Chers collègues, j'ai grand plaisir à vous retrouver ce matin en qualité de rapporteur de la présente proposition de loi.
J'ai commencé d'y travailler voilà plusieurs mois après m'être rendu compte que se multipliaient ces dernières années sur des plateformes de partage telles que YouTube, pour ne mentionner que la plus connue d'entre elles, des vidéos réalisées et tournées par des parents mettant en scène leurs enfants. Ces derniers sont filmés dans différentes activités, souvent anodines – déballage de jouets, dégustation d'aliments, défis divers tels que passer vingt-quatre heures dans un carton ou manger pendant vingt-quatre heures de la nourriture jaune ou noire.
Mes propres enfants n'échappant pas au phénomène de visionnage – certains comptes rassemblent jusqu'à 5 ou 6 millions d'abonnés, une audience à faire pâlir d'envie les chaînes de télévision classiques –, j'ai regardé avec eux certaines de ces vidéos et j'ai pu faire plusieurs constats. Certains enfants apparaissent dans de très nombreuses vidéos, qui peuvent incorporer des placements de produits ou des publicités. Les situations que font apparaître certaines vidéos peuvent en outre poser problème au regard des droits de l'enfant.
Si je me réjouis qu'internet constitue un espace de création et d'innovation propice à l'apparition de nouvelles formes d'entreprenariat, celles-ci me paraissent néanmoins devoir respecter l'intérêt supérieur de l'enfant, principe à valeur constitutionnelle auquel nous sommes tous très attachés. J'ai donc souhaité entamer ce travail pour établir un cadre protecteur.
La République sociale s'est construite autour de l'encadrement du travail des enfants, qui, sauf dérogation, est interdit. C'est le cas notamment pour les enfants du spectacle ou les enfants mannequins. Ces régimes ont constitué la base de ma réflexion, et j'ai cherché avec cette proposition de loi à combler le vide juridique actuel.
Même si certaines vidéos peuvent apparaître à la limite de ce qui est acceptable, à l'instar de certaines émissions de télévision, mon ambition était non pas de porter un jugement mais, avant tout, de responsabiliser les différents acteurs, notamment les parents, en leur offrant un cadre juridique clair pour la réalisation de ces activités.
C'est l'objet de l'article 1er de la proposition de loi, qui légalise dans une certaine mesure le travail des mineurs de moins de 16 ans en leur étendant le régime protecteur des enfants du spectacle, et plus particulièrement des enfants mannequins.
Les enfants qui tournent dans des films ou qui se font photographier, par exemple, bénéficient en effet de mesures protectrices qui encadrent leur activité. Ils doivent disposer d'une autorisation individuelle délivrée par la direction départementale de la cohésion sociale pour pouvoir travailler. L'employeur peut aussi demander à l'autorité administrative de bénéficier d'un agrément qui l'exonère de l'obligation d'une demande d'autorisation individuelle pour chaque prestation.
Ce cadre juridique inclut l'obligation de respecter des limitations horaires fixées par décret, et le versement d'une part des revenus de cette activité de travail sur un compte à la Caisse des dépôts et consignations.
Les parents que j'ai rencontrés sont tout à fait demandeurs d'un tel cadre. Certains ont d'ailleurs déjà entamé des démarches pour agir dans la légalité, et ces dispositions combleront un vide juridique pour les situations dans lesquelles l'activité relève d'une relation de travail.
Toutefois, et c'est ce qui a rendu ce travail à la fois passionnant et chronophage, avec internet, on se situe bien souvent dans une zone grise, notamment pour caractériser la relation de travail. Dans certains cas, celle-ci est très difficile à établir, par exemple du fait de l'absence de consignes.
Des situations qui ne peuvent être qualifiées de travail relèvent donc du loisir, bien qu'elles induisent une exploitation commerciale de l'image des enfants filmés. C'est pourquoi je propose à l'article 3 de rendre obligatoire une déclaration des parents dès lors que les enfants consacrent beaucoup de temps à la réalisation des vidéos ou que celles-ci génèrent d'importants revenus. Cette déclaration entraînera l'application de mesures protectrices pour les enfants, à la fois par la limitation du temps consacré à l'activité et par la protection des revenus qui en sont tirés.
Prenons l'exemple d'un enfant qui jouerait très bien au football. Vous pouvez le filmer sans lui donner de consigne et monétiser cette vidéo ou répondre aux sollicitations d'entreprises qui vous demanderaient de faire du placement de produit en faisant porter à l'enfant des vêtements ou des chaussures d'une marque donnée. Il n'y a pas de relation de travail en l'espèce, mais les vidéos génèrent des revenus. Il faut donc bien s'assurer que l'argent profite à l'enfant, et que l'activité n'est pas réalisée au prix de l'instruction de l'enfant, de sa santé, de son repos, de ses loisirs, ou contre son consentement.
L'article 3 permet donc de couvrir par un cadre protecteur les situations où une relation de travail ne peut être caractérisée, mais dans lesquelles l'image de l'enfant est exploitée commercialement et génère des revenus. Ce cadre reste toutefois moins contraignant que celui de l'article 1er, qui s'applique en cas de relation de travail classique.
Par ailleurs, il m'a paru important de responsabiliser les plateformes et les entreprises concluant des contrats de placement de produit.
S'agissant des plateformes, elles tirent des revenus publicitaires de ces vidéos et, à ce titre, ne peuvent donc s'exonérer de toute responsabilité. Quant aux annonceurs, ils utilisent eux aussi l'image des enfants filmés pour promouvoir leur activité commerciale.
L'article 4 assigne ainsi plusieurs obligations aux plateformes, dans le respect des dispositions du droit européen concernant les hébergeurs et les contenus générés par leurs utilisateurs. Elles doivent permettre aux utilisateurs, réalisateurs ou simples spectateurs, de signaler la présence d'un mineur de moins de 16 ans dans une vidéo.
Au sein de ce premier ensemble de vidéos identifiées grâce au signalement des utilisateurs, la plateforme devra isoler celles qui sont monétisées – et dont elle tire elle-même des revenus – et les transmettre à l'autorité compétente. Celle-ci aura pour charge d'identifier les vidéos problématiques et de mener les enquêtes nécessaires en matière de protection de l'enfance, de droit du travail, de publicité clandestine ou de droit fiscal.
Les plateformes doivent aussi faire oeuvre de pédagogie à l'égard de leurs utilisateurs, afin que ceux-ci soient le mieux informés possible de la réglementation existante et des risques qu'ils font courir à leurs enfants.
Il m'a paru également nécessaire d'améliorer la protection des mineurs dans le domaine du droit à l'image et à la vie privée. Il n'est pas acceptable que des vidéos de vous enfant restent visibles sur internet alors que vous ne souhaitez plus qu'elles le soient. Quand on est mineur et qu'on fréquente le collège ou l'école primaire, on peut regretter être apparu, plus jeune, dans une vidéo réalisée pour un placement de produit ou en vue d'une exploitation commerciale, et souhaiter qu'elle soit supprimée de la plateforme.
L'article 5 permet donc à une personne mineure de demander à la plateforme le retrait d'une vidéo qu'elle ne souhaite plus rendre accessible. Enfin, l'article 6 prévoit les sanctions applicables aux plateformes en cas de non-respect de ces obligations.
L'objectif de la proposition de loi est donc bien de mieux protéger les enfants, et c'est ce qui a véritablement guidé mon travail.
Je le répète, le phénomène visé est relativement nouveau. À l'étranger, ces activités génèrent plusieurs millions d'euros ou de dollars par an. En France, des parents ont cessé leur activité professionnelle pour se consacrer à cette production de contenus, et certains d'entre eux souhaitent qu'un cadre juridique clair soit établi.
Aux autres, il faut rappeler que même quand un enfant s'amuse, exploiter commercialement son image peut caractériser une relation de travail, au même titre qu'un enfant jouant un rôle dans un film au cinéma, et il doit être protégé dans l'exercice de cette activité. Quand un enfant déballe des produits, des cadeaux, il peut avoir l'impression de s'amuser, mais si la captation de cette image dégage des revenus, il n'est plus tout à fait dans une activité de loisirs.
La proposition de loi fixe donc un cadre juridique clair aux activités de partage de vidéos mettant en scène des mineurs de moins de 16 ans. Elle place chacun devant ses responsabilités – parents, plateformes, entreprises. Elle permet aux autorités publiques de mieux détecter les situations problématiques au regard des droits de l'enfant, ce qui est un véritable défi quand on sait le nombre de vidéos publiées chaque jour en France et dans le monde.
Ce texte nous donnera la possibilité d'agir, en nous appuyant sur les entreprises et les plateformes, pour que nous puissions proposer des solutions efficaces.