Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 13 février 2020 à 15h00
Justice sociale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Tel un phénix, l'idée de justice sociale resurgit aujourd'hui de ses cendres : c'est ce qu'affirme Alain Supiot, juriste et titulaire de la chaire de droit au Collège de France. Elle avait pourtant été mise sous le tapis durant des décennies, mais les gilets jaunes ont su imposer une prise de conscience salutaire : celle du déclin d'une société fracturée, qui a laissé sur la touche les classes populaires, les agriculteurs, les retraités, les familles – j'en passe.

Il faut s'appeler Nathalie Loiseau pour ne pas se rendre compte que, depuis 2018, la France est déchirée par des manifestations à répétition. Eh oui ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'ex-ministre, interrogée le 5 février dernier, se disait surprise qu'un journaliste ne sache pas qu'il n'y a plus de grève en France. Je ne vous cache pas ma sidération : comment est-il possible de ne pas respirer dans l'air ambiant l'odeur d'un mal-être social qui est loin de s'apaiser ?

Alors, que faire ? Continuer à feinter, à esquiver, ou prendre les problèmes à bras-le-corps et les traiter les uns après les autres, afin d'apporter des réponses concrètes aux Français ? Je crois que c'est dans ce dernier état d'esprit que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a été rédigée. Je salue cet effort et déplore d'autant plus qu'elle ait été balayée d'un revers de la main en commission.

Pourtant, l'idée de l'article 1er de transformer la réduction d'impôt pour frais d'hébergement, dont bénéficient les personnes âgées accueillies dans les EHPAD, en un crédit d'impôt, ne me semble pas si mauvaise ! Nul ne devrait ignorer combien il est difficile de joindre les deux bouts lorsqu'on est dépendant et en fin de vie. Pour dire les choses clairement, ce n'est pas une mince affaire que d'être accueilli dans un EHPAD : malgré les différentes aides publiques, les frais de séjour, qui restent à la charge de la personne âgée, sont très importants. Il en coûte en moyenne 1 800 euros par mois : une somme difficile à rassembler quand on sait que la retraite moyenne en France s'élève à environ 1 470 euros bruts, et que tous les retraités ne peuvent pas s'appuyer sur leur famille. Il me semble donc urgent de trouver une réponse à ce problème. Le crédit d'impôt proposé à l'article 1er allait, me semble-t-il, dans la bonne direction.

Les articles 2 et 3, qui proposent de revoir le mode de calcul de l'allocation aux adultes handicapés et son plafonnement, me semblent, eux aussi, pertinents. Avec 12 millions de personnes touchées par le handicap en France, il serait temps de mettre les bouchées doubles pour atteindre l'objectif que le Gouvernement s'est lui-même fixé, celui de l'inclusion sociale.

Que propose l'article 2 ? Tout simplement de ne plus tenir compte du revenu du conjoint dans le calcul de l'allocation. En effet, actuellement, l'autonomie des allocataires n'est pas assurée. En commission, nous avons évoqué ces femmes qui subissent des violences conjugales, mais qui, du fait de l'indexation de leur AAH sur le revenu de leur mari violent, n'ont pas suffisamment d'argent pour le quitter – pour se mettre à l'abri.

Sans aller aussi loin, est-il normal qu'actuellement, une personne atteinte d'un handicap lourd, qui la rend inapte au travail, ne puisse pas bénéficier de l'AAH dès lors que son conjoint touche 2 250 euros par mois ? Je ne le crois pas. Et dire cela ne signifie pas que le conjoint valide n'a pas à supporter une partie des charges financières inhérentes au handicap de l'autre conjoint : si la première des solidarités doit bien évidemment s'exercer au sein de la famille, la société ne peut ignorer pour autant celui qui est en situation de faiblesse. C'est une question de justice sociale ; une question de dignité, aussi. Il est temps – plus que temps – d'individualiser le bénéfice de l'AAH.

J'en viens maintenant à l'article 4, qui propose de relever de 60 à au moins 65 ans l'âge maximal pour bénéficier de la prestation de compensation du handicap, afin de tenir compte, notamment, de l'allongement de l'espérance de vie. Dans les faits, lorsqu'un handicap survient après 65 ans, la personne qui en est atteinte ne peut plus bénéficier de la prestation de compensation du handicap ; elle peut seulement percevoir l'allocation personnalisée d'autonomie. Pour le dire tout net, en France, après 60 ans, il est trop tard pour être atteint d'un handicap ! En matière d'inclusion et de solidarité nationale, admettez que nous pourrions mieux faire…

Alors oui, décidément, il est plus que temps de faire un pas en avant vers un peu plus de justice sociale et un peu plus de dignité pour les Français atteints de handicap et les personnes âgées. Je voterai donc pour la proposition de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.