau des cotisations. Pourtant, les hautes rémunérations – celles qui sont supérieures à 10 000 euros mensuels – ne feront plus l'objet de cotisations, ce qui va faire économiser 2 à 3 milliards d'euros de cotisations patronales et donc occasionner un nouveau manque à gagner pour les caisses publiques de retraite. C'est assez ahurissant : alors que cette contre-réforme est censée permettre de parvenir à l'équilibre financier, on commence par creuser un trou !
Vous avez évoqué à plusieurs reprises le coût du travail, un sujet qui nous met particulièrement en colère, parce que le travail, c'est précisément ce qui permet de créer de la richesse : ce n'est donc pas un coût, mais au contraire ce qui permet de produire des richesses. Pour ma part, je voudrais parler d'un coût véritable, celui du capital. Pourquoi ne pas mettre les revenus financiers à contribution ? Sur ce point, je veux vous donner un ordre de grandeur : si on élargissait l'assiette des cotisations aux revenus du capital, avec le même taux de cotisation que pour le travail, soit 28,1 %, ce sont 25,6 milliards d'euros qui pourraient être injectés dans notre système de solidarité au profit des retraités. J'aimerais bien connaître l'avis de chacun d'entre vous – il n'est pas certain que vous ayez tous le même – sur l'hypothèse consistant à créer cette cotisation, qui permettrait que les revenus du capital mettent au pot commun pour pérenniser un système viable, juste et de progrès.
La variable que vous avancez tous est celle de la norme d'âge : à vous entendre, on a l'impression que c'est une fatalité plutôt qu'un choix politique, et qu'il n'existe pas d'autre solution. J'aimerais vous convaincre qu'en réalité, c'est une folie sur le plan social et sur le plan humain. Nous avons une discussion policée dans le cadre de cette table ronde mais, dans les faits, il faut bien avoir conscience de ce que cela signifie de travailler jusqu'à 67 ans. Comme vous le savez sans soute, un ouvrier a aujourd'hui une espérance de vie inférieure de six ans à celle d'un cadre, et je serais curieuse de savoir ce qu'il en est pour les personnes exerçant un métier extrêmement pénible, telles les hôtesses de caisse, les personnes qui portent des charges lourdes ou qui travaillent dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je remercie M. Griset d'avoir évoqué la question de la pénibilité, car elle est tout à fait fondamentale.
Vous nous dites qu'il n'est pas question de toucher au montant des pensions. Or, si vous repoussez l'âge à partir duquel on peut prendre une retraite à taux plein, que va-t-il se passer pour les gens qui n'en peuvent plus au travail ? Ils vont se résigner à partir avec une retraite qui n'est pas à taux plein : dans les faits, il va donc y avoir une baisse des pensions, c'est évident ! Et pour ceux qui vont s'acharner à continuer de travailler afin d'essayer de vivre dans la dignité, que va-t-il se passer ? La retraite comme antichambre de la mort, est-ce le projet de société que vous nous proposez tranquillement ?
Je voudrais vous convaincre que votre vision des choses est une absurdité sur le plan économique, mais aussi du point de vue des enjeux environnementaux et écologiques. Aujourd'hui, le taux d'emploi des 60-64 ans est de 32 %. Vous nous parlez sans cesse d'un plan pour les seniors, mais on sait qu'il existe un sur-chômage ou des arrêts maladie de longue durée pour les personnes âgées de plus de 50 ans, et encore davantage pour celles âgées de plus de 60 ans. Quelle est cette folie consistant à faire travailler plus longtemps des gens à qui vous n'êtes déjà pas en mesure de donner un emploi ? Je ne comprends pas du tout la logique qui est à l'oeuvre, ni en quoi tout cela peut servir l'intérêt des personnes, même celles que vous représentez. C'est une logique économique enfermée dans un cadre contraint, et je vous invite à sortir de ce cadre pour entrevoir le progrès social. En franchissant le mur des réalités, à commencer par celui de la réalité sociale, ce qui se passe aujourd'hui dans la rue pourra ainsi faire son entrée dans cette assemblée.
Nous avons noté que vous n'étiez pas demandeurs de cette réforme – si j'ai bien compris, vous vouliez un peu de changement, mais pas sous cette forme. Je voudrais donc savoir si vous êtes satisfaits de la méthode et de ses résultats, notamment ceux observés dans l'opinion publique, et si vous vous estimez suffisamment informés des conséquences du projet qui est sur la table.
J'aimerais savoir si vous contestez les analyses du COR, qui estime qu'il n'y a pas de péril sur le système de retraite actuel, et si vous croyez à la conférence sur le financement : pensez-vous qu'il puisse en sortir quelque chose ? Êtes-vous favorables au principe de l'âge pivot, dont il faut rappeler qu'il s'appliquera de toute façon pour les générations à partir de 1975 avec le nouveau régime, si celui-ci devait être adopté ? D'une manière générale, comment envisagez-vous les discussions autour de ces questions et des enjeux qu'elles comportent ?
Vous dites qu'il y a une évolution démographique, mais qu'on ne peut pas, on ne doit pas – et surtout, vous ne voulez pas – augmenter les ressources. Finalement, votre position revient à faire payer cette évolution par les salariés ainsi que par les retraités, puisqu'il y a maintenant une proposition consistant à augmenter la CSG. Pour nous, repousser l'âge du départ à la retraite au-delà de 65 ans, c'est une régression sociale insupportable, qui a des conséquences concrètes dans les vies des femmes et des hommes.
Vous dites ne pas vouloir augmenter les cotisations, notamment la contribution patronale, mais seriez-vous disposés à envisager une augmentation des salaires ? Je précise que, quand vous dites ne pas vouloir augmenter votre contribution, celle-ci va en réalité baisser. La masse des exonérations s'élève aujourd'hui à 66 milliards d'euros, et votre contribution diminue régulièrement par le jeu des exonérations successives dans le champ de la protection sociale. N'y a-t-il pas là une forme de non-sens, voire d'excès ?
Ne pourrait-on équilibrer les choses différemment entre les contributions des petites entreprises et celles des grandes ? Je voudrais également vous demander ce qu'est, selon vous, un bon taux de remplacement pour les personnes partant à la retraite. Vous avez évoqué le coût du travail, un point sur lequel nous sommes en désaccord car, pour nous, le travail n'est pas un coût. Nous proposons, en revanche, de mettre à contribution les revenus financiers, ce qui aurait sans doute quelques vertus sur la nature et la construction de notre économie.
Si je comprends bien, vous regrettez la faible part de la capitalisation : à combien voudriez-vous la porter ? Quant à la mutualisation, vous la jugez trop importante. Ce projet de loi crée un régime spécial pour les hauts salaires, mais vous estimez que la part qui leur est faite n'est pas suffisamment belle et que le Gouvernement ne satisfait pas suffisamment les appétits. Quelles sont les perspectives que vous voyez en la matière ?
Je veux également évoquer ce sujet majeur qu'est la pénibilité. Les tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles sont bloqués, et il me paraît absolument nécessaire de disposer d'un vrai dispositif de reconnaissance des métiers intégrant la question des retraites – vous avez fait des propositions en ce sens qui me semblent devoir être explorées. Il existe, en tout cas, un lien évident entre la qualité du travail et la retraite – quand je parle de la qualité du travail, cela comprend le contrat de travail – et, de ce point de vue, certaines des mesures qui ont été prises précédemment n'allaient pas dans la bonne direction.
Pour ce qui est des retraites agricoles, il y a une évolution possible, et même nécessaire, en dehors du système par points. Nous avions d'ailleurs déposé à ce sujet une proposition de loi qui a – hélas ! – été stoppée net, mais le projet de loi n'apporte, lui, aucune solution à la question des faibles retraites agricoles.
Si je comprends bien, vous voulez voir plus de seniors au travail, et des seniors plus âgés qu'aujourd'hui. Quelles mesures prévoyez-vous pour vous adapter à cette situation ?
Enfin, j'ai le sentiment que vous avez réagi assez mollement au changement de gouvernance, qui affaiblit à nouveau la démocratie sociale : quels avantages comptez-vous tirer de la nouvelle gestion ?
On ne peut que partager la frustration qui a été exprimée, car il est extrêmement difficile de répondre à toutes les questions posées, qui sont très diverses et ont parfois pour conséquence d'élargir le débat – je pense notamment à celles portant sur la fiscalité du capital. Je ne peux donc que vous inviter à venir rencontrer le MEDEF et les autres organisations patronales pour en discuter en dehors de cette salle, quelle que soit votre origine politique. Nous sommes très ouverts à la discussion.
Monsieur Vallaud, nous n'avons pas été mieux informés que vous : nous n'avons eu l'étude d'impact que vendredi, en même temps que tout le monde. Cela explique, d'ailleurs, que je ne puisse répondre à toutes les questions, car je n'ai pas encore eu le temps de lire les 1 000 pages de ce document.
Certaines des questions qui ont été posées débordent un peu du cadre des retraites, et mériteraient un développement assez long – salaires, égalité hommes-femmes ou fiscalité du capital –, auxquelles je ne vais donc pas répondre. Au sujet des salaires, je me contenterai d'une remarque : selon l'Institut national de la statistique et des études économiques, les salaires dans le privé – cadres et non-cadres confondus – ont augmenté de 2,1 % en 2019, sans compter la prime qui a été versée. Certes, ce n'est que 2 %, mais la productivité n'a pas augmenté de 2 %, et c'est toujours plus que ce qui a été fait dans la fonction publique ! Sans prétendre à l'exemplarité, et sans nier que certaines entreprises pourraient mieux faire, je constate simplement que l'État employeur nous donne des leçons et des injonctions qu'il ne respecte pas lui-même. Je précise que ce constat est valable quelle que soit la taille de l'entreprise : même si les grandes entreprises ont un peu plus augmenté les salaires, l'écart-type est globalement très faible.
Pour ce qui est de l'égalité hommes-femmes, nous nous sommes engagés – ce qui n'a pas toujours été une évidence au sein de mon organisation – dans la mise en place d'un index qui, à l'horizon de moins de trois ans maintenant, et pour toutes les tailles d'entreprises jusqu'à cinquante salariés, va sanctionner, sur le fondement du principe « à travail égal, salaire égal », les écarts à poste équivalent entre les hommes et les femmes. Cela a été un combat de conviction interne important, et j'espère qu'à l'horizon 2021 ou 2022, nous aurons réussi à mettre en place une vraie égalité salariale hommes-femmes. Les réactions suscitées sont souvent de surprise – notamment dans les entreprises moyennes –, au moment du calcul de l'index. Cela a donc au moins un mérite, celui de mettre un problème en évidence.
En ce qui concerne la gouvernance, il faut être réaliste et reconnaître que la réforme proposée, qui figurait dans le programme électoral du Président de la République, va consister en une étatisation, une nationalisation du système par rapport à la situation antérieure. On peut toujours se demander si les électeurs ont ou non voté pour cette mesure, mais c'est un autre débat. Nous allons découvrir comment peut fonctionner cette articulation entre démocratie sociale, démocratie parlementaire et État.
Selon notre expérience de la sécurité sociale, ce n'est plus du paritarisme depuis longtemps : nous sommes, au mieux, spectateurs avec un droit de commentaire. Le vrai paritarisme, c'est celui mis en oeuvre avec l'AGIRC-ARRCO, qui fonctionne selon le principe très strict de l'interdiction de s'endetter – une sorte de règle d'or implicite – et qui met les seuls partenaires sociaux autour de la table. Je le dis sans triomphalisme, cela a plutôt bien fonctionné puisque nous avons pris des mesures courageuses. Avec ce qui est prévu par le projet de loi, nous avons affaire à un dispositif hybride, dont on ne connaît pas encore tout à fait les tenants et les aboutissants, et qu'il nous revient sans doute de construire ensemble, mesdames, messieurs les députés. En vous disant cela, je ne me trompe pas de sujet et je ne suis pas en train d'affirmer que la démocratie sociale se trouve sur un pied d'égalité avec la démocratie parlementaire – ce n'est pas l'esprit de la République –, mais sans doute y a-t-il des passerelles à construire.
Au passage, je m'inquiète de la tendance à mettre en place des systèmes de tirage au sort de citoyens, qui me semble assez dangereuse. Pour moi, la démocratie représentative consiste avant tout à élire des représentants pour décider et voter des lois – mais je m'écarte de notre sujet.
Nous aurions souhaité une règle d'or annuelle puisque, selon le principe de la répartition, les recettes et les dépenses doivent justement s'équilibrer dans l'année. Le projet prévoit une règle d'or sur cinq ans : c'est le minimum pour nous. Dès lors, il faut qu'il y ait des réserves pour que, durant cette période de cinq ans, on soit en mesure d'absorber les éventuels chocs de conjoncture. Dans le futur régime universel, les salariés et les employeurs du privé arrivent avec 70 milliards d'euros de réserves – selon une répartition respective de 60-40 – et les indépendants avec 45 milliards. Pour ce qui est des fonctionnaires, je serais curieux de savoir combien l'État met au pot, car ce point n'a pas encore été précisé. Ce que je veux dire en creux, vous l'aurez compris, c'est qu'il ne faudrait pas que les réserves des fourmis servent à financer un État plutôt cigale...
La question du financement comprend trois aspects différents, le premier étant celui du financement du régime actuel – en l'occurrence des 12 milliards d'euros de déficit. Le deuxième est le financement des nouvelles mesures, qui sont encore en discussion. En tant que citoyen, je comprends tout à fait qu'il soit inacceptable, pour un agriculteur qui a travaillé toute sa vie, de ne toucher que 700 euros de retraite. Il est logique que, pour remédier aux situations de ce type, on instaure un montant minimum de pension fixé à 1 000 euros, mais cela crée évidemment des dépenses supplémentaires sans cotisations correspondantes.
Le troisième aspect est celui du financement du régime en vitesse de croisière, c'est-à-dire après 2037. À ce sujet, subsiste un très gros non-dit concernant l'État. Aujourd'hui, comme vous le savez, il n'y a pas réellement de cotisation de l'État employeur, mais une cotisation en quelque sorte implicite, estimée à 75 % si on calcule le solde budgétaire par rapport à la masse salariale. Si, en 2037, c'est une cotisation universelle à 28 % qui s'applique, cela va entraîner un énorme manque de ressources pour le système, de l'ordre de 45 milliards d'euros. Comment l'État employeur peut-il garantir qu'il surcotisera de manière régulière, et n'y a-t-il pas un risque de voir, dans la durée, la cotisation universelle payée par les employeurs et les salariés se transformer de 28 % en 29 %, 30 % ou 31 % ? Aujourd'hui, le projet de loi ne comporte aucune garantie sur ce point : le rapport Delevoye évoquait bien une surcotisation, mais on n'en sait pas davantage.
S'agissant des solutions de financement, je commencerai par préciser à Mme Autain que le coût du travail, c'est le coût des cotisations qui pèsent sur le travail, et non celui des salaires, qui créent effectivement de la richesse.
Je serais ravi d'avoir un débat avec vous sur les allégements, mais ce n'est pas le lieu ni le moment pour le faire. Je dirai simplement que les allégements de charges, au fond, sont comparables aux « niches » fiscales et sociales...
Vous voulez parler des cotisations sociales ? On ne peut pas appeler cela des « charges » : c'est un plaisir de partager la richesse nationale !
Si vous voulez... je n'ai pas l'intention de me livrer à une querelle sémantique avec vous.
Ce que je veux dire, c'est que nous ne sommes pas demandeurs des allégements de charges. Le problème, c'est que nous avons le taux de prélèvements obligatoires globaux le plus élevé au monde – c'est un fait... –,
..les niches étant faites pour en diminuer le coût. Supprimer les allégements reviendrait donc, en fait, à augmenter le coût du travail pour les employeurs et pour les salariés, et poserait un problème en termes de compétitivité – mais je sais bien que, sur ce point, nous ne serons jamais d'accord.
Pour ce qui est du cocktail, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, notamment à Laurent Berger, son principal ingrédient est une mesure d'âge, dont on peut discuter. En revanche, toutes les idées consistant à puiser dans les réserves me paraissent extrêmement dangereuses. Tout le schéma de financement repose, en effet, sur un taux de chômage de 7 % et un gain de productivité de 1,3 %, alors même que ces conditions ne sont pas réunies actuellement, et sur lesquelles personne ne peut s'engager, car il est impossible de dire quels seront le taux de chômage et le taux de croissance dans sept, dix, quinze ou vingt ans. Le cocktail est donc, je le répète, essentiellement une mesure d'âge.
Parmi les hypothèses émises, certaines reposent sur l'idée d'un échange de cotisations : on augmente la cotisation retraite en diminuant la cotisation accidents du travail. Ces hypothèses me paraissent baroques. D'abord, elles ne changent rien – c'est le sapeur Camember qui creuse un trou pour en boucher un autre. Surtout, la cotisation accidents du travail est extrêmement vertueuse, en ce qu'elle baisse quand les employeurs font des efforts pour améliorer les conditions de sécurité et réduire ainsi le nombre d'accidents du travail. Ces derniers ont d'ailleurs connu une très forte diminution, même si celle-ci s'est un peu ralentie depuis quelques années. Comme plusieurs de mes homologues, je suis donc très défavorable à cet échange de cotisations, et je considère qu'il serait beaucoup plus cohérent et logique que les excédents de cotisations accidents du travail soient utilisés pour la prévention de la pénibilité. C'est l'un des sujets dont nous discutons avec Mme Pénicaud.
En ce qui concerne les seniors, il est évident que si nous pouvions employer plus de monde partout, nous le ferions. Nous sommes d'ailleurs au-dessus de la moyenne européenne pour la tranche d'âge 55-60 ans, ce qui n'était pas le cas il y a dix ans – des progrès ont été faits, qu'il convient de saluer même s'ils restent insuffisants. Force est de constater qu'il y a aujourd'hui un problème spécifique pour la tranche 60-65 ans.
Cette question comporte en fait deux sujets.
D'abord, il faut savoir que sur une cohorte d'âge de 800 000 personnes, environ 350 000 ont déjà liquidé leur retraite en raison des dispositifs relatifs aux carrières longues. Ces personnes ne sont donc pas employables, à moins de les faire entrer dans un dispositif de cumul emploi-retraite, qui, à l'heure actuelle, n'est favorable ni pour l'employeur, ni pour l'employé. Ce n'est donc jamais 100 % d'une cohorte qui sont concernés, mais plutôt 60 %.
Par ailleurs, au sein de ces 60 %, le taux d'emploi du public est extrêmement faible ; celui du privé l'est un peu moins, mais il reste insuffisant. Sur ce point, les dispositifs proposés par le rapport Bellon sont intéressants, mais nous souhaiterions aller plus loin. Certaines entreprises, plutôt de grande taille et dans des secteurs qui se portent bien, ont mis en place des dispositifs de type 80-60 consistant à ce que, quelques années avant la retraite, un salarié ne travaille plus que 60 % du temps plein, pour 80 % de son salaire. Aujourd'hui, c'est évidemment l'entreprise qui finance l'essentiel du dispositif qui, sous cette forme, n'est donc pas adapté aux petites entreprises ou à celles appartenant à des secteurs moins profitables. Je considère cependant qu'il s'agit d'une bonne approche, car elle permet d'éviter une rupture brutale entre travail et retraite. Ce type de rupture est, en effet, défavorable aux entreprises, mais aussi aux salariés – des chiffres circulent sur le nombre important de dépressions consécutives au départ à la retraite, liées notamment à un manque de sociabilisation. C'est pourquoi une retraite progressive, au sens philosophique du terme, c'est-à-dire une retraite ayant été préparée en amont, nous apparaît comme une bonne idée, sur laquelle nous sommes disposés à avancer.
Pour ce qui est de la pénibilité, personne ne conteste – pas moi, en tout cas – le fait que les quatre critères retirés du C3P en juin 2017 constituent bien des éléments de pénibilité. Le problème, c'est que, dans la loi qui avait été votée sous le gouvernement précédent, était prévue une mesure individuelle de la pénibilité qui était absolument impossible à mettre en oeuvre, a fortiori dans les petites entreprises, car elle impliquait une surveillance, pour ne pas dire un « flicage » des salariés. Aujourd'hui, on a retenu le principe d'une visite médicale, et la question de la pénibilité est donc abordée sous l'angle de la réparation plutôt que sous celui de la prévention.
Je ne sais pas si le dispositif actuel peut faire l'objet d'améliorations, mais une chose est certaine : on ne peut revenir à l'idée de la mesure individuelle, qui est complètement impraticable, comme l'a dit Laurent Berger lors d'une interview la semaine dernière. On peut toujours ouvrir des discussions au niveau des branches ou des entreprises, on en revient au problème du financement : dès lors qu'on augmente le nombre de personnes qui partent avant un âge d'équilibre, légal ou pivot, il faut qu'il y ait, en contrepartie, des personnes qui partent après cette limite. La discussion devient tout de suite compliquée, car on peut difficilement imaginer que tous les cadres restent jusqu'à 70 ans, tandis que les ouvriers partent à 60 ans : ce n'est concevable ni en termes d'organisation de l'entreprise, ni pour le consensus social, ni au regard de l'équité en général.
Je signale que, sur le thème de la santé au travail, le MEDEF ouvre, le 4 février prochain, une négociation à laquelle les organisations syndicales et patronales sont invitées à prendre part. Il s'agira d'évoquer l'organisation des services de santé au travail, mais aussi l'ensemble des sujets de prévention.
Le sujet de la capitalisation suscite beaucoup de fantasmes auxquels il faudrait tordre le cou une bonne fois pour toutes. Je pense, en particulier, à l'idée selon laquelle on pourrait passer du régime actuel par répartition à un régime de capitalisation, ce qui est tout à fait impossible – je ne dis pas que je ne le souhaiterais pas, mais c'est une autre histoire... L'instauration d'un double système impliquerait que les gens cotisent deux fois car, dans le système par répartition, les salariés cotisent pour payer la retraite de ceux qui sont à la retraite.
Certes, il existe aujourd'hui un régime de capitalisation limité financièrement et réservé aux fonctionnaires, la PRÉFON, mais, en dehors de ce régime, la question de ce qui va se passer pour les personnes percevant un revenu supérieur à 120 000 euros annuels – cela représente environ 220 000 cadres du privé et 100 000 indépendants – est totalement ouverte. La première chose que vont faire ces personnes exerçant dans le privé, et disposant grâce à leur expertise professionnelle d'une très grande mobilité, souvent internationale, c'est nous dire : « Puisque je perds tous mes droits à la retraite entre 3 et 8 PASS, qu'est-ce que vous me donnez pour compenser ? ». Cela nous oblige à nous demander si un système de capitalisation ne pourrait pas venir compenser les droits perdus par ces personnes, qui représentent moins de 1 % des salariés.
Elles vont effectivement subir une perte, puisqu'à l'exception de la cotisation de solidarité universelle, elles ne s'acquitteront d'aucune contribution entre 3 et 8 PASS.
J'insiste sur le fait que, contrairement à ce que j'ai entendu dire tout à l'heure, nous n'étions pas demandeurs d'un régime par capitalisation – je n'y ai jamais cru. Nous souhaitions l'autonomie de la répartition, c'est-à-dire la bonne gestion, régime par régime – fonctionnaires, salariés et indépendants. Je le répète, j'estime impossible de passer de la répartition à la capitalisation. Je ne sais pas ce qui va se passer – cela fait partie des discussions à venir –,...
..mais il est certain qu'avec ces profils mobiles et employables à l'échelle internationale, les employeurs vont se trouver confrontés à une difficulté spécifique, venant s'ajouter au problème de compétitivité qu'ils connaissent déjà, et dont ils pourront difficilement se désintéresser.
Je conclus en invitant tous les parlementaires intéressés à venir nous rencontrer, en précisant que nous sommes ouverts aux discussions de toute nature.
S'agissant de la gouvernance, bien évidemment, on voit évoluer progressivement le paritarisme vers une sorte de tripartisme. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas spécifique à la question des retraites : on le vit déjà au niveau de l'UNEDIC, mais aussi de France compétences, l'instance de gouvernance de tout ce qui touche à la formation et à l'apprentissage. À la CPME, nous avons toujours pensé que pour faire accepter au plus grand nombre les réformes dont le pays a besoin, il fallait s'appuyer sur des corps intermédiaires constitués, positionnés en responsabilité. C'est pourquoi nous portons depuis longtemps un projet visant à ce que, demain, tout ce qui est en gestion paritaire soit placé sous le signe de la responsabilité, de l'indépendance et de la transparence, ce qui correspond exactement au modèle de l'AGIRC-ARRCO – un modèle où l'on n'a pas le droit de s'endetter et où l'on s'affranchit de la garantie de l'État. C'est pourquoi, en ce qui concerne la réforme des régimes de retraite, nous avons toujours été favorables à un régime universel, mais en conservant ce qui fonctionne déjà – et je pense que les partenaires sociaux rendent un grand service à l'exécutif et au pays en faisant en sorte de prendre leurs responsabilités.
Nous n'avons jamais défendu un régime par capitalisation : ce que nous souhaitons, c'est la mise en place d'un régime complémentaire obligatoire – exactement le schéma actuel de l'AGIRC-ARRCO. En tout état de cause, le mot « capitalisation » n'est pas un gros mot, et c'est un système qui fonctionne, comme le montre la PREFON.
La pénibilité a fait l'objet, il y a quelques années, de beaucoup d'échanges et de débats. On ne peut évidemment pas balayer la question d'un revers de la main. J'aimerais avoir la facilité intellectuelle de considérer que le droit de partir à 60 ans doit être accordé à tous ceux qui ont été exposés d'une manière ou d'une autre à un facteur de pénibilité. Le seul problème, mais il est de taille, réside dans le financement d'un dispositif pouvant concerner du jour au lendemain des centaines de milliers d'actifs. Si vous faites porter à l'entreprise la responsabilité de déterminer qui doit bénéficier ou non des dispositions relatives à la pénibilité, cela risque de poser problème. En tant qu'employeur, je ne me vois pas dire à Paul qu'il a droit à des points de pénibilité, et à Pierre qu'il n'est pas suffisamment exposé pour en recevoir : j'aurais plutôt tendance à accorder des points de pénibilité à tout le monde ! Or je ne serais pas le seul à le faire, si bien que l'on ne pourrait jamais financer la pénibilité. Par ailleurs, il serait anormal que les salariés ayant bénéficié de mesures de prévention mises en place par leur employeur partent en retraite plus tard que ceux qui n'en ont pas bénéficié. En raisonnant par l'absurde, cela risquerait d'avoir pour effet pervers de rendre plus intéressant de travailler au sein d'une entreprise qui se serait abstenue d'en prendre !
Si vous reportez la responsabilité de la pénibilité sur les branches, demain, ce sera la guerre des branches : pourquoi un banquier ou un assureur accepterait-il de payer pour une entreprise de charpente-menuiserie ? J'ai bien conscience qu'en vous donnant cet exemple, je me mets un peu à la place du MEDEF, car la CPME n'a pas vraiment le monopole des banques et des assurances, mais j'espère ainsi vous faire comprendre que nous n'avons pas d'autre choix que de mutualiser.
Toute la question est de savoir comment procéder, puisque la pénibilité ne peut pas s'apprécier au niveau de l'entreprise, et qu'on ne peut faire porter son évaluation au niveau des branches, où ce serait une cause de conflits. Dès lors, la seule solution envisageable paraît être de constituer un référentiel des métiers au niveau interprofessionnel, et de dire que d'avoir pratiqué tel ou tel métier durant un certain nombre d'années ouvre droit à des points supplémentaires, donc à un départ en retraite anticipée. Cela dit, je suis bien incapable de vous dire où l'on doit placer le curseur, car je ne dispose pas des moyens de mesure qui me permettraient éventuellement de le faire.
Cette question fera partie de celles qui seront abordées au cours de la conférence sur le financement. Dès que nous avons été saisis de cette proposition, j'ai posé pour condition que nous disposions en temps réel des moyens de calculer les projections pouvant être construites sur la base des idées apportées par les uns et les autres. Lorsque nous négocions sur l'UNEDIC, les services de l'UNEDIC sont là pour nous dire immédiatement ce qui fonctionne et ce qui pose problème. Nous avons besoin exactement du même type d'accompagnement dans le cadre de la négociation à venir.
Cela dit, il ne faut pas oublier qu'il existe quarante-deux régimes différents, chacun ayant ses spécificités. La transition n'aura donc rien de simple, et je pense que personne n'est en mesure de dire comment elle pourrait être réglée de façon collective. Il va falloir entrer dans chaque dossier et, pour chacun d'eux, voir ce qui peut être fait, tout en essayant de préserver une certaine cohérence globale. Nous avons toujours eu conscience de cette difficulté, c'est pourquoi nous avons considéré dès le départ que la réforme envisagée était ambitieuse, certes, mais peut-être un peu trop...
Pour ce qui est de l'emploi des seniors, je vous suggère de donner la parole à notre collègue Éric Chevée, chef d'entreprise, qui a travaillé sur cette question.
Le rapport sur l'emploi des seniors, remis récemment à Muriel Pénicaud par Sophie Bellon, présidente du conseil d'administration du groupe Sodexo, était intitulé « Favoriser l'emploi des travailleurs expérimentés ». À mon sens, cela montre que nous devrions commencer à changer un peu nos codes et nos habitudes en matière d'âge et de carrière. La durée de la vie ayant beaucoup augmenté au cours de ces dernières années, il n'est sans doute plus opportun de considérer qu'on est senior à 45 ans ou même à 50 ans dans certains référentiels. La question n'est pas seulement sémantique : nous devons vraiment porter un regard différent sur la gestion de la carrière après 40 ans, et peut-être envisager une seconde partie de carrière qui pourrait être aussi longue que la première et qui, assortie de certains dispositifs de reconversion mis au point en tenant compte des spécificités de l'entreprise concernée et de la vie du salarié, permettrait à celui-ci de continuer à exercer une activité jusqu'à 64 ou 65 ans.
Je fais miens les chiffres et les remarques du président du MEDEF sur le taux d'emploi entre 60 et 65 ans : effectivement, la France est le pays où l'on part en retraite le plus jeune, ce qui fait que le taux d'emploi des personnes situées dans cette tranche d'âge est plutôt faible – il est d'ailleurs à noter que les précédentes réformes ayant fait reculer l'âge de la retraite ont eu l'effet inverse sur ce taux d'emploi, qu'elles ont fait remonter de façon mécanique.
Nous estimons qu'il n'est plus envisageable qu'un salarié exerce un métier pénible toute sa vie durant. Cela dit, les choses ne sont pas aussi simples que cela, car il y a des gens qui aiment leur métier et n'ont pas envie d'y renoncer, même lorsqu'il est difficile. Il faut donc prévoir des dispositifs s'inspirant de ceux que François Asselin a présentés tout à l'heure, permettant aux personnes qui préféreraient exercer le même métier durant toute leur vie professionnelle de partir un peu plus tôt. Bien évidemment, il est toujours préférable de considérer les choses du point de vue de la prévention plutôt que de la réparation, et c'est un principe que la CPME défendra dans le cadre de la négociation qui va s'ouvrir sur la santé au travail : si les systèmes de réparation sont nécessaires, ils n'ont vocation à être mis en oeuvre que secondairement, la prévention devant constituer une priorité.
Évidemment, les seniors – j'ai moi-même du mal à abandonner ce terme – ont la particularité de rester plus longtemps au chômage. C'est donc qu'il existe des freins à l'embauche des travailleurs plus expérimentés, d'autant qu'ils coûtent plus cher. Les chiffres transmis par le ministère du travail concernant les ruptures conventionnelles et les licenciements économiques entre 58 et 60 ans sont impressionnants. Le régime d'assurance chômage constitue ainsi, de fait, un quarante-troisième régime d'assurance retraite. Lors des réunions au ministère, tous les partenaires sociaux, employeurs et salariés, étaient d'accord pour convenir que nous avons construit ce système par facilité. Avec la réforme, on ne peut pas conserver le même état d'esprit.
Nous devons donc modifier en profondeur notre approche de l'emploi des seniors. Nous proposons explorer deux pistes : diminuer le coût du travail et mutualiser le risque d'inaptitude. Si l'entreprise conserve des travailleurs âgés, elle pourrait bénéficier d'une réduction progressive de ses cotisations d'assurance chômage jusqu'à l'âge de la retraite. La mutualisation du risque d'inaptitude permettrait, quant à elle, de faciliter l'embauche des travailleurs expérimentés. Quand vous embauchez un travailleur âgé dans une entreprise, vous prenez un risque supplémentaire qu'une inaptitude survienne plus rapidement. C'est flagrant dans certains métiers, le président Asselin pourra vous le confirmer. Or la dernière entreprise supporte la totalité du risque. Nous proposons de le mutualiser sur la carrière antérieure, dans le cadre de la réforme de la santé au travail.
Beaucoup de questions tournent autour de l'emploi des seniors et de la pénibilité. On parle des « entreprises », mais on ne gère pas les entreprises de moins de 20 salariés, souvent adhérentes de l'U2P, comme on gère une entreprise de 10 000 ou 100 000 salariés, notamment s'agissant de l'emploi des seniors. Notre enjeu, c'est de fidéliser nos personnels. Je ne connais pas un artisan qui veuille se séparer de son salarié de 61 ou 62 ans ! Il en a besoin, car il a du mal à trouver des remplaçants.
Pour autant, nous reconnaissons volontiers que, dans certaines professions compliquées, la situation peut être difficile pour les salariés, même s'ils aiment leur métier. Dans une entreprise qui emploie trois carreleurs, il est impossible de proposer une autre activité que carreleur. Nous souhaiterions ouvrir cette possibilité par le biais de groupements d'employeurs. Cette proposition, qui demande à être analysée du point de vue de l'équilibre financier et des modalités d'accompagnement, permettrait à certains de nos salariés de changer de métier sans être pénalisés.
S'agissant des femmes, j'aurais aimé être agréable avec chacun d'entre vous, mais je me permets de vous rappeler l'épisode peu satisfaisant de la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »). Depuis de très nombreuses années, dans les métiers de l'artisanat, comme nos collègues agriculteurs, nous avons lutté pour la reconnaissance du statut du conjoint. Malheureusement, dans nos entreprises, bien des femmes ont exercé des métiers sans aucune garantie, ni aucune reconnaissance. Le statut du conjoint, il a fallu que nous bataillions beaucoup pour l'obtenir du Parlement. Il n'a d'ailleurs été octroyé, par défaut, qu'aux nouveaux créateurs. Je regrette qu'à l'occasion de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, les parlementaires n'aient pas accepté la cotisation minimale pour les conjoints ; elle leur aurait permis de disposer de garanties propres et aurait constitué une réelle avancée.
En ce qui concerne la pénibilité, je partage les propos de mes collègues. La mesure en est impossible dans l'entreprise, mais nous sommes très favorables à la prévention. Ainsi, dans le bâtiment, la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment a mis en place un organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, cogéré avec la Fédération française du bâtiment, dont toute la branche se félicite. Il permet d'améliorer grandement les conditions de travail des salariés. Plutôt que de toujours vouloir sanctionner, il conviendrait de prévenir. M. Maire a émis l'idée d'appliquer l'équivalent du principe pollueur-payeur pour la pénibilité, en faisant payer davantage les entreprises qui comportent des métiers dits pénibles. Il faut bien y réfléchir, car les Français qui n'occupent pas ces métiers pénibles sont contents de bénéficier des prestations de ceux qui les exercent ! La prévention et la mutualisation nous semblent plus intéressantes que la sanction.
Philippe Vigier nous interroge sur les garanties. Nous n'en avons pas, car, en vertu du principe démocratique, toute loi peut évoluer. Il n'empêche, nous préférerions que l'assiette de cotisation et les modalités d'utilisation des réserves figurent dans la loi plutôt que dans l'ordonnance.
Tant mieux ! J'espère que votre position sera majoritaire.
Vous nous avez interrogés sur les cotisations des stagiaires. Dans nos métiers, nous avons l'habitude d'embaucher des jeunes, en particulier en apprentissage, mais les cotisations sociales ne sont pas payées par l'entreprise, dans cette configuration. Si, demain, les entreprises doivent payer des cotisations pour l'emploi de stagiaires, il risque de ne plus y avoir d'offres de stage... Cela ne signifie pas que les stagiaires ne bénéficieront pas de points.
Quant à la gouvernance, nous ne sommes pas naïfs : malheureusement, sauf si les partenaires sociaux se montrent capables de décider, notre autonomie risque de devenir virtuelle.
Je me retrouve dans les réponses déjà formulées. Je m'en tiendrai donc aux questions concernant le monde agricole.
Monsieur Turquois, le statut du conjoint collaborateur est en voie de disparition et s'érode de 9 % par an ; 70 % des bénéficiaires ont plus de 50 ans. Notre position à son sujet est très claire : s'il faut continuer à accompagner les bénéficiaires, nous sommes bien conscients que ce statut est amené à disparaître. Nous n'y sommes pas accrochés et, compte tenu des améliorations qu'a apportées l'association entre époux, nous considérons qu'il devrait être provisoire, par exemple limité à une période de trois ans pour permettre à une épouse de revenir sur l'exploitation après avoir élevé ses enfants et de développer une activité de diversification. Aujourd'hui, soit l'exploitation est capable de rémunérer un salarié ou un associé, soit la personne concernée doit trouver d'autres solutions.
Monsieur Maire, je n'ai pas parlé de retraite progressive, mais de la liquidation. Le dispositif de retraite progressive nous convient, d'autant qu'il concerne moins de 1 % de la population agricole et que les agriculteurs travaillant sous une forme sociétaire en sont exclus. Le problème que j'évoquais est différent : il s'agit des agriculteurs qui liquident leur retraite et doivent, en conséquence, céder l'intégralité de leurs surfaces. Dès que l'on démembre des exploitations, elles ne sont plus reprenables par des jeunes, ce qui est extrêmement pénalisant.
Monsieur Vallaud nous a posé une question sur le taux de cotisation. Depuis sa création, nous ne sommes pas d'accord avec l'assiette « super-brute » de la CSG, qui ne correspond à rien. Aujourd'hui, elle constitue, pour nous, une marge de manoeuvre dans la négociation des taux : plutôt que de payer de la CSG à fonds perdus, nous préférons faire passer nos cotisations retraite de 21 % à 28 %. Nous espérons bien que le Gouvernement prendra un engagement ferme sur ce point. Pour nos adhérents, cela signifierait une hausse globale des cotisations sociales de 1,5 à 2 %, voire une baisse de cotisations pour les plus bas revenus. Nous y sommes donc favorables.
Le taux d'emploi des 60-64 ans est de 32 % en France, bien au-dessous de la moyenne européenne de 45 %. Pourtant, des mécanismes existent – cumul emploi-retraite et retraite progressive – mais ils sont peu utilisés. Seules 18 000 personnes étaient en retraite progressive en 2018, alors que tout le monde s'accorde sur l'intérêt du dispositif.
Comment allez-vous vous emparer de ces améliorations légales ? Comment les rendre plus effectives ? Que pensez-vous de l'accent mis sur la question de l'emploi des seniors dans le cadre de la gestion des emplois et des parcours professionnels ? De l'instauration d'un cadre obligatoire pour le dialogue collaborateurs-employeurs afin de préparer la fin de carrière ? De l'encadrement des délais de réponse ? De dispositions particulières afin de favoriser la retraite progressive dans les très petites et petites et moyennes entreprises ? Comptez-vous mobiliser les moyens offerts par la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage portée par la majorité ?
Je vous ai entendus dire, quasi unanimement, votre inquiétude concernant le déséquilibre financier de notre système de retraite. Je vais commencer par vous rassurer : on parle d'un déficit potentiel de 8 à 17 milliards d'euros d'ici à 2025 sur un total de 330 milliards. Par comparaison, je pourrais également vous parler des 127 milliards de réserve, des 42 milliards d'encours bancaires pour les retraites chapeaux ou des 60 milliards de dividendes versés aux actionnaires du CAC40 l'an dernier. Oui, la question du financement des retraites est bien celle de la répartition des richesses...
Je pourrais aussi interroger le fruit de ce déficit, qui est avant tout une construction politique. Monsieur Roux de Bézieux, je vous ai entendu dire à plusieurs reprises dans les médias que la seule solution était une mesure d'âge. Non, ce n'est pas la seule solution : c'est la vôtre ! Certes, l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, ou la hausse des salaires et des cotisations ne sont pas vos solutions, mais ce sont des solutions. Votre opinion n'est pas forcément majoritaire ; admettez que votre solution n'est pas la seule.
Avez-vous des propositions à formuler pour éviter l'effet de seuil du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue ? Pour une même durée de travail, si le salarié a commencé à travailler quelques jours, voire quelques mois, après ses 20 ans, il ne pourra plus partir à 60 ans à taux plein, mais devra attendre l'âge d'équilibre, et donc peut-être 64 ans.
Comment appréhendez-vous le financement des pensions des 320 000 hauts revenus entre 3 PASS et 8 PASS, c'est-à-dire supérieurs à 10 000 euros ? Il ne faudrait pas qu'il incombe à l'ensemble des assurés du fait de la période de transition de vingt ans.
Ce n'est un secret pour personne, en 2017, les organisations patronales ont pesé de tout leur poids pour vider le C3P de l'essentiel de son contenu. À l'époque, une expression avait fait florès : « usine à gaz ». Il est vrai que le dispositif méritait d'être réajusté sur les mesures individuelles. L'ironie de l'histoire, c'est que, l'usine à gaz aujourd'hui, c'est le projet de loi de réforme des retraites ! Même le Conseil d'État souligne que ce fameux système universel comporte cinq régimes dérogatoires et autant de règles spécifiques...
Comment redonner de la vitalité au désormais C2P ? Ce dispositif aujourd'hui malthusien n'a concerné que 2 000 personnes en 2018 et 2 000 en 2019 ; 2 000 salariés en incapacité physique permanente ont également bénéficié d'un départ en retraite anticipé. Vous avez évoqué des négociations interprofessionnelles et une approche par métier. C'est très intéressant. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La pension de droit direct des femmes est inférieure de 42 % à celle des hommes, et de 29 % lorsqu'on intègre la pension de réversion. Je suis sûre que vous partagez notre objectif de réduire ces inégalités. Lorsqu'on s'intéresse aux mécanismes de ces réductions, il est fondamental de ne pas essentialiser les femmes en ne les percevant que comme des mères. Les inégalités salariales s'expliquent, bien sûr, par leur condition de mère, mais aussi simplement parce qu'elles sont des femmes. Il faut donc agir sur ce levier. Il faut également mieux prendre en compte la pénibilité de certains métiers : aides-soignantes, hôtesses de caisse, aides ménagères.
En son article 27, le projet de loi comporte une disposition prévoyant qu'un employé à temps partiel pourra cotiser sur la base de ce que serait sa rémunération à temps plein, ce qui est de nature à corriger les effets du temps partiel subi. Rappelons-le, en 2018, 29 % des femmes ayant un emploi travaillaient à temps partiel, soit plus de trois fois plus que les hommes.
La Confédération française démocratique du travail préconisait de sécuriser ce dispositif : seriez-vous prêt à le systématiser par le biais d'un accord interprofessionnel, afin que cette possibilité soit universalisée ?
Je souhaiterais évoquer l'intégration des professionnels libéraux dans la réforme. Disposeront-ils d'un siège au sein de la gouvernance ?
On évoque la création d'un régime complémentaire obligatoire. La Caisse autonome de retraite des médecins de France, qui réunit déjà plus de 120 000 adhérents, et le Conseil de la protection sociale des professions libérales constitueront-ils des outils permettant véritablement aux professionnels libéraux de se positionner à l'intérieur de ce régime universel ?
Je voudrais saisir l'opportunité de l'instauration du régime universel de retraite par points pour évoquer le concept des « points tutorat », à côté des points de retraite et des points liés à la pénibilité. Dans les métiers à haute intensité de main-d'oeuvre de l'artisanat et de l'industrie, il faut encourager le savoir-faire manuel. Un salarié à deux ou trois ans de sa retraite pourrait ainsi avoir intérêt à valoriser le temps qu'il consacre en tant que tuteur à des jeunes apprentis ou alternants. Le jeune y gagnerait, mais aussi l'entreprise, dans son rôle social. Ce serait également une façon de proclamer que le travail n'est pas toujours aliénant, car ces métiers à haute intensité de main-d'oeuvre sont très beaux !
La réforme des retraites ne peut pas être déconnectée de la politique de l'emploi, vous l'avez tous évoqué. À l'une des deux extrémités du parcours professionnel, comment améliorer le taux d'emploi des 60-65 cinq ans ? Comment améliorer le « passage de témoin », le transfert du savoir-faire vers le jeune ? Notre pays perd trop de compétences au moment du départ des seniors, ce qui justifie le magnifique plaidoyer de Thierry Benoit en faveur du tutorat. À l'autre extrémité, la recherche du premier emploi conditionne l'âge d'entrée sur le marché du travail, et donc l'âge de départ à la retraite. Nos jeunes doivent souvent suivre un véritable parcours du combattant pour trouver une entreprise dans le cadre de leur formation en alternance. N'est-ce pas la responsabilité sociale de l'entreprise ?
Pour conclure, je reviendrai sur la retraite à 1 000 euros. Telle qu'elle est conçue dans le projet de loi, il faut être conscient que la mesure exclut 50 % des agriculteurs en activité et 2,5 millions de retraités agricoles. Nous devons y remédier.
Ma première question s'adresse au représentant de la FNSEA. Les agriculteurs sont souvent mis en avant dans la communication gouvernementale, pour faire passer la pilule. Or, en réponse à une question hier, le ministre a indiqué que les retraités actuels et les 500 000 à venir, avant la transition, toucheraient l'allocation de solidarité aux personnes âgées, sous condition d'âge. Son montant est de 903 euros ; les revenus du couple et les biens dont le demandeur a fait donation sont pris en compte ; les sommes versées sont récupérées sur la succession après le décès du bénéficiaire. Qu'en pensez-vous ? Est-il tenable de proposer cette solution aux agriculteurs, qui ont été bercés d'illusions ?
Vous êtes attachés, les uns et les autres, à la règle d'or budgétaire. Avez-vous étudié l'impact du renforcement de l'emploi des seniors dans la fonction publique territoriale ? J'ai été maire et je sais que les réformes ont toujours des conséquences financières pour les collectivités. Comment les compenser ?
Monsieur Roux de Bézieux, vous estimez qu'il n'est pas imaginable que tous les cadres partent à 67 ans et tous les ouvriers à 60.
J'ai dit 70 ans.
C'est pourtant le coeur du sujet, et tout à fait imaginable si l'on tient compte de leur différence d'espérance de vie en bonne santé, qui est de six ans et demi.
A contrario, vous paraît-il logique que, dans les termes actuels du projet de loi, avec un âge d'équilibre fixé à 65 ans, un ouvrier qui commence à travailler à 20 ans et qui cotise quarante-trois ans perde 10 % de sa pension, alors qu'un cadre qui débute à 24 ans aura droit à un bonus de 10 % en cotisant sur la même durée ? La pédagogie est importante, car beaucoup de Français regardent nos travaux. Or le ministre n'a pas répondu à cette question que je lui ai posée hier.
Je souhaiterais revenir sur les salaires compris entre 3 et 8 PASS. Quelles mesures les organisations patronales ont-elles proposé pour participer au financement du système et compenser la baisse des cotisations sur ces salaires ?
Nous avons beaucoup parlé des transitions, de l'accompagnement des seniors, mais qu'en est-il des personnes vieillissantes en situation de handicap, fragiles, qui actuellement partent beaucoup plus tôt ?
Comment développer la retraite progressive, qui ne concerne actuellement que 18 000 salariés ? Nous rencontrons un problème technique pour les cadres soumis au forfait jours ; une mesure législative serait nécessaire.
Plus globalement, le problème est culturel : dans la majorité des cas – peut-être moins dans les petites entreprises –, l'employeur ne connaît pas l'âge auquel le salarié veut liquider sa retraite. Nous avons donc proposé à Sophie Bellon un entretien obligatoire afin d'inciter le salarié à déclarer son intention de partir en retraite au moins deux ans avant. Sans quoi, il est très difficile pour un employeur de mettre quoi que ce soit en place.
Un autre élément est d'ordre culturel. En Suède, et plus globalement en Europe du Nord, lorsqu'ils sont à quelques années de la retraite, les salariés acceptent souvent une réduction de leurs responsabilités, et parfois la réduction de salaire qui va avec, tout en participant à la transmission. Nous avons beaucoup d'efforts à faire de part et d'autre. Nous ne parlons pas assez de retraite avec nos salariés. Or, en parler, c'est commencer à imaginer des systèmes de tutorat, de retraite progressive, de cumul emploi-retraite, etc.
Concernant les salaires au-delà de 3 à 8 PASS, je peux partager votre perplexité quant à la complexité que constitue la disparition des cotisations patronales et salariales de tous les salariés concernés : cela ne se fera pas du jour au lendemain ; il y aura une transition, mais la durée n'en est pas précisée. Si le passage des 28 % de cotisations patronales et salariales aux 2,80 % de cotisation de solidarité dure vingt ans, la baisse sera régulière, d'environ 1 % par an. En conséquence, la perte de ressources pour le régime général sera progressive, et normalement accompagnée. Mais il ne faut pas oublier le problème de la perte de prestations, auxquelles ces cotisations ne donnent plus droit. Or, dans un système par répartition, les prestations sont différées, ce qui soulève un problème de financement. Celui-ci doit faire partie de la conférence sur le financement.
En outre, ces salariés vont demander une compensation de leurs pertes en taux de remplacement. En l'état actuel du droit, la loi « PACTE » permet à l'employeur, comme au salarié, de ne défiscaliser qu'une partie de l'abondement d'un dispositif par capitalisation. Si la mesure prenait effet du jour au lendemain, brusquement l'incrément de salaire net pour le salarié serait fiscalisé. Nous y réfléchissons, mais n'avons pas de réponse pour le moment. Et le cas des indépendants est encore différent.
Vous avez raison, nous avons encore des efforts à faire concernant l'emploi des jeunes et des seniors. Malgré tout, les chiffres de l'apprentissage sont très favorables en 2019, même s'ils pourraient être encore meilleurs. Il faut développer cette culture, notamment dans les services, qui disposent de moins de centres de formation des apprentis. Objectivement, l'industrie et le bâtiment ont déjà cette culture de l'emploi des jeunes et l'alternance y est très développée.
Madame Dumont, je ne suis pas médecin, mais l'espérance de vie n'est pas uniquement liée au travail. Elle est fonction d'autres facteurs : lieu d'habitation, comportement, hygiène alimentaire, etc. En outre, l'écart de départ à la retraite existe déjà avec les dispositifs actuels. Je n'ai plus le chiffre exact en tête, mais il est de trois ou quatre ans. Ensuite, on bascule dans un débat technique, mais avant tout philosophique : quel est le juste écart ? En étirant trop les âges de départ par catégories socioprofessionnelles et par métier, on crée une rupture dans le pacte républicain du régime par répartition, complexe à maintenir. Il n'existe pas de bon écart de départ à la retraite.
Je ne suis pas d'accord, les carrières longues ne sont pas toutes des carrières pénibles – même si je n'aime pas le terme de « pénibilité ». Souvent dans la fonction publique, mais aussi dans le privé, on peut avoir commencé à travailler tôt, mais sans occuper un poste physiquement usant. À l'inverse, même si c'est plus rare, on peut avoir commencé à travailler tard et avoir un métier usant. Ne confondons pas les deux.
Actuellement, c'est essentiellement le dispositif de retraite anticipée pour carrière longue qui permet à un tiers des salariés du privé de partir avant l'âge légal, car le C2P a démarré récemment.
Sur les dispositifs relatifs à la pénibilité, vous avez raison, porter des charges lourdes est un élément d'usure, mais il ne peut pas être mesuré individuellement. On peut réfléchir par métier, mais si beaucoup de salariés partent par anticipation, l'équilibre général est en danger.
En conclusion, même si cette formule est un peu frustrante, le débat était très intéressant. Si la présidente le souhaite, nous pouvons renouveler l'expérience. En tout cas, je réitère mon invitation aux différents groupes parlementaires à venir débattre avec nous.
Il nous reste éventuellement lundi, dans la nuit, pour organiser une deuxième table ronde...
Le travail de nuit est un facteur de pénibilité !
Au-delà des ajustements techniques nécessaires pour les salariés en forfait jours, dans nos PME, nous constatons que les salariés ne sont pas particulièrement enclins à basculer en retraite progressive. Ils préfèrent la formule du cumul emploi-retraite. Je l'ai constaté à plusieurs reprises, les salariés veulent tout de suite liquider leur retraite et, ensuite, décident de revenir travailler ou non dans l'entreprise. Dans mon entreprise de menuiserie-charpente, quand ils acceptent de revenir, ils veulent choisir leur chantier ou leurs conditions de travail, certains préférant par exemple rester à l'atelier, ce que je peux tout à fait comprendre. Ainsi, on « s'arrange ». Un de mes salariés parti en retraite fin décembre va revenir travailler en 2020, mais à ses conditions. Je l'ai accepté.
En l'état actuel du droit, lorsqu'il cumule emploi et retraite, le salarié n'augmente pas ses droits à la retraite.
Oui, alors que, dans le futur dispositif, ce sera le cas, ce qui est très positif. Nous sommes d'autant plus intéressés par ces dispositifs que nous n'arrivons pas à trouver les compétences dont nous avons besoin. Je m'inquiète un peu pour les cinq prochaines années, car, dans mon entreprise, je ne vends que le savoir-faire de mes gars. Et je ne suis pas un cas isolé : dans tous les secteurs, beaucoup d'entrepreneurs rencontrent les mêmes difficultés de recrutement.
Comme vous, je croyais beaucoup au tutorat de « l'ancien », qui transmet son savoir-faire. Mais ce n'est pas toujours ce qui fonctionne le mieux. Parfois, le meilleur tuteur n'est pas celui qui est à deux ans de la retraite, mais celui qui, dans la pleine force de l'âge, a encore envie de progresser dans son métier et de le transmettre. Il n'y a donc pas forcément de corrélation entre l'âge et l'envie de transmettre. Mais pour ceux qui le souhaitent, c'est un dispositif auquel on peut réfléchir.
La pénibilité, commençant à être un vieux syndicaliste – cela fait cinq ans que je suis à la tête de la CPME et je suis reparti pour cinq ans –, j'ai eu à en connaître sous une autre législature et un autre Président de la République. Lors de mon premier rendez-vous en tête à tête avec François Hollande, j'avais apporté une fiche individuelle d'exposition à certains facteurs de risques professionnels, dite fiche pénibilité, et lui avais demandé de m'accorder 5 ou 10 minutes afin d'essayer de la remplir ensemble. En moins de 3 minutes, il avait compris que c'était impossible !
Ne nous trompons pas collectivement, on peut imaginer plein de solutions très séduisantes sur le papier mais impossibles à mettre en oeuvre en pratique : c'est une aporie, il n'y a pas de solution. À l'époque, j'ai dépensé beaucoup d'énergie pour expliquer à la personne missionnée par le Gouvernement pour nous faire accepter le dispositif que je ne voyais pas comment il pouvait fonctionner. Je lui ai même proposé à trois reprises de venir sur un de mes chantiers parisiens afin de remplir ensemble ces fiches. Malheureusement, je n'ai jamais eu de réponse, mais elle se serait vite rendu compte que c'était impossible.
C'est un fait, certains métiers sont physiquement plus exposés que d'autres. Nous devons tenter de répondre collectivement, et de façon pragmatique, à cette problématique, sans mettre le bazar dans les entreprises, où cela se passe bien avec nos salariés, ni entre les branches, alors que cela se passe bien au niveau interprofessionnel. C'est pourquoi la CPME réfléchit à une approche par métier, mais nous n'allons pas nous amuser à calculer les critères d'exposition des différents métiers. Nous avons besoin d'éléments factuels de simulation pour savoir où placer le curseur s'agissant du nombre d'années d'exercice du métier pour être éligible au dispositif.
Concernant les carrières longues, je vous confirme que certains de mes collaborateurs sont partis en retraite anticipée grâce à une longue carrière sans avoir exercé un métier physiquement exposé. Il est important de corréler les deux – facteur d'exposition et carrière longue – pour répondre le plus justement possible à la problématique de la pénibilité.
Dans la future gouvernance, a priori, un siège est prévu pour les professions libérales. C'est tout à fait normal, car les libéraux et indépendants représentent 3 millions de personnes dans notre pays. S'agissant des caisses complémentaires obligatoires, la CPME a plaidé auprès du Premier ministre afin de maintenir la possibilité de mettre en place un régime complémentaire autonome, comme certains ont su le faire jusqu'à maintenant dans le cadre de leur régime.
Pour conclure, la CPME est tout à fait prête à renouveler l'exercice. Nos portes vous sont également ouvertes. Le débat est permanent dans nos instances, et la démocratie y est très participative. N'hésitez pas à nous solliciter. Nous aurons probablement l'occasion de nous revoir, car le débat ne fait que commencer.
Monsieur Da Silva, pour gommer l'effet de seuil, il n'y a pas beaucoup d'autres solutions que de faire sauter le seuil...
Monsieur Door, l'U2P a beaucoup travaillé sur la question des professionnels libéraux. Nous avons obtenu du Gouvernement, d'abord, la possibilité de négociations par profession, indispensables. Ensuite, au sein du nouveau régime, outre la présence de libéraux au sein de la délégation U2P, nous avons obtenu une participation spécifique des libéraux au conseil d'administration. La création d'un conseil de la protection sociale des professions libérales est plutôt une bonne chose. Nous souhaitons qu'une association des professions libérales, organisation représentative, puisse y siéger. Nous appuyons également leur demande de création d'un régime complémentaire – seulement au-delà de 3 PASS pour le moment –, la décision devant être prise par chaque branche. Nous analysons la possibilité, pour les branches qui n'y adhéreraient pas, de permettre à un indépendant, à titre individuel, d'y adhérer.
L'U2P reste à votre disposition pour répondre à vos éventuelles interrogations.
Nous comptons, parmi les saisonniers, un très grand nombre de seniors, qui, parce qu'ils ont liquidé leur retraite, ne sont pas comptabilisés dans les statistiques de l'emploi, ce qui les fausse un peu.
Par ailleurs, l'allocation de solidarité aux personnes âgées est un minimum social, et non une retraite. Nous avons travaillé sur ce sujet avec le ministre, afin d'accompagner des viticulteurs et d'anciens agriculteurs qui ont de faibles revenus, ainsi que leurs conjoints qui n'ont pas de revenus annexes. Néanmoins, un blocage est rapidement apparu, étant donné que le plafond de ressources, pour une personne seule, ne doit pas dépasser 903 euros. Or une grande partie des agriculteurs ont acheté leur résidence principale, ce qui les prive de l'allocation. La solution n'est pas là. Qui plus est, nos agriculteurs refusent le principe même de ces minima sociaux, estimant qu'ils devraient bénéficier d'une reconnaissance particulière pour service rendu à la population.
Mesdames, messieurs, je vous remercie tous de votre présence ce matin. Si nous avons l'occasion de faire un point entre l'examen des textes et une prochaine audition, nous ne manquerons pas de le faire, sachant que notre calendrier est tout de même très contraint.
La séance est levée à douze heures vingt.
Membres présents ou excusés
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite
Réunion du mercredi 29 janvier à 9 heures 30
Présents. – Mme Clémentine Autain, M. Didier Baichère, M. Thibault Bazin, M. Thierry Benoit, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Brigitte Bourguignon, M. Jean-Jacques Bridey, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Gilles Carrez, M. Lionel Causse, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Olivier Damaisin, M. Yves Daniel, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, M. Julien Dive, M. Jean-Pierre Door, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Albane Gaillot, M. Éric Girardin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, M. Sacha Houlié, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, Mme Monique Limon, M. Jacques Maire, M. Emmanuel Maquet, M. Jean-Paul Mattei, M. Thierry Michels, M. Patrick Mignola, Mme Cendra Motin, Mme Zivka Park, M. Adrien Quatennens, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Hervé Saulignac, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, M. Olivier Véran, M. Philippe Vigier, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry
Excusés. – Mme Jeanine Dubié, Mme Danièle Hérin, M. Jacques Marilossian, M. Jean François Mbaye
Assistaient également à la réunion. - M. Guy Bricout, Mme Danielle Brulebois, M. Jean-René Cazeneuve, Mme Laurence Dumont, Mme Caroline Fiat, Mme Véronique Hammerer, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Gilles Lurton, M. Jean-Luc Mélenchon