C'est la première fois que, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale se saisit pour avis des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » ainsi que du compte d'affectation spéciale « Pensions ». Si notre commission a ainsi choisi d'innover, c'est parce qu'il lui a paru important de se pencher sur les régimes dits spéciaux que ces crédits abondent dans la perspective de la réforme systémique de notre régime de retraite annoncée dans le programme du Président de la République, Emmanuel Macron.
Dans cette optique, j'ai réalisé une dizaine d'auditions depuis quelques semaines et analyser les informations fournies par vos administrations, dont le taux de réponse au questionnaire budgétaire était de 94 % à la date du 10 octobre dernier, ce dont je les félicite. Si l'appel à la solidarité peut se justifier s'agissant de régimes qui, marqués par un fort déséquilibre démographique, peinent à s'autofinancer, il n'en demeure pas moins qu'on peut difficilement se satisfaire de la persistance de certains avantages anciens dont le financement repose in fine majoritairement sur la collectivité nationale.
Malgré les réformes paramétriques successives, les régimes de retraite de la SNCF et de la RATP sont aujourd'hui subventionnés aux trois cinquièmes par l'État et celui des marins l'est même à près de 80 %. Or, dans le même temps, je note que l'âge moyen de départ à la retraite des pensionnés de droit direct de la SNCF était de 57 ans et 3 mois en 2016, quand il était, la même année, de 62,4 années pour les affiliés au régime général. Dans le régime de la RATP, un certain nombre de règles de liquidation des pensions permettent, en particulier au personnel roulant, de partir en retraite dès l'âge de 45 ans, voire sans aucune condition d'âge dès lors que diverses conditions sont remplies. Dans ce même régime, la durée moyenne de service de la pension, environ 40 années, est très supérieure à la durée moyenne d'activité, à peine 35 années, ce qui est le signe que la pénibilité du travail ne cause pas une surmortalité précoce. Quant aux règles de cotisation et de gestion du régime de retraite des marins, je ne m'appesantirai pas sur leur complexité kafkaïenne qui frise parfois à l'absurdité.
Plusieurs des personnes entendues ont convenu que l'on avait atteint les limites d'un système et que l'on ne pourra rompre avec les iniquités et les déséquilibres financiers résultant de la configuration actuelle du régime de retraite par répartition qu'en changeant de paradigme. Le temps me semble donc venu de mettre en oeuvre la proposition du Président de la République de créer un régime universel de retraite par répartition dans lequel un euro cotisé donne les mêmes droits, quels que soient le moment où il a été versé et le statut de celui qui a cotisé.
Mais une telle réforme ne saurait pour autant se traduire par un alignement pur et simple de l'ensemble des régimes sur le régime général des salariés du secteur privé, ni par un décalque du modèle suédois des comptes notionnels. En effet, si l'amélioration des conditions de travail et de la prévention des risques peut aujourd'hui conduire à s'interroger sur la légitimité de certaines caractéristiques des régimes spéciaux, il n'en demeure pas moins que les particularités de certains régimes demeurent à mes yeux pleinement justifiées. Tel est le cas, selon moi, du régime des pensions de retraite des militaires, dont les singularités – limite d'âge basse, pensions de retraite à jouissance immédiate, bonifications diverses, règles spécifiques en matière de cumul emploi-retraite – ne sont que la traduction d'une politique publique visant à garantir la jeunesse et l'aptitude physique de nos armées, le pyramidage des effectifs, la compensation d'une disponibilité en tout temps et en tous lieux, ainsi que des sujétions difficiles pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême ou encore la reconversion professionnelle et donc l'attractivité des métiers, ce qui mérite d'être médité à l'heure où la gendarmerie va être amenée à renouveler massivement ses effectifs.
Si les singularités de ce régime peuvent apparaître de prime abord comme des avantages, il faut avoir conscience que les militaires retraités sont loin d'être des nantis. La moitié des militaires du rang perçoivent une pension inférieure à 774 euros par mois, et 30 % des pensions militaires de retraite sont servies au minimum garanti. En 2016, près de 10 000 militaires ont cessé leurs fonctions sans droit de pension. Les militaires partent, en outre, à la retraite dans un état physique et psychique dégradé. Ainsi, en 2016, 10 % des pensions de retraite liquidées par les gendarmes étaient assorties d'une pension militaire d'invalidité dont le montant moyen annuel – environ 4 000 euros – est loin d'être mirobolant et dont le délai d'attribution – 27 mois en moyenne – a récemment été dénoncé par la Cour des comptes.
Des simulations effectuées par le ministère des armées ayant permis de mesurer l'ampleur des pertes qu'impliquerait le passage au système des comptes notionnels – baisse de 72 % des montants de pension des militaires du rang –, il me semble impératif, dans la perspective d'une réforme systémique, de ne pas réduire la question de l'équité à celle de l'uniformité des règles. Aussi souhaiterais-je savoir où en sont les travaux de préfiguration de cette réforme pour laquelle M. Delevoye a été nommé haut-commissaire. Pour le reste, j'émettrai, bien sûr, un avis favorable sur les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions » du présent projet de loi de finances.