Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du lundi 17 février 2020 à 16h00
Système universel de retraite — Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

De « chacun selon ses moyens » à « chacun selon ses besoins » : l'ambition a une autre figure que le slogan « chaque euro cotisé doit donner les mêmes droits » qui, sous les apparences de l'égalité, cultive le chacun pour soi. Une telle maxime n'est ni désirable, ni applicable, tant nos parcours peuvent être différents d'un bout à l'autre de l'existence.

Voilà pourquoi, si l'on veut engager une réforme d'une telle portée tellurique, il vaut mieux y avoir bien réfléchi, y avoir bien travaillé, et avoir suffisamment rassemblé.

Chères et chers collègues, vous auriez tort de prendre cette demande de rejet du texte pour une formalité. Croyez bien que je meurs d'envie de demander au Gouvernement : qu'est-ce que vous ne comprenez pas dans le mot « retraite », qu'est-ce que vous ne comprenez pas dans le mot « retrait » ? Mais c'est d'abord à vous que je veux principalement m'adresser, parce que la situation est grave. Je suis certain que nombre d'entre vous se disent tout bas que les conditions ne sont assurément pas réunies pour acter un bouleversement complet de notre droit à la retraite.

Alors, le geste salutaire que le Gouvernement n'a eu ni la lucidité ni le courage de faire, le Parlement peut désormais l'accomplir. C'est un geste de sursaut, de respect de la démocratie et finalement de soi-même. C'est plus que jamais le moment. Depuis le début, les promoteurs de cette réforme voudraient torpiller leur oeuvre et la rendre inconstitutionnelle qu'ils ne s'y prendraient pas autrement. Alors qu'il arrive devant nous aujourd'hui, une chose est désormais établie : le texte n'est pas prêt, il est complètement « bilboque », il est en papier mâché.

Je récapitule, à l'économie car les faits sont accablants. Pendant deux ans, à la suite d'une idée de campagne plus ou moins claire et plus ou moins reprise par les candidats aux législatives, un haut-commissaire a animé des cafés-débats et mené quelques opérations de « com » visant à dénigrer le système actuel, dans le but de préparer l'opinion.

Faisant l'objet de fuites contradictoires, plusieurs fois annoncée, la réforme devait finalement venir l'été prochain, mais nous y voilà dès l'hiver parce que le Gouvernement a tenté un coup tactique foireux. La concertation sociale a été une aimable farce : personne n'était demandeur, et personne n'a été écouté. Le dessaisissement des organisations syndicales, dont le rôle est actuellement central, a été appliqué avant l'heure : elles n'ont, en réalité, jamais disposé du texte, et je ne parle pas des concertations périphériques décoratives. Voilà les assurés expulsés. Flagrant défaut de dialogue social !

Le Premier ministre a présenté la réforme dans un discours qui a provoqué la colère. Pour diviser les générations, il annonçait une entrée en vigueur à partir de la génération née en 1975, accompagnée d'un âge pivot. Puis, pour gagner du temps, il inventa la suspension provisoire de l'article concerné, et une conférence de financement se prolongeant au-delà de la première lecture. Avec une épée de Damoclès au-dessus des têtes, voilà donc le Parlement appelé à se prononcer sur un projet provisoire à la main du Gouvernement.

Dix jours plus tard, le pilote de la réforme démissionnait, notamment pour n'avoir pas déclaré des activités et pour de possibles conflits d'intérêts, laissant un texte inachevé, bardé de vingt-neuf ordonnances portant sur une quarantaine de questions structurantes. Le Conseil d'État écrira que cela « fait perdre la visibilité d'ensemble qui est nécessaire à l'appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité ». Flagrant défaut de précision !

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