Intervention de Laurent Pietraszewski

Réunion du lundi 3 février 2020 à 21h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi instituant un système universel de retraite et le projet de loi organique relatif au système universel de retraite

Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites :

J'entends bien les questions qui sont posées. Je ne voudrais pas répéter ce que vient de dire M. le rapporteur mais, de fait, nous essayons d'examiner les articles du texte dans l'ordre. Or, alors que nous en sommes au chapitre Ier du titre Ier, vous me posez des questions sur la transition, qui sera abordée bien plus loin dans le texte. Ce que je trouve respectueux du Parlement – ce n'est pas vous faire offense que de vous le dire –, c'est d'intervenir au moment utile, d'une manière qui soit en lien avec le contenu du texte. Si vous m'interrogez sur tous les sujets au motif que nous en sommes au titre Ier, qui pose les principes généraux, nous pouvons y passer beaucoup de temps. Peut-être pourrions-nous convenir d'aborder les thèmes qui vous intéressent – ce que je comprends – dans la partie du texte afférente ?

Cela dit, je veux bien revenir sur certains éléments. D'abord, madame Rabault, vous m'interrogiez tout à l'heure sur les générations 2004 et 2005, vous inquiétant d'une naissance qui aurait lieu le 31 décembre 2004 et d'une autre qui surviendrait le 1er janvier 2005. En réalité, si ces deux personnes entrent dans la vie active à 18 ans, elles auront des cotisations identiques, au même taux, dans le système universel de retraite. Je pense que vous vouliez plutôt parler des années 2003 et 2004, et que vous craigniez qu'une personne née en 2004 ne soit tout de suite dans le système universel de retraite, quand une personne née en 2003 n'y serait qu'en 2025. Le niveau de cotisation sera le même, mais la première de ces personnes se créera des droits dans le cadre du système actuel et rejoindra le système universel en 2025, quand la seconde – celle qui appartient à la génération 2004 – y sera d'emblée.

Votre deuxième réflexion, reprise par Mme Autain, portait sur le départ à 62 ans. Vous avez, l'une et l'autre – même si je ne dis pas que telle était votre intention –, opposé deux catégories sociales, en l'occurrence les cadres et les ouvriers. Et si nous examinions les choses factuellement ? C'est une erreur de croire qu'un niveau de qualification plus bas vous permet d'entrer directement sur le marché de l'emploi ; c'est même un peu le contraire. Vous faites l'hypothèse selon laquelle les ouvriers commencent à travailler très tôt. Malheureusement, force est de constater que l'âge moyen d'entrée dans la vie active est de 21 ans pour les ouvriers – et de 22 ans pour les cadres. La différence essentielle entre ces deux catégories socioprofessionnelles est que, dans l'une, à près de 80 %, on trouve très vite du travail – je parle de ceux ayant fait des études longues –, alors que, dans l'autre, on met du temps à y arriver.

Votre comparaison ne tient donc pas au vu des faits : un ouvrier commence à travailler non pas à 20 ans mais à 21 ans, et un cadre à 22 ans, non à 24 ans. En revanche, puisque je comprends votre logique, je vais la prolonger, cette fois-ci sur la base de faits objectifs : 21 ans plus 43 font 64 ans, ce qui, je vous le rappelle, est ni plus ni moins que l'application de la réforme dite « Touraine », votée en 2014. L'ouvrier en question travaillera donc jusqu'à 64 ans – en admettant d'ailleurs qu'il reste ouvrier toute sa vie, ce qui n'est pas forcément une hypothèse que je ferais : la dynamique des carrières professionnelles est telle que ce n'est pas nécessairement ainsi que les choses se passent et, quoi qu'il en soit, on peut souhaiter que les personnes qui commencent par exercer des métiers dont l'accès est plus immédiat puissent évoluer et endosser par la suite des responsabilités. Quant au cadre, arrivé à 22 ans sur le marché du travail, il devrait lui aussi travailler quarante-trois ans du fait de la « réforme Touraine », ce qui veut dire qu'il partirait à 65 ans. L'étude d'impact comporte un certain nombre d'hypothèses de cet ordre.

Quoi qu'il en soit, vous le voyez, la dynamique ne serait pas du tout celle que vous avez décrite. Je comprends parfaitement, d'ailleurs, pourquoi vous avez évoqué l'âge de 20 ans : ce faisant, vous pensiez pouvoir ouvrir le débat sur les décotes et les surcotes. Il se trouve que la situation que vous avez décrite ne correspond pas, objectivement, à ce qui se passe sur le marché de l'emploi ; c'est incontestable et factuel. Même si mon regard n'est pas forcément le même que le vôtre, nous pourrions peut-être nous rejoindre sur un point, à savoir la réalité de ce que vivent un certain nombre de personnes dans le système actuel, que M. le rapporteur a rappelée tout à l'heure – je pense en particulier aux personnes qui doivent travailler jusqu'à 67 ans, âge à partir duquel la décote est annulée. Puisque vous vous référez au système actuel, je pense que vous avez tout cela bien en tête.

S'il n'y a pas, contrairement à ce que vous vouliez peut-être souligner, d'opposition entre les catégories socioprofessionnelles s'agissant de l'entrée dans la vie active, on observe, en revanche, en ce qui concerne l'âge d'annulation de la décote, que ce ne sont pas les cadres supérieurs ou les professions libérales qui travaillent aussi longtemps : ce sont, pour l'essentiel, ceux de nos concitoyens ayant les revenus les plus faibles, car ils y sont obligés. Je vais vous donner quelques chiffres – en effet, là encore, il s'agit d'un constat objectif : je ne suis pas intéressé par les pétitions de principe, j'essaye d'étudier les statistiques qui sont à ma disposition. Ce sont les personnes ayant eu les carrières les plus heurtées qui partent à 67 ans. C'est un monde que je connais bien, mes parents ayant été concernés : 28 % des artisans et 15 % des salariés sont dans ce cas – mais 19 % des femmes salariées puisque, vous le savez, c'est un phénomène qui touche plus particulièrement les femmes. Or, selon l'AGIRC-ARRCO, l'âge moyen de départ à la retraite pour les cadres se situe plutôt aux alentours de 62 ans. Vous le voyez, la réalité n'est pas aussi simple qu'on peut le croire quand on s'en tient à des exemples destinés à opposer les uns aux autres – je n'ai pas dit que c'était là le fond de votre pensée. Du reste, nous pouvons tous souhaiter que les gens évoluent au cours de leur carrière et accèdent à davantage de responsabilités, même si ce n'est pas le cas de tout le monde. Quoi qu'il en soit, l'évolution professionnelle, cela existe et, en la matière, il faut en rester sereinement aux faits.

Vous avez évoqué tout à l'heure un autre aspect, Madame Autain, lorsque vous vous êtes inquiétée de l'universalité. Vous m'avez dit en substance : « J'aimerais bien, monsieur le secrétaire d'État, que vous m'expliquiez pourquoi, si votre système universel de retraite est si bon, vous ne l'appliquez pas aussi aux policiers et aux militaires » – je ne voudrais pas déformer vos propos, mais je crois que c'était à peu près leur teneur. Or il n'y a pas de débat à ce sujet : les policiers et les miliaires sont bien dans le système universel de retraite ; simplement, ils bénéficient de dispositions particulières, ce que je vais vous expliquer bien volontiers. J'estime que le fait de risquer sa vie pour protéger celle de ses concitoyens et de veiller à l'intégrité de son pays mérite d'être pris en compte. Cela me paraît tout à fait raisonnable. Par ailleurs, au-delà d'un certain âge, on n'a pas nécessairement les ressources physiques pour partir en mission au Sahel – notamment au Mali. De la même manière, il est important d'avoir des policiers en situation de faire leur travail, c'est-à-dire jouissant de l'intégralité de leurs moyens. Il y a donc effectivement des différences, mais elles sont liées à l'activité exercée, et ont été précisées dès le début. De plus, elles concernent l'âge de départ : cela n'a rien à voir avec le fait d'être ou pas inclus dans le système universel de retraite.

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