Comme je vous l'ai dit, je fournis des données, mais je n'ai pas à porter d'appréciation politique directe sur le nouveau système.
Le COR a publié un rapport complet sur la compensation démographique – pour une fois, il y a fait des recommandations, mais elles n'ont eu aucun impact. Il est vrai que ce mécanisme est extrêmement sensible : en modifiant un paramètre, on peut faire passer des centaines de millions d'euros de la caisse des avocats, par exemple, vers la CNRACL, le régime de la fonction publique d'État ou encore le régime général. Ceux qui perdent hurlent mais ceux qui gagnent ne sautent pas au plafond ! Aussi, dans l'administration, la règle est-elle de ne pas toucher à ce dispositif, car il n'y a que des coups à prendre.
Aujourd'hui, la compensation démographique se fait sur une base extrêmement minimale. Quand on a la chance d'exercer une profession présentant une démographie favorable, ce que l'on est susceptible de régler au titre de la compensation démographique reste modéré. Elle est calculée sur une base minimale pour le régime de base et il n'y a pas de compensation au titre du régime complémentaire – ni pour l'AGIRC-ARRCO, ni pour aucune des caisses complémentaires des indépendants, par exemple –, ce qui fait que chacun peut pleinement bénéficier de sa démographie.
Pour rebondir sur ce qui a été dit tout à l'heure au sujet des caisses autonomes, je voudrais rappeler que la question de l'âge de la retraite par répartition se résume essentiellement à un problème de démographie. Je vous ai indiqué le niveau global pour l'ensemble des Français, à savoir 1,7 cotisant pour un retraité, mais vous vous doutez bien que pour les exploitants agricoles ou pour les mineurs, par exemple, ce ne sont pas du tout les mêmes chiffres : il y a des professions où la démographie est moins favorable, et d'autres où elle l'est bien plus.
Bien évidemment, les salariés qui exercent une profession ayant une démographie extrêmement favorable seront défavorisés par une réforme instaurant un système universel, censée aboutir à ce que tous les Français soient soumis à la démographie commune… En termes d'équité, d'un point de vue normatif – kantien, pourrait-on dire –, je suis prêt à soutenir que c'est une bonne chose que nous partagions tous la même démographie, celle de la communauté nationale de la République française, mais les professions qui vont se trouver défavorisées du fait de l'application d'une démographie commune ne vont sans doute pas vous citer Kant : vous risquez plutôt d'entendre parler de leur niveau de retraite !
Pour ce qui est de l'âge de départ à la retraite, dans le cadre législatif actuel, les Français partent en moyenne à un peu plus de 62 ans, et cet âge va augmenter progressivement jusqu'à 64 ans. En effet, aux termes de la « loi Touraine » de 2013, il est prévu que la durée requise pour bénéficier d'une retraite à taux plein augmente jusqu'à la génération 1973 : en 2035-2040, les gens partiront donc à 64 ans.
La durée passée à la retraite connaît actuellement une période de stabilité, après avoir un peu baissé à l'issue de la réforme de 2010. Dans l'hypothèse d'un maintien du système actuel, l'âge de départ à la retraite n'augmentant plus, la durée passée à la retraite serait appelée à augmenter progressivement : selon nos projections, elle devrait atteindre vingt-neuf ou trente ans en 2070.
Si l'on adoptait le principe d'un âge pivot, censé augmenter régulièrement en fonction de l'espérance de vie dans une proportion de deux tiers, un tiers, cet âge évoluerait de manière sensiblement différente. Les calculs correspondants peuvent être effectués facilement et, si nous ne les avons pas encore faits, c'est que nous ne connaissons pas la base de départ, qui ne pourra être déterminée que dans le cadre de la conférence des financeurs – je précise qu'avant cette conférence des financeurs, la base de départ était de 64 ans en 2027, c'est-à-dire pour la génération 1963.
En ce qui concerne la croissance économique, pour les quatre ans qui viennent, nous nous basons sur les prévisions économiques du Gouvernement, ce qui nous mène jusqu'en 2023-2024. Nous utilisons ensuite des hypothèses du COR pour projeter le système de retraite à très long terme. Évidemment, nous ne nous prenons pas pour Madame Irma et ne prétendons pas faire des prévisions, mais simplement des projections servant à alimenter le débat sur les retraites. Ces projections, qui commencent à partir de 2032, sont calées sur quatre hypothèses différentes d'augmentation de la productivité du travail, qui déterminent l'augmentation des salaires et s'établissent respectivement à 1 %, 1,3 %, 1,5 % et 1,8 %. Le scénario à 1 % correspond à ce que nous avons connu entre 2010 et 2018, c'est-à-dire durant la période ayant suivi la crise. Le scénario à 1,3 % correspond à la période 1990-2018 ; quant au scénario à 1,8 %, il correspond à une période plus lointaine, en l'occurrence 1980-2018.
Aujourd'hui, personne ne peut savoir lequel de ces scénarios va s'appliquer dans les années qui viennent. Régulièrement, j'entends dire que nous allons connaître des évolutions technologiques majeures, qui vont permettre d'importants progrès en termes de productivité. Certains expriment même des inquiétudes sur le fait qu'il pourrait ne plus y avoir d'emplois, ou du moins que leur nombre pourrait chuter drastiquement du fait des progrès accomplis en termes de productivité... Je vous avoue franchement que je n'en sais rien ! L'essentiel, c'est que nous disposions de quatre hypothèses paraissant couvrir un champ des possibles raisonnable, et permettant donc d'engager une réflexion en toute connaissance de cause.
C'est ce qu'a fait le Gouvernement, en optant pour l'hypothèse à 1,3 % à l'horizon 2030. Sur la base de cette hypothèse, il reste à établir une transition entre 2023 et 2032, qui constitue le point d'atterrissage. Si cette transition est censée être progressive, elle peut cependant connaître des à-coups. En effet, nous travaillons avec la direction du Trésor, qui retient la notion d'output gap, c'est-à-dire d'écart entre le niveau réel du PIB et la production potentielle. Durant la période de transition couvrant 2023 à 2032, le Trésor ferme l'output gap, ce qui peut être à l'origine de légers soubresauts entre 2025 et 2030.
Je précise également que, pour ce qui est du niveau de chômage, l'hypothèse retenue actuellement est celle du retour à un taux de 7 % en 2032, ce qui n'est pas particulièrement optimiste par rapport à ce qu'a pu envisager le Gouvernement. Si l'on se place à plus long terme pour tenter de savoir si les dépenses de retraite sont stabilisées dans le PIB, on constate que, dans l'hypothèse la plus défavorable – celle d'un taux de 1 % à partir de 2032 –, ces dépenses sont stabilisées, puisqu'elles se retrouvent en 2070 au niveau de 2018 ; dans toutes les autres hypothèses, elles baissent de manière significative en 2070. Sur ce point, je vous renvoie au graphique figurant dans le rapport du COR, montrant une belle courbe qui diminue très progressivement jusqu'en 2070.
Pour ce qui est du bilan de la contribution de l'État, il y a de sa part des apports liés à la compensation de certaines exonérations de cotisations – cela représente un gros montant. Il faut également tenir compte d'autres facteurs, notamment de la nécessité de renflouer certains régimes qui, sans cela, présenteraient un fort déséquilibre. J'ai cru comprendre, à la lecture de l'étude d'impact, que l'État maintenait cette contribution.
Un autre élément très important, que j'ai évoqué tout à l'heure, réside dans le fait qu'en tant qu'employeur, l'État cotise actuellement à hauteur de 74 % pour les fonctionnaires civils. Dans le cadre du système universel, même si l'assiette va un peu s'élargir en prenant en compte les primes, l'État cotisera beaucoup moins, puisque la cotisation complète sera de 28 % comme pour tous les autres salariés, les salariés du public et du privé étant à peu près alignés. C'est l'un des aspects majeurs de la réforme, puisque les sommes dont il est question sont de l'ordre de plusieurs milliards d'euros. L'étude d'impact nous est parvenue trop tardivement pour que nous ayons le temps de l'étudier de façon approfondie, mais il faudrait se pencher sur cette question et établir des tableaux comparatifs avant-après – j'espère qu'ils vous seront communiqués en temps voulu.
Nous travaillons, bien évidemment, sur l'équilibre démographique global, ainsi que sur celui de chacun des régimes. En revanche, nous n'avons jamais travaillé sur l'équilibre démographique spécifique des enseignants-chercheurs. Dès lors, si vous me demandez si la politique de rémunération actuelle va poser des problèmes de recrutement des enseignants-chercheurs, je ne peux vous répondre sans sortir de ma compétence et de ma condition.
Pour ce qui est du plafonnement à 3 PASS et de ce qui se passe entre 3 et 8 PASS, il faut distinguer deux situations. Entre 3 et 8 PASS, il y a à la fois des cotisations qui créent des droits et d'autres qui n'en créent pas – si les premières disparaissent, il faudra honorer les droits qui avaient été constitués dans le passé. À très long terme, cette suppression va plutôt se révéler favorable aux catégories modestes, car, en matière de retraite, c'est celui qui vit le plus longtemps qui gagne : si vous mourez à 60 ans, vous ne profitez pas du tout de vos cotisations retraite, alors que si vous mourez à 90 ans, vous en profitez pendant trente ans. En effet, comme on meurt à un âge qu'on ne peut connaître à l'avance, la retraite est fondée sur un principe de mutualisation des cotisations – ensuite, il y a ceux qui ont de la chance et ceux qui en ont moins...
Les choses ne sont toutefois pas tout à fait aussi simples, car, en réalité, la date de décès ne résulte pas seulement du hasard : il existe pour cela des déterminants statistiques, l'un d'entre eux étant le niveau de revenu. À ce sujet, une étude menée par Nathalie Blanpain, de l'INSEE, a démontré qu'il existe en France une forte corrélation entre le niveau de revenu et l'espérance de vie, apparaissant très tôt – on la constate déjà à 65 ans. De ce fait, quand les plus riches ne participent pas au système de répartition fondé sur le principe qu'un euro cotisé donne les mêmes droits à tous, paradoxalement, cela rend un service aux plus modestes, car il y a moins d'argent à régler aux plus riches. Jusqu'à présent, il n'y avait pas de plafond pour les cotisations jusqu'à 8 PASS ; dorénavant, il y aura une cotisation de 2,81 % au-delà de 3 PASS. Sur cette tranche, les plus aisés vont donc subir une perte, puisqu'ils cotiseront désormais à 2,81 % sans que cela leur ouvre de droits. Par contre, entre 3 et 8 PASS, il y aura une diminution significative des cotisations. Je ne sais pas si tous ces chiffres figurent parmi les 1 000 pages de l'étude d'impact, mais si vous le souhaitez, nous pouvons vous les communiquer.