À la CFE-CGC, nous considérons que, quel que soit le système de retraites retenu, il doit être pérenne et équilibré ; il doit pouvoir anticiper les évolutions démographiques et résister aux chocs économiques. Nous estimons normal que les futurs retraités et les retraités partagent les progrès économiques éventuels et le produit des richesses créées en France. Par ailleurs, les Français, ils l'ont régulièrement exprimé, demeurent attachés au système par répartition de 1945.
Ce projet est un choix de société. Il avait été indiqué que cette réforme se ferait à budget constant ; or l'étude d'impact, publiée non sans difficulté, montre qu'il n'en est rien. À terme, le budget sera en baisse : malgré la croissance de la population des retraités, l'objectif est de ramener la part de la retraite dans le PIB à 12 %. Dans le même temps, l'accent est mis sur l'effort individuel, comme dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »). Les salariés dont la rémunération excède trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale ne seront plus soumis aux cotisations, hormis une cotisation de solidarité, insuffisante pour remplacer l'existant. Une scission risque de se produire entre ceux qui relèveront du régime par répartition et ceux qui, mieux rémunérés, cotiseront ailleurs. Ce système « universel » le sera-t-il encore demain ?
Cette réforme est également de nature budgétaire. L'État employeur en sera à coup sûr le grand gagnant puisque le taux de cotisation pour le secteur public sera ramené au même niveau que pour le secteur privé. L'étude d'impact montre que, sur la durée, l'économie réalisée sera comprise entre 4 et 5 milliards par an, et ce malgré une augmentation des rémunérations de fonctionnaires les plus basses. Le choix est donc politique : on décide de limiter le poids de la retraite par répartition et de réduire l'effort budgétaire de l'État français.
Le choix est aussi paramétrique. Pour que le système soit équilibré, il faut un mécanisme. Dans la mesure où l'on ne peut pas augmenter les cotisations ni baisser les pensions, et qu'il serait difficile, après les propos du Président de la République, de revenir sur l'âge légal, la seule solution est de jouer sur les critères de durée – âge pivot, âge d'équilibre, décotes – alors qu'il avait été question de proposer des surcotes pour inciter les assurés à travailler plus longtemps. Il faut savoir que dans un système universel, les choses ne seront pas vraiment différentes. Si les régimes spéciaux, qui ont été mis en exergue, sont aujourd'hui en déséquilibre, c'est en raison d'évolutions démographiques qui ne disparaîtront pas demain. Or il faudra bien que les autres régimes, unis désormais, continuent de compenser ces déficits démographiques.
L'étude d'impact montre que, même avec un âge d'équilibre à 65 ans en 2037, l'équilibre des comptes ne sera pas garanti. Il faudra bien trouver d'autres solutions et revenir sur une disposition à nos yeux incompréhensible : la suppression des cotisations au-delà de trois fois le plafond de la sécurité sociale, contre huit fois aujourd'hui.
Le Conseil d'orientation des retraites (COR), dans son rapport de novembre 2019, notamment à la page 59, explique très bien que les dépenses et les recettes sont quasiment équilibrées. Le problème tient aux recettes, qui atteignent, tous régimes confondus, 130 milliards. Le léger décalage de 0,3 % s'explique par les choix politiques du Gouvernement d'exonérer de cotisations les heures supplémentaires, de réduire le nombre de fonctionnaires et donc les cotisations afférentes. Les propositions actuelles risquent de réduire plus encore les recettes, puisque l'on se prive de 2,8 milliards de recettes en supprimant les cotisations au-delà de trois fois le plafond de la sécurité sociale, tout en faisant le choix d'atteindre l'équilibre par l'âge. Ce n'est pas raisonnable !
Cette réforme fera peu de gagnants, et beaucoup de perdants. Pour bénéficier du minimum retraite à 1 000 euros, il faudra avoir cotisé quarante-trois ans. Or peu de gens seront dans cette situation : ceux qui ont connu les emplois précaires n'auront jamais pu cotiser aussi longtemps, et ceux qui auront travaillé quarante-trois ans se retrouveront nécessairement au-dessus du SMIC à un moment donné.
Les chômeurs seront perdants puisque leurs points seront calculés sur le montant de l'allocation de retour à l'emploi (ARE), et non sur leur rémunération antérieure.
Les trois quarts, voire les 90 % des salariés qui ont une carrière normale, seront nécessairement perdants avec le système à points puisque le calcul actuel des droits sur les vingt-cinq meilleures années permet de couvrir les aléas de parcours.
Les femmes ne seront pas nécessairement gagnantes, puisqu'elles perdront d'un côté ce qu'on leur donne de l'autre, les 5 % attribués pour chaque enfant. Grâce aux deux ans qu'elles gagnaient à chaque naissance dans l'ancien système, elles étaient nombreuses à partir avant 64 ans, l'âge pivot de la nouvelle réforme.
Enfin, il sera très difficile d'envisager son départ à la retraite. Dans la mesure où il faudra vérifier que le solde sur une période glissante de cinq ans n'est pas négatif, l'âge pivot pourra être à tout moment modifié. Deux ou trois ans avant son départ, on ne sera pas sûr de la valeur du point ni de la possibilité de partir sans décote.
Ce système est loin d'être transparent, il est loin d'être juste. Il s'agit d'une mesure financière, d'un choix politique, d'un choix de société. C'est la raison pour laquelle il faut que vous preniez le temps de discuter de ce texte. Il nous semble par ailleurs très dangereux qu'autant d'éléments fondamentaux soient traités par ordonnance. Nous espérons, mais nous n'en doutons pas, que l'Assemblée nationale prendra toute sa part sa part dans le débat afin d'aboutir à quelque chose qui soit réellement structurant pour l'avenir.