Intervention de Clémentine Autain

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 9h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Monsieur Roux de Bézieux, vous avez mis en avant la question de l'équilibre financier du régime. Vous ayant lu attentivement, j'ai retenu cette phrase relevée sous votre plume : « Il y a un problème d'équilibre qui n'est pas de l'épaisseur d'un trait. » En 2018, le déficit était de 3,5 milliards d'euros et, selon les projections, il sera de 12 milliards d'euros d'ici à 2025. Or ce montant n'est pas si éloigné de celui des « niches » sociales qui ont permis au patronat de faire des économies sur le dos de la branche vieillesse de l'assurance maladie, grâce aux allégements de cotisations sociales. Ce point a été souligné par la Cour des comptes, qui en chiffre le montant à 10 milliards d'euros – et l'État ne compensant pas le manque à gagner, nous en sommes pour nos frais de 5,2 milliards d'euros, ce qui est assez considérable. En tout état de cause, il y a là bien plus que l'épaisseur d'un trait, où nous pourrions trouver un début de solution dans la recherche de l'équilibre du régime.

Or vous nous dites qu'il n'est pas question de toucher au niveau des cotisations. Pourtant, les hautes rémunérations – celles qui sont supérieures à 10 000 euros mensuels – ne feront plus l'objet de cotisations, ce qui va faire économiser 2 à 3 milliards d'euros de cotisations patronales et donc occasionner un nouveau manque à gagner pour les caisses publiques de retraite. C'est assez ahurissant : alors que cette contre-réforme est censée permettre de parvenir à l'équilibre financier, on commence par creuser un trou !

Vous avez évoqué à plusieurs reprises le coût du travail, un sujet qui nous met particulièrement en colère, parce que le travail, c'est précisément ce qui permet de créer de la richesse : ce n'est donc pas un coût, mais au contraire ce qui permet de produire des richesses. Pour ma part, je voudrais parler d'un coût véritable, celui du capital. Pourquoi ne pas mettre les revenus financiers à contribution ? Sur ce point, je veux vous donner un ordre de grandeur : si on élargissait l'assiette des cotisations aux revenus du capital, avec le même taux de cotisation que pour le travail, soit 28,1 %, ce sont 25,6 milliards d'euros qui pourraient être injectés dans notre système de solidarité au profit des retraités. J'aimerais bien connaître l'avis de chacun d'entre vous – il n'est pas certain que vous ayez tous le même – sur l'hypothèse consistant à créer cette cotisation, qui permettrait que les revenus du capital mettent au pot commun pour pérenniser un système viable, juste et de progrès.

La variable que vous avancez tous est celle de la norme d'âge : à vous entendre, on a l'impression que c'est une fatalité plutôt qu'un choix politique, et qu'il n'existe pas d'autre solution. J'aimerais vous convaincre qu'en réalité, c'est une folie sur le plan social et sur le plan humain. Nous avons une discussion policée dans le cadre de cette table ronde mais, dans les faits, il faut bien avoir conscience de ce que cela signifie de travailler jusqu'à 67 ans. Comme vous le savez sans soute, un ouvrier a aujourd'hui une espérance de vie inférieure de six ans à celle d'un cadre, et je serais curieuse de savoir ce qu'il en est pour les personnes exerçant un métier extrêmement pénible, telles les hôtesses de caisse, les personnes qui portent des charges lourdes ou qui travaillent dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Je remercie M. Griset d'avoir évoqué la question de la pénibilité, car elle est tout à fait fondamentale.

Vous nous dites qu'il n'est pas question de toucher au montant des pensions. Or, si vous repoussez l'âge à partir duquel on peut prendre une retraite à taux plein, que va-t-il se passer pour les gens qui n'en peuvent plus au travail ? Ils vont se résigner à partir avec une retraite qui n'est pas à taux plein : dans les faits, il va donc y avoir une baisse des pensions, c'est évident ! Et pour ceux qui vont s'acharner à continuer de travailler afin d'essayer de vivre dans la dignité, que va-t-il se passer ? La retraite comme antichambre de la mort, est-ce le projet de société que vous nous proposez tranquillement ?

Je voudrais vous convaincre que votre vision des choses est une absurdité sur le plan économique, mais aussi du point de vue des enjeux environnementaux et écologiques. Aujourd'hui, le taux d'emploi des 60-64 ans est de 32 %. Vous nous parlez sans cesse d'un plan pour les seniors, mais on sait qu'il existe un sur-chômage ou des arrêts maladie de longue durée pour les personnes âgées de plus de 50 ans, et encore davantage pour celles âgées de plus de 60 ans. Quelle est cette folie consistant à faire travailler plus longtemps des gens à qui vous n'êtes déjà pas en mesure de donner un emploi ? Je ne comprends pas du tout la logique qui est à l'oeuvre, ni en quoi tout cela peut servir l'intérêt des personnes, même celles que vous représentez. C'est une logique économique enfermée dans un cadre contraint, et je vous invite à sortir de ce cadre pour entrevoir le progrès social. En franchissant le mur des réalités, à commencer par celui de la réalité sociale, ce qui se passe aujourd'hui dans la rue pourra ainsi faire son entrée dans cette assemblée.

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