Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission de la défense et des forces armées, monsieur le rapporteur spécial, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, jeudi soir, en commission élargie, le budget de la défense a déjà été amplement décortiqué. Aussi me semble-t-il plus utile, dans cet hémicycle, de revenir sur un sujet devenu central depuis plusieurs mois. Je veux parler de cet objectif des 2 % du PIB qui semble désormais unanimement partagé, ce dont on pourrait se réjouir.
À bien y réfléchir, je crois cependant que, en dépit des apparences, la promotion de ce thème a été une fausse bonne idée. Lors de la campagne présidentielle, états-majors et industriels ont cru habile de promouvoir ce chiffre symbolique pour convaincre les candidats d'accomplir un effort supplémentaire pour nos armées. Reprendre cet objectif, c'était s'engager pour une augmentation significative des moyens alloués à nos armées, mais c'était aussi oublier un point crucial : après cinq années d'opérations extérieures – OPEX – intensives et de progression significative des dépenses du titre 2, nos armées ont non seulement besoin d'une stratégie d'avenir, mais également d'une régénération à court terme face à l'usure des matériels et des hommes. Certes, les 2 % indiquent une ambition louable, mais ils ignorent l'urgence de la situation.
De bonne foi, l'exécutif et la majorité peuvent s'engager significativement mais sans prendre conscience des difficultés actuelles. En caricaturant à peine, il en est des 2 % comme de la transition énergétique : on en parle beaucoup, car l'idée plaît, mais, en pratique, on laisse prudemment aux successeurs le soin d'agir. Loin d'être un levier, les 2 % constituent plutôt un leurre, sans même qu'il y ait nécessairement volonté de tromper. Ils détournent l'attention des sujets urgents pour se projeter dans le souhaitable, alors même que ce souhaitable n'a aucune chance d'advenir si l'on méconnaît la réalité d'aujourd'hui.
Il vous appartient, madame la ministre, de gérer les conséquences de cette situation. L'exercice est difficile, sinon périlleux, tant l'optimisme est aujourd'hui de mise et l'opprobre facilement jeté sur ceux qui se bornent à rappeler quelques données factuelles. Pour réussir, vous n'avez, me semble-t-il, qu'un chemin étroit : détourner les regards de 2025 pour concentrer nos débats et nos efforts sur ces moments de vérité qui sont devant nous – pas dans plusieurs mois ou dans plusieurs années, mais bien dans les jours et les semaines qui viennent. Ces moments de vérité diront si les actes sont conformes aux intentions et si la trajectoire budgétaire envisagée est crédible ou chimérique. En un mot, nous saurons bientôt si la future loi de programmation militaire – LPM – reposera sur une base solide ou si elle ne sera qu'un « plan com' ».
Le premier moment de vérité, c'est ce soir. Certes, l'augmentation de 1,8 milliard d'euros a été saluée sur tous les bancs, mais jeudi dernier, madame la ministre, vous n'avez pas été en mesure de lever des interrogations sur plusieurs points décisifs tels que la pérennité de la solidarité interministérielle sur les surcoûts liés aux OPEX, malgré une provision accrue, ou l'accélération des programmes devant combler nos lacunes capacitaires.
Le deuxième moment de vérité interviendra lors de l'adoption définitive du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, dont l'article 14 plafonne le reste à payer. Jeudi dernier, madame la ministre, vous avez reconnu qu'une application stricte de cet article constituerait un sérieux problème pour la défense. Où en sommes-nous ? Qu'en dit M. le ministre Darmanin ? J'ajoute, en sortant de mon rôle d'opposant : pouvons-nous vous aider ?
Le troisième moment de vérité aura lieu lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative, qui viendra solder la gestion 2017. Nous saurons alors si votre ministère sera ponctionné du reliquat des surcoûts liés aux OPEX et des sommes encore gelées. Nous saurons également s'il devra supporter un report de charges approchant 3,5 milliards d'euros. Sur ce dernier point, je veux souligner pour mes collègues de la majorité qu'un report des impayés de 2017 sur l'exercice 2018, à hauteur de 10 % du budget, revient à dénaturer profondément le bel artifice – pardon, le bel édifice que nous nous apprêtons à voter.