Intervention de Dominique Corona

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) :

Ce projet de loi instituant un système universel de retraite vise à transformer pour des décennies l'une des composantes majeures du contrat social français. La retraite est un pilier de notre modèle social, auquel les Français sont particulièrement attachés. Ce projet suscite interrogations et anxiétés. Nous avons découvert au fur et à mesure des concertations commencées en avril 2018 les grandes lignes de l'architecture du projet de loi, mais ce n'est qu'à la mi-décembre que nous avons pu enfin sortir du flou sur le contenu du texte.

L'UNSA n'était pas demandeuse d'une telle réforme, mais elle s'est inscrite dès le début dans la concertation. Nous avons formulé des propositions pour améliorer le texte. Certaines ont d'ailleurs été retenues par le Gouvernement, comme le recul des premières générations concernées par le nouveau système. Nous n'avons eu de cesse de porter des revendications avec un seul objectif : qu'il n'y ait pas de « punis » de la réforme.

Beaucoup de zones d'ombre, bien des imprécisions demeurent, que la représentation nationale devra lever. Je n'évoquerai pas le volet financier, que j'aborderai demain lors de la conférence de financement au CESE.

Au cours de la concertation, et dans le rapport Delevoye, l'âge d'équilibre apparaissait plutôt comme un âge actuariel. Pourtant, dans ce projet de loi, il est prévu que « l'âge d'équilibre [...] évolue par génération à hauteur des deux tiers de l'évolution des prévisions d'espérance de vie à la retraite des assurés ». La référence explicite à l'espérance de vie rapproche dangereusement le projet du Gouvernement des comptes notionnels et du « pilotage automatique ». L'UNSA n'y est pas favorable et demande que le législateur laisse à la gouvernance le soin de fixer l'âge d'équilibre, dans le respect de la règle d'or prévue dans le projet de loi.

L'instauration d'un âge d'équilibre aura des répercussions sur les carrières longues. Ces assurés, qui ont commencé à cotiser très tôt, ont pour la plupart exercé des métiers éprouvants et ont une espérance de vie plus courte, seront obligés de partir plus tard ou de subir un malus. Pourtant, via leur durée de cotisation, ils auront contribué à la pension des assurés ayant une espérance de vie plus longue. Cela nous semble très injuste et nous demandons que, pour ces assurés, l'âge l'équilibre soit abaissé à l'âge d'ouverture des droits.

Sur la prise en compte de la pénibilité, tout est à construire. Les concertations avec Mme Pénicaud sont terminées. Nous n'en connaissons pas à ce jour les conclusions. Pour l'UNSA, il faut s'appuyer sur le triptyque prévention, reclassement, réparation. Pour les deux premiers volets, les choses semblent aller dans le bon sens. Nous sommes beaucoup plus inquiets sur la question de la réparation ; les derniers sondages le montrent : les citoyens estiment que la pénibilité doit être prise en compte dans l'âge de départ à la retraite. C'est notre responsabilité que d'entendre ce message.

L'UNSA, pour sa part, estime qu'il faut continuer de revoir les seuils des critères du C2P et réintégrer les critères du précédent dispositif, le C3P, exclus en 2017 : manutention manuelle de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et exposition aux agents chimiques. Personne ne peut croire qu'aujourd'hui, alors que l'on peut mesurer les décibels à la minute près pour un salarié, nous soyons incapables collectivement de mesurer les charges lourdes !

L'extension du C2P à la fonction publique ne suffira pas à compenser la dangerosité ou la pénibilité de certains métiers. Nous demandons donc que le service actif puisse au moins être préservé pour les égoutiers, les agents de morgue ou les éboueurs, dont l'espérance de vie est bien inférieure à la moyenne nationale. Nous demandons aussi le maintien des conditions actuelles de départ pour les ouvriers de l'État, poly-exposés, en particulier aux agents chimiques dangereux. Enfin, nous demandons que la durée de service conditionnant les départs anticipés liés aux fonctions régaliennes, aujourd'hui de vingt-sept ou de dix-sept ans, soit ramenée à dix-sept ans pour tous.

S'agissant des droits familiaux, l'attribution d'une bonification dès le premier enfant était une revendication de l'UNSA. Toutefois, nous demandons la mise en place d'un forfait, en lieu et place d'une revalorisation en pourcentage, ce qui est plus juste et concourra à l'égalité entre les femmes et les hommes. Le projet de loi indique que le choix du bénéficiaire est définitif – dans le cadre d'un divorce, il ne pourra être remis en cause. Cette mesure est dangereuse et pourrait entraîner de fortes injustices. L'UNSA estime indispensable que le juge des affaires familiales puisse être saisi pour redistribuer les bonifications.

S'agissant de la pension de réversion, le changement des conditions d'accès, notamment pour la fonction publique, n'est pas acceptable sans aménagements. Il est donc indispensable d'instaurer, par exemple, une couverture prévoyance obligatoire pour tous les travailleurs, financée pour partie par les employeurs.

En ce qui concerne les minima de pension, la prise en compte des temps partiels est indispensable. Dans ce cadre, l'UNSA demande que soient intégrées l'ensemble des périodes, qu'elles soient contributives ou non – y compris, par exemple, les majorations de durée d'assurance pour les personnes ayant eu des enfants. Le passage à 85 % du SMIC est un premier pas ; toutefois, pour les salariés ayant une carrière complète, l'UNSA revendique la création de minima de pension majorés, permettant d'obtenir une pension au niveau du SMIC.

L'allongement de la durée des carrières implique de se pencher sur l'adaptation des fins de carrière, et surtout de garantir l'emploi des seniors. La retraite progressive peut être un début de réponse. L'UNSA demande ainsi qu'elle soit accessible à partir de 59 ans, et dès 2022. Cette retraite progressive ne doit pas pour autant se traduire par des pertes de droits pour les assurés concernés. Ainsi, nous demandons que les cotisations vieillesse restent basées sur la rémunération à 100 %.

S'agissant du secteur public, de nombreuses questions restent sans réponse dans le projet de loi. Si celui-ci évoque la revalorisation des enseignants, il ne parle pas des personnels des catégories C et B, qui touchent peu de primes, dans la fonction publique de l'État, dans les collectivités territoriales et dans la fonction publique hospitalière. Il faut que, sur ce point également, les agents soient rassurés.

Quant à la gouvernance du système, l'UNSA est particulièrement attachée au rôle des partenaires sociaux. La CNRU couvrira l'ensemble des assurés sociaux. Dans ce cadre, la gouvernance doit représenter l'ensemble des travailleurs. La proposition visant à mettre en place une gouvernance représentant à la fois les salariés du privé et ceux du public constitue une avancée démocratique. Cette représentativité devrait d'ailleurs prévaloir au-delà de la CNRU : il faudrait qu'elle existe également au sein de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et des caisses d'allocations familiales (CAF). En effet, ces organismes ont une gouvernance fondée sur le privé alors que l'ensemble des salariés sont concernés.

Enfin, nous souhaitons vous alerter sur le calcul des droits acquis. Pour l'UNSA, il n'y a qu'une seule solution : appliquer la clause dite « à l'italienne » à toutes et tous. C'est indispensable pour garantir 100 % des droits acquis. Cette solution est la plus favorable pour les salariés.

Voilà les remarques que l'UNSA voulait porter à votre connaissance. J'ajoute que le recours à vingt-neuf ordonnances nous interroge. Cette procédure exceptionnelle ne doit pas pour autant exonérer le Gouvernement d'une concertation avec les partenaires sociaux sur l'ensemble de ces dispositifs. Nous souhaitons obtenir un engagement fort à ce sujet. Il reste donc beaucoup à faire pour améliorer ce projet de manière qu'il n'y ait pas de punis de la réforme, ce qui est la condition sine qua non d'une acceptabilité sociale du projet.

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