Aux yeux de la CFDT, il est aujourd'hui urgent et absolument nécessaire de revenir à ce qui nous semble avoir été le sens initial du projet de réforme, à savoir, comme son nom l'indique, la construction d'un système de retraite universel. Cet objectif fondateur a, nous semble-t-il, été un peu perdu de vue : on a beaucoup discuté technique, points, régimes spéciaux, au risque d'oublier ce qu'implique et doit impliquer cette ambition initiale, et les conséquences qu'il faut en tirer.
La construction d'un système de retraite universel, qui constitue bien pour nous l'enjeu de cette réforme, ne va pas de soi. J'entendais encore récemment le représentant d'une profession au demeurant très honorable soutenir que notre système de retraite fonctionnait très bien et se demander pourquoi on venait nous casser les pieds à ce sujet. C'est justement tout l'enjeu d'un système de retraite : faire en sorte que ceux qui, pour des raisons démographiques, historiques ou économiques, se trouvent employés dans une profession où tout va bien, avec un régime de retraite qui leur convient, se soucient aussi de ceux pour qui ça ne va pas si bien, parce que l'évolution démographique ou économique leur est moins favorable. Il s'agit bien de construire une solidarité universelle ; pour la CFDT, c'est l'objectif fondamental d'un système de retraite universel. Ce qui doit être universalisé, c'est bien la solidarité, afin que tous les actifs soient solidaires les uns des autres face à ce défi colossal : construire une garantie, sécuriser les retraites. Nous avons coutume de dire que l'objectif devrait être que demain, chacun puisse, en défendant sa propre retraite, se dire qu'il défend en même temps la retraite de tous.
Bâtir une solidarité universelle, voilà l'objectif principal. Solidarité universelle, cela ne veut pas dire solidarité croupion : il s'agit d'avoir une solidarité de haut niveau, ce qui suppose de porter attention aux plus défavorisés, à ceux qui ont les carrières les moins avantageuses. Cela passe à notre sens par une augmentation du minimum de pension, qui doit tendre vers 100 % du SMIC pour une carrière complète – il y a encore du chemin à faire, mais c'est nécessaire : il faut garantir à tous une retraite décente à l'avenir. Cela veut dire également qu'il faut compenser correctement les aléas de la vie ; je pense en particulier aux aléas économiques et plus exactement au chômage, car il y a de notre point de vue des progrès à faire dans le projet de loi pour bien couvrir la constitution de droits à la retraite des chômeurs.
Nous voulons donc une solidarité universelle et de haut niveau. Mais universel ne doit pas vouloir dire uniforme : le système de retraite doit aussi être personnalisé, non pas dans un sens égoïste mais parce qu'il doit être adapté aux parcours et aux aspirations de chacun, ce qui pose en premier lieu la question, et nous la soulevons régulièrement, d'une meilleure prise en compte de la pénibilité du travail. C'est le facteur majeur d'inégalité : si la retraite est fondée sur le travail – c'est pour nous une évidence –, nous ne sommes pas tous égaux devant le travail : certains travailleurs consomment leurs droits à la retraite en travaillant dans la mesure où un travail particulièrement pénible réduit leur espérance de vie. Cette inégalité doit être impérativement compensée, et de manière complète. Pour nous, l'enjeu est de réintégrer d'une façon ou d'une autre la prise en compte des quatre facteurs de pénibilité qui sont sortis du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) lorsqu'il est devenu le compte professionnel de prévention (C2P), en 2017. Il faut apporter aux salariés exposés aux risques ergonomiques et chimiques une compensation de bon niveau et de même type que celle qui est accordée aux autres facteurs de pénibilité. J'insiste au passage sur le chantier de la poly-exposition aux risques, qui est celui qui vient juste après la prise en compte complète de la pénibilité.
Troisième impératif : l'égalité entre hommes et femmes. Le passage à un système universel par points permet selon nous de réduire substantiellement les inégalités entre pensions produites par le coeur du système, et donc moins défavoriser les femmes que ne le fait le dispositif actuel. Le système de retraite n'a pas vocation à corriger et compenser toutes les inégalités ; néanmoins, il ne peut pas rester muet, aveugle, insensible face aux inégalités qui se fabriquent sur le marché du travail entre hommes et femmes. Certes, il ne les amplifie plus par son mode de fonctionnement, mais il doit aussi pouvoir les compenser. Les mécanismes tels que les bonifications pour enfants constituent à cet égard un élément intéressant ; nous souhaitons cependant, pour que ces compensations soient de meilleure qualité, et forfaitaires plutôt que proportionnelles comme le prévoit pour l'instant le projet de loi – mais forfaitaires.
Quatrièmement, il nous semble absolument nécessaire de construire des droits nouveaux. L'ambition de construire un système universel constitue à l'évidence un monumental défi technique, un sacré chantier qui va s'étaler sur de nombreuses années, voire des décennies ; mettre en branle une entreprise aussi vaste sans se poser la question des droits nouveaux que l'on pourrait apporter à nos concitoyens serait perdre une occasion magistrale. Le principal, à nos yeux, est le développement du droit à la retraite progressive, c'est-à-dire de la possibilité de liquider progressivement sa retraite et d'accéder concomitamment à du travail à temps partiel. Cette mesure aurait plusieurs intérêts : elle permettrait d'abord de fournir un outil – certainement pas le seul, mais celui-ci est essentiel – pour aménager les fins de carrière. Mais ce serait aussi un moyen de répondre à une aspiration réelle des travailleurs, que nous avons pu mesurer dans le cadre de notre activité syndicale classique, mais aussi dans les enquêtes menées auprès des travailleurs sur le sujet du travail en 2016, et sur celui des retraites en 2018 : pouvoir contrôler et maîtriser les modalités d'un passage progressif à la retraite, le construire progressivement et ne plus être dans un processus couperet dans lequel on peut être au travail à 100 % le mercredi, et se retrouver à la retraite à 100 % le jeudi. Cette demande n'est peut-être pas unanime, mais elle existe, et il faut savoir y répondre. Derrière cette idée, nous poussons celle d'une gestion du temps libre – au fond, c'est cela la retraite – tout au long de la vie. À l'heure actuelle, il n'est pas question qu'un compte épargne-temps universel soit inscrit dans le système de retraite, mais c'est une idée que nous poussons fort et que nous souhaitons voir abordé à l'occasion de l'examen de cette loi.
Il faut aussi que le passage entre le système de retraite actuel et le système de retraite futur soit davantage sécurisé, en particulier pour les professions dont la politique salariale n'est pas très adaptée à un système universel par points – je parle bien sûr de la fonction publique. Il faut revoir la politique salariale de la fonction publique, d'abord pour compenser l'abandon de la règle des six derniers mois, mais aussi pour la remettre d'équerre et corriger sa complexification excessive observée ces dernières années.
Enfin, dans le cadre de cette transition entre deux systèmes de retraite, la question à nos yeux fondamentale – nous la portons depuis le début de cette concertation, et il en a été trop peu question – est celle de la garantie des droits acquis avant la réforme. Il est parfaitement légitime – c'est son objectif – qu'une réforme change la constitution de droits une fois mise en oeuvre, mais il est tout aussi impératif qu'elle garantisse les droits antérieurs. C'est une opération complexe et difficile à mettre au point, mais elle est indispensable si l'on veut que la réforme soit juste. C'est bien l'objectif essentiel et incontournable que doit poursuivre une réforme des retraites : avoir la justice sociale comme boussole.