Intervention de Michel Beaugas

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Michel Beaugas, secrétaire confédéral en charge de l'emploi et des retraites de Force ouvrière (FO) :

La création du système universel de retraite s'articule en fait autour de deux textes, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire.

Le projet de loi organique établit la règle d'équilibre, la fameuse « règle d'or » obligeant les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) à équilibrer les systèmes de retraite sur des périodes de cinq ans, et étend le champ des LFSS aux régimes de retraite complémentaire obligatoires, comme le régime de retraite complémentaire des salariés du secteur privé de l'industrie, du commerce, des services et de l'agriculture (AGIRC-ARRCO) ou l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (IRCANTEC). Il concrétise ainsi ce que nous avons qualifié dès la présentation du rapport Delevoye de « réforme paramétrique permanente » entre les mains des gouvernements. Avec la règle d'or, tous les ans, il s'agira de vérifier que l'équilibre financier sur les cinq années à venir est bien respecté, quitte à prendre, au besoin, des mesures paramétriques. L'extension du champ de la LFSS permettra le pilotage par les gouvernements, en dernier ressort, des paramètres du futur système unique. C'est l'achèvement du processus d'étatisation de la sécurité sociale, que FO dénonçait déjà en 1995 lorsqu'avait été présenté le « plan Juppé » sur les retraites et la sécurité sociale.

Le projet de loi ordinaire reprend quant à lui les grandes lignes du régime unique par points esquissé par le rapport Delevoye, et s'inscrit dans la continuité des annonces faites par le Premier ministre devant le CESE le 11 décembre dernier. Le processus de consultation n'a manifestement pas conduit à des modifications majeures du texte, compte tenu des délais qui ont été données pour rendre un avis – le Conseil d'État n'a pas manqué de le relever. Soulignons au passage, mesdames et messieurs, que les caisses nationales de sécurité sociale, qui ont reçu le texte pour avis, ont toutes rendu un avis négatif...

Les grands principes sont énoncés au début du projet de loi. En matière d'équité, le système actuel peut certes être amélioré, mais il est le reflet du marché du travail. En matière de solidarité, les dispositifs existent aujourd'hui qui garantissent un niveau de vie satisfaisant aux retraités, ce que le Premier ministre reconnaissait lui-même en septembre dernier, également devant le CESE. En matière de liberté de choix, demain comme aujourd'hui, quand on est déjà plus en emploi, on subit forcément un malus au moment de liquider sa retraite. En matière de lisibilité, le droit à l'information prévu à l'article 12 retraçant l'intégralité des droits acquis existe déjà. FO rappelle que le groupement d'intérêt public (GIP) Union Retraite, qui regroupe trente-cinq des quarante-deux régimes existants, a mis en place un droit à l'information efficace, fondé sur un système à prestation définie, qui permet à tous, à partir de 55 ans, de connaître avec précision ce que seront ses droits en fonction de l'âge de liquidation de la retraite. Mais surtout, loin d'être plus simple et plus juste, le système universel se traduira d'abord par une retraite incertaine, tant en termes de niveau de pension qu'en termes d'âge de départ effectif, pour tous et au fil du temps – ce qu'a d'ailleurs confirmé le Conseil d'État.

Il est tout aussi remarquable que le Conseil d'État ait dénoncé, comme l'avait fait FO auparavant, la formule marketing selon laquelle chaque euro cotisé ouvrirait les mêmes droits pour tous, qui reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d'ouverture des droits définies par le projet de loi. Le projet de loi confirme que le futur système sera assis principalement sur la valeur d'acquisition des points, que chacun devra acheter tout au long de sa carrière, et sur leur valeur de service, c'est-à-dire la valeur de conversion des points en pension. Dans le secteur privé par exemple, la retraite de base ne sera plus calculée comme aujourd'hui sur les vingt-cinq meilleures années ; il sera donc aisé de jouer sur les valeurs du point à l'achat comme à la conversion pour agir sur le montant de la pension. L'âge d'ouverture des droits deviendra de fait virtuel si le montant de la pension ne suffit pas et oblige à poursuivre son activité pour acquérir des points supplémentaires. La liberté sera d'autant plus contrainte qu'un âge d'équilibre est introduit à l'article 10, mécanisme de bonus-malus présenté comme la référence collective et la clef de voûte du futur système. Le projet de loi indique clairement que ce mécanisme a pour but d'inciter les Français à partir plus tard à la retraite. L'objectif est clairement assumé, tant dans la loi, qui instaure un âge d'équilibre, que dans l'étude d'impact : la réforme conduira dans les faits au recul de l'âge effectif pour faire valoir sa pension sur la base des droits acquis par la cotisation sans malus – ou décote. Il faut ainsi noter que dans l'étude d'impact, cet âge d'équilibre est projeté non plus à 64 ans mais déjà à 65, et ce dès l'entrée en vigueur du système universel, c'est-à-dire pour les générations nées en 1975 et après.

À compter du 1er janvier 2025, la cotisation se partagera entre une partie plafonnée – le taux étant fixé à 25,31 %, soit 90 % de la cotisation totale – qui s'appliquera aux rémunérations inférieures à trois fois le montant du plafond annuel de la sécurité sociale, et une partie déplafonnée, dont le taux sera de 2,81 % et s'appliquera à la totalité des rémunérations. Cette baisse des cotisations sur les salaires supérieurs à 120 000 euros par an entraînera un manque à gagner de plus de 3,5 milliards d'euros par an pour le futur système de retraite.

D'autres aspects du projet de loi sont sujets d'inquiétude pour notre organisation : l'article 18, qui habilite le Gouvernement à définir par ordonnance les modalités de convergence du régime de cotisation des fonctionnaires vers le système cible, dans le cadre d'une période de transition qui ne pourra excéder quinze ans ; l'article 19, qui applique la même logique aux assurés des régimes spéciaux, mais pour une période de transition pouvant aller jusqu'à vingt ans.

Pour les carrières longues, l'article 28 fixe l'âge minimal de départ à la retraite à 60 ans et abaisse de deux ans le taux plein, en le fixant à 62 ans. Cela signifie que l'assuré subira deux fois un malus de 5 % s'il part à 60 ans et qu'il lui faudra attendre l'âge d'équilibre, 64 ans, pour bénéficier d'une majoration. Aujourd'hui, il peut partir dès 60 ans sans décote, à condition d'avoir toutes ses années de cotisation...

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