Intervention de Geoffroy Roux de Bézieux

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Geoffroy Roux de Bézieux, président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) :

Monsieur Vallaud, nous n'avons pas été mieux informés que vous : nous n'avons eu l'étude d'impact que vendredi, en même temps que tout le monde. Cela explique, d'ailleurs, que je ne puisse répondre à toutes les questions, car je n'ai pas encore eu le temps de lire les 1 000 pages de ce document.

Certaines des questions qui ont été posées débordent un peu du cadre des retraites, et mériteraient un développement assez long – salaires, égalité hommes-femmes ou fiscalité du capital –, auxquelles je ne vais donc pas répondre. Au sujet des salaires, je me contenterai d'une remarque : selon l'Institut national de la statistique et des études économiques, les salaires dans le privé – cadres et non-cadres confondus – ont augmenté de 2,1 % en 2019, sans compter la prime qui a été versée. Certes, ce n'est que 2 %, mais la productivité n'a pas augmenté de 2 %, et c'est toujours plus que ce qui a été fait dans la fonction publique ! Sans prétendre à l'exemplarité, et sans nier que certaines entreprises pourraient mieux faire, je constate simplement que l'État employeur nous donne des leçons et des injonctions qu'il ne respecte pas lui-même. Je précise que ce constat est valable quelle que soit la taille de l'entreprise : même si les grandes entreprises ont un peu plus augmenté les salaires, l'écart-type est globalement très faible.

Pour ce qui est de l'égalité hommes-femmes, nous nous sommes engagés – ce qui n'a pas toujours été une évidence au sein de mon organisation – dans la mise en place d'un index qui, à l'horizon de moins de trois ans maintenant, et pour toutes les tailles d'entreprises jusqu'à cinquante salariés, va sanctionner, sur le fondement du principe « à travail égal, salaire égal », les écarts à poste équivalent entre les hommes et les femmes. Cela a été un combat de conviction interne important, et j'espère qu'à l'horizon 2021 ou 2022, nous aurons réussi à mettre en place une vraie égalité salariale hommes-femmes. Les réactions suscitées sont souvent de surprise – notamment dans les entreprises moyennes –, au moment du calcul de l'index. Cela a donc au moins un mérite, celui de mettre un problème en évidence.

En ce qui concerne la gouvernance, il faut être réaliste et reconnaître que la réforme proposée, qui figurait dans le programme électoral du Président de la République, va consister en une étatisation, une nationalisation du système par rapport à la situation antérieure. On peut toujours se demander si les électeurs ont ou non voté pour cette mesure, mais c'est un autre débat. Nous allons découvrir comment peut fonctionner cette articulation entre démocratie sociale, démocratie parlementaire et État.

Selon notre expérience de la sécurité sociale, ce n'est plus du paritarisme depuis longtemps : nous sommes, au mieux, spectateurs avec un droit de commentaire. Le vrai paritarisme, c'est celui mis en oeuvre avec l'AGIRC-ARRCO, qui fonctionne selon le principe très strict de l'interdiction de s'endetter – une sorte de règle d'or implicite – et qui met les seuls partenaires sociaux autour de la table. Je le dis sans triomphalisme, cela a plutôt bien fonctionné puisque nous avons pris des mesures courageuses. Avec ce qui est prévu par le projet de loi, nous avons affaire à un dispositif hybride, dont on ne connaît pas encore tout à fait les tenants et les aboutissants, et qu'il nous revient sans doute de construire ensemble, mesdames, messieurs les députés. En vous disant cela, je ne me trompe pas de sujet et je ne suis pas en train d'affirmer que la démocratie sociale se trouve sur un pied d'égalité avec la démocratie parlementaire – ce n'est pas l'esprit de la République –, mais sans doute y a-t-il des passerelles à construire.

Au passage, je m'inquiète de la tendance à mettre en place des systèmes de tirage au sort de citoyens, qui me semble assez dangereuse. Pour moi, la démocratie représentative consiste avant tout à élire des représentants pour décider et voter des lois – mais je m'écarte de notre sujet.

Nous aurions souhaité une règle d'or annuelle puisque, selon le principe de la répartition, les recettes et les dépenses doivent justement s'équilibrer dans l'année. Le projet prévoit une règle d'or sur cinq ans : c'est le minimum pour nous. Dès lors, il faut qu'il y ait des réserves pour que, durant cette période de cinq ans, on soit en mesure d'absorber les éventuels chocs de conjoncture. Dans le futur régime universel, les salariés et les employeurs du privé arrivent avec 70 milliards d'euros de réserves – selon une répartition respective de 60-40 – et les indépendants avec 45 milliards. Pour ce qui est des fonctionnaires, je serais curieux de savoir combien l'État met au pot, car ce point n'a pas encore été précisé. Ce que je veux dire en creux, vous l'aurez compris, c'est qu'il ne faudrait pas que les réserves des fourmis servent à financer un État plutôt cigale...

La question du financement comprend trois aspects différents, le premier étant celui du financement du régime actuel – en l'occurrence des 12 milliards d'euros de déficit. Le deuxième est le financement des nouvelles mesures, qui sont encore en discussion. En tant que citoyen, je comprends tout à fait qu'il soit inacceptable, pour un agriculteur qui a travaillé toute sa vie, de ne toucher que 700 euros de retraite. Il est logique que, pour remédier aux situations de ce type, on instaure un montant minimum de pension fixé à 1 000 euros, mais cela crée évidemment des dépenses supplémentaires sans cotisations correspondantes.

Le troisième aspect est celui du financement du régime en vitesse de croisière, c'est-à-dire après 2037. À ce sujet, subsiste un très gros non-dit concernant l'État. Aujourd'hui, comme vous le savez, il n'y a pas réellement de cotisation de l'État employeur, mais une cotisation en quelque sorte implicite, estimée à 75 % si on calcule le solde budgétaire par rapport à la masse salariale. Si, en 2037, c'est une cotisation universelle à 28 % qui s'applique, cela va entraîner un énorme manque de ressources pour le système, de l'ordre de 45 milliards d'euros. Comment l'État employeur peut-il garantir qu'il surcotisera de manière régulière, et n'y a-t-il pas un risque de voir, dans la durée, la cotisation universelle payée par les employeurs et les salariés se transformer de 28 % en 29 %, 30 % ou 31 % ? Aujourd'hui, le projet de loi ne comporte aucune garantie sur ce point : le rapport Delevoye évoquait bien une surcotisation, mais on n'en sait pas davantage.

S'agissant des solutions de financement, je commencerai par préciser à Mme Autain que le coût du travail, c'est le coût des cotisations qui pèsent sur le travail, et non celui des salaires, qui créent effectivement de la richesse.

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