Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du lundi 17 février 2020 à 16h00
Système universel de retraite — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo :

Notre système de retraite est l'un des piliers de notre pacte social. Le réformer de façon globale et systémique revient à ouvrir une réflexion sur le temps long, et à interroger le modèle de société auquel nous aspirons et que nous souhaitons préserver. Le nouveau siècle est celui de défis cruciaux pour notre pays : le changement climatique, mais aussi le vieillissement des sociétés industrialisées. Ces défis modifient notre rapport au risque et à la mort ; ils créent des angoisses et des inquiétudes nouvelles.

Je pense aussi aux mutations du travail. Le travail est l'un des lieux où l'individu établit son rapport au monde, se définit et souvent s'émancipe. Il arrive aussi que ce soit un lieu de souffrance ; il faut en tenir compte. Or les mutations du travail au XXIe siècle, dont nous sommes loin d'avoir pris la mesure, rendent ces définitions mouvantes et instables. Les parcours professionnels se diversifient, les mobilités s'accroissent et les trajectoires linéaires au sein d'une même entreprise sont moins fréquentes. Loin d'être figée, notre société est donc vivante, diverse, plurielle. C'est une force pour l'avenir.

Toutefois, si elles s'accompagnent d'une remise en cause ou d'une dégradation des identités professionnelles, ces mutations peuvent être mal vécues. Dès lors, les oppositions et inquiétudes nombreuses que cette réforme a suscitées au cours des derniers mois dépassent la seule question des retraites. Trop souvent, nous raisonnons à partir d'identités professionnelles passées, qui continuent, de fait, à structurer le débat public. Cependant, certaines catégories de population ont dans le même temps connu des changements de situation importants, parfois dans le sens d'un déclassement ou d'une précarisation, d'où des incompréhensions et un sentiment d'injustice.

Je pense en particulier aux enseignants, pilier fondamental de la société. La réforme des retraites a eu l'immense mérite de révéler l'injustice que constitue leur situation. Disons-le avec vigueur : nous négligeons depuis trop longtemps la situation de ceux qui instruisent nos enfants. Les concours attirent de moins en moins de candidats et la fonction a perdu de son prestige passé. Chaque année, la France recule dans les classements internationaux. Avec les enseignants, nous regrettons amèrement ce manque de reconnaissance, contradictoire avec l'importance de leurs missions. Il est plus que temps de prendre ce sujet à bras-le-corps et de réaffirmer le contrat qui lie la société tout entière à ceux qui font vivre l'école. Il y va de l'avenir de nos enfants, de notre capacité à les rendre libres de leur jugement et à en faire des citoyens pleinement actifs.

Le Gouvernement a déjà ouvert plusieurs pistes pour améliorer les carrières des enseignants ; c'est une bonne chose. Il faudra néanmoins apporter à l'ensemble du corps enseignant une réponse claire et sans ambiguïté quant au calendrier des revalorisations futures et à leurs montants. L'enjeu est essentiel, et le groupe UDI-Agir y sera attentif.

Le système de retraites d'un pays en dit long sur son approche de l'égalité et de l'équité. Le système français actuel, fondé sur des solidarités interprofessionnelles entre métiers et entre corps, ne répond plus aux nouveaux besoins de protection nés des mutations du travail. Par manque de lisibilité, il crée de l'anxiété. À cet égard, la multiplication des réformes paramétriques depuis vingt ans a eu pour conséquence logique d'entraîner une perte de confiance envers l'ensemble du système, en particulier parmi les jeunes générations. Par son opacité, le système suscite la défiance et nourrit les procès en injustice. Par sa complexité, il favorise le non-recours aux droits. En clair, notre système de retraites doit devenir plus juste, plus équitable et plus solidaire.

Il serait irresponsable de ne pas anticiper ces mutations profondes. Nous devons cette exigence aux générations actuelles comme aux générations futures, que la responsabilité consiste aussi à pouvoir regarder sans rougir parce que nous aurons garanti l'équilibre financier du système. De ce point de vue, nous nous félicitons de l'instauration d'une règle d'or qui garantira tout à la fois le niveau des pensions et l'équilibre du système. La responsabilité face aux déficits est la condition de la crédibilité de notre système. Elle consiste à corriger les fragmentations et les ruptures de droit face à la retraite. L'adjectif « universel » n'est pas plus synonyme d'uniformité qu'il ne l'est d'un régime d'exception. La suppression des régimes spéciaux, que les Français réclament depuis longtemps, est légitime ; ce sera chose faite avec cette réforme.

La création d'un système universel de retraite par points constitue indéniablement un défi ambitieux et un bouleversement sans précédent depuis 1945. Notre groupe plaide depuis longtemps en faveur d'un régime de retraite par points car nous sommes convaincus qu'il s'agit d'un mode de calcul plus juste, plus lisible et mieux à même de concrétiser les engagements respectifs de chacun envers la société et le contrat qui les lie. D'autre part, cette réforme doit permettre de protéger davantage en luttant contre la précarité et en tenant davantage compte des carrières hachées, mais aussi des différentes formes de pénibilité, notamment par l'instauration d'une visite obligatoire en fin de carrière pour les métiers à risque. Nous nous félicitons qu'il soit donné suite à cette demande ancienne de notre groupe.

La réforme doit aussi permettre de mieux protéger les femmes face à la retraite car, en la matière, les inégalités entre les femmes et les hommes sont réelles : les pensions des femmes sont encore inférieures de 42 % à celles des hommes. Ces inégalités sont d'abord le reflet des inégalités professionnelles, mais aussi de l'impact différent de l'éducation d'un enfant sur les carrières des pères et des mères. Le projet de loi déploie tout un ensemble de mesures qui permettront d'aplanir ces différences, et nous nous en réjouissons.

La réforme doit faciliter les mobilités professionnelles et favoriser les prises de risques dans la carrière, en garantissant qu'un changement d'emploi ne soit pas synonyme de perte de droits. Elle doit mieux protéger contre les accidents de la vie.

Nous saluons la prise en compte de la situation spécifique des proches aidants pour les droits à retraite. Cette reconnaissance est nécessaire compte tenu du dévouement quotidien dont ils font preuve, parfois au détriment de leur santé ou de leur carrière professionnelle.

S'agissant des professions libérales, notre groupe plaide pour l'inscription dans la loi du principe du maintien des réserves dans les caisses des régimes autonomes. Il faut en effet rassurer les professions libérales et les indépendants, et préciser les résultats des concertations dans la loi ; nous défendrons des amendements en ce sens.

Une attention particulière devra être apportée au respect des droits acquis durant la transition entre l'ancien et le nouveau système. Nous proposons une évaluation à mi-parcours des ordonnances dédiées.

Liberté, lucidité mais aussi responsabilité : ces convictions structurent et orientent l'engagement politique de notre groupe. Comme je l'ai déjà souligné en commission spéciale, vous nous trouverez à vos côtés lorsqu'il s'agira de prendre des mesures courageuses et responsables qui garantissent la pérennité du système de retraite. Nous vous accompagnerons pendant l'examen de ces projets de loi tout en défendant plusieurs amendements visant à les compléter. Nous proposons par exemple la création de dispositifs de tutorat pour favoriser la transmission des savoirs entre générations au sein des entreprises.

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