Lundi 3 février 2020
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
La commission poursuit l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite (n° 2623 rectifié) (M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général, MM. Nicolas Turquois, Jacques Maire, Mmes Corinne Vignon, Carole Grandjean et M. Paul Christophe, rapporteurs).
Mes chers collègues, nous poursuivons l'examen du projet de loi instituant un système universel de retraite. Nous avons examiné cet après-midi 183 amendements. Il ne nous en reste donc que 21 263 à examiner...
Article 1er (suite) : Création d'un système universel de retraite par répartition
La commission examine l'amendement n° 21083 de Mme Valérie Rabault.
Cet amendement vise à supprimer les alinéas 5 et 8 de l'article 1er. L'alinéa 5 fixe un « objectif d'équité » et précise que « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous dans les conditions définies par la loi ». L'alinéa 8, quant à lui, définit un « objectif de liberté de choix pour les assurés », notamment en ce qui concerne la date de départ à la retraite. Le premier de ces deux alinéas, nous l'avons dit, ne correspond pas à la réalité : chaque euro cotisé ne donnera pas les mêmes droits ; cela dépendra des caractéristiques de la carrière de chacun, notamment en cas d'interruptions. Les personnes nées avant 1975 verront-elles, à partir de 2025, le taux et l'assiette de cotisation modifiés, en l'occurrence augmenter ? Valérie Rabault et Boris Vallaud ont déjà posé tout à l'heure cette question extrêmement précise concernant le régime transitoire ; nous n'avons pas reçu de réponse.
Quant à la prétendue liberté de chacun de partir à la retraite à l'âge qu'il souhaite, on voit bien ce qu'il en est. Par exemple, un ouvrier ayant commencé à travailler à l'âge de 20 ans et qui cotiserait quarante-trois ans ne pourrait partir à la retraite qu'à partir de 65 ans, si l'âge pivot est fixé à ce niveau, et n'aurait donc aucune liberté de choix. De surcroît, il y aurait là une inégalité sociale majeure, car un cadre qui commencerait à travailler à 24 ans et qui cotiserait quarante-trois ans partirait à 67 ans, non seulement sans malus, mais au contraire avec un bonus de 10 %.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous souhaitons supprimer ces deux alinéas.
Je suis surpris que vous proposiez la suppression de ces alinéas alors que vous en partagez les objectifs. Que vous ne partagiez pas les moyens proposés pour les atteindre, je l'entends, mais je vous invite à travailler sur ces moyens plutôt qu'à essayer de supprimer les objectifs eux-mêmes, d'autant que vous les approuvez. Avis défavorable.
Si nous avons présenté cet amendement, ce n'est parce que nous ne partageons pas les objectifs, c'est parce que nous pensons qu'ils ne sont pas servis par votre réforme. Je vous en donnerai un seul exemple. Vous affirmez qu'un euro cotisé donne les mêmes droits à tout le monde, mais ce n'est pas vrai pour les indépendants entre un et trois plafonds de la sécurité sociale : la part des cotisations créatrices de droits dans le total des cotisations acquittées est plus faible pour eux que pour les salariés. Leurs droits à retraite le seront donc eux aussi. Monsieur le rapporteur, comment justifiez-vous cet écart par rapport à la règle fixée ? Ne craignez-vous pas que le Conseil constitutionnel censure la disposition au titre de l'égalité ?
Cet amendement met en évidence ce qui constitue l'intention avérée du texte, à savoir non seulement perpétuer des inégalités existantes, mais les aggraver.
Je suis évidemment en accord avec ce que vient d'être dit par mes collègues. Il est question, dans l'alinéa 8, d'un « objectif de liberté de choix pour les assurés » ; je voudrais savoir, monsieur le secrétaire d'État, dans quelle mesure cette liberté de choix est effective. En effet, votre formule de calcul de la pension versée est la suivante : le nombre de points acquis est multiplié par la valeur du point, moins le malus, lequel dépend de l'âge de départ à la retraite, avec un âge pivot fixé à 65 ans. Comment voulez-vous – je reprends le même exemple que précédemment – qu'un ouvrier qui a commencé à travailler à 20 ans et qui a cotisé quarante-trois ans parte à 63 ans à la retraite, même s'il a toutes ses années de cotisation, dès lors qu'il risque de subir une décote de 10 % sur sa pension – laquelle, d'ailleurs, même complète, n'est pas très élevée ? Pour cet ouvrier, la liberté de choix n'existe pas. Dans ces conditions, écrire dans l'alinéa 8 que chacun aura la liberté de choix me paraît mensonger. Nous proposons donc sa suppression. Encore une fois, si vous souhaitez que la liberté de choix existe réellement, il faut à tout le moins que vous renonciez au malus – je ne reviens pas sur les autres difficultés qu'a soulevées Boris Vallaud, notamment au regard des différences existant entre les indépendants et les salariés ; on pourrait aussi évoquer les agriculteurs, qui, eux non plus, ne seront pas traités de la même manière.
Nous avons fait une pause dans nos travaux, mais mon inquiétude ne fait qu'augmenter : dix-huit mois de concertation simulée, un dialogue social avorté, une étude d'impact tronquée, un débat parlementaire mal emmanché... Je me demande quelle est, au bout du compte, votre stratégie. M. le secrétaire d'État a visiblement fait voeu de silence, la majorité voeu d'obéissance, et nous, nous défendons nos amendements, mais nous sommes un peu comme des boxeurs qui taperaient dans des sacs vides – je suis sûr que la métaphore parlerait au Premier ministre. (Sourires.) Je suis inquiet parce que, du fait de votre démarche, les corps constitués sont humiliés, et les organisations syndicales, malgré soixante jours de mobilisation, rendues inutiles, tout autant d'ailleurs que les parlementaires. Je vous demande donc quelle est votre stratégie. Allons-nous arriver en séance avec un texte identique à celui de départ ? D'ailleurs, j'ai bien peur que nous n'ayons pas le temps d'examiner les 22 000 amendements qui ont été déposés. Si, en plus, vous nous dites de fermer notre gueule – car j'ai bien vu le geste que l'un d'entre vous vient de faire –, si vous voulez museler l'opposition, cela devient vraiment problématique.
Mes questions sont donc simples : avez-vous acté comme stratégie ultime le recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution ? Avez-vous opté pour un texte dans lequel tout est joué d'avance ? Vous moquez-vous du dialogue ? Avez-vous décidé de faire l'impasse sur les discussions ? Je suis intéressé par les réponses de la commission, mais aussi par celles de M. le secrétaire d'État.
Pour prolonger les interventions de Boris Vallaud, Régis Juanico, Valérie Rabault et Sébastien Jumel, je voudrais d'abord réitérer les deux questions précises que j'ai posées tout à l'heure. La première concernait la différence entre l'ouvrier et le cadre. Même si l'un et l'autre travaillent quarante-trois ans, dans la mesure où ils n'auront pas commencé au même âge, l'ouvrier sera pénalisé par votre système, qui lui fera perdre 10 % de sa pension, tandis que le cadre sera favorisé, car il bénéficiera d'une surcote. Pouvez-vous nous dire un mot à ce propos, monsieur le secrétaire d'État ? C'est le moins que l'on puisse attendre dans un cadre démocratique : obtenir des réponses aux questions précises que nous posons.
Ma seconde question concernait la retraite des chômeurs. Je rappelle que, dans le système actuel, le calcul est fait sur la base du dernier salaire et non pas sur les indemnités. Avec votre système, c'est le contraire, ce qui entraînera évidemment un manque à gagner. Là aussi, pourrions-nous avoir une réponse précise ?
J'ajoute un mot à propos d'un autre sujet sensible : le principe selon lequel chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous. Vous n'arrêtez pas de le rabâcher, vous le répétez sur tous les tons. Or il est évident qu'en fonction de la génération à laquelle on appartient, un euro cotisé n'ouvrira pas les mêmes droits, puisque l'âge d'équilibre va évoluer. Autrement dit, au moment où une personne partira à la retraite, le point cotisé n'aura pas la même valeur que pour une personne appartenant à une autre génération. Au vu de ces éléments, l'alinéa 5 est tout simplement mensonger.
La commission rejette l'amendement n° 21083.
Elle en vient aux amendements identiques n° 1475 de Mme Clémentine Autain, n° 1482 de M. Jean-Luc Mélenchon, n° 1483 de Mme Danièle Obono et n° 21163 de Mme Valérie Rabault.
Je veux bien défendre mon amendement mais, en principe, nous devrions défendre des amendements face à une majorité défendant, elle, son texte, et à des ministres censés répondre à nos interrogations. En l'occurrence, nos interrogations ne sont pas seulement celles des députés insoumis, communistes ou socialistes : ce sont aussi les questions que se posent les gens, qui sont inquiets pour leur avenir et pour leur retraite. Vous vous moquez de nous ; le problème est qu'à travers nous, c'est aussi des Français que vous vous moquez, lesquels sont majoritairement opposés à votre projet. Je veux bien défendre l'amendement n° 1475, qui vise à supprimer l'alinéa 5, mais la manière dont nous débattons dans cette commission pose un problème démocratique.
J'exposerai mes arguments très rapidement, et mes collègues compléteront. Nous voulons supprimer l'alinéa 5 parce qu'il est mensonger : il n'est pas vrai qu'un euro cotisé ouvrira les mêmes droits pour tous. Il faut également se rendre compte du fait que le calcul se fera désormais, dans le privé, non plus sur les vingt-cinq meilleures années mais sur toute la carrière et, dans le public, non plus sur les six derniers mois mais sur toute la carrière. Cela pose un véritable problème. En effet, par définition, si vous calculez sur une période plus longue, ceux qui ont des carrières hachées et des salaires bas vont nécessairement y perdre. Je ne vois donc pas comment on peut parler d'équité et de justice, dès lors que le système va conduire à une diminution du niveau des pensions.
L'amendement n° 1482 est lui aussi un amendement de suppression, dont la raison va vous paraître évidente : nous sommes en désaccord pratiquement avec un mot sur deux. Il est nécessaire de demander la suppression d'un texte auquel on ne croit pas, en tout cas quand on se sent un devoir de sincérité à l'égard de ceux qui nous ont envoyés ici.
Je vous demande, collègues, de bien regarder ce que vous écrivez : il est question, à l'alinéa 5, d'un « objectif d'équité ». Je ne vous infligerai pas de nouveau le débat que nous avons eu tout à l'heure sur l'équité et l'égalité ; toujours est-il qu'un objectif d'équité, ce n'est pas un objectif d'égalité. Pourtant, à la fin de la phrase, on passe de l'équité à l'égalité, puisqu'il est écrit que « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous » – ce qui, naturellement, n'est pas vrai ; tout le monde l'a dit, y compris ceux qui sont partisans du système à points –, et ce, est-il précisé pour finir, « dans les conditions définies par la loi ». Autrement dit, nous passons de l'équité à l'égalité, pour terminer dans le brouillard.
Vous avez établi qu'il n'y aurait ni équité ni égalité. En effet, c'est la fin des régimes spéciaux : si vous en avez maintenu un certain nombre, vous en avez supprimé beaucoup, et toutes les personnes concernées vont y perdre. Par ailleurs, nous l'avons dit, vous expulsez du système tous ceux qui sont au-dessus de trois fois le plafond annuel de la sécurité sociale. En outre, vous instaurez des méthodes de calcul différentes selon que l'on est dans le privé ou dans le public. Enfin, nous n'avons pas encore compris en quoi consiste une carrière complète dans le cadre d'un système à points.
Dans l'alinéa 5, on trouve une phrase de deux lignes comportant trois notions oxymoriques : ce sont des énoncés collés les uns à côté des autres par la magie de la grammaire et de la syntaxe, mais pas par celle de la politique.
Je me joins aux interpellations de mes collègues. J'en profite également pour rappeler que, si nous sommes réunis ici, c'est parce que votre majorité et votre gouvernement l'ont voulu. En dépit des conditions de l'examen du texte, quelque peu problématiques, nous avons fait le travail de lire très attentivement le projet de loi et l'étude d'impact, aussi rocambolesques que soient ses composantes. Nous avons étudié le texte alinéa par alinéa. S'agissant de l'alinéa 5, Jean-Luc Mélenchon vient de démontrer l'incohérence totale entre, d'une part, ce que vous prétendez avoir inscrit dans le texte, à savoir l'universalité, l'égalité et tutti quanti, d'autre part, la réalité de ce que signifie ce qui est écrit. Nous proposons donc la suppression de cet alinéa, et nous l'expliquons à travers tous ces amendements. En vérité, rien de ce que vous prétendez avoir écrit n'est aujourd'hui établi dans le projet de loi. Il va bien falloir que vous nous donniez des réponses, faute de quoi votre silence sera l'aveu de l'inanité des travaux menés pendant plus de deux ans, qui nous ont pourtant été présentés comme un exemple formidable de dialogue social. Si vous avez dialogué avec les syndicats de la même manière que vous le faites avec les parlementaires, on comprend pourquoi cela a fini en eau de boudin, au point que le seul syndicat qui vous présentait un visage avenant s'est lui-même trouvé dans l'impossibilité de vous soutenir jusqu'au bout. Il va falloir que vous nous donniez des réponses, car votre silence confirmera les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de l'alinéa 5 et, plus largement, de l'ensemble des dispositions du projet de loi. Nous espérons qu'au cours des nombreuses heures que nous allons passer ensemble, vous nous donnerez des réponses précises.
L'amendement n° 21163 vise lui aussi à supprimer l'alinéa 5 de l'article 1er. Je l'ai dit, vous faites croire que le système universel va être plus lisible et que le montant de la pension sera égal au nombre de points acquis pendant la carrière, multiplié par la valeur du point. En réalité, on découvre au fur et à mesure qu'il faudra déduire le malus – dans le projet de loi, il est question de « coefficient d'ajustement » ; je pense pour ma part qu'il vaut mieux l'appeler « malus », pour que chacun comprenne bien de quoi il s'agit.
Il se trouve que ce malus est fondé sur l'âge réel de départ à la retraite. Depuis le début des travaux de cette commission, nous vous avons interrogés au moins dix fois, en vain, sur la situation de l'ouvrier qui commence à travailler à 20 ans, qui cotise quarante-trois ans et souhaite donc partir à la retraite à 63 ans, soit deux ans avant d'atteindre le fameux âge d'équilibre qui, à ce stade, figure dans le texte. De ce fait, cet ouvrier perd 10 % de sa pension. Un cadre qui a fait des études et a donc commencé à travailler à 24 ans, cotise quarante-trois ans et part à la retraite à 67 ans, c'est-à-dire deux ans de plus par rapport à l'âge d'équilibre, bénéficie quant à lui d'un bonus de 10 % sur le montant de sa retraite. Il faut que vous nous disiez, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, comment un tel système peut, à vos yeux, produire de la justice. En effet, sur la base de l'exemple que nous reprenons sans arrêt depuis tout à l'heure, il est tout bonnement impensable que votre majorité puisse considérer que le système établit une quelconque justice entre l'ensemble des assurés.
Sur la forme, madame Autain, madame Rabault, vous dites que nous ne vous répondons pas ; mais, dans cet article, nous en sommes aux objectifs du système proposé, tandis que vous nous parlez des moyens permettant de les mettre en oeuvre. Vous contestez ces moyens, c'est tout à fait votre droit, mais je vous invite à nous interpeller à nouveau au moment où nous aborderons la question : nous vous donnerons alors des réponses sur le fond. Nous n'allons pas débattre de ce point avant d'en arriver aux articles du texte qui s'y rapportent.
Madame Autain, les 19 000 amendements que votre groupe a déposés noient le débat. Nous n'allons pas répéter 19 000 fois les mêmes explications : cela nuirait à la qualité des réponses que nous apportons aux autres groupes.
S'agissant des éléments techniques, monsieur le secrétaire d'État pourra s'exprimer dès à présent s'il le souhaite mais, je le répète, il me semble qu'il faut les aborder au moment de l'examen des articles qui s'y rapportent. L'article 1er, quant à lui, traite des objectifs, lesquels ont été fixés à partir du constat que nous faisons sur le système actuel. Or celui-ci est source d'iniquités : certaines durées d'activité, parce qu'elles correspondent à des revenus inférieurs à 150 heures au SMIC, ne permettent pas de valider des trimestres, ce que nous trouvons inéquitable ; certains polypensionnés peuvent acquérir plus de quatre trimestres par an, ce que nous trouvons surprenant ; certains trimestres accordés au titre de la majoration de durée d'assurance ne valident pas de droits à retraite, ce que nous trouvons inéquitable – de même, d'ailleurs, que le fait que cette majoration permette de bénéficier de huit trimestres dans le privé, contre deux dans le public ; les taux de rendement du point peuvent varier du simple au double suivant la caisse de retraite, ce que nous trouvons inéquitable ; enfin, et cet exemple est peut-être celui qui me tient le plus à coeur, quand une femme s'arrête de travailler pendant dix ans, elle doit attendre jusqu'à 67 ans pour faire valider sa retraite sans décote, ce que nous trouvons profondément inéquitable. Tel est le constat que nous dressons. Nous essayons de construire un nouveau système, qui a certainement des limites, que vous pointerez le moment venu, et sur lesquelles nous pourrons essayer de travailler. En attendant, je suis donc absolument défavorable à la suppression de l'alinéa 5.
J'entends bien les questions qui sont posées. Je ne voudrais pas répéter ce que vient de dire M. le rapporteur mais, de fait, nous essayons d'examiner les articles du texte dans l'ordre. Or, alors que nous en sommes au chapitre Ier du titre Ier, vous me posez des questions sur la transition, qui sera abordée bien plus loin dans le texte. Ce que je trouve respectueux du Parlement – ce n'est pas vous faire offense que de vous le dire –, c'est d'intervenir au moment utile, d'une manière qui soit en lien avec le contenu du texte. Si vous m'interrogez sur tous les sujets au motif que nous en sommes au titre Ier, qui pose les principes généraux, nous pouvons y passer beaucoup de temps. Peut-être pourrions-nous convenir d'aborder les thèmes qui vous intéressent – ce que je comprends – dans la partie du texte afférente ?
Cela dit, je veux bien revenir sur certains éléments. D'abord, madame Rabault, vous m'interrogiez tout à l'heure sur les générations 2004 et 2005, vous inquiétant d'une naissance qui aurait lieu le 31 décembre 2004 et d'une autre qui surviendrait le 1er janvier 2005. En réalité, si ces deux personnes entrent dans la vie active à 18 ans, elles auront des cotisations identiques, au même taux, dans le système universel de retraite. Je pense que vous vouliez plutôt parler des années 2003 et 2004, et que vous craigniez qu'une personne née en 2004 ne soit tout de suite dans le système universel de retraite, quand une personne née en 2003 n'y serait qu'en 2025. Le niveau de cotisation sera le même, mais la première de ces personnes se créera des droits dans le cadre du système actuel et rejoindra le système universel en 2025, quand la seconde – celle qui appartient à la génération 2004 – y sera d'emblée.
Votre deuxième réflexion, reprise par Mme Autain, portait sur le départ à 62 ans. Vous avez, l'une et l'autre – même si je ne dis pas que telle était votre intention –, opposé deux catégories sociales, en l'occurrence les cadres et les ouvriers. Et si nous examinions les choses factuellement ? C'est une erreur de croire qu'un niveau de qualification plus bas vous permet d'entrer directement sur le marché de l'emploi ; c'est même un peu le contraire. Vous faites l'hypothèse selon laquelle les ouvriers commencent à travailler très tôt. Malheureusement, force est de constater que l'âge moyen d'entrée dans la vie active est de 21 ans pour les ouvriers – et de 22 ans pour les cadres. La différence essentielle entre ces deux catégories socioprofessionnelles est que, dans l'une, à près de 80 %, on trouve très vite du travail – je parle de ceux ayant fait des études longues –, alors que, dans l'autre, on met du temps à y arriver.
Votre comparaison ne tient donc pas au vu des faits : un ouvrier commence à travailler non pas à 20 ans mais à 21 ans, et un cadre à 22 ans, non à 24 ans. En revanche, puisque je comprends votre logique, je vais la prolonger, cette fois-ci sur la base de faits objectifs : 21 ans plus 43 font 64 ans, ce qui, je vous le rappelle, est ni plus ni moins que l'application de la réforme dite « Touraine », votée en 2014. L'ouvrier en question travaillera donc jusqu'à 64 ans – en admettant d'ailleurs qu'il reste ouvrier toute sa vie, ce qui n'est pas forcément une hypothèse que je ferais : la dynamique des carrières professionnelles est telle que ce n'est pas nécessairement ainsi que les choses se passent et, quoi qu'il en soit, on peut souhaiter que les personnes qui commencent par exercer des métiers dont l'accès est plus immédiat puissent évoluer et endosser par la suite des responsabilités. Quant au cadre, arrivé à 22 ans sur le marché du travail, il devrait lui aussi travailler quarante-trois ans du fait de la « réforme Touraine », ce qui veut dire qu'il partirait à 65 ans. L'étude d'impact comporte un certain nombre d'hypothèses de cet ordre.
Quoi qu'il en soit, vous le voyez, la dynamique ne serait pas du tout celle que vous avez décrite. Je comprends parfaitement, d'ailleurs, pourquoi vous avez évoqué l'âge de 20 ans : ce faisant, vous pensiez pouvoir ouvrir le débat sur les décotes et les surcotes. Il se trouve que la situation que vous avez décrite ne correspond pas, objectivement, à ce qui se passe sur le marché de l'emploi ; c'est incontestable et factuel. Même si mon regard n'est pas forcément le même que le vôtre, nous pourrions peut-être nous rejoindre sur un point, à savoir la réalité de ce que vivent un certain nombre de personnes dans le système actuel, que M. le rapporteur a rappelée tout à l'heure – je pense en particulier aux personnes qui doivent travailler jusqu'à 67 ans, âge à partir duquel la décote est annulée. Puisque vous vous référez au système actuel, je pense que vous avez tout cela bien en tête.
S'il n'y a pas, contrairement à ce que vous vouliez peut-être souligner, d'opposition entre les catégories socioprofessionnelles s'agissant de l'entrée dans la vie active, on observe, en revanche, en ce qui concerne l'âge d'annulation de la décote, que ce ne sont pas les cadres supérieurs ou les professions libérales qui travaillent aussi longtemps : ce sont, pour l'essentiel, ceux de nos concitoyens ayant les revenus les plus faibles, car ils y sont obligés. Je vais vous donner quelques chiffres – en effet, là encore, il s'agit d'un constat objectif : je ne suis pas intéressé par les pétitions de principe, j'essaye d'étudier les statistiques qui sont à ma disposition. Ce sont les personnes ayant eu les carrières les plus heurtées qui partent à 67 ans. C'est un monde que je connais bien, mes parents ayant été concernés : 28 % des artisans et 15 % des salariés sont dans ce cas – mais 19 % des femmes salariées puisque, vous le savez, c'est un phénomène qui touche plus particulièrement les femmes. Or, selon l'AGIRC-ARRCO, l'âge moyen de départ à la retraite pour les cadres se situe plutôt aux alentours de 62 ans. Vous le voyez, la réalité n'est pas aussi simple qu'on peut le croire quand on s'en tient à des exemples destinés à opposer les uns aux autres – je n'ai pas dit que c'était là le fond de votre pensée. Du reste, nous pouvons tous souhaiter que les gens évoluent au cours de leur carrière et accèdent à davantage de responsabilités, même si ce n'est pas le cas de tout le monde. Quoi qu'il en soit, l'évolution professionnelle, cela existe et, en la matière, il faut en rester sereinement aux faits.
Vous avez évoqué tout à l'heure un autre aspect, Madame Autain, lorsque vous vous êtes inquiétée de l'universalité. Vous m'avez dit en substance : « J'aimerais bien, monsieur le secrétaire d'État, que vous m'expliquiez pourquoi, si votre système universel de retraite est si bon, vous ne l'appliquez pas aussi aux policiers et aux militaires » – je ne voudrais pas déformer vos propos, mais je crois que c'était à peu près leur teneur. Or il n'y a pas de débat à ce sujet : les policiers et les miliaires sont bien dans le système universel de retraite ; simplement, ils bénéficient de dispositions particulières, ce que je vais vous expliquer bien volontiers. J'estime que le fait de risquer sa vie pour protéger celle de ses concitoyens et de veiller à l'intégrité de son pays mérite d'être pris en compte. Cela me paraît tout à fait raisonnable. Par ailleurs, au-delà d'un certain âge, on n'a pas nécessairement les ressources physiques pour partir en mission au Sahel – notamment au Mali. De la même manière, il est important d'avoir des policiers en situation de faire leur travail, c'est-à-dire jouissant de l'intégralité de leurs moyens. Il y a donc effectivement des différences, mais elles sont liées à l'activité exercée, et ont été précisées dès le début. De plus, elles concernent l'âge de départ : cela n'a rien à voir avec le fait d'être ou pas inclus dans le système universel de retraite.
Je souhaite verser à mon tour quelques éléments au débat. En effet, certains arguments de l'opposition, qui peuvent sembler justes à première vue, se révèlent infondés quand on examine les faits. M. le secrétaire d'État vient de parler de l'âge réel de départ à la retraite des cadres et des ouvriers, et de rappeler quelles sont les catégories socioprofessionnelles les plus concernées par le départ à 67 ans. On voit que ce sont les plus précaires qui sont touchés, et de loin.
Vous dites qu'il vaut mieux indexer les points de solidarité correspondant aux périodes de chômage sur le salaire plutôt que sur les indemnités versées. Or celles-ci sont beaucoup plus redistributives : dès lors que les indemnités ont un plancher et un plafond, il est plus égalitaire de déterminer les points de solidarité sur cette base. Là encore, il faut donc faire attention, car la réalité est plus complexe qu'il n'y paraît.
Enfin, vous dites que le fait de se fonder sur les six derniers mois – s'agissant du public – ou les vingt-cinq dernières années – dans le privé – est plus favorable aux carrières heurtées que la prise en compte de la totalité de la carrière, mais c'est absolument faux. Le problème est que les pensions de retraite et les droits à la retraite sont indexés sur l'inflation. Nous voulons, quant à nous, les indexer sur les salaires. Les personnes dont les carrières et les salaires ne progressent pas, c'est-à-dire, une fois encore, les plus précaires, auront ainsi de meilleures pensions, dans la mesure où les points acquis en début de carrière vaudront autant que les points acquis en fin de carrière, ce qui n'est pas le cas dans le système actuel – c'est d'ailleurs une injustice criante ; je pense que nous serons d'accord sur ce point, et j'aimerais bien vous entendre dénoncer cette injustice, qui existe d'ailleurs depuis de nombreuses années.
Je voudrais d'abord féliciter M. le secrétaire d'État, parce qu'une fois qu'il a répondu à nos questions, nous ne les comprenons plus nous-mêmes.
Il est tout à fait posé, madame la présidente. Ma remarque était parfaitement objective. D'ailleurs, je ne critiquais pas tant les réponses de M. le secrétaire d'État que mes questions, vous auriez pu le noter.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous avais posé une question dans l'hémicycle, en m'appuyant sur l'exemple de deux personnes – Laurent et Édouard, si je me souviens bien –, nées toutes les deux en 2005 et pour lesquelles s'appliquait le même âge pivot, à savoir 67 ans. Peu importe que l'un soit cadre et l'autre ouvrier : Laurent commençait à travailler à 20 ans et avait nécessairement une décote, alors qu'Édouard, qui avait travaillé à partir de l'âge de 25 ans, avait nécessairement une surcote. Voilà qui est factuel et objectif. Vous ne pouvez pas le contester. Ensuite, vous parlez des carrières heurtées. Selon vous, il serait mieux de prendre toute la carrière plutôt que les vingt-cinq meilleures années. Comment serait-ce possible, notamment pour les jeunes, dont le début de carrière est nécessairement marqué par des contrats précaires et de longues périodes de chômage non indemnisé ? Dans votre réforme, vous ne créez pas de points pour le chômage non indemnisé.
Par ailleurs, vous avez dégradé les conditions pour les chômeurs indemnisés : le calcul sera fait non pas sur le dernier salaire mais sur l'allocation. Par conséquent, quand on sera un vieux chômeur – compte tenu du taux d'emploi des seniors, le cas de figure sera fréquent –, on aura à choisir entre être au chômage et être un retraité subissant une décote potentiellement très importante. En outre, vous dites que vous voulez une indexation sur les salaires, mais ce ne sera pas une règle d'or : seul l'équilibre financier du système est considéré comme tel. D'ailleurs, si c'était un désir ardent, pourquoi ne l'avez-vous pas fait plus tôt ? Or, tout au contraire, vous avez sous-indexé par rapport à l'inflation. Comment pourrions-nous donc vous croire ?
Monsieur le secrétaire d'État, j'ai deux petites questions à vous poser à propos de l'alinéa 5. La première porte sur l'« euro cotisé » : pourriez-vous nous préciser si cela inclut bien les cotisations salariales et patronales, voire les cotisations payées par des tiers – il existe un certain nombre de cas : par exemple, pour les médecins, les cotisations sont directement prises en charge ? La seconde concerne une promesse faite par le Président de la République pendant sa campagne : il avait parlé, à l'époque, d'un système par points associé à des comptes notionnels. Or l'idée de comptes notionnels semble avoir disparu du projet gouvernemental. Pourriez-vous nous confirmer que le Gouvernement y a renoncé ?
L'une de nos collègues nous disait il y a un instant, pointant du doigt tel ou tel point qui ne fonctionne pas bien dans le régime actuel, qu'elle aimerait nous entendre les dénoncer. Eh bien, entendez-nous, madame, car nous n'avons jamais dit que le régime actuel était parfait, qu'il n'y avait rien à y toucher. C'est même tout le contraire. Je résume souvent notre position par la formule suivante : selon nous, les gens partent trop tard – car nous sommes pour un départ à la retraite à 60 ans – et trop pauvres, sans parler bien sûr des autres aspects. Ce qui est intéressant dans votre remarque, collègue, c'est que vous abordez les effets d'un projet concernant les retraites sur les carrières et sur la projection que chacun a de sa propre existence professionnelle. Autrement dit, on s'aperçoit qu'en toutes circonstances l'aval déforme l'amont. Je vais vous en donner immédiatement un exemple.
Le rapporteur a dit, en substance, que nous avions déposé 19 000 amendements et qu'il n'allait pas nous répondre 19 000 fois la même chose. Mais, cher rapporteur, ces 19 000 amendements ne sont pas identiques ; ne craignez donc pas de diversifier vos réponses. Imaginez quelle tête vous auriez fait si vous aviez été le rapporteur du projet de loi privatisant EDF, sur lequel 130 000 amendements avaient été déposés... Quelques-uns de nos collègues, présents dans cette pièce, y étaient.
Pour prolonger mon propos et le finir, qu'est-ce qui change dans la carrière de quelqu'un du fait du régime de retraite que vous allez introduire ? Eh bien, c'est qu'une carrière n'a plus de sens : si vous avez commencé en bas de l'échelle des salaires et des qualifications, qu'en cours de route vous avez amélioré votre position et que vous terminez dans l'encadrement, par exemple, cela est effacé au moment où vous prenez votre retraite, puisqu'on reprend toute votre carrière au lieu de se fonder uniquement sur la partie correspondant à votre promotion. La conséquence en est que cela détruit un modèle : à quoi bon être apprenti au niveau V, si c'est pour ensuite ne pas pouvoir progresser dans l'entreprise ?
Un certain nombre de questions ont été adressées à M. le secrétaire d'État, et il y a répondu. Pour la qualité de nos débats, il me semble fort regrettable que ces réponses suscitent des réactions comme celle que nous avons entendue : l'orateur disait qu'il était perdu, qu'il ne comprenait plus rien, et cela alors que M. le secrétaire d'État a tout simplement décrit la réalité du système actuel, ses injustices et les objectifs que poursuit le projet de loi, qui consistent à proposer un certain nombre de solutions. La moindre des choses est que nos échanges restent corrects, même si les réponses apportées ne satisfont pas l'un ou l'autre d'entre nous. La réalité est que ceux de nos concitoyennes et de nos concitoyens qui ont les carrières les plus difficiles et les plus heurtées, de même que les salaires les plus bas, partent après 65 ans – et bien souvent même à 67 ans – pour bénéficier du taux plein, et non à 60 ans. C'est bien à cela que nous essayons d'apporter des réponses.
Madame Rabault renvoie en fait au débat entre durée de cotisation et âge de départ. Même si cela le sera un peu moins à l'avenir, il me paraît très utile, aujourd'hui, de conserver l'un comme l'autre, pour une bonne raison, qui va perdurer : il faut remédier à l'iniquité entre ceux qui sont entrés tôt et ceux qui sont entrés sur le marché du travail plus tard, pour de bonnes raisons, car ils suivaient des études visant à leur permettre d'acquérir une qualification, participant en cela à l'élévation du niveau de qualification de l'emploi en France. Ils n'ont donc pas passé ces années en vacances.
Pour d'autres raisons, que l'on peut d'ailleurs parfois regretter, certains entrent tôt sur ce même marché et les carrières longues, commencées jusqu'à l'âge de 20 ans, couvrent ces cas. On entre à cet âge-là sur le marché du travail, ou l'on suit des études pour y entrer ultérieurement. Il est donc logique que l'âge légal soit un âge effectif de départ à la retraite – quel que soit l'âge d'entrée dans une carrière –, la pension correspondante subissant une décote si cette carrière n'est pas complète. On a le droit, lorsque l'on a atteint cet âge, de prendre sa retraite : cela me paraît extrêmement important. Les exemples cités dans l'amendement de notre collègue Valérie Rabault sont exacts.
Au fond, cet âge d'équilibre, qui ne figure pas dans le texte – il y est en réalité omniprésent, sans y être mentionné –, est discuté actuellement, ainsi que toutes les autres mesures d'équilibre financier, dans la pièce d'à côté, c'est-à-dire avec les partenaires sociaux : nous ne pouvons donc pas en débattre et cela n'est pas normal. Pourtant, à l'évidence, tout tourne autour de cette disposition. Qu'un problème d'âge se pose dans le domaine des retraites, c'est dans sa nature même : c'est d'ailleurs un des seuls que se posent les Français. Répondre par l'âge pivot revient à répondre par le niveau de pension : en réalité, vous abaissez la pension à laquelle avaient droit les Français ayant effectué une carrière complète avant d'atteindre cet âge.
Boris Vallaud a, plus brillamment que je ne serai capable de le faire, battu en brèche votre argumentation relative à l'indexation des pensions sur les salaires ainsi qu'au report, que vous avez décidé à l'horizon 2040, d'une mesure si positive pour les retraités.
Je m'attarde sur l'argument développé par l'une de nos collègues sur la référence aux six derniers mois de la carrière des fonctionnaires, ce qui n'est pas positif, et aux vingt-cinq dernières années des salariés du privé, ce qui est préjudiciable.
Elle est aux oiseaux : dans la fonction publique en effet, sauf si l'on commet une faute grave, l'évolution des échelons et des grades, la capacité à passer des concours, comme la possibilité offerte à l'autorité compétente de donner, y compris avant la retraite, un coup de pouce, fait que les six derniers mois sont toujours plus positifs que les six premiers, ou que les vingt-cinq dernières années.
Par conséquent, c'est classé : votre mesure va pénaliser les fonctionnaires. L'intégration des primes va d'ailleurs pénaliser davantage les femmes que les hommes : cela est démontré.
Il en va de même, bien sûr, des salariés du privé : les femmes seront également fortement pénalisées par votre réforme puisqu'à l'évidence, les questions des enfants et du temps partiel imposé sont plus problématiques en début de vie professionnelle qu'à la fin.
Mis à part, évidemment, un salarié qui serait victime d'un licenciement – les seniors, que vous invitez à travailler plus longtemps, vont en être victimes –, les carrières sont, au bout du compte, consolidées. Le remettre en cause va donc également pénaliser les salariés du privé : votre réforme est une réforme perdant-perdant !
La commission rejette les amendements.
Elle est saisie de l'amendement n° 22601 de M. Pierre Dharréville.
Il s'agit de discuter, et même de contester, cette formule facile – qui a servi de slogan mais qui n'est, en réalité pas respectée par le texte qui nous est proposé, car c'est impossible – utilisée pour présenter et défendre en définitive ce projet de loi : chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits.
Vous vous êtes rendus à l'évidence et avez choisi de conserver le slogan tout en ne l'appliquant pas. Nous avons d'ailleurs dit que nous ne souhaitions pas que notre système de retraites s'inspire d'une telle philosophie.
Aller au bout de celle-ci conduirait en effet à rompre avec l'idée qu'un bon taux de remplacement est nécessaire et à entrer dans une logique selon laquelle chacun doit retrouver, au bout du compte, ce qu'il a versé au cours de sa carrière. Même si vous n'allez pas au bout de cette logique, c'est bien cette philosophie qui sous-tend votre proposition.
Vous avez beau nous expliquer qu'il existerait d'un côté le système actuel, qui est infernal, et de l'autre celui que vous proposez, qui est paradisiaque, cette rhétorique ne trompe pas grand monde. Le système actuel présente bien des défauts, notamment parce qu'il a été dégradé, je l'ai expliqué. Le problème est que vous n'expliquez pas en quoi la formule que vous proposez permettrait de faire mieux. En réalité, vous nous vantez les subterfuges que vous imaginez vous-même pour corriger les défauts de votre nouveau système et vous les présentez comme autant de trucs miraculeux qui permettraient de relever les défis actuels. Cette autojustification ne fonctionnant pas, vous finissez par vous prendre les pieds dans le tapis.
L'iniquité des mesures que vous proposez a été démontrée, notamment pour les femmes. S'agissant des chômeurs, ce qui a été dit ne me semble pas tout à fait conforme à ce qui figure dans le texte : j'y reviendrai.
Cher collègue Dharréville, nous n'avons je crois jamais dit que le système actuel était infernal ni que celui que nous proposons serait paradisiaque. Le premier rencontre un certain nombre de difficultés, notamment liées à la démographie de plusieurs régimes, le second vise à atténuer un certain nombre de difficultés que traverse notre société : il faut remettre les choses à leur place.
S'agissant de la notion d'iniquité et des exemples qui ont été pris, si l'on valorise les carrières continues et croissantes, d'autres, qui sont nombreuses – et qui comportent des trous dus à leur arrêt brutal suite à un accident, de nature professionnelle ou médicale –, sont assez mal prises en compte dans le dispositif actuel.
Le système par points reflétera mieux ce type de carrière et permettra de se montrer plus : tel est l'objectif de cette réforme. Vous évoquiez les carrières ascendantes : les droits acquis par celles et ceux qui seraient déjà en activité et qui seront donc concernés en 2025 par celle-ci le resteront en fonction des règles actuelles.
À compter de cette échéance, si leur carrière est croissante en termes de salaire, l'application de cette réforme se traduira par un certain nombre de points dont le nombre augmentera année après année : ce point ne pose donc pas de difficulté.
Si l'on ne menait pas cette réforme, une personne ayant la chance d'avoir suivi une carrière très linéaire et très croissante ne rencontrerait pas de problème tandis que perdurerait le système actuel, défavorable à quiconque a une carrière heurtée ou plate. M. le secrétaire d'État le confirmera sûrement, nous disposerons, en termes de financement, de la même somme à répartir. Une redistribution s'opérera donc au profit des personnes aujourd'hui plus défavorisées. Nous assumons donc pleinement de rechercher cette équité qui, si elle n'est peut-être pas optimale, nous semble traduire, le Conseil d'État l'a souligné, un réel progrès.
Je suis donc, évidemment, défavorable à l'amendement de notre collègue Pierre Dharréville.
Députés de l'opposition et membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nos collègues Pierre Dharréville et Sébastien Jumel sont constructifs et n'ont pas inondé le débat parlementaire d'amendements.
Ils posent de véritables questions et nous soumettent de réelles réflexions. Je les sais en outre d'une probité morale à toute épreuve.
Une fois ce compliment fait, je voudrais, chers collègues, que vous m'expliquiez par quel miracle – il s'agit bien d'un miracle – vous faites disparaître des euros. Comme l'a dit le rapporteur, la nation consacre aujourd'hui 310 milliards d'euros aux retraites des 17 millions de Français pensionnés.
On prévoit d'indexer l'évolution des pensions de retraite sur les salaires et de leur consacrer une part du PIB a minima constante dans la durée, c'est-à-dire une part de la richesse de la nation. Question toute bête : si, comme vous l'expliquez, les salariés du privé sont tous perdants, comme leurs homologues du public, où ira l'argent ?
Aujourd'hui comme demain, 310 milliards iront aux retraites des 17 millions de Français retraités : la seule chose que l'on sait, c'est que les plus hauts revenus – les 1 % – ne seront, eux, pas gagnants puisque lorsqu'ils percevront plus de 10 000 euros par mois, ils sortiront du système de solidarité nationale. Puisque tout le monde serait perdant, où va l'argent ?
J'ai voté la « réforme Touraine » de 2013-2014, qui a retardé l'âge de départ à la retraite – chaque année de cotisation le retardant d'un trimestre – car c'était nécessaire. Je vais ressortir au cours de ce débat certains des arguments avancés à l'époque par mon propre groupe, non pas pour me déjuger, mais pour aller dans le même sens.
Comment pouvez-vous affirmer qu'il n'existe ni équité ni justice sociale alors que, vous qui êtes tellement attachés à la lettre de l'avis du Conseil d'État, devriez y lire que l'effet redistributif de ce projet de loi atteint à 30 %, ce qui n'a jamais été fait auparavant dans aucune réforme des retraites ?
Mesdames et messieurs du groupe Les Républicains qui en revendiquez la paternité, vous n'avez pas été jusqu'à présent à l'origine d'une quelconque redistribution en la matière.
Mes chers collègues, on ne peut pas à la fois demander à la majorité de s'exprimer et l'interrompre à chaque fois qu'elle le fait... Je veux que tout le monde puisse s'exprimer tranquillement, sans être interrompu : j'y veille.
Le choix que vous faites revient à tenir compte de toute la carrière pour le calcul de la retraite, alors qu'aujourd'hui le calcul de la pension des salariés du privé s'opère, dans le cadre du régime général, à partir des vingt-cinq meilleures années.
Nous critiquons un tel choix : nous sommes pour notre part favorable, et depuis très longtemps, à ce que ce calcul s'opère sur les dix meilleures années et nous sommes donc, logiquement, opposés à l'allongement de la base de calcul, qui pèsera ceux dont les carrières sont mitées ou trouées, puisque, mécaniquement, leurs plus mauvaises années seront désormais prises en compte. Comment pouvez-vous prétendre le contraire ?
De même, s'agissant du chômage, le calcul sur les vingt-cinq meilleures années neutralise aujourd'hui tout ou partie des périodes d'interruption involontaire d'activité. Et je passe sur les conséquences croisées de la réforme de l'assurance chômage, que vous avez précédemment imposée, et de celle que nous examinons. La volonté qui les sous-tend est très claire.
Olivier Véran nous demande : où passe l'argent ? Il évident – c'est inscrit dans le texte – que l'objectif est non seulement de contraindre mais de faire baisser la part de richesses produites consacrée aux retraites jusqu'à 12,9 % du PIB.
Cela figure dans l'étude d'impact. Peut-être contient-elle des informations fausses. Hélas celle-ci me semble vraie.
Nous ne partageons pas cet objectif, car nous pensons qu'il faut dépenser plus d'argent pour répondre à un certain nombre d'enjeux, notamment l'égalité entre les femmes et les hommes et la prise en compte des années d'études dans le calcul de la retraite.
Vous prétendez d'abord que le nouveau système prendrait mieux en considération tant les carrières hachées que les périodes de chômage. Las, j'ai montré à quel point il durcira les conditions créatrices de droits.
Vous affirmez ensuite qu'on se construira la meilleure des pensions dans la meilleure des carrières. Or la réforme de l'assurance chômage intervenue il y a quelques mois, qui s'est faite contre les partenaires sociaux, a produit 40 % de chômage supplémentaire.
Mme Pénicaud nous avait dit : attention les yeux, vous allez voir ce que vous allez voir, c'est la plus grande réforme de progrès depuis René Coty ! Tel n'est pas vraiment le cas, puisque, à cause de cette réforme, il est devenu plus difficile de se créer des droits à indemnisation ou de les maintenir.
La coexistence des deux réformes fait que tous seront, en réalité, perdants.
Vous faites valoir que le nouveau système de retraites serait plus redistributif en ce qu'il écraserait les carrières ascendantes au bénéfice des carrières heurtées. Pourtant, vos études de cas montrent que les salariés gagnant 120 000 euros par an seront gagnants. Comment est-ce possible ? Honnêtement, je ne l'ai pas compris, sauf à ce que les cas en question soient bidonnés, ce qui assez probable.
Monsieur Véran nous a dit que les pensions seraient indexées sur les salaires. Ce n'est pas le cas, elles le seront sur l'inflation : c'est la valeur du point qui sera indexée sur les salaires. D'ailleurs, compte tenu de la valeur de rachat des points, il vaudra mieux voir son salaire augmenter au même niveau que la moyenne des salaires plutôt qu'en deçà car, dans ce dernier cas, le pouvoir d'achat desdits points diminuerait dans le temps. Un euro cotisé ne créera donc évidemment pas les mêmes droits.
Contre l'avis de nombre d'entre nous, vous affirmez, cher collègue, que tout le monde y gagnera. Or votre étude d'impact montre qu'en 2050 la part des retraites dans le PIB tombera à 12,9 % alors que le nombre de retraités aura augmenté. Concrètement, cela signifie que le taux de remplacement diminuera fortement et que la seule façon de compenser cela sera de travailler plus longtemps.
Le choix fondamental que propose votre réforme est donc le suivant : soit travailler plus, soit gagner moins. Enfin, si vous excluez les plus riches de la redistribution, il est sûr que cela réduit les écarts...
Puisque M. le secrétaire d'État a bien voulu me répondre à leur sujet, je reviens sur le cas des policiers et des militaires : si le régime par points leur est appliqué, ils échapperont au régime général.
Je rappelle que cette réforme a été présentée, dans le débat public, comme indispensable, notamment parce qu'il fallait mettre fin aux régimes spéciaux. Il apparaît donc comme hallucinant que nous nous retrouvions maintenant à débattre du cas de certains de nos concitoyens qui, au sein du système général dit universel, disposeraient non pas de régimes spéciaux, mais en tout cas de régimes spécifiques, ce qui revient à peu près au même.
Je voulais pointer l'absurdité de la démarche consistant à démanteler l'ensemble du régime au nom de la fin des régimes spéciaux tout en revenant – évidemment, par la fenêtre – sur celle-ci. On voit bien que des conditions spécifiques à un certain nombre de travailleurs justifient qu'ils disposent d'un régime qui, par définition, soit également spécifique.
S'agissant de l'âge d'entrée sur le marché du travail, je vous donne raison sur un point : en effet, aujourd'hui, compte tenu des difficultés rencontrées par les publics les moins diplômés pour entrer sur le marché du travail, il n'est pas faux de dire qu'ils y entrent parfois plus tardivement, ce qui explique qu'ils n'auront pas cotisé pendant un certain nombre d'années. Il est ainsi possible qu'ils atteignent l'âge de 65 ou 66 ans sans que leur carrière ne soit complète. Mais dans quel état un ouvrier devant porter des charges lourdes, une hôtesse de caisse, qui certes ne seront pas soumis à la décote que j'évoquais tout à l'heure, atteindront l'âge de 63, 64 ou 65 ans ?
Vous nous dites enfin que le montant global de 310 milliards d'euros resterait inchangé. Je rappelle tout de même que selon l'étude d'impact, si 13,8 % du PIB sont aujourd'hui consacrés aux retraites, cette part chutera à 13,3 % en 2040 et à 12,9 % en 2050, tandis que la population de retraités s'accroîtra. Je suis désolée, mais une telle évolution équivaut à une baisse.
Je réponds à notre collègue Olivier Véran : il a fait un bel exposé, mais il faut rendre à César ce qui appartient à César. Ce n'est pas Mme Touraine qui a repoussé l'âge légal de départ de la retraite de 60 à 62 ans : c'est, avec Éric Woerth aux manettes, le gouvernement Fillon.
À l'époque, en 2010, nous étions présents : cette réforme a permis, vous le savez, d'équilibrer les comptes de la branche vieillesse dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Si cet âge n'avait pas été repoussé, cette branche n'aurait pu trouver un tel équilibre.
Notre débat commence à devenir intéressant au fond, puisque les Marcheurs posent des questions à l'opposition : il va donc pouvoir prospérer.
Vous avez obtenu, monsieur Véran, la réponse à votre question : où va l'argent ? Lorsque l'on augmente le nombre de retraités et que l'on réduit le poids des retraites dans le PIB en le faisant passer de 14 % à 12,9 %, une règle de trois assez simple permet – je suis un peu con, mais j'y arrive – à comprendre que la part de la richesse que la nation consacre aux retraites baisse.
Le président du MEDEF, qui a au bout du compte dicté la loi, nous a indiqué que trois leviers pouvaient être actionnés : le taux, l'assiette et la durée de cotisation. Mais il n'a ouvert qu'une seule porte, ladite durée, c'est-à-dire l'âge de départ à la retraite, car il considère en fait que seuls les salariés doivent contribuer à l'effort.
Cela montre bien qui sera perdant et qui sera gagnant.
Tout ce que nous essayons de démontrer ce soir est qu'à âge égal de départ, le taux de remplacement – donc le niveau de pension – ne sera au bout du compte pas le même.
Vous avez ainsi obtenu, Monsieur le rapporteur, la réponse à vos trois questions.
Si le fric n'est en effet pas un problème, pourquoi n'avez-vous pas pris en considération le diagnostic raisonnable du Conseil d'orientation des retraites (COR) faisant état du caractère conjoncturel du déficit ?
Vous êtes en outre responsables d'une partie du déficit, à hauteur de 7 milliards d'euros, en raison des emplois publics que vous avez supprimés. Des mesures correctrices auraient donc pu être prises pour le stabiliser, le résorber et préserver ainsi notre système de retraites par répartition.
Je suis très embêté : on nous répète à l'envi que les retraites vont baisser parce que leur part relative dans le PIB passerait de 14 % à 13 %. L'un de nos concitoyens m'a écrit à ce sujet que les gens qui affirment une telle chose sont ou de mauvaise foi ou nuls en mathématiques. Si je ne vous ferai pas l'injure d'affirmer que vous êtes de mauvaise foi, je dois admettre que vous êtes nuls en mathématiques.
Je m'explique : tout le monde devrait comprendre, monsieur Jumel, que lorsque l'on passe en part relative de 14 % à 13 %, cela signifie simplement que la proportion en question diminue par rapport au diviseur.
Or il suffit que la croissance du PIB soit simplement supérieure à celle des dépenses de retraites pour que ce même ratio diminue : ces dépenses peuvent donc parfaitement augmenter à un rythme élevé, permettant de voir toutes les pensions augmenter, quand bien même le nombre de pensionnés augmenterait.
Une telle évolution ne fera donc pas baisser les pensions, tout simplement parce que dans le même temps le PIB augmentera plus vite : c'est mathématique. Vous ne pouvez pas dire le contraire !
Je ne peux pas laisser passer le raisonnement qui vient d'être tenu : il est pour le coup et de mauvaise foi et mathématiquement extrêmement faux.
Vous espérez tout d'abord, cher collègue, que la croissance va augmenter. Or manque de chance, la croissance a, au quatrième trimestre 2019, pour la première fois depuis bien longtemps, été négative, l'Institut national de la statistique et des études économiques l'a annoncé il y a deux jours, à – 0,1 % du PIB. Cela signifie qu'au cours de ce trimestre, l'économie française n'a même pas été stable : elle a détruit de la richesse et votre dénominateur, que vous pensiez voir augmenter, a de la sorte diminué.
Par ailleurs, baisser d'un point la part du PIB consacrée aux retraites équivaut à 25 milliards d'euros en moins.
Vous pouvez tourner les choses comme vous voulez, une telle baisse équivaut à 25 milliards d'euros de moins. Je sais que vous n'aimez pas les chiffres, je pense que, comme l'a suggéré Sébastien Jumel, Cédric Villani se ferait un plaisir de vous expliquer celui-ci, qui ne vous plaît pas mais qui est tiré de votre étude d'impact.
La commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie des amendements identiques n° 395 de M. Stéphane Viry et n° 21618 de Mme Émilie Bonnivard.
Nous étudions une modification du livre Ier du code de la sécurité sociale qu'il ne faut pas confondre avec les éléments de langage préparés pour les repas de Noël des Marcheurs...
La rédaction de l'alinéa 5 imaginée par le Gouvernement, à savoir que « [...] chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous [...] » relève surtout du slogan politique et de la com politique, qui n'ont rien à faire dans la loi. Le Conseil d'État lui-même la déplore, puisqu'il a, dans la troisième partie de son avis sur le projet loi, dénoncé un tel abus de langage. Il juge qu'un tel objectif « [...] reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d'ouverture de droits définies par le projet de loi [...] ». Cela a le mérite d'être clair.
C'est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains souhaite voir cet alinéa 5 réécrit de la façon suivante, en maintenant le principe de l'équité devant les cotisations : « [...] Un objectif d'équité, afin de garantir aux assurés "les mêmes droits selon leurs cotisations" ».
L'idée est, comme vient de le dire excellemment mon collègue Thibault Bazin, que les textes de loi et le droit ne comportent pas d'éléments de propagande politique et restent neutres.
Même si je comprends la philosophie de ces amendements, la formulation du projet de loi – chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits – me paraît beaucoup plus parlante et illustre mieux les grands principes retenus. Avis défavorable.
Il est profondément faux d'écrire dès le départ que chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits : chaque euro cotisé n'ouvrira pas les mêmes droits, on le voit bien tout au long du texte. Vous ne pouvez pas faire d'une telle affirmation un principe initial. Nous ne parlons pas dans l'absolu : si c'était le cas, cela changerait tout le reste du projet de loi. Dans une telle hypothèse, vous pourriez revoir tous les articles. Nous ne nous reverrions alors que dans quelques mois.
Non : vous écrivez quelque chose qui ne se vérifie pas. Ce n'est pas moi qui l'affirme, mais le Conseil d'État, qui n'est pas marié avec nous : il considère, après avoir étudié le projet de loi, que vous avez commis un abus de langage.
Monsieur Bazin, depuis tout à l'heure vous interrompez également les orateurs. Je voudrais que nous nous respections : je le demande à tous les groupes. L'on n'interrompt pas un orateur. Il reste 21 000 amendements : vous aurez tout loisir de vous défouler.
La commission rejette les amendements.
Elle est ensuite saisie de l'amendement n° 14654 de M. Pierre Dharréville.
Il traite du même sujet. Voyant qu'il existe une aspiration à entrer dans la finesse des choses, il s'agit de préciser que chaque euro cotisé ouvrira « des droits pour tous, dans le respect des spécificités des métiers et des sujétions de services publics, dans les conditions définies par la loi ». Une telle rédaction se rapprocherait un peu plus de la réalité : il nous semble que c'est nécessaire. J'ai d'ailleurs déjà émis un certain nombre de critiques à l'endroit de ce principe qui nous semble extrêmement discutable.
Je comprends bien votre intention, cher collègue, mais nous avons pour notre part considéré que les règles d'acquisition des points ne devaient pas varier en fonction des métiers. Il ne faut cependant pas nier leurs spécificités : un certain nombre de critères permet d'en tenir compte, mais cela ne vaut pas pour le calcul des points. Je suis donc défavorable à l'amendement.
Je ne comprends pas bien le sens de cette réponse, dans la mesure où vous allez prendre en considération un certain nombre d'éléments liés à la pénibilité, ce qui me semble tout à fait nécessaire. Or la pénibilité est elle-même liée à l'exercice de certains métiers : la rédaction que j'ai proposée correspond à une telle prise en considération. Je ne comprends donc pas votre refus de l'inscrire au nombre des principes initiaux, puisque vous allez la mettre en oeuvre pour partie – insuffisamment, il est vrai, à mon goût – dans la suite du projet de loi. Je vois bien que vous souhaitez faire un peu de marketing : il me semble cependant que ce n'est pas le lieu.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine ensuite l'amendement n° 21271 de M. Boris Vallaud.
Nous proposons, à l'alinéa 5, d'insérer les mots suivants : « au regard de leur espérance de vie en bonne santé ». Nous avons déjà eu l'occasion d'indiquer, à la suite du rapport de Mme Nathalie Blanpain, que treize années d'espérance de vie séparent les 5 % de Français les plus riches des 5 % les plus pauvres. L'espérance de vie en bonne santé est aujourd'hui de 62 ans. Arrivé à 60 ans, un ouvrier a une espérance de vie inférieure de dix ans à celle d'un cadre : il ne saurait naturellement y avoir de réforme juste qui ne prenne en considération cette dimension. De ce point de vue, le projet du Gouvernement, bien que conforme aux décisions qu'il a prises en 2017, est très insuffisant et très décevant.
Je profite de l'amendement pour faire un point sur l'espérance de vie en bonne santé en général : si l'intention est louable, sa prise en considération est assez difficile.
On a en outre évoqué l'espérance de vie selon la catégorie socioprofessionnelle. Elle peut être liée aux conditions d'exercice du métier ou à l'hygiène de vie d'un certain nombre de nos concitoyens, qui peut assez notablement l'influencer.
Je réponds à la remarque faite tout à l'heure par Éric Woerth à propos de la retraite notionnelle, qui s'appuie également sur les catégories : il serait possible de s'engager dans cette voie mais cela impliquerait de prendre en compte des critères parfois compliqués à agréger les uns aux autres.
Le premier argument ayant trait à l'espérance de vie en bonne santé est que, dans l'hypothèse où nous la prendrions en considération, nous défavoriserions massivement les femmes dont l'espérance de vie est plus longue que celle des hommes. Il semble que ce n'est pas l'objet de cette réforme qui vise au contraire à résorber les différences entre les hommes et les femmes.
Je suis par conséquent défavorable à l'amendement.
J'entends dans la bouche du rapporteur certains arguments déjà entendus il y a quelques années lors du débat sur la pénibilité, selon lesquels les différences d'espérance de vie en bonne santé seraient dues à des comportements sociaux en matière d'hygiène de vie. De tels arguments ont récemment été battus en brèche et il y a désormais un consensus en la matière.
Les chiffres tant de la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail que de l'Institut national d'études démographiques (INED) sont extrêmement clairs : aujourd'hui, l'écart d'espérance de vie en bonne santé à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est de dix ans, alors que l'écart d'espérance de vie n'est que de six ans. Un tel écart est donc phénoménal.
Cela signifie que ne pas prendre en considération une telle donnée dans le système que vous êtes en train d'élaborer et qui conduira au fur et à mesure à reculer systématiquement et mécaniquement l'âge réel de départ à la retraite, reviendra à pénaliser nos concitoyens les plus modestes, en particulier les ouvriers et les employés qui sont les catégories les plus touchées par cet écart d'espérance de vie en bonne santé.
Je ne comprends donc pas bien l'argument fondé sur l'hygiène de vie : peut-être allez-vous nous l'expliquer en détail.
Je suis d'accord avec le rapporteur sur un point : il est clair que toutes les études en santé publique montrent que l'espérance de vie en bonne santé n'est pas la même en fonction du niveau d'études, du salaire et du type de logement dans lequel on habite. En gros, que vous soyez riche et puissant ou pauvre et misérable, vos vies ne seront pas les mêmes, et cela vaut dès la naissance, pour les mômes, bien avant qu'ils commencent à travailler. Si l'on ajoute à cela la pénibilité du travail, les écarts d'espérance de vie se creusent de manière colossale.
Un exemple très concret, qui fera entrer la vie de nos territoires dans cette salle : le flaconnage de luxe, c'est-à-dire la fabrication des flacons de parfum de toutes marques chez moi, dans la vallée de la Bresle. Au bout chaud, c'est-à-dire au pied du four, dans un environnement hostile marqué par le bruit, la chaleur et l'insalubrité, le conducteur de machine doit assurer la transformation d'une goutte de verre en un flacon de pharmacie ou de parfumerie pour le compte des plus grandes marques. 8 heures par jour, cet opérateur se trouve – premier facteur de pénibilité – exposé aux fumées de graissage produites lors de la lubrification des moules. Au bout froid, le trieur de verre – ou plutôt la trieuse, car ce sont des métiers essentiellement exercés par des femmes – doit, tout en respectant la cadence de travail, contrôler chaque pièce produite selon le cahier des charges imposé par le client, au rythme auquel le tapis la transporte. Outre le côté répétitif et rébarbatif de la tâche, les opératrices concernées sont exposées aux troubles musculo-squelettiques liés aux gestes répétitifs imposés par leur poste.
Voilà quelques-uns des éléments de pénibilité, que votre réforme de 2017 a d'ailleurs contribué à exclure, qui aggravent les écarts d'espérance de vie en bonne santé. C'est donc de cela dont il s'agit lorsque l'on parle de pénibilité.
Je suis, je dois le dire, un peu choqué par la réponse du rapporteur : nous parlons espérance de vie, il répond hygiène de vie. Est-ce à dire que chacun serait responsable de son espérance de vie, qu'il n'existerait pas une prévalence du cancer chez les salariés de l'industrie exposés aux produits chimiques, et qu'un égoutier n'aurait pas une espérance de vie inférieure de dix-sept ans à la moyenne ?
Nous ne nous situons pas ici, même si d'autres pays la pratiquent, dans l'optique d'une notation du comportement social des individus : je ne pense pas qu'il s'agisse du modèle auquel nous aspirons. Nous vous parlons de pénibilité et d'espérance de vie, et de rien d'autre.
Si cet indicateur existe effectivement, il est essentiellement utilisé par la DARES uniquement dans le cadre d'études sociologiques, car il a un point faible : il est déclaratif. On pose la question : êtes-vous limité depuis au moins six mois à cause d'un problème de santé dans les actions que les gens font habituellement ? Trois réponses s'offrent aux personnes interrogées : oui, fortement ; oui, limité ; non, pas limité du tout. Il s'agit donc bien d'un élément déclaratif qui ne repose sur aucune donnée scientifique : vous voyez que, bien qu'intéressant d'un point de vue sociologique dans le cadre d'études, cet indicateur n'est pas suffisamment robuste pour être utilisé comme paramètre de décompte dans le cadre d'un système de retraites.
Nous aurons ce débat ultérieurement. Comment fait-on dans d'autres pays du même niveau que le nôtre ? Une telle étude recèle bien des surprises : en Europe notamment, les régimes de retraite tiennent compte un peu, mais nettement moins, des caractères sociaux. Beaucoup de mesures correctrices interviennent dans le système actuel, et c'est heureux.
L'espérance de vie en bonne santé est bien d'une donnée déclarative, par conséquent éminemment discutable. Il existe mille manières de parler d'espérance de vie, par exemple par génération. Il faudrait, pour bien la mesurer, intégrer la différence entre les hommes et les femmes ou entre le Nord et le Sud, ce qui pourrait conduire à échafauder des systèmes totalement absurdes et éminemment contestables sur le plan de la justice.
On peut toujours dire, comme le fait M. Vallaud, et il a sans doute raison, qu'à tel métier est attachée une pénibilité supplémentaire et que c'est pour cette raison qu'existe un compte pénibilité valant pour la retraite. Mais ce compte ne peut pas être généralisé car tous les métiers seraient alors considérés comme pénibles. Il ne serait par exemple pas possible de prendre en considération le fait, pour se rendre à son travail, d'attendre 3 heures un train qui n'arrive jamais. Cela ne marchera pas et c'est une pénibilité objective pour l'ensemble de la société qui doit être définie.
Enfin, des mesures correctrices existent : telles celles relatives aux carrières longues, que j'ai évoquées. Les ouvriers ont souvent commencé à travailler plus tôt que les cadres ; ils bénéficient, pour la plupart d'entre eux, du dispositif carrières longues, qui permet de partir plus tôt à la retraite.
La combinaison de la durée et du taux de cotisation d'une part, de l'âge légal d'entrée dans la vie active d'autre part, permet également d'en tenir en compte et de faire une différence entre le salarié qui, parce qu'il a suivi des études, est entré plus tard dans la vie active et celui qui n'en a pas suivi. On doit par conséquent tenir compte de nombre de phénomènes.
Plus notre système de retraite sera sophistiqué, plus on le rendra totalement illisible et totalement injuste.
Vous avez raison, chers collègues, nous pouvons et nous devons en débattre, car la problématique émerge. Mais reconnaissez aussi que la notion d'espérance de vie en bonne santé n'est, pour l'instant, pas techniquement viable car elle repose sur du déclaratif.
En outre, le rapporteur l'a souligné, nous ne savons pas mesurer l'ampleur des effets de bord. C'est le cas pour les femmes, qui ont une espérance de vie plus élevée que les hommes, ou pour certaines catégories socioprofessionnelles. Ainsi, les enseignants et les professeurs, dont l'espérance de vie est la plus élevée, verraient leur pension diminuer si nous tenions compte de l'espérance de vie en bonne santé. Je ne suis pas sûr que ce soit votre objectif, chers collègues.
Avant toute chose, le projet de loi et le futur système visent à mieux prendre en compte les évolutions d'espérance de vie et la pénibilité.
La commission rejette l'amendement.
Puis elle passe aux amendements identiques n° 13171 de M. Éric Woerth et n° 21724 de M. Thibault Bazin.
L'amendement n° 13171 vise à ce que l'équilibre financier du système universel soit une priorité. Notre débat est surréaliste : tous les amendements évoquent soit l'âge de départ en retraite, soit le financement du système. Or ces deux sujets sont à peine effleurés dans le projet de loi. Il ne s'agit pas d'une réunion publique sur les retraites ! Nous sommes à l'Assemblée nationale et devrions pouvoir analyser un dispositif complet : des objectifs et, en face, des actions pour les atteindre, leur coût et leurs modalités de financement pour atteindre l'équilibre. En effet, pour reprendre des expressions souvent entendues, en cas de déséquilibre, ce sont les marchés financiers qui financent, par le biais du financement du déficit. Veut-on mettre le régime par répartition dans leurs mains ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne façon de procéder...
Nous devons donc équilibrer ce système et nous montrer responsables. Le Gouvernement aurait dû présenter un projet de loi global. Ce n'est pas le cas... Mais, même sans disposer de toutes les mesures de recettes, vous devriez avoir une idée du coût complet du système et pouvoir répondre à certaines questions : quel est le taux de cotisation de l'État par rapport aux autres employeurs pour équilibrer le régime public ? Plus globalement, pour équilibrer ce régime universel, combien cotisera l'État – donc le contribuable ? Comment utiliserez-vous les réserves des autres fonds ? Comment allez-vous financer le système dédié aux hauts cadres, qui devra payer leurs pensions sans jamais plus recevoir leurs cotisations ?
Vous voulez que le système soit plus redistributif. Je vous rappelle qu'il l'est déjà – M. Véran a cité les statistiques actuelles : 30 % du système l'est ; c'est considérable ! Vous voulez accroître la redistributivité, tant mieux. Mais est-ce possible à l'intérieur du volume financier ? Je ne le crois pas. Comment allez-vous faire ? La seule variable d'ajustement sera le niveau des pensions. C'est tout ce que l'on arrive à comprendre en lisant votre projet de loi : le niveau des pensions va progressivement diminuer...
Vous souhaitez insérer l'objectif de soutenabilité économique et financière dès l'alinéa 5. Sur le fond, vous faites de cette soutenabilité économique l'objectif premier du système universel et de la réforme. Si c'est un objectif important, la réforme s'accompagne surtout d'objectifs qualitatifs. La soutenabilité n'est pas le préalable, c'est une conséquence.
Sur la forme, vous reprenez cet alinéa dans sa rédaction antérieure au Conseil des ministres. Entre-temps, le Conseil d'État a apporté deux précisions : une référence aux cotisations, et non aux seules contributions, ces deux prélèvements correspondant à des catégories juridiques distinctes. En outre, le nouveau dispositif prévoit une répartition de ces prélèvements entre assurés et employeurs, et non simplement entre assurés comme dans votre amendement.
En conséquence, j'émets un avis défavorable.
Je voudrais rassurer nos collègues membres des Républicains : le verrouillage financier est bien assuré. C'est même le socle de la réforme !
Je suis d'accord avec Éric Woerth, nous connaissons les variables d'ajustement du nouveau système : c'est l'âge de départ, « âge d'équilibre », qui va être repoussé tant et plus, et le niveau des pensions avec la variation de la valeur du point, valeur d'achat ou de service. Tout est parfaitement organisé et nous savons les effets d'une telle réforme paramétrique permanente.
Monsieur Gouffier-Cha, vous avez critiqué le caractère déclaratif de l'espérance de vie en bonne santé. Permettez-moi de revenir sur ce débat important : lorsqu'on demande à des femmes et des hommes s'ils se sentent en bonne santé, je pense qu'ils répondent sincèrement. Même subjective, c'est donc une indication à prendre en compte, d'autant que votre âge d'équilibre est supérieur à l'espérance de vie en bonne santé... En outre, vous ne devez pas oublier un fait, incontestable : 50 % des personnes qui partent à la retraite ne travaillent déjà plus ; il est indéniable que cela correspond à une forme d'usure.
Monsieur Woerth entretient la confusion entre l'objet du projet de loi et des ordonnances d'une part, et la conférence de financement, d'autre part. Le projet de loi pose des principes politiques clairs – ce qui nous différencie de nos prédécesseurs – en termes de redistribution, d'égalité hommes-femmes ou de pénibilité. La transition entre l'ancien et ce nouveau système fera quant à elle l'objet d'ordonnances. Or vous plaidez pour en connaître le contenu avant même que nous ayons défini les principes !
S'agissant du financement à l'horizon 2027, nous respectons la négociation avec les partenaires sociaux et estimons qu'il faut donner toute sa place à la démocratie sociale pour réussir l'atterrissage à cette date, mais aussi pour négocier la transition.
Vous parlez de respect, mais il arrive bien tard, au dernier moment. Où est la concertation ? Comment expliquez-vous la situation sociale, que nous sommes les premiers à déplorer ? Ce chahut social est le reflet d'une souffrance dont ni notre pays, ni nos concitoyens, n'ont besoin. Depuis deux ans, ne pouviez-vous pas prévoir comment le système allait s'équilibrer ? Nous savons tous depuis dix ans qu'il allait être à nouveau déficitaire à partir de 2020-2025, en fonction des conditions économiques.
Il fallait simplement l'accepter et ne pas considérer que tout ce qui concerne le financement et l'âge de départ en retraite était poussière à mettre sous le tapis jusqu'au dernier moment. Le dernier moment, c'est aujourd'hui, en commission. Or vous nous proposez un texte incomplet et de grands principes. Croyez-vous que les Français sont attentifs aux grands principes ? Ils veulent simplement savoir à quel âge et avec quel niveau de pension ils partiront en retraite ! C'est cela l'essentiel. Et vous n'êtes pas capables d'y répondre !
Nous sommes face à un problème de confiance dans le système, de crédibilité et de responsabilité : vous ne pouvez pas faire des promesses sans dire comment vous allez les financer. On ne peut brandir la justice sociale sans s'en donner les moyens. Quel équilibre proposez-vous, entre ceux appelés à faire des efforts et ceux qui pourront en bénéficier ? Le cloisonnement que vous opérez est risqué. Ne va-t-on pas vers des lendemains qui déchantent ?
On ne pourra sauver et pérenniser notre système par répartition sans une approche globale des dépenses et des recettes, mais surtout sans hypothèses fiables. Quelle est votre vision de la politique familiale ? Quels seront les cotisants de demain ? Sera-t-on capable de gérer la dépendance, dont la réforme est tant attendue, dans ce nouveau système ?
La commission rejette les amendements.
Elle en vient aux amendements identiques n° 1781 de Mme Clémentine Autain et n° 1789 de Mme Danièle Obono.
L'amendement vise à supprimer l'alinéa 6 relatif à la solidarité car vous dévoyez ce terme. L'alinéa prévoit par exemple de contribuer à la « résorption des écarts de retraites entre les femmes et les hommes ». C'est le refrain de la Macronie : les femmes seraient les grandes gagnantes de la réforme. C'est une vaste fumisterie ! Qu'en est-il du refus d'attribuer aux femmes divorcées des pensions de réversion, ce qui revient à les maintenir, par nécessité économique, dans des couples qui ne leur conviennent plus ? Ne supprimez-vous pas dans le secteur privé le calcul des pensions sur la base des vingt-cinq meilleures années, qui permettait de limiter l'impact des carrières structurellement plus heurtées des femmes sur le montant de leur pension ? Qu'en est-il de la suppression du calcul sur la base des six derniers mois pour les fonctionnaires, parmi lesquels les femmes sont majoritaires, notamment dans les emplois les moins bien rémunérés ? La majoration, proportionnée au salaire, qui pourra être attribuée aux hommes dès la naissance du premier enfant si les couples font ce choix, va-t-elle dans ce sens ?
Les femmes sont plus souvent au chômage que les hommes ; elles subissent plus le temps partiel et des carrières hachées, car elles s'interrompent pour cause de maternité. Elles vont donc pâtir plus gravement de votre réforme. Dans ce contexte, invoquer la solidarité et l'égalité est inapproprié.
Il va dans le même sens.
Le rapporteur et le ministre ont usé du prétexte que le projet de loi portait sur de grands principes pour ne pas répondre à nos questions et rejeter nos amendements. Mais les grands principes ne sont pas que des mots ! Qu'entendez-vous par « solidarité » ? Comment va-t-elle se déployer ? Nous ne le voyons pas. La solidarité existe déjà dans le système actuel : comment l'améliorez-vous ?
Vous allez en fait aggraver les inégalités sociales et de genre. Nous avons beau faire nos calculs dans tous les sens, nous ne comprenons pas – et nous ne sommes pas les seuls... – comment l'objectif de solidarité sera mieux servi après la réforme, pour les femmes avec enfants ou pour les femmes seules par exemple. Même les mille pages de l'étude d'impact ne permettent pas d'arriver à cette conclusion.
Je suis particulièrement perturbé par cette série d'amendements qui supprime l'objectif de solidarité. Nous aurions pu débattre du périmètre de l'objectif ou de l'objectif lui-même, mais quel signal envoyez-vous aux citoyens qui nous regardent en supprimant le principe ? Le débat est bloqué par des milliers d'amendements du même type...
Madame Autain, vous évoquez les chômeurs, notamment les chômeuses. Je vous rappelle que nous venons de loin. La politique gouvernementale est cohérente. Nous pourrions sûrement faire mieux, mais les chiffres sont encourageants. Certes, ce n'est pas parce que l'on sort du chômage que l'on sort de la précarité. Mais nous avons adopté des dispositifs qui prennent désormais de l'ampleur et devraient contribuer à résoudre le problème.
Cela répond également aux interrogations de M. Woerth sur le financement : grâce à cette évolution, les cotisations vont évoluer favorablement et permettre un rééquilibrage du système.
Je suis défavorable à ces amendements.
Je partage l'analyse du rapporteur : il s'agit d'un principe fondateur du nouveau système de retraite. Cette solidarité s'exprimera entre les générations. Elle visera à pallier les accidents de la vie, les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, etc. Nous pouvons débattre de chacun des moyens de cette solidarité, mais non en supprimer le principe ! C'est un objectif essentiel à la réussite de la réforme.
Nous sommes parfaitement cohérents : nous souhaitons supprimer tous les articles d'un projet de loi qui façonne un nouveau régime contraire à la solidarité et à l'égalité entre les hommes et les femmes. Vous ne pouvez donc pas nous demander de valider un principe philosophique et politique que l'on ne retrouve nulle part dans le projet ? Ce serait absolument incohérent et dangereux pour notre démocratie. C'est d'ailleurs ce qui dévalue le rôle du Parlement : votre projet de loi emploie des mots et affirme des principes qui sont ensuite, dans la pratique, totalement mis en pièces.
Même si on a presque honte de le dire, il faut le reconnaître : le système que nous avons construit au fil des années, avec ses différents régimes, est très solidaire. En effet, il déforme la retraite par rapport à la carrière. En conséquence, la pension de retraite n'est pas le reflet exact de toutes les inégalités de carrière.
Ces inégalités, nous devons tout faire pour les traiter pendant la carrière, le plus tôt possible, en agissant sur la formation, les règles de délivrance des prestations sociales, qui peuvent parfois éloigner du marché du travail, l'employabilité, la garde des enfants, plus ou moins facile, plus ou moins chère. Tous ces paramètres vont orienter les choix de carrière et aboutir à une retraite plus ou moins faible, simple miroir d'une faible rémunération. Le minimum contributif augmente, c'est une bonne chose, même si ce n'est pas la première fois. En outre, il n'était pas nécessaire d'accompagner cette mesure d'une réforme d'une telle ampleur, à laquelle plus personne ne comprend rien.
Une fois n'est pas coutume, je suis parfaitement d'accord avec notre collègue Woerth. La République en Marche n'a pas inventé le principe de solidarité de notre système de retraite. Elle est au coeur du régime actuel, que vous remettez en cause, et au coeur du programme du Conseil national de la Résistance. Certes, elle a été dégradée, mais elle existe.
Les mots ont un sens, monsieur le rapporteur ! On ne peut pas simplement parler de « solidarité », de « libération des énergies », de « flexibilité gagnante ». Votre projet de loi est digne de l'univers d'Orwell, à l'image de votre politique depuis deux ans et demi. Vous employez des mots qui sonnent bien et faites en réalité tout le contraire. C'est ce que nous rejetons : le principe macronien – orwellien – de la solidarité est contraire à celui, fondateur, de notre système en 1945, que nous souhaitons renforcer. C'est pourquoi nous demandons la suppression de cet alinéa.
Vous prenez les gens pour des imbéciles : vous revendiquez un principe que vous vous évertuez à détruire en pratique. C'est une insulte à l'intelligence, une insulte aux conquêtes de la solidarité qui ont construit ce système.
Vous évoquez tous les inégalités femmes-hommes. Je vous invite à lire la contribution de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes au projet de loi, qui démontre que la réforme va réduire les inégalités entre les femmes et les hommes : 5 % dès le premier enfant ; pour le conjoint survivant, la réversion de 70 % des pensions touchées du vivant du conjoint ; 85 % du SMIC pour tous les salariés liquidant leurs droits à pension et nés à partir de 1975, etc. Bien entendu, nous serons vigilants sur certains points – nous les aborderons ultérieurement – mais le projet de loi contribue objectivement à l'amélioration de l'égalité femmes-hommes. Vous avez raison, il s'agit avant tout de réduire les inégalités salariales. Nous y travaillons depuis plusieurs mois et notre groupe n'a pas à rougir de ce qui a été fait !
Je rassure notre collègue Danièle Obono : La République en Marche n'a pas la prétention d'avoir inventé la solidarité. Mais nous souhaitons la renforcer, comme vous tous. Vous nous avez renvoyés en 1945 mais, rappelez-vous, déjà à l'époque, on voulait construire un régime universel. Cela n'avait pas pu aboutir. Nous allons le faire.
Vous nous accusez de vider le mot « solidarité » de son sens et de ne rien prévoir derrière les mots. Mais il y a également des faits : le système universel de retraite va renforcer les effets redistributifs et permettre à 30 % de nos concitoyens de partir plus tôt à la retraite à taux plein. Nous améliorons aussi l'égalité de pensions entre femmes et hommes. Je vous invite à lire le très bon rapport de notre collègue Sophie Panonacle, remis à la délégation aux droits des femmes en début de semaine.
Madame Autain, vous soulevez un point important – nous y reviendrons au titre III. La réforme va nous permettre d'aborder la question de l'explosion des inégalités entre les femmes et les hommes au moment du divorce, grâce à un système de partage des points.
Enfin, dans le système actuel, 24 % de nos concitoyens n'ont pas accès à l'intégralité de leur pension et 7 % n'ont accès à aucune pension. Avec le système universel, tous auront accès à l'intégralité de leur pension.
Dans son édition du 24 janvier, Le Parisien a analysé dans les détails l'étude d'impact annexée au projet de loi. Selon le journal, les mères sont « loin d'être gagnantes avec la réforme ». Il indique : « dans de nombreux cas, le nouveau système par points sera moins favorable aux mères de famille si elles prennent leur retraite entre 62 et 65 ans ». Sur les six cas types présentés dans l'étude d'impact, « seuls deux profils tirent leur épingle du jeu en cas de départ avant 65 ans ». Les quatre autres, notamment les classes moyennes et les classes modestes, seront fortement pénalisées. C'est d'autant plus inquiétant qu'on soupçonne votre étude d'avoir pris les six cas les plus favorables – c'est dire !
Les femmes sont perdantes et ce n'est pas L'Humanité ou les « cocos » qui le disent ! C'est Le Parisien, par le biais d'une analyse objective et détaillée de votre étude d'impact. D'ailleurs, tous les économistes font la démonstration que les femmes seront les grandes perdantes de votre projet de réforme...
La commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite l'amendement n° 22602 de M. Sébastien Jumel.
Votre référence au programme du Conseil national de la Résistance m'a heurté. Ambroise Croizat et les résistants ont écrit Les Jours heureux, vous nous préparez des lendemains tristes...
Ambroise Croizat disait « dans une France libérée, nous libérerons le peuple des angoisses du lendemain ! ». Depuis que vous avez présenté votre projet de réforme des retraites, les angoisses du lendemain explosent : 61 % des Français sont profondément inquiets de votre réforme. Le ministre de l'intérieur l'a rappelé, depuis que vous êtes aux responsabilités, 56 000 manifestations ont émaillé notre quotidien.
Par cohérence, nous proposons d'inscrire dans le marbre de la loi le fait que vous vous détachez complètement des objectifs du Conseil national de la Résistance. Il faut afficher clairement la couleur !
Monsieur Jumel, je vous remercie d'avoir parlé d'Ambroise Croizat. Cette réforme m'a permis de revisiter mon histoire de la sécurité sociale et de découvrir le rôle fondamental de ce dernier et d'Alexandre Parodi dans sa création.
Le 8 août 1946, devant l'Assemblée nationale constituante, Ambroise Croizat, alors ministre communiste du travail et de la sécurité sociale, affirmait : « la sécurité sociale est une unité. Ce résultat ne peut être atteint par une multiplicité d'institutions entre lesquelles il est impossible d'assurer une coordination suffisante. L'unité de la sécurité sociale est la condition nécessaire de son efficacité. » C'est la justification même de l'universalité et d'une coordination bien plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui.
En outre, au même moment, la CGT était à l'origine de la mise en place de l'AGIRC, premier système par points. Quelques années plus tard, c'est Force ouvrière qui portait la création de l'ARRCO, nouveau système par points. Ces systèmes de gouvernance sont plus simples et plus équilibrés. Ils ont apporté des solutions de compléments pour des retraites particulièrement faibles. On ne peut pas nier l'histoire, elle est révélatrice !
Je suis défavorable à votre amendement.
Pour l'anecdote, savez-vous qu'Ambroise Croizat a été le ministre chargé de mettre en oeuvre les ordonnances de création de la sécurité sociale ? Avec Pierre Laroque, il a eu un rôle absolument décisif.
Monsieur Jumel, l'histoire a du sens ! Pierre Laroque et, surtout, Ambroise Croizat, affirmaient déjà que la sécurité sociale devait sécuriser le travailleur et toute sa famille, afin qu'il puisse rapporter à cette dernière des moyens de subsistance. Bien sûr, on n'avait pas encore pensé au risque dépendance – à l'époque, on mourait beaucoup plus jeune et on ne profitait pas de sa retraite comme aujourd'hui. Mais le travailleur était protégé du risque d'accidents professionnels, de maladies professionnelles, de maladie. On était encore assez loin des allocations familiales et de la politique familiale, mais on avait déjà perçu que la sécurité sociale serait amenée à se développer.
Dans ses discours – c'est intéressant – Ambroise Croizat disait que le marché et le monde du travail évolueraient, que les risques sociaux évolueraient et qu'il faudrait que la sécurité sociale évolue avec eux. Cela explique la création ultérieure du risque famille et, demain, du risque dépendance, ainsi que la fiscalisation progressive de la protection sociale.
Depuis Ambroise Croizat, le monde a évolué, monsieur Jumel, et lui avait été capable de l'anticiper.
Je veux bien entendre l'exégèse des grands textes historiques, notamment ceux d'Ambroise Croizat, mais j'aimerais qu'on respecte sa mémoire...
S'agissant des ordonnances, on peut toujours comparer la Libération, la fin de l'occupation, un pays désorganisé qu'il fallait reconstruire, et la période actuelle, mais nous ne sommes pas dans la même situation ! Si le Gouvernement a légiféré par ordonnances à l'époque, c'est que les espaces de délibération dont nous disposons n'existaient pas. L'artifice est donc facile !
Vous citez un des grands discours d'Ambroise Croizat sur l'unité de la sécurité sociale, à laquelle vous portez atteinte avec ce projet de loi, en remettant en cause l'unité de l'action face à l'ensemble des risques cités à l'instant par Olivier Véran : risque maladie, risque d'accident du travail, risques liés à la vieillesse et prise en compte de certains passages de la vie. Vous n'êtes pas les exécuteurs testamentaires d'Ambroise Croizat, vous en êtes les exécuteurs tout court !
Comme Ambroise Croizat, nous plaidons pour un système beaucoup plus large et plus universel. Comme lui, nous pensons que la sécurité sociale doit évoluer et mieux prendre en charge certains risques. Mais ce n'est pas le chemin que vous prenez, ni celui que vous avez suivi depuis deux ans et demi !
Nos camarades communistes ont raison : on atteint un niveau hallucinant dans l'inversion des références en Macronie ! Peut-être ne vous en rendez-vous pas compte quand vous vous félicitez de légiférer par ordonnances, mais vous vous mettez dans la position d'un gouvernement issu d'une guerre – une guerre de classe que vous achevez peut-être –, alors qu'il n'existait pas de représentation démocratique.
C'est vraiment révélateur de votre état d'esprit. Votre réponse justifie encore plus notre demande de suppression de ces principes que vous dévoyez ! Vous parlez d'universalité mais, à l'époque, on visait le meilleur pour tous, y compris les fameux régimes spéciaux. En stigmatisant et en détruisant les régimes spéciaux, votre universalité est moins-disante. C'est tout le contraire de ce à quoi rêvait et de ce pour quoi se sont battus et ont travaillé la majorité des pères fondateurs de la sécurité sociale.
Chacune de vos interventions justifie que nous supprimions alinéa par alinéa, principe dévoyé après principe dévoyé, l'ensemble de ce projet de loi.
Je voudrais vous lire des extraits de la lettre ouverte de Pierre Caillaud-Croizat, petit-fils d'Ambroise Croizat. (Murmures.)
Il n'y a pas de problème, tout le monde s'écoute. Monsieur Jumel, vous interrompez aussi les autres tout le temps !
La lettre ouverte s'adresse au sénateur Julien Bargeton qui a cité la même phrase d'Ambroise Croizat que vous : « Que vous fassiez référence à Croizat est une démarche qui vous appartient, mais que vous cherchiez à l'utiliser pour donner du crédit à vos turpitudes de démantèlement du système qu'il a mis en place, c'est une infâme imposture. »
Il ajoute : « Le projet de réforme des retraites que vous portez est la déconstruction du système de retraite par répartition basé sur la solidarité nationale et intergénérationnelle. C'est une opération de nivellement des retraites par le bas et l'ouverture du système à la retraite par capitalisation. Une originalité du système Croizat, c'était justement de mettre les cotisations à l'abri des appétits de la finance en général et de l'assurance privée en particulier. Votre postulat qui consiste à faire sauter ces verrous ne vous permet pas de vous revendiquer de l'héritage de Croizat. Lui n'a jamais pris le parti des privilégiés et des assurances privées. Votre culot n'a d'égal que votre duplicité. »
Pour en rajouter, sans en surajouter, je ne suis pas certain que la légitimité politique d'aujourd'hui soit tout à fait la même que celle, fruit du sang et des larmes de la Libération. En outre, cela m'aura sans doute échappé, mais je n'ai pas souvenir que les ordonnances de 1945 ont provoqué des manifestations massives contre leur adoption...
Je vous l'accorde, comparaison n'est pas raison avec les ordonnances prévues par le présent projet de loi, monsieur Véran ! Sur le fond, l'attachement d'Ambroise Croizat à mettre la plupart des salariés sous la protection du régime général n'a pas interdit au gouvernement auquel il appartenait de créer des régimes spécifiques.
Je pense notamment à l'un de ceux que vous allez flinguer avec votre réforme. Il avait été théorisé par Marcel Paul, dans le sang et les larmes du camp de Buchenwald, je veux parler du statut des électriciens et gaziers. Citer Ambroise Croizat, dénaturer sa pensée et extrapoler pour justifier votre réforme constitue une contre-vérité, une aberration, voire un blasphème politique.
La commission rejette l'amendement.
Elle passe à l'amendement n° 14655 de M. Sébastien Jumel.
Il s'agit de rappeler que la solidarité induite par notre système de retraite ne s'applique pas uniquement au sein de chaque génération, mais entre toutes les générations, comme c'est prévu dans notre système actuel, même imparfaitement.
Nous avons déjà eu le débat. Les dispositions permettant de satisfaire votre demande se trouvent aux alinéas 3 et 6. Je vous remercie donc de bien vouloir retirer votre amendement. Sinon, j'y serai défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement n° 22117 de M. Philippe Vigier.
Cet amendement vise à faire de la lutte contre les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes un objectif à part entière du système universel de retraite. Il a pour objet de l'inscrire en tant que tel dans la loi, en lui consacrant un alinéa spécifique après l'alinéa 6. Selon le COR, en 2016, les pensions de droit direct perçues par les femmes étaient inférieures de près de 40 % à celles versées aux hommes. Cet écart demeure de 24 % si on prend en compte la moyenne globale des pensions, y compris les pensions de réversion. Il nous paraît essentiel d'affirmer que la lutte contre les inégalités de retraite est un objectif de justice sociale. Évidemment, cela a été rappelé, il n'appartient pas au seul système de retraite de mettre fin aux inégalités – notamment de carrière et de salaires – entre les hommes et les femmes, mais celui-ci peut les compenser.
Je remercie Mme Dubié et son groupe de présenter cet amendement, qui a trait à l'un des sujets qui ont motivé la réforme des retraites. On constate en effet un écart de 40 % entre les pensions perçues par les hommes et les femmes. La réduction de ces inégalités me semble, comme vous, indispensable, mais elle doit être complémentaire de la politique menée pour mettre fin aux écarts de rémunération. Par ailleurs, il ne nous apparaît pas opportun de dissocier cette priorité des autres enjeux inscrits à l'alinéa 6, telles les interruptions et les réductions d'activité pour éduquer les enfants. Je vous demande donc de retirer votre amendement, même si j'en partage évidemment la philosophie.
La rédaction du projet de loi n'est pas satisfaisante, car elle évoque la « résorption des écarts de retraites », ce qui sous-entend qu'on se satisferait de ne les réduire que faiblement. Plutôt que de vous assigner cet objectif très imprécis, vous pourriez viser la « résorption intégrale » ou une finalité du même ordre. Par cet amendement, dont je suis cosignataire, nous nous efforçons de préciser cette disposition.
Je vous rejoins totalement, madame Dubié, monsieur le rapporteur : le système que nous construisons – qui se caractérise par sa dimension solidaire – doit participer à la résorption de ces inégalités, en particulier de l'écart de 42 % entre les pensions perçues par les hommes et les femmes. La rédaction actuelle du début de l'alinéa 6 – « Un objectif de solidarité, au sein de chaque génération, notamment par la résorption des écarts de retraites entre les femmes et les hommes [...] » me semble à cet égard tout à fait satisfaisante. Tout au long de nos débats, nous aurons l'occasion de préciser les mesures qui participeront à la résorption des inégalités. À titre d'illustration, le système de retraite par points prendra mieux en compte l'ensemble des aléas de carrière, en prévoyant, par exemple, un minimum de retraite à 85 % du SMIC, en attribuant des majorations pour chaque enfant ou encore en compensant le temps partiel subi par la possibilité de cotiser à taux plein.
J'ai bien entendu vos propositions, et je suis tout à fait prêt à échanger avec vous pour voir s'il est possible d'améliorer le texte d'ici à la séance. Dans l'immédiat, je vous invite, à l'instar du rapporteur, à retirer votre amendement.
Je note que le rapporteur comme le secrétaire d'État reconnaissent que c'est un point important du projet de loi. Mon expérience de députée, depuis 2012, m'a montré qu'il n'était pas toujours opportun d'employer le mot « notamment » – qui figure au début de l'alinéa 6 – dans la loi. Je ne retire pas l'amendement, qui vise à la justice sociale. S'il ne recevait pas l'assentiment de la commission, je répondrais à l'invitation de M. le secrétaire d'État de travailler à une autre rédaction.
La commission rejette l'amendement.
Elle examine l'amendement n° 20535 de M. Matthieu Orphelin.
Comme vient de le dire le secrétaire d'État, le texte peut sans doute être amélioré. Je ne saurais parler en son nom, mais il me semble qu'on pourrait le retravailler pour mettre davantage en valeur l'objectif de la lutte contre les inégalités. Cela étant, si le système de retraite doit s'assigner un certain nombre d'objectifs, c'est avant tout dans la vie professionnelle qu'il faut chercher à résoudre les inégalités. On ne peut pas corriger, au stade de la retraite, l'ensemble des différences et des injustices qui se sont accumulées au cours de la carrière. Sur le fond, je partage votre avis ; sur la forme, si le secrétaire d'État en était d'accord, le texte pourrait être retravaillé d'ici à la séance.
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient à la discussion commune des amendements identiques n° 21537 de M. Boris Vallaud et n° 21635 de M. Thibault Bazin ainsi que des amendements identiques n° 14584 de M. Marc Le Fur et n° 22092 de M. Philippe Vigier.
Il s'agit de mieux reconnaître le rôle des aidants familiaux dans notre société et d'affirmer la nécessité de la prise en compte de leur rôle dans le système dit « universel » de retraite. Comme le rappelle le collectif interassociatif des aidants familiaux, on dénombre entre 8 et 11 millions d'aidants, souvent des femmes, qui sont fréquemment dans l'obligation de mettre entre parenthèses leur carrière, de manière temporaire ou définitive, dès lors que le handicap survient dans leur famille. Près d'un quart d'entre eux y consacrent plus de 20 heures par semaine. Compte tenu de la mission sociale des aidants, qui pallient souvent la carence de la prise en charge par l'État, il est nécessaire que la solidarité nationale prenne en compte leur situation dans le système dit « universel » de retraite.
L'amendement n° 21635 vise à répondre à la nécessité de renforcer la solidarité entre les assurés. Si l'exposé des motifs du projet de loi prévoit que le système universel doit également compenser, en vue de la retraite, l'impact sur la carrière des parents de l'arrivée d'un enfant, le texte ne tient pas compte de l'incidence sur la vie professionnelle de l'aide apportée par un aidant à une personne handicapée, une personne âgée en situation de perte d'autonomie ou une personne malade. L'objet de l'amendement est de mentionner explicitement les aidants à l'alinéa 6.
Afficher une volonté d'universalité et de solidarité me paraît une bonne chose. Toutefois, la rédaction de l'article 1er ressemble à un inventaire à la Prévert. Il n'accorde pas une place suffisante au handicap pour la détermination des droits à la retraite. Aussi l'amendement de Marc Le Fur propose-t-il de prendre en considération, de manière réelle et affirmée, la notion de handicap.
Le deuxième objectif assigné par le projet de loi au système universel de retraite est de renforcer la solidarité entre les assurés. La solidarité a toujours été au coeur de notre système de retraite, qui est constitué de plusieurs régimes. Ce devra être encore davantage le cas dans le système universel, qui a pour ambition d'effacer les logiques professionnelles. Or, l'article 1er ne définit pas précisément les situations qui devront relever des mécanismes de solidarité. Nous proposons de mentionner explicitement dans le texte la situation de proche aidant et le handicap. Au-delà de l'aspect symbolique, il s'agit de prévoir que le pilotage du futur système intégrera des mécanismes de solidarité envers les personnes concernées par un handicap ou ayant un rôle de proche aidant.
Les propos que viennent de tenir nos collègues sont en parfaite cohérence avec l'objectif de solidarité du système universel. Les périodes d'interruption d'activité peuvent certes être justifiées par l'éducation des enfants, mais aussi par l'aide apportée à une personne en situation de handicap ou à une personne âgée dépendante. Je donne un avis favorable aux amendements présentés par M. Juanico et M. Bazin, qui font référence, de manière générique, à l'« aidant » ; si ces deux amendements étaient adoptés, les deux suivants seraient satisfaits. Je précise que la réforme prévoit l'attribution de points aux aidants.
J'émets également un avis favorable aux amendements de M. Vallaud et de M. Bazin. Je ne suis pas certain qu'il soit juridiquement nécessaire d'apporter ces précisions, mais je comprends l'esprit qui vous anime.
Je l'entends, et c'est la raison pour laquelle je suis favorable à ces initiatives.
Longtemps oubliés, les 8 à 11 millions d'aidants que compte notre pays sont, depuis le début de la législature, l'objet de toute notre attention. De nombreuses mesures ont déjà été intégrées à la stratégie nationale de mobilisation et de soutien en faveur des aidants, comme l'indemnisation du congé de proche aidant, l'assouplissement du congé de présence parentale ou encore l'aménagement des rythmes d'études pour les étudiants aidants. L'article 43 du projet de loi prend en considération la situation des aidants dans le nouveau système universel de retraite. Il prévoit de leur attribuer des points de solidarité, conformément à l'engagement du Président de la République. Nous voterons les amendements identiques de précision nos 21537 et 21635, qui vont dans le sens de notre engagement pour une reconnaissance plus affirmée des aidants dans notre pays.
C'est un grand pas pour l'homme mais un petit pas pour l'humanité... Mme Cloarec-Le Nabour vient d'ailleurs de dire que, dans son esprit, il s'agit d'amendements de précision. Cela étant, ils vont dans le bon sens et prolongent le rapport de la commission d'enquête que j'avais commis sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, adopté à l'unanimité en 2019, qui insistait sur la nécessité de tenir compte des ruptures professionnelles subies par les familles aidant un enfant en situation de handicap. L'affichage de cet objectif ne dit toutefois pas ce que seront les droits concrets, réels des aidants en matière d'accès à la retraite.
Ça va mieux en l'écrivant, même si on sait ce qu'il en est des grands principes affirmés dans cette partie du texte, dont on vient de passer quelques heures à critiquer la portée. Il faudra vérifier sur quels droits effectifs cela débouche. On doit évidemment prendre en considération cet enjeu majeur, qui concerne au bas mot 11 millions de personnes dans notre pays. Ceci dit, on va nous expliquer que, grâce aux vertus du système par points, on va enfin tenir compte de la situation des aidants. Or des mesures avaient déjà été proposées dans le cadre actuel. Une proposition de loi, débattue – et balayée – à l'Assemblée nationale il y a deux ans prévoyait la prise en compte de la situation des aidants au titre de leurs droits à la retraite. Un rappel historique permet de montrer comment les choses s'emboîtent. Peut-être des avancées – tout à fait nécessaires – seront-elles réalisées en faveur des aidants, mais on est encore au début du chemin.
Monsieur Dharréville, je salue les travaux que vous-même et M. Christophe avez menés. Lorsqu'on va dans le même sens, cela permet d'obtenir des résultats.
Je retire notre amendement, car sa première partie sera satisfaite si les deux premiers amendements sont adoptés. Je regrette toutefois que vous n'ayez pas eu la même attention pour les personnes en situation de handicap. Il aurait été nécessaire de mentionner le handicap à l'alinéa 6, juste avant les mots « à leur état de santé ».
L'amendement n° 22092 est retiré.
La commission adopte les amendements n° 21537 et n° 21635.
En conséquence, l'amendement n° 14584 tombe .
La commission est saisie de l'amendement n° 14657 de M. Sébastien Jumel.
Cet amendement vise à inscrire dans la loi la « prise en compte des périodes de privation involontaire d'emploi, totale ou partielle ». Il faut repenser la notion de carrière complète et y intégrer les périodes de privation d'emploi subies. C'est un changement de paradigme que nous avons introduit dans le débat en déposant la proposition de loi pour une retraite universellement juste.
Le système universel tiendra compte des périodes d'interruption d'activité, au titre, par exemple, du chômage, par le biais du futur Fonds de solidarité vieillesse universel. L'acquisition de ces droits ne saurait toutefois être comprise, à mon sens, dans cette série de grands principes. Elle relève tout autant de la politique de l'emploi et de la lutte contre le chômage. Demande de retrait.
Le Conseil d'État a relevé, vous le savez, dans un avis dont vous n'avez pas fini d'entendre parler, que le projet de réforme ne prend pas en considération les périodes de chômage non indemnisé – pour ne citer que cet exemple – dans le calcul des interruptions de carrière. Il ajoute que le traitement des périodes de chômage indemnisé renvoie à des inégalités entre catégories professionnelles.
Cet amendement vise à corriger ces inégalités par la prise en compte des « périodes de privation involontaire d'emploi, totale ou partielle ».
La commission rejette l'amendement.
Elle en vient à l'amendement n° 14656 de M. Pierre Dharréville.
Dans le même esprit, nous proposons que soient prises en compte, dans le calcul d'une carrière complète, les années d'études et de formation, lesquelles permettent de recevoir une qualification et d'accéder à l'emploi. Cette mesure s'inscrit dans l'objectif plus large de reconnaissance du travail et des métiers. Tout cela doit se conjuguer, y compris pour le calcul des droits à la retraite.
J'appelle votre attention sur le fait que le système universel permettra au gouvernement actuel, comme aux suivants, d'accorder tel ou tel point suivant l'importance qu'il accordera à un domaine particulier. L'organisation actuelle, en quarante-deux régimes, très difficilement pilotable, n'offre pas une telle souplesse.
S'agissant plus particulièrement de votre amendement, les périodes d'études et de formation permettront d'acquérir des points dans le système universel, à l'initiative des assurés. Il ne s'agit toutefois que d'une faculté, qui ne trouve à mon sens pas sa place au sein des principes génériques du système universel. Par ailleurs, je rappelle que les périodes d'apprentissage permettront d'acquérir des points gratuits pour l'assuré. Demande de retrait.
Je ne partage pas le point de vue du rapporteur quant à l'impossibilité d'appliquer cette disposition dans le cadre actuel. Je l'invite à consulter la proposition de loi que nous avons déposée, qui contient tous les éléments pour le faire.
La commission rejette l'amendement.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette ensuite l'amendement n° 21528 de M. Pierre Dharréville.
Puis elle examine l'amendement n° 543 de M. Sébastien Jumel.
Cet amendement vise à inscrire la pénibilité – sujet dont nous avons beaucoup discuté – comme un objectif déterminant, en garantissant « aux assurés concernés par des métiers pénibles, des carrières longues ou qui connaissent des difficultés en raison de leur état de santé ou de leur carrière, un droit à anticiper leur départ en retraite ». La pénibilité deviendrait ainsi un principe fondamental de votre projet de loi.
Le projet de loi prend en compte l'état de santé et les départs anticipés, notamment pour les carrières longues. Sa rédaction est plus ouverte que la vôtre, qui semble distinguer l'enjeu des métiers pénibles de celui des problèmes de santé. Je ne suis pas convaincu que votre amendement apporterait plus de clarifications, et vous propose de le retirer.
La commission rejette l'amendement.
La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du lundi 3 février 2020 à 21 heures 30
Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Thibault Bazin, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Thierry Benoit, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marine Brenier, M. Jean-Jacques Bridey, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Lionel Causse, M. Gérard Cherpion, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, M. Yves Daniel, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Albane Gaillot, M. Éric Girardin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Brahim Hammouche, Mme Danièle Hérin, M. Sacha Houlié, M. Régis Juanico, M. Sébastien Jumel, Mme Fadila Khattabi, Mme Célia de Lavergne, Mme Marie Lebec, M. Didier Le Gac, Mme Constance Le Grip, Mme Monique Limon, M. Jacques Maire, M. Emmanuel Maquet, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean François Mbaye, M. Thierry Michels, M. Patrick Mignola, Mme Cendra Motin, Mme Sophie Panonacle, Mme Valérie Rabault, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, M. Olivier Véran, Mme Corinne Vignon, M. Éric Woerth
Assistaient également à la réunion. - Mme Émilie Bonnivard, M. Charles de Courson, M. David Habib, Mme Véronique Hammerer, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Danièle Obono