Merci à ceux qui ont salué les travaux du COR. Vous comprendrez que, présidant une institution dont les membres ont des avis très divergents sur ce qu'il faut faire en matière de retraite, je ferai preuve d'une extrême prudence en matière de préconisations. Je n'ai pas non plus à exprimer d'opinions personnelles à ce sujet. Ce que fait le COR, c'est établir des diagnostics et dégager un consensus sur les données. Aucun rapport du COR ne pourrait être publié si un seul des partenaires sociaux s'y opposait. Autrement dit, si un rapport est publié, c'est parce que l'ensemble des membres du COR a accepté qu'il le soit au nom de l'institution : ce n'est pas une étude de Pierre-Louis Bras, qui aurait concerté je ne sais qui.
Notre dernier rapport a fait l'objet de nombreuses questions. Dans ce document très dense, nous affirmons d'abord que la part des dépenses de retraite dans le PIB va rester stable jusqu'en 2030. Dans des exercices précédents, nous avions poussé les projections plus loin : dans beaucoup d'hypothèses, la part de ces dépenses diminuait ; cette part baissait aussi dans l'hypothèse retenue par le Gouvernement. Comme l'a indiqué Didier Blanchet, un des éléments qui nous paraît le plus important pour apprécier la situation de notre système de retraite est la part de la richesse nationale qui doit être prélevée pour le financer. Pour schématiser, celle-ci mesure l'effort qu'il faut demander aux actifs pour financer les retraites. Or cette part est stable et, parfois, elle décroît. Quand j'affirme cela, en général, les gens se disent que le président du COR ne semble pas être très au fait que la France vieillit, et qu'en conséquence, la part des dépenses de retraite va augmenter. Je vous rassure, je suis conscient qu'il y aura moins de cotisants demain pour un retraité. Dans le scénario central de l'INSEE sur la démographie, le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités, qui est aujourd'hui de 1,7, devrait tomber à 1,6 en 2030 et à 1,3 en 2070.
S'il n'y avait que ce facteur d'évolution, la part des retraites dans le PIB augmenterait considérablement – je ne l'ai pas calculée, mais elle pourrait sans doute atteindre 18 % ou 19 %. Toutefois, un autre paramètre joue, qu'on peut contester par ailleurs, mais qui conduit à stabiliser la part des dépenses de retraite : rapporté aux rémunérations, on donnera moins, demain, aux retraités. Ces deux forces s'équilibrent jusqu'en 2030 : la force démographique accroît la part des dépenses de retraite, tandis que le facteur des pensions agit en sens contraire. Au-delà de 2030, dans le scénario qu'a choisi le Gouvernement pour élaborer la réforme, la part des dépenses diminue.
Le premier message est donc que notre système de retraite ne dérape pas : il demandera plutôt moins, demain, aux actifs. Toutefois, je ne le cache pas – et les rapports du COR le mettent en évidence –, cela a pour contrepartie la baisse du niveau de vie relatif des retraités. Aujourd'hui, celui-ci représente 105 % par rapport à celui de l'ensemble de la population – quand il est à 105 pour les retraités, il est à 100 pour l'ensemble de la population. Ce sont là des données statistiques, mais la perception du public est très différente : d'après les sondages, 60 % des gens considèrent que les retraités ont un niveau de vie inférieur à celui des actifs. À l'avenir, les retraités devraient voir leur niveau de vie relatif passer de 105 à 85. Cela ne veut pas dire que les pensionnés de demain seront moins riches que les retraités d'aujourd'hui : c'est le niveau de vie relatif qui diminuera, pas le niveau de vie absolu. Toutes les projections du COR retiennent une croissance annuelle des salaires de 1,3 %, en corrélation avec la productivité du travail, pendant cinquante ans. Demain, donc, les actifs et les retraités seront plus riches, mais les premiers relativement plus que les seconds. Nous aurons ainsi une stabilisation – voire la baisse, dans le scénario retenu par le Gouvernement – de la part des dépenses de retraite dans le PIB, avec comme conséquence, qui peut être critiquée, la baisse du niveau de vie relatif des retraités.
Les dépenses sont certes stabilisées, mais reste à savoir si c'est au bon niveau. Certains partis politiques peuvent estimer qu'à 14 % du PIB, le niveau est insuffisant et qu'il faut passer à 16 % ou à 17 % pour que les retraités puissent partir plus tôt avec une pension supérieure ; cela demande d'agir en conséquence sur les prélèvements sur les actifs. D'autres partis peuvent juger ce niveau très excessif, parce que trop exigeant pour les actifs, et considérer qu'il faut revenir à 12 %. Ce sont là des projets politiques. Que les dépenses soient stabilisées est une information importante par rapport aux discours catastrophistes, mais elle ne clôt pas le débat politique.
Pourquoi, malgré cette stabilisation, a-t-on un solde financier, qui pourrait, selon l'hypothèse la plus défavorable, être multiplié par sept, passant de 0,1 point du PIB en 2018 –soit 2,5 milliards d'euros – à 0,7 point d'ici à 2025 ? Il devrait être stabilisé puisque les recettes étant assises sur la masse salariale – que toutes nos hypothèses voient évoluer comme le PIB –, et les taux de cotisation étant stables, elles devraient évoluer comme le PIB. La complexité, que personne n'arrive à percevoir clairement, provient d'un effet de structure. Pour schématiser, les cotisations – y compris celles payées par l'employeur – appliquées aux fonctionnaires sont bien supérieures à celles affectant les salariés du privé. Elles s'élèvent ainsi à 126 % pour les militaires, à 74 % pour les fonctionnaires civils, à 30,6 % pour les fonctionnaires territoriaux, qui relèvent de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) contre 16,46 % pour la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et l'AGIRC-ARRCO, sur l'ensemble des rémunérations. Dès lors, quand la part des fonctionnaires diminue dans l'ensemble des rémunérations, les ressources du système de retraite décroissent.
S'agissant de l'évolution de la part des rémunérations des fonctionnaires, d'autres hypothèses que celles traduites dans la politique du Gouvernement pourraient être avancées. Pour l'instant, au sein de notre institution, toutes les parties prenantes acceptent de faire reposer les projections sur celles du Gouvernement. Le COR n'en établit donc pas. Pour le dernier exercice, le Gouvernement nous a fourni des projections jusqu'en 2030, sur l'évolution des effectifs et des traitements – puisque les taux de cotisation des fonctionnaires s'appliquent à leur traitement et non à leurs primes. Or il se trouve que la politique du gouvernement actuel tend à diminuer très fortement la part de la rémunération des fonctionnaires dans l'ensemble des rémunérations, celle-ci devant passer de 12 % en 2018 à 9 % en 2030. Ce taux résulte, je ne vous apprends rien, de la diminution des effectifs et des évolutions du point d'indice et des rémunérations – et, en leur sein, de la part du traitement et des primes. Toutes les hypothèses transmises par le Gouvernement, clairement exposées dans le rapport du COR, aboutissent à ce résultat.
Demain, dans le cadre du système universel, tout le monde cotisera au même niveau, donc cette difficulté ne se posera plus ; le COR n'aura plus à faire de conventions comptables, ce qui simplifiera les choses. Cet effet de structure un peu paradoxal a déjà été évoqué par Didier Blanchet : une politique budgétairement rigoureuse à l'égard des fonctionnaires entraîne une baisse des ressources du régime de retraite, d'où un déficit très important. Je ne porte pas d'appréciation sur cette politique, mais je signale, au passage, que plusieurs membres du COR la combattent au quotidien, ce qui ne les empêche pas d'accepter de travailler sur les hypothèses fournies par le Gouvernement.
Au COR, nous avons voulu travailler sur ce paradoxe que de bonnes nouvelles pour les finances publiques constituaient autant de mauvaises nouvelles pour les retraites, en y consacrant plusieurs conventions comptables. Dans l'une d'elles, que nous appelons dans notre jargon la convention EEC (effort de l'État constant), nous avons retenu l'hypothèse que, tout en faisant des économies en employant moins de fonctionnaires et en consentant à une évolution des rémunérations plus faible que dans le privé, l'État maintiendrait sa contribution financière – autrement dit, il ne retirerait pas tout le profit qu'il pourrait obtenir de la baisse du nombre de fonctionnaires. Cette convention aboutit, par construction, à un solde bien moins dégradé. Normalement, celui-ci aurait dû se stabiliser à 0,1 %, mais nous n'avons pas intégré l'effort constant des collectivités locales et des hôpitaux – il reste encore l'effet CNRACL. Pour être extrêmement précis, il y a également moins de contributions de l'UNEDIC et de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) pour des raisons tenant à l'évolution du taux de chômage et du nombre de personnes qui bénéficient de l'assurance vieillesse des parents au foyer. Pour résumer, l'existence d'un solde financier provient de moindres contributions d'entités publiques.
Les réactions suscitées par notre rapport ont été extrêmement variées. Certains ont considéré que l'existence du solde justifiait des mesures d'âge. D'autres ont estimé que le solde était lié, non pas à l'évolution des retraites mais à celle des ressources, elle-même découlant de la politique relative à la fonction publique, et que la nécessité de prendre des mesures d'équilibre par l'âge n'était pas si impérieuse. J'essaie de fournir tous les éléments du débat pour que les gens, les partenaires sociaux puissent se déterminer en connaissance de cause. Même si certains membres du COR ne sont pas favorables à la politique menée en matière de finances publiques, s'ils préféreraient retenir d'autres hypothèses sur un sujet comme les salaires des femmes, tous ont accepté de se couler dans le moule fourni par le Gouvernement, du moins à court terme. Ils font preuve de réalisme, en estimant que c'est la seule manière de travailler sur le dossier des retraites, car on n'arriverait pas à se mettre d'accord sur d'autres hypothèses.
J'ai bien noté qu'il y avait un désaccord quant aux conclusions à tirer du rapport. J'ai fourni le diagnostic. Ce n'est pas à moi de prodiguer la thérapeutique : il y a sûrement de très bons docteurs dans la salle ; à eux de décider de ce qu'il faut faire.