Intervention de Dominique Corona

Réunion du mercredi 29 janvier 2020 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) :

Nous sommes très attachés au paritarisme. C'est simple : la source de financement des retraites, c'est la cotisation sociale, c'est-à-dire un salaire différé. Or, le salaire différé, c'est nous ! Ce n'est pas un impôt ; cela ne relève donc pas de Bercy, mais des employeurs et des salariés. Dès lors, il est tout à fait normal que nous gérions collectivement notre portefeuille. Certes, l'État peut définir un cadre – les retraites représentent 14 % du PIB. Mais il faut laisser à la gouvernance la plénitude de ses attributions. Nous ne devons pas avoir le sentiment qu'on nous tord le bras. J'ai cité un exemple, tout à l'heure. On nous dit : « Si vous ne trouvez pas de solution sur l'âge d'équilibre, on retiendra l'espérance de vie ». Non ! En nous imposant cette contrainte, on bride déjà le dialogue social. Or, il faut faire confiance au paritarisme. De toute façon, si une difficulté survient, l'État reprendra la main. Rien ne sert donc de nous cornaquer : laissons aux partenaires sociaux la liberté d'essayer de trouver des solutions intelligentes. L'UNSA croit beaucoup à l'intelligence collective.

Sur le directeur général de la CNRU, je n'ai rien trouvé dans le texte, que j'ai pourtant lu et relu ; j'ignore à l'heure actuelle comment il sera nommé et qui sera consulté. Je ne suis pas certain qu'il le sera par les députés, je ne suis pas certain non plus qu'il le sera par l'État et, manifestement, il ne le sera pas non plus par la gouvernance. Pour l'instant, c'est un mystère ! En revanche, il est certain que si l'on veut que le système fonctionne, il faudra trouver un moyen de solliciter l'avis de la gouvernance. Nous devons donc y travailler ensemble.

Il en va de même du comité d'expertise : ses membres seront désignés par la Cour des comptes, la représentation nationale, le CESE, mais il n'est pas prévu que la gouvernance en nomme ne serait-ce qu'un ou deux. Nous vous demanderons donc que deux experts soient nommés par le conseil administration pour porter la parole des partenaires sociaux au sein du groupe d'experts, qui aura un certain poids.

Quant à la pénibilité, nous sommes d'accord pour réfléchir, au sein des branches professionnelles, à sa prévention. Oui, on peut envisager un bonus-malus dans le cadre de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Les employeurs vertueux, ceux qui ont conclu des accords sur des référentiels de branche, pourraient ainsi bénéficier d'un bonus. En revanche, il n'y a pas de raison que la branche AT-MP paie pour ceux qui ne font pas le boulot. Il faut aller jusqu'au bout de cette logique et ne pas avoir peur d'affirmer que les entreprises vertueuses méritent d'être mieux représentées que celles qui ne le sont pas. En tout cas, ce n'est pas un problème pour nous ; nous l'avons dit à Mme Pénicaud.

Pour ce qui est de la réparation en revanche, renvoyer la question aux branches peut être une solution, mais certaines d'entre elles sont riches, d'autres le sont moins. Prenons l'exemple des salariés qui portent des charges lourdes. Une branche qui a de l'argent pourra leur accorder un congé de fin d'activité payé par l'employeur – c'est une bonne idée. Mais dans une autre branche, qui a moins d'argent, pour une pénibilité identique, les salariés n'auront pas les mêmes droits. D'où la nécessité, j'y insiste avec force, de réintroduire les critères de pénibilité. Il s'agit de forcer les employeurs à négocier avec nous les seuils. En effet, je ne peux pas accepter que le MEDEF déclare en réunion qu'il reconnaît la pénibilité mais que celle-ci ne peut pas être mesurée. Si le problème est d'ordre technique, et c'est le cas, on est capable de le résoudre. On sait mesurer le bruit, mais on ne saurait pas mesurer les charges lourdes ? Allons ! Ce n'est pas acceptable. Vous devez donc nous aider, car il n'y a pas d'autre solution. Rien n'est plus injuste que de voir ces gens mourir prématurément alors qu'ils cotisent pour nous. Nous avons, dans ce domaine, une responsabilité collective. Il ne s'agit pas de revenir au C3P – je sais que c'est impossible –, mais de trouver une solution intelligente pour remédier à cette injustice.

En ce qui concerne l'emploi des seniors, nous estimons qu'un index de suivi est nécessaire. De fait, actuellement, les entreprises se débarrassent facilement des seniors, parce qu'ils coûtent trop cher, parce qu'on veut embaucher des jeunes à leur place, etc. Si nous voulons un dispositif efficace, il faut, là encore, s'en remettre au paritarisme et au dialogue social pour que les partenaires sociaux élaborent un plan « ambition seniors » qui comporte des index de suivi et négocient la mise en oeuvre de la retraite progressive. Car cela ne sera pas simple. On peut toujours, assis sur son siège, appeler de ses voeux le développement de la retraite progressive, mais il va falloir évoquer les difficultés qu'elle soulève. Je ne suis pas employeur, mais tout de même : dans la fonction publique, par exemple, comment organisera-t-on le travail lorsque des professeurs des écoles travailleront à mi-temps ou à tiers-temps ? Sans un dialogue social préalable sur une mise en oeuvre intelligente de la retraite progressive, on se heurtera à des difficultés. Là encore, il faut forcer les partenaires sociaux à négocier des objectifs et un plan ambitieux.

J'en viens à la question des 3 PASS. Ce plafonnement ne nous choque pas. En revanche, se pose la question des cotisations. Prenons l'exemple de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) : le taux de cotisation employeur va être ramené de 33 % à 16 %, sachant, par ailleurs, que les agents des collectivités territoriales de catégorie C ne touchent pas de primes. Comment fait-on ? Le projet de loi prévoit-il une réparation pour ces personnes qui seront punies par la réforme ? Pour les employeurs du privé, la baisse sera encore bien plus importante, puisque le taux ne sera que de 1,2 % au-delà de 10 000 euros. Très franchement, il doit bien y avoir des marges de manoeuvre – c'est une affaire de logique mathématique pure. Là encore, nous devons pouvoir trouver une solution avec le patronat, les collectivités territoriales et la représentation nationale.

En ce qui concerne la règle d'or, nous étions favorables à une période de dix ou quinze ans plutôt que de cinq ans, afin de tenir compte des cycles économiques. Lorsqu'on réfléchit aux retraites, il faut prendre en compte l'espérance de vie, la productivité, la question de l'immigration, la démographie... L'horizon de cinq ans nous semble trop proche. Le COR lui-même a évoqué, à propos du solde, un horizon de dix ou quinze ans. Il serait donc préférable, pour la gouvernance et pour le solde, de fixer un plus long terme. Telle était, en tout cas, notre position, mais ce n'est pas l'hypothèse qui a été retenue.

J'en viens au chômage. Actuellement, on attribue quelques trimestres pour les périodes de chômage non indemnisé ; demain, il n'y aura plus rien. Comment fait-on ? Nous proposons, quant à nous, d'attribuer, sous certaines conditions à définir, des points pour ces périodes de chômage non indemnisé. Demain, si vous ne travaillez pas et ne percevez pas d'allocation chômage, vous n'avez pas de points et vous vous retrouverez aux minima sociaux une fois à la retraite. Il faut donc trouver un juste équilibre qui, pour l'instant, n'existe pas dans le texte.

S'agissant de la conférence des financeurs, je suis optimiste – sinon, je ne serais pas syndicaliste : si une réunion n'a aucune chance d'aboutir, je ne m'y rends pas. L'UNSA a décidé de participer à cette conférence, elle a fait des propositions et continuera à en faire. Mais une chose est certaine : si l'on veut parvenir à l'acceptabilité sociale de ce projet de loi, il faut que tout le monde mette la main au portefeuille. Nous comptons sur vous pour le dire au MEDEF : il n'y a pas de raison que les assurés sociaux soient les seuls à payer toutes les factures. Ce n'est pas acceptable et ce ne sera pas accepté. Un compromis doit être équilibré et équitable. Je vous rappelle qu'en 2014, l'UNSA avait jugé la réforme Touraine équilibrée parce qu'elle reposait sur un triptyque : durée de cotisation, cotisations sociales employeur et pénibilité. Si, demain, la conférence des financeurs décide qu'en définitive, seuls les assurés sociaux doivent mettre au pot, le compromis ne sera pas acceptable.

Je conclurai en rappelant que, pour l'UNSA, le dialogue social est plus que jamais nécessaire. Il faut sortir de l'enkystement social, de la violence, qui caractérise la situation actuelle du pays. Pour cela, des signaux doivent être envoyés. On invoque souvent l'esprit de la Résistance dans les débats sur la réforme des retraites. N'oublions qu'à l'époque, tout le monde avait mis les mains dans le cambouis. Il faut qu'il en soit ainsi demain, sinon nous n'y arriverons pas.

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