Le document qui vous a été envoyé le 7 février découlait de la volonté de nos services de préparer au mieux la rencontre de ce jour. Il contenait toute une série de pistes que je considère comme intéressantes mais qui n'avaient pas leur place dans le rapport d'exécution de la loi SILT. Il s'agit néanmoins de pistes sur lesquelles nous voulons travailler.
Je ne suis pas venu ce jour avec une liste de propositions pour la suite, car je souhaitais justement vous entendre pour pouvoir ensuite proposer au Premier ministre un certain nombre de réflexions, d'actions ou d'axes supplémentaires. Il me semblait donc nécessaire et de bon aloi d'inverser le processus et de ne pas considérer que les choses étaient déjà écrites avant de me présenter devant vous.
Entre M. Ciotti et M. Gauvain se joue un débat qui a déjà eu lieu, portant sur la question de savoir si l'état d'urgence devait ou non être maintenu. Je ne rebondirai pas sur ce sujet. Mais je voudrais confirmer ce qu'a dit M. Ciotti : il ne faut pas laisser penser que le risque terroriste serait plus faible aujourd'hui. Il est différent. Mais il est peut-être plus difficile encore à contrer lorsqu'il s'incarne dans des initiatives telles que celles que nous avons connues ces derniers mois au niveau national. Le sentiment, qui serait donné par certains, que la menace serait plus faible est donc erroné. Et nous restons totalement mobilisés sur ce sujet avec les outils à disposition du ministère de l'Intérieur.
Je ne crois pas que la loi SILT constitue un cadre dégradé. Mais elle forme un cadre différent. Et je ne pense pas que l'on puisse comparer, par exemple, l'utilisation des perquisitions avec l'outil dont nous disposons actuellement.
Comme vous l'avez dit, monsieur le député Ciotti, les perquisitions ont été très fortement utilisées dans le cadre de l'état d'urgence immédiatement après les attentats. Nous en avions 150 à 200 par jour ! C'est simple, sur les 4 484 perquisitions réalisées au total dans le cadre de l'état d'urgence, plus de 3 000 l'ont été dans les deux premiers mois. Nous retombons donc sur une moyenne qui correspond à peu près à celle d'aujourd'hui. Ainsi, début 2016, seules quelques dizaines de perquisitions ont été mises en oeuvre.
Les outils que nous utilisons aujourd'hui sont à la fois des outils de recherche servant à déclencher des enquêtes ou des suites, et des outils de levée de doute dans le suivi que nous faisons des individus dont nous pouvons craindre la radicalisation présente ou à venir, ou dont nous pouvons croire qu'ils risquent de préparer un acte répréhensible. Mais ils ne peuvent être considérés comme des outils anodins. Il me paraît donc normal que leur utilisation soit dument motivée. À ce titre, la visite domiciliaire, conditionnée par les autorisations délivrées par le magistrat compétent en la matière, constitue à mon sens un outil équilibré.
S'agissant de l'application de la loi, je voudrais revenir par ailleurs sur la fermeture des lieux de culte.
Comme je l'ai dit, depuis le 1er novembre 2018, deux mosquées ont été fermées pour six mois sur le fondement de la loi SILT. Mais il existe d'autres outils, dont M. le député Gauvain a rappelé l'existence. Je voudrais ainsi préciser qu'au moment où je vous parle trente lieux de culte ont fait l'objet de mesures de fermeture et que les procédures sont en cours pour sept autres. Au total, 63 lieux de culte font actuellement l'objet de mesures. Soit ces lieux ont été fermés, soit leur fermeture surviendra dans les semaines et les mois à venir sur la base de mesures que nous avons engagées. Je ne crois pas que ce chiffre ait été rendu public, mais je vous le livre.
Nous utilisons en effet tous les outils disponibles. J'évoquais plus haut la stratégie d'entrave. La loi SILT conditionne à un très haut niveau d'apologie du terrorisme les raisons pour lesquelles nous pouvons engager une procédure de fermeture administrative. Une telle procédure n'est donc pas toujours possible. Il n'en existe pas moins un prosélytisme religieux potentiellement considéré comme dangereux et non conforme aux valeurs de la République. S'il s'avère impossible d'utiliser la loi SILT pour y faire face, nous utilisons la totalité des moyens disponibles pour prononcer des fermetures. Nous le faisons dans le respect des procédures existantes, mais nous n'en mettons pas moins en oeuvre une stratégie d'entrave.
Ainsi, 63 lieux de culte suivis au titre du renseignement par le Service central du renseignement territorial (SCRT) ou par la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DR-PP) ont fait ou feront prochainement l'objet d'actions susceptibles d'entraîner leur fermeture. Nous ne sommes donc pas inactifs sur ces sujets. Et il nous faut demeurer pleinement engagés et vigilants.
S'agissant des sortants de prison, nous partageons votre préoccupation. Au 4 février 2020, sont détenus 531 terroristes islamistes (TIS). Ce sont des individus condamnés ou mis en cause pour des infractions à caractère terroriste. Et sont identifiés près de 900 individus incarcérés pour des infractions de droit commun et suivis pour leur radicalisation.
Nous suivons aussi les sorties et les prévisions de libération de ces individus. Je ne suis pas capable de vous donner un chiffre à l'unité précise, mais je peux vous indiquer quelle est la moyenne qui figure sur notre « tableau de bord » : 43 personnes devraient être libérées dans ce cadre en 2020, une soixantaine en 2021 et 46 en 2022.
Il s'agit évidemment d'une appréciation. Je ne voudrais pas que vous m'en fassiez le reproche. Les conditions de sortie peuvent évidemment varier. En outre, plus on se projette en 2021 ou 2022, plus les choses sont incertaines.
Ce sont néanmoins des personnes que nous suivons, et dont nous considérons qu'elles font partie des menaces protéiformes que nous connaissons en prison. Ces menaces se trouvent d'abord au sein de l'environnement carcéral, mais sont aussi projetées à partir des lieux de détention ou encore liées au prosélytisme religieux de personnes incarcérées. C'est ce spectre que nous suivons, et que nous suivons attentivement.
Monsieur Ciotti, je ne peux vous laisser penser que rien ne serait anticipé, notamment à travers les indications que je vous donne. Depuis quelques mois, nous assistons à une véritable montée en puissance du Service national du renseignement pénitentiaire (SNRP). Nous avons créé des équipes communes entre le SNRP et la DGSI depuis l'année 2018. Par ailleurs, une cellule de suivi spécifique de la DGSI – l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) – vise à s'assurer que chaque TIS ou chaque détenu radicalisé sur le point d'être libéré soit bien pris en compte par un service, que sa situation soit évoquée de façon systématique dans les groupes d'évaluation départementaux (GED) – du lieu de détention ou de domiciliation, selon les perspectives que l'individu connaît – et que le FSPRT soit bien renseigné sur ce sujet.
Un suivi systématique des sortants de prison est piloté ensuite par la DGSI et l'UCLAT. Ce suivi s'effectue à des niveaux différents. Ne pouvant entrer dans ces détails, je vous laisse les apprécier. Vous savez aussi quels moyens humains peuvent être déployés en fonction du suivi que l'on veut mettre en oeuvre.
Nous adaptons également, avant la sortie de prison et sous l'autorité de la garde des Sceaux, les modalités de détention en fonction des profils. Et l'administration pénitentiaire s'est dotée, comme vous le savez, de quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) et de quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) pour prendre en compte cette dimension.
Pour revenir à la loi SILT, les MICAS constituent un outil très utilisé. J'ai signalé plus haut que 57 % des MICAS prises correspondaient à des sortants de prison. Mais si je cumule le « stock » de personnes suivies sur deux fois six mois et les décisions qui ont été prises, environ 63 % des MICAS actives concernent des sortants de prison.
Monsieur Gauvain, vous avez évoqué le cadre exigeant déterminant la mise en oeuvre des visites domiciliaires. Le texte de la loi SILT prévoit effectivement que ces visites soient mises en oeuvre selon des modalités extrêmement strictes. Elles doivent s'inscrire dans le cadre de la prévention des actes de terrorisme, ou cibler une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics.
Comme vous avez sans doute pu le voir lors de vos auditions, cette notion de « particulière gravité », dont je peux comprendre pourquoi le législateur l'a suggérée, constitue une qualification assez problématique pour nos services. Il est en effet difficile de définir ce qu'est réellement une « particulière gravité » pour la sécurité et l'ordre publics. De nombreuses requêtes préfectorales ont d'ailleurs été écartées, à juste titre, par le JLD au début de l'application de la loi SILT. Les préfets ont donc adapté leurs demandes en fonction de cette dimension.
Pour qu'une visite domiciliaire soit possible, il faut également que des relations habituelles aient été constatées avec des personnes ou des organisations incitant au terrorisme, soutenant ou adhérant à des thèses terroristes, ou faisant l'apologie de tels actes.
Il s'agit donc effectivement d'un cadre strict. Mais ma responsabilité est de faire en sorte que le texte de la loi SILT soit appliqué conformément à ce que vous avez voté. Et il me paraît nécessaire de maintenir cela.
Enfin, vous m'avez interrogé sur le calendrier. Je pense que les outils dont nous venons de parler sont essentiels et indispensables à nos services. Comme une échéance approche, il faudra que nous trouvions ensemble les modalités de vote devant le Parlement avant la fin de l'année 2020. Rien n'est pas arrêté au moment où je vous parle, je n'ai pas la maîtrise du calendrier parlementaire, mais nous sommes en train d'affiner cette question sous l'autorité du Premier ministre, et je lui rendrai compte de nos travaux dès ce soir.