Intervention de Boris Vallaud

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Merci, madame la présidente.

Nous autres députés avons eu quatre jours pour prendre connaissance de 1 500 pages d'une très grande technicité. Je voudrais savoir dans quelles conditions vous-mêmes avez eu à connaître de ce texte et quand l'étude d'impact vous a été transmise. Disposez-vous de simulations financières qui vous permettent d'apprécier, entre autres choses, le déroulement de la période de transition ? Avez-vous une idée de l'évolution dans le temps du taux de remplacement et du niveau de vie relatif entre les actifs et les inactifs ? Connaissez-vous les détails de la future gouvernance ? N'entraîne-t-elle pas, à vos yeux, le risque d'une mise en échec du paritarisme ?

L'étude d'impact montre que la part des dépenses de retraite consacrées au minimum contributif demeurera la même avant et après la réforme, jusqu'en 2040. Comment l'expliquez-vous alors que le dispositif est censé, au contraire, monter en puissance ?

La réforme va avoir un impact sur les pensions et les cotisations. Les taux de cotisation des salariés et des employeurs vont être modifiés dans le secteur privé. Avez-vous dressé un bilan de l'évolution des contributions des employeurs et des salariés par décile, par niveau de salaire, par secteur d'activité économique ? La question vaut aussi pour les indépendants.

Lorsque l'on regarde les insuffisances de notre système de retraite que la réforme prétend résoudre – même si on doute de sa capacité à le faire –, on se dit qu'au fond, on se construit la meilleure des pensions en réalisant la meilleure des carrières. Il y a un lien patent entre la carrière professionnelle et la retraite. À cet égard, plusieurs déterminants me paraissent importants, car on ne peut pas seulement s'inscrire dans une logique de réparation des injustices liées à la vie au travail. Le premier de ces déterminants est le niveau des salaires. Ne faut-il pas s'interroger sur le partage de la valeur ajoutée et la ventilation des salaires dans l'entreprise ? À l'issue du Grand débat consécutif au mouvement des « gilets jaunes », le choix a été fait de ne pas augmenter les salaires et d'accroître le montant de la prime d'activité. Autrement dit, ce n'est pas le travail qui paye, mais la solidarité nationale. Or la prime d'activité ne crée aucun droit à la retraite. Vous voyez ce que cela peut signifier si la politique d'accroissement du pouvoir d'achat doit prendre durablement cette forme.

Deuxième déterminant, les différences de pension entre les femmes et les hommes sont le reflet de leur vie professionnelle et des discriminations dont les femmes ont été victimes sur le plan salarial et du déroulement de leur carrière. Si les femmes et les hommes étaient rémunérés de manière égale, le montant annuel de cotisations serait supérieur de 3 milliards d'euros. Qu'entendez-vous faire pour résoudre ces problèmes ? Je ne crois pas que ce soit à la solidarité nationale, par le biais de nos cotisations, de corriger des discriminations. De la même manière, concernant le déroulement de la carrière professionnelle, que pensez-vous de l'idée d'instaurer un congé paternité – qu'un certain nombre d'entreprises appliquent déjà de leur propre initiative –, dont les modalités seraient à définir ?

Le troisième déterminant a été abondamment évoqué : la pénibilité et, en corollaire, les carrières longues, l'un et l'autre pouvant être liés. En la matière, la réforme proposée ne constituerait pas vraiment un progrès. S'agissant des carrières longues, les personnes souhaitant partir à 60 ans se verront appliquer une décote de 10 % ; pour bénéficier de la surcote, il faudra travailler au-delà de 64 ans. Quelles sont vos intentions ? Vous avez applaudi à la suppression du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et à sa transformation en C2P, mais l'ensemble des travailleurs du bâtiment en ont été exclus, comme l'essentiel des travailleurs de l'industrie, en particulier chimique, les caissières ou encore les égoutiers. Comment fait-on pour résoudre cette situation tragique, tant sur le plan de la réparation que de la prévention ? De quelle façon impliquer les entreprises, les faire participer au financement de la pénibilité ? Peut-être par une sorte de bonus-malus.

Le dernier déterminant concerne les carrières hachées, et il est d'autant plus important que les pensions seront calculées sur toute la carrière et plus seulement sur les vingt-cinq meilleures années. À cet égard, il y a, me semble-t-il, un lien patent entre, d'une part, la réforme de l'assurance chômage consécutive à ce que je qualifierais d'échec prémédité par le Gouvernement du dialogue social, et, d'autre part, le calcul des pensions. Du fait de la réforme de l'assurance chômage, il est plus difficile d'acquérir des droits et d'en conserver le bénéfice ; il y aura donc beaucoup plus de chômeurs non indemnisés, qui, de ce fait, n'accumuleront pas de points. De la même manière, l'âge pivot introduit par la réforme va créer un problème aux seniors, dont le taux d'emploi est faible, même si je ne sous-estime pas les efforts que vous engagez. Les personnes ayant connu une carrière hachée auront à choisir entre l'allocation de solidarité spécifique ou une pension affectée d'une forte décote. De la même façon, les périodes de chômage indemnisé seront prises en compte sur la base de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, et non à partir du dernier salaire, comme c'était le cas jusqu'à présent. On a du mal à concevoir comment, dans ces conditions, le sort des carrières hachées pourrait être amélioré. D'ailleurs, on en a confirmation en passant au crible les cas signalés dans l'étude d'impact ; on constate que tout cela est faux.

Enfin, la conférence sur le financement se fonde sur le rapport du COR. Or celui-ci indique, à propos du déficit constaté, qu'on ne subit pas un dérapage des dépenses de retraite mais une insuffisance de cotisations, dont une part provient de la réforme de l'assurance chômage, qui entraîne moins de versements de l'UNEDIC à la branche vieillesse. Les exonérations au titre des heures supplémentaires et de la prime exceptionnelle contribuent également à réduire les ressources. Il est difficile d'entrer dans cette discussion si on ne considère pas que, en tant qu'employeur, on a une part de responsabilité dans cette situation. De quelle manière...

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