Intervention de David Meyer

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

David Meyer, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT) :

La retraite est un élément essentiel, voire fondateur, de notre modèle social, et les 10 minutes qui me sont imparties ne suffiront pas pour mettre cette dimension suffisamment en exergue. Néanmoins, il nous paraît important de revenir sur quelques éléments fondateurs. L'émancipation des femmes et des hommes passe par la possibilité qui leur est offerte de vivre dignement, d'avoir accès au sport et à la culture, de s'investir dans la société, bref, de mener une vie qui ne soit pas exclusivement consacrée au travail.

Depuis le 5 décembre dernier, notre pays vit au rythme des mobilisations populaires contestant le projet de réforme du Gouvernement. Après plus de cinquante-cinq journées de mobilisation sociale, aujourd'hui se tient, partout en France, la huitième journée d'action nationale contre ce projet de réforme des retraites. L'opposition à ce projet fédère toujours une majorité de Français, ainsi qu'une majorité d'organisations syndicales – à peu près 60 %. Plus les jours passent, et plus l'incompréhension et le rejet de ce projet sont massifs dans l'opinion publique.

Et pour cause ! Le candidat Macron à l'élection présidentielle s'était engagé à ne pas augmenter l'âge légal du départ à la retraite. Le président Macron, le 25 avril 2019, à l'occasion d'une conférence de presse consécutive au grand débat national, avait déclaré : « vous ne savez déjà plus comment faire après cinquante-cinq ans, les gens vous disent : "les emplois, ce n'est plus bon pour vous" ». Il avait également ajouté, en évoquant le contexte socio-économique actuel : « Bon courage déjà pour arriver jusqu'à 62 ans », ou encore : « Tant qu'on n'a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, ce serait assez hypocrite de décaler l'âge légal [du départ à la retraite] ». Il admettait ainsi que l'on ne pouvait pas demander aux salariés de notre pays de travailler plus longtemps alors que les entreprises ne veulent pas recruter ni même conserver les seniors.

Pourtant, ce gouvernement présente aujourd'hui un projet de loi qui va précisément dans ce sens. Pour notre organisation, ce projet est totalement rétrograde et vise à remettre en cause notre modèle social, issu du Conseil national de la Résistance. S'il devait être adopté et mis en oeuvre en l'état, les conséquences seraient économiquement et socialement catastrophiques. La part des retraites dans le produit intérieur brut (PIB) représente environ 14 % aujourd'hui, et les projections que l'étude d'impact a mis à notre disposition prévoient de ramener ce ratio à 12,9 % de la richesse produite à l'horizon 2050. Ces considérations peuvent paraître un peu techniques à nombre de nos concitoyens, mais la décision de diminuer la part des pensions dans un contexte où le nombre de retraités augmente aurait des implications très concrètes. Il s'agirait alors soit de faire travailler plus longtemps les salariés de ce pays, soit de faire baisser le montant de leur retraite en supposant qu'ils pourront épargner et donc se tourner vers des alternatives privées, à savoir les fonds de pension, pour la financer. La dernière possibilité serait de tabler sur une évolution à la baisse de l'espérance de vie ; il est peu probable que cela fasse partie des hypothèses de travail, bien qu'on puisse le redouter, à voir la situation des hôpitaux dans notre pays, le marasme dans lequel ils sont plongés et les nombreuses mobilisations qui s'y développent.

Une synthèse objective des différents éléments qui ont été mis à notre disposition nous permet de dire qu'il s'agit d'une réforme avant tout budgétaire. La référence à un âge pivot ou à un âge d'équilibre autour de 65 ans reprend d'ailleurs une proposition formulée par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

S'agissant de la méthode employée pour mener à bien ce projet de loi – qui aboutirait finalement, à entendre les propos de certains membres du Gouvernement, à ouvrir notre modèle social aux marchés financiers comme une boîte de friandises –, nous tenons de nouveau à alerter les représentants élus de la nation que vous êtes, mais aussi l'opinion publique, sur l'absence de réelle concertation. Notre organisation a pourtant participé à plus de vingt-deux séances de concertation au cours des deux dernières années, et nous avons eu à plusieurs reprises l'occasion de faire des propositions structurées et chiffrées pour améliorer et pérenniser notre système actuel. Celles-ci n'ont pas été prises en compte, mais c'est loin d'être le seul déni de démocratie auquel aient donné lieu cette concertation et l'élaboration de ce projet de réforme : nous reviendrons sur le fond, mais sur la méthode même, la tenue de cette audition, la remise tardive des documents, le non-envoi du projet au siège de notre organisation sont autant d'éléments qui, à nos yeux, ne vont pas dans le sens d'un débat constructif, respectueux et susceptible de mener à une forme de négociation. Nous ne sommes pas les seuls à avoir formulé ces critiques : le Conseil d'État, qu'il serait difficile de qualifier d'annexe de la CGT, a fait un certain nombre de déclarations dont la liste permet de cibler les problèmes auxquels nous faisons tous face. À l'entendre, le projet de loi aura pour conséquence de « limiter la visibilité des assurés proches de la retraite sur les règles qui leur seront applicables ». Il précise également que les projections financières transmises « restent lacunaires », et rappelle enfin au Gouvernement qu'il doit « assurer le respect des délais d'examen des textes garantissant la qualité de l'action normative de l'État ».

De votre côté, mesdames, messieurs les parlementaires, vous allez devoir vous prononcer dans des délais particulièrement restreints sur un texte qui aura à être complété par pas moins de vingt-neuf ordonnances, et ce sur des points structurants. Demain s'ouvre au Conseil économique, social et environnemental (CESE) la conférence sur le financement des retraites, au sein de laquelle le cadrage élaboré par le Premier ministre semble vouloir restreindre toutes les propositions alternatives qui pourraient permettre d'améliorer le système actuel.

À ce stade, nous avons toujours de nombreuses interrogations, et nos craintes semblent hélas se concrétiser à travers le flou des réponses qui nous ont été apportées jusqu'à présent. Qu'est-ce qu'un système de retraite dit universel assorti de tant particularités ? La valeur du point est censée être la même pour tout le monde, mais un euro cotisé donnera-t-il les mêmes droits à tous ? Pourquoi ne pas avoir mis en place un véritable simulateur permettant à l'ensemble des citoyens de se projeter ? Pouvez-vous fournir une réponse claire et simple sur ce que vont devenir, dans le futur système, les générations dites sacrifiées – celles qui auront cotisé dans les deux systèmes de retraite – évoquées par mon collègue de la CFDT ? Quand et par qui la question de la pénibilité va-t-elle être traitée – à chaque réunion, elle est renvoyée à un ministère différent ? Le Gouvernement et ses représentants nous ont parlé d'une retraite par points, et ont rétorqué à nos critiques, non sans mépris, qu'évoquer la notion de temps et les trimestres revenait à parler en anciens francs. Pourtant, après que nous les avons interrogés à de nombreuses reprises à ce sujet, il apparaît finalement qu'une carrière complète nécessiterait de travailler quarante-trois ans, ou 162 trimestres, ou 516 mois, ou 15 695 jours. Combien de temps allons-nous devoir travailler pour bénéficier d'une retraite digne ? C'est ce genre de questions auxquelles vous devez répondre.

Au-delà des zones de flou identifiées par tout le monde, nous avons déjà constaté un certain nombre de reculs importants dans les textes que nous avons pu nous procurer ou qui nous été remis. La remise en cause de la règle des vingt-cinq meilleures années ou des six derniers mois dans la fonction publique aura pour conséquence de ne pas neutraliser les périodes de précarité ou de maternité, autrement dit toutes les périodes auxquelles les salariés, notamment les plus jeunes, sont de plus en plus confrontés dans notre pays.

S'agissant de la situation des femmes, il nous a régulièrement été expliqué qu'elles pourraient être les grandes gagnantes de ce nouveau système. Or elles sont les premières à subir les carrières hachées et les rémunérations incomplètes. Dans ce nouveau système, du fait de la non-prise en compte des meilleures années, leur situation se dégraderait. La proposition faite d'un minimum de pension à 1 000 euros pour un salarié ou une salariée partant à 64 ans est inférieure au seuil de pauvreté. Sur la question de la pension de réversion, c'est-à-dire sur la partie de la retraite dont aurait dû bénéficier une personne décédée, et qui était jusqu'alors reversée à l'époux survivant – en moyenne, les bénéficiaires en sont à 90 % des femmes –, les modalités de calcul et d'obtention changent. Enfin, pour ce qui est des personnes divorcées, il faudra attendre des ordonnances pour y voir plus clair. Tous ces sujets posent question. Nous éprouvons tous les plus grandes difficultés à obtenir des réponses claires et précises à propos de ce projet de loi.

Notre organisation souhaite le rejet du projet, et nous considérons qu'il faut repartir de zéro, c'est-à-dire reprendre une véritable négociation pour améliorer le système actuel. Nous faisons valoir notre projet contre celui du Gouvernement. Nous avons formulé toute une série de propositions, entre autres : le maintien du système de retraite par répartition ; la fixation de l'âge légal du départ à la retraite à 60 ans, avec un niveau d'indemnité situé à 75 % du revenu net d'activité ; le calcul de la retraite sur les dix meilleures années, ou sur les six meilleurs mois dans la fonction publique ; la prise en compte de la pénibilité ; la comptabilisation des années d'études ; l'indexation des pensions sur les salaires et non sur les prix. En vue de la conférence sur financement des retraites qui se tient à partir de demain au CESE, nous avons formulé un certain nombre de propositions qui permettraient de pérenniser notre système de retraite, en particulier la taxation des revenus du capital, l'augmentation des salaires, l'augmentation du nombre d'emplois, et la mise en oeuvre de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous sommes prêts à faire de nouveau part de ces propositions, mais nous demandons le retrait de ce projet et l'ouverture d'une réelle concertation.

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