La réunion débute à 17 heures 35.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
Nous procédons, ce jour, à l'audition de M. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, sur le deuxième rapport du Gouvernement au Parlement relatif à la mise en oeuvre de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Je ne reviens pas sur le contexte dans lequel cette loi – dite loi SILT – a été adoptée, à savoir la volonté de la nouvelle majorité de sortir de l'état d'urgence tout en préservant les outils permettant d'assurer la sécurité des Français face à la menace terroriste : périmètres de protection, fermetures des lieux de culte, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), visites domiciliaires et saisies.
L'article 5 de la loi SILT a inséré dans le code de la sécurité intérieure un chapitre X intitulé « contrôle parlementaire ». Ce contrôle est effectué par moi-même avec M. Raphaël Gauvain, pour le groupe majoritaire, et M. Éric Ciotti, représentant le principal groupe d'opposition. Nous avons effectué des déplacements ainsi qu'un certain nombre d'auditions. Au cours de la première semaine de février nous avons ainsi entendu M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, M. Stéphane Noël, président du tribunal judiciaire de Paris, et M. Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste. Nous mettons également les données en ligne régulièrement et rendons compte de nos travaux au bureau de la commission.
Tous les ans, nous procédons à l'audition du ministre de l'Intérieur sur le rapport annuel du Gouvernement relatif à l'application de ces mesures. Ce rapport vous a été transmis par voie dématérialisée.
Par ailleurs, comme vous le savez, les mesures SILT arriveront à expiration le 31 décembre 2020. Le Parlement sera donc conduit, dans les mois à venir, à se prononcer sur la pérennisation, ou non, de ces mesures, et, le cas échéant, sur leur modification.
C'est dans ce cadre que nous auditionnons ce jour le ministre de l'Intérieur. Cette audition revêt donc un intérêt tout particulier au vu du présent contexte et de cette actualité législative à venir.
2013, 2015, 2017 et aujourd'hui 2020 : nous pouvons toujours regarder le passé avec la vision que nous avons à l'instant présent et se tromper. Mais ce regard rétrospectif qui sous-tend l'évaluation et le contrôle dont vous avez la charge n'en reste pas moins important, en particulier concernant la mise en oeuvre de la loi SILT, et je voudrais vous en remercier.
Depuis 2013, 2015 et 2017, la lutte contre le terrorisme et la radicalisation n'a jamais cessé d'être la priorité des gouvernements – et de ce Gouvernement en particulier.
Je souhaiterais tout d'abord insister sur le fait que, chaque jour, nos services de renseignement, nos policiers, nos gendarmes accomplissent un travail exceptionnel, sur le terrain comme au niveau central, pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et mettre en péril leurs intentions meurtrières. Cela arrive trop souvent dans notre pays. Je voudrais à ce titre leur rendre hommage.
Nous le savons, la menace terroriste reste prégnante aujourd'hui, même si elle a évolué. Et les attaques de ces derniers mois, à la préfecture de police de Paris ou à Villejuif le 3 janvier, nous l'ont rappelé durement.
À ces attaques je souhaiterais ajouter les récents attentats qui ont échoués : en mars 2019, à Condé-sur-Sarthe, ou encore à la fin du mois de mai devant l'établissement « La Brioche Dorée », à Lyon.
La réalité est que, si Daesh, en tant qu'entité territoriale, est à terre, sa propagande fait encore des émules. Et elle se poursuit. Elle continue à déverser sa haine, sur Internet notamment, et à inciter à des actions violentes, notamment contre la France.
La réalité est que la nébuleuse terroriste se régénère sur d'autres théâtres, dans d'autres pays. Le risque existe donc, et fermement, moins de façon exogène et projetée mais toujours de façon endogène.
Le processus de radicalisation violente, même en dehors de toute structure organisée, est encore actif dans certains esprits mais aussi dans certains réseaux et dans certains quartiers. La menace a certes changé de dimension – je l'ai dit, elle est principalement endogène, donc portée par des individus qui agissent de manière plus autonome –, mais cela complique de fait le travail d'anticipation par rapport à ce que nous avons pu connaître précédemment.
Nos services travaillent d'arrache-pied. Depuis le 1er janvier 2017, 31 attentats ont été déjoués. Encore dernièrement, comme vous avez pu le voir dans la presse, plusieurs individus ont été arrêtés à Brest alors qu'ils préparaient une opération importante.
Il est donc nécessaire de disposer des bons outils et d'un cadre législatif parfaitement adapté. Le Gouvernement l'a, je crois, bien compris, le Parlement également. La loi SILT a été d'ailleurs l'une des premières lois élaborées et votées dans le cadre du présent quinquennat. Elle visait à la fois à maintenir un certain nombre de dispositifs nécessaires pour atteindre les objectifs que je viens d'évoquer et à sortir de l'état d'urgence.
Il y a un an j'étais devant vous pour présenter un premier bilan d'application de la loi du 30 octobre 2017. Je me propose d'évoquer ce jour le bilan plus complet et plus utile de l'année écoulée. Je voudrais commencer par rappeler dans les grandes lignes le sens et la portée des dispositions de la loi.
Notre objectif était de parvenir à sortir de l'état d'urgence tout en maintenant un niveau extrêmement exigeant de sécurité pour les Français. Nous ne pouvions pas maintenir éternellement une situation exceptionnelle, mais nous ne pouvions pas non plus baisser la garde. Vous avez eu ces débats, vous les connaissez, et vous savez la volonté du Gouvernement de porter ce point d'équilibre. Cette volonté a pu d'ailleurs lui être reprochée d'un côté comme de l'autre. C'est le propre du débat politique que nous avons eu et que nous allons avoir.
Dans notre esprit, le point d'équilibre trouvé par la loi SILT a permis de sortir de l'état d'urgence tout en nous donnant des outils adaptés pour suivre et contrer la menace terroriste. C'est une loi d'équilibre entre sécurité et liberté.
La première mesure du texte consiste à autoriser le préfet à instaurer des périmètres de protection autour de certaines zones sensibles ou pour certains événements très exposés. Concrètement, un périmètre de protection désigne une zone où un certain nombre de contrôles de sécurité peuvent avoir lieu, en particulier des palpations et des contrôles de bagages. Je précise que chacun a le droit de se soumettre ou non à ces contrôles de sécurité, mais qu'en cas de refus la personne concernée ne peut pénétrer dans le périmètre de protection.
Par rapport à 2018, le nombre de périmètres de protection a augmenté de 13 %. Les départements du Nord et des Alpes-Maritimes ont été les principaux concernés du fait du nombre d'événements de grande ampleur organisés dans ces territoires.
Outre cette légère augmentation du recours à cet outil préventif, je veux également souligner que, si les services de police restent les acteurs les plus mobilisés, le recours aux policiers municipaux, mais aussi aux agents privés de sécurité, s'est fortement développé en 2019. Ainsi, 15 000 agents privés de sécurité et 760 policiers municipaux ont été mobilisés dans ce cadre.
Nous pouvons dire également que les périmètres de protection ont confirmé leur utilité cette année. Ils sont dissuasifs, ce qui est essentiel. Les périmètres mis en place au cours des douze derniers mois ont ainsi permis d'interdire l'accès à environ 1 500 personnes dans les manifestations faisant l'objet de ces arrêtés.
La deuxième mesure majeure de la loi SILT est la capacité à fermer administrativement certains lieux de culte faisant l'apologie du terrorisme, de la haine et de la discrimination. Cet outil est extrêmement utile pour notre sécurité, car il est difficile de faire fermer un lieu de culte déjà en activité. La loi SILT le permet tout en maintenant l'équilibre important entre sécurité et liberté. Ainsi, une procédure contradictoire est obligatoire avant la fermeture d'un lieu de culte, et un délai de 48 heures minimum entre la décision de fermeture et son exécution est imposé afin de laisser le temps nécessaire à l'introduction d'un éventuel référé liberté.
Au cours des douze derniers mois, deux lieux de culte – des mosquées, en l'espèce, qui se changeaient en officines de haine – ont pu être fermés grâce aux dispositions de la loi SILT. Ils étaient cinq l'année précédente. Ce n'est pas le signe d'une baisse d'activité des services, mais plutôt de l'exigence que nous avons à constituer des dossiers sérieux, étayés, qui ne manquent pas leur objectif. D'autres outils nous ont par ailleurs conduits à fermer des lieux de culte, mais ils ne s'inscrivent pas dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et ne visent pas spécifiquement l'apologie que je viens d'évoquer. Il ne faut pas négliger cet état de fait.
La troisième mesure importante de la loi SILT porte sur les MICAS. Il s'agit d'un contrôle très strict de personnes présentant une menace particulière. Ce contrôle est moins intrusif que pouvait l'être l'assignation à résidence, mais tout aussi sérieux puisqu'il impose un pointage régulier auprès de la police et de la gendarmerie voire le port d'un bracelet électronique, et puisqu'il limite le périmètre des possibilités de déplacement de la personne concernée – avec souvent pour référence la taille de la commune.
Au total, 134 MICAS ont été prises cette année contre 73 l'année précédente, soit une augmentation de 84 %. La majorité de ces mesures concerne des personnes qui résident en Île-de-France, notamment en Seine-Saint-Denis, à Paris et dans le Val-de-Marne.
Pourquoi une telle augmentation ? Il existe un lien évident, que je voudrais souligner. Ces MICAS concernent notamment les personnes sortant de détention, pour lesquelles ce suivi n'avait que trop attendu. Ainsi, 57 % des mesures de suivi individuel les concernent. Et elles ont été décidées dès lors qu'un individu a manifesté au cours de son incarcération un engagement radical. Ce qui s'est passé à Londres il y a quelques jours peut nous inviter à cet égard à exiger le meilleur niveau de suivi dans ce cadre.
Ces mesures permettent ainsi de s'assurer de la réinsertion de ces individus, de surveiller leurs relations, leurs activités – notamment sur les réseaux sociaux – afin de pouvoir révéler parfois un comportement différent de celui adopté en détention.
Enfin, la quatrième grande avancée permise par la loi SILT est la capacité donnée aux préfets d'ordonner la visite de tout lieu au sujet duquel il existe des motifs sérieux de penser qu'il est fréquenté par une personne constituant une menace terroriste ou en lien avec de telles personnes. Les visites domiciliaires sont utiles et précieuses. Elles sont également respectueuses des libertés car elles ne peuvent se faire qu'avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD).
Au total, 107 requêtes préfectorales de visites domiciliaires ont été adressées par les préfets et 78 % d'entre elles ont été validées par le JLD.
De telles visites permettent de comprendre l'environnement d'une personne suivie, d'affiner l'analyse de sa radicalisation éventuelle, de lever un doute voire de clôturer un suivi par les services de renseignement. Elles interviennent en amont d'une procédure judiciaire lorsqu'une infraction pénale ne peut être retenue. Sept personnes ont fait l'objet de poursuites pénales à la suite de ces visites domiciliaires. Dernier exemple marquant de l'utilité de ces visites : Épinal, au mois de janvier. Lors d'une visite, les policiers ont découvert du matériel de fabrication de bombes artisanales en quantité. La suite de cette visite a permis l'arrestation de l'auteur. Le Parquet national antiterroriste (PNAT) s'est saisi de cette affaire.
La loi SILT montre son utilité et se confirme après deux ans comme un outil précieux pour nos forces de l'ordre dans la lutte contre le terrorisme.
Je voudrais également dire un mot des mesures que nous mettons en oeuvre en marge de la loi SILT pour intensifier notre combat contre le terrorisme et la radicalisation.
Nous avons d'abord réorganisé notre action contre le terrorisme et désigné la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) comme chef de file de tous les services. Cette organisation montre son efficacité.
Les moyens, tant matériels qu'humains, que nous consacrons aux services de renseignement sont en forte expansion depuis plusieurs années, et nous les avons encore renforcés au cours du présent quiquennat.
Je tiens aussi particulièrement à souligner la coopération entre les forces, le partage d'informations et les échanges avec les magistrats – toutes choses indispensables au succès des actions préventives relatives aux risques terroristes.
Nous avons aussi profondément réformé le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Il est aujourd'hui plus opérationnel et permet un suivi plus précis de certaines catégories d'individus – en particulier les sortants de prison.
Enfin, nous menons une action intense en matière de prévention de la radicalisation, sous l'autorité du Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR). Un plan complet et interministériel se déploie et fait ses preuves.
Je veux notamment souligner que j'ai demandé aux préfets et aux forces de l'ordre d'intensifier leur action en matière de lutte contre la radicalisation et d'en faire une priorité. À ce titre, quinze quartiers prioritaires avaient été identifiés et tous les incubateurs de haine que nous avons pu trouver ont été traqués. Nous avons obtenu des résultats prometteurs, il faut maintenant les prolonger. C'est pourquoi j'ai demandé que les mesures mises en place, et la méthode dite « d'entrave systématique » déployée dans ces quartiers, soient généralisées à l'ensemble du territoire.
Par ailleurs, j'ai réuni pour la première fois à la fin du mois de novembre 2019 tous les préfets de France et plusieurs ministres du Gouvernement pour leur demander d'agir aussi à l'échelle de l'idéologie djihadiste et contre le repli communautaire. Car il est essentiel d'attaquer le mal à la racine, d'affirmer la République sur chaque mètre carré de notre territoire et de faire travailler tous les acteurs impliqués. C'est un levier indispensable de notre action contre la radicalisation – un levier que nous actionnerons sans réserve, même si ce n'est pas dans le cadre de la loi SILT.
Enfin, je veux redire mon attachement au bon contrôle de la loi SILT. C'est une garantie pour nos libertés. C'est une garantie pour les Français. Et c'est un engagement républicain – au-delà de son caractère légal – auquel je souhaite me tenir. Je voudrais donc évoquer tout de suite, avant que Mme la présidente me le reproche (Sourire.), le retard qui a été pris cette année dans l'édition du rapport d'exécution de la loi. Sans me confondre en explications, je voudrais vous dire que ce retard est anormal et qu'il ne devra pas se renouveler.
Tout le ministère de l'Intérieur doit être engagé pour un contrôle de qualité. Et j'ai rappelé deux fois aux préfets en 2019, en janvier et en décembre, leur obligation de transmettre sans délai aux deux assemblées du Parlement les copies des mesures administratives prises, parce que j'avais constaté des anomalies. D'ailleurs, si je ne les avais pas vues, madame la présidente, vous me les auriez rappelées !
Je veux que le contrôle parlementaire de la loi SILT se déroule dans les meilleures conditions possibles. Sachez qu'avec le secrétaire d'État Laurent Nuñez – que j'excuse, car il ne pouvait être présent ce jour –, nous y tenons.
Monsieur le ministre, je voudrais d'abord évoquer sous forme d'interrogation la transmission qui a été faite aux corapporteurs du deuxième rapport du Gouvernement relatif à la mise en oeuvre de la loi SILT.
En effet, la première version de ce rapport que nous avons reçue le 7 février vers 20 heures contenait un troisième chapitre comportant des pistes de réflexion sur les évolutions législatives. Ces pistes me paraissent d'ailleurs pertinentes et intéressantes.
J'imagine qu'il s'agit là d'une erreur de gestion du traitement de texte, dans la mesure où nous avons reçu plus tard un second rapport dans lequel ces propositions ne figuraient plus. Mais je souhaiterais pour ma part que vous puissiez les évoquer.
Au terme de cette troisième année d'application de la loi SILT nous aurons à décider de la poursuite de ses dispositions et des corrections éventuelles à y apporter, en tirant parti du retour d'expérience de son application. Les auditions auxquelles nous avons procédé avec Mme la présidente et M. Raphaël Gauvain – notamment celles du procureur national antiterroriste et celle du président du tribunal judiciaire de Paris – nous ont montré que des améliorations pouvaient être envisagées.
Sur le fond, je réitérerais les réserves exprimées par le groupe Les Républicains au moment du vote de la loi. Nous estimons en effet que cette loi, si elle a, certes, le mérite d'exister, constitue une sorte de moyen-terme ou de pis-aller puisqu'elle est une forme très dégradée des dispositions contenues dans l'état d'urgence. Pour notre part, nous considérions, à l'époque du vote de la loi et considérons toujours, que la menace demeure à un degré très élevé – même si le sentiment se propage, y compris dans le regard des médias, qu'elle serait désormais plus faible, plus diffuse, que le pire serait passé et que nous n'aurions plus à faire face à des attentats de masse. Ce n'est pas vous qui avez diffusé cette croyance, monsieur le ministre. Je ne vous ferai pas ce procès. Mais elle existe.
Nous nous inscrivons en faux contre cette idée. Le procureur national antiterroriste a d'ailleurs beaucoup insisté sur ce point lors de son audition. Il a souligné ainsi qu'à ses yeux la menace restait maximale et que notre degré de vigilance devait se placer à une même hauteur. C'est cet état d'esprit qui nous guide.
Nous avons donc contesté la sortie de l'état d'urgence. M. Guillaume Larrivé l'a d'ailleurs fait à plusieurs reprises lors des débats consacrés à ce sujet.
La loi SILT, quelle que soit la qualité de son application, que je souligne, et quel que soit l'intérêt des mesures qu'elle contient, n'est pas autre chose à nos yeux qu'une forme très dégradée des mesures contenues dans l'état d'urgence. Or notre niveau de protection s'est aussi dégradé.
Je citerai deux chiffres pour illustrer ce point, portant sur deux des volets principaux rappelés par M. le ministre. Du 13 novembre 2015, date ô combien tragique, au 30 octobre 2017, sous le régime de l'état d'urgence plusieurs fois renouvelé et systématiquement approuvé par notre groupe, près de 4 600 perquisitions administratives ont été effectuées. Elles ont débouché sur 430 gardes à vue, la saisie de plusieurs centaines d'armes et plus d'une trentaine de poursuites judiciaires. Sous le régime de la loi SILT, 193 requêtes tendant à obtenir une autorisation de visite domiciliaire ont été émises. Et environ 80 % d'entre elles ont été approuvées par le JLD. Nous voyons donc bien ici deux chiffres d'ampleur très différente, même si nous n'ignorons pas qu'à la suite des attentats du 13 novembre 2015 cette procédure avait été très largement utilisée et que sa mobilisation a été moins forte par la suite.
S'agissant des assignations à résidence d'hier et des MICAS d'aujourd'hui, le chiffre a été plus que divisé par deux. En effet, 750 assignations à résidence ont été décidées pendant l'état d'urgence. Le mot de « résidence » est porteur de sens. Aujourd'hui, les mesures de contrôle portent sur un périmètre beaucoup plus élargi, celui d'une ville. Et 232 MICAS ont été lancées sur les deux années écoulées. Nous voyons là aussi qu'un affaiblissement s'est produit.
J'en viens à présent à l'application de la loi.
Les périmètres de protection ont été largement utilisés. C'est une mesure utile, comparable à celle qui était en vigueur dans le cadre de l'état d'urgence, et qui a même été améliorée par la loi SILT. Nous nous en félicitons. Il s'agit d'un puissant moyen de sécurisation de manifestations et d'événements importants. En tant qu'élu niçois c'est évidemment un sujet auquel je suis particulièrement attaché.
Une grande frustration s'exprime en revanche concernant la fermeture des lieux de culte. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, seuls deux nouveaux lieux de culte – deux nouveaux lieux de culte ! – ont été fermés depuis le 1er novembre 2018. Il s'agit de la mosquée Al-Sunnah d'Hautmont et de la mosquée Al-Kwathar de Grenoble. Compte tenu de l'ampleur du prosélytisme et de la propagation de discours radicalisés, nous estimons que ce chiffre est ridiculement faible et ne traduit pas une réelle volonté de lutter contre la diffusion des propos haineux auxquels la loi SILT voulait précisément s'attaquer. Nous ne trouvons pas sur ce point une fermeté à la hauteur de la menace représentée par ces lieux de culte, pourtant identifiés par nos services de renseignement comme étant particulièrement à risque.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je souhaitais souligner à ce stade concernant l'application de la loi SILT.
L'état d'urgence nous apparaît comme le degré de protection le plus abouti – bien qu'il n'existe pas, et qu'il n'existera jamais, de risque zéro en matière de terrorisme, que la menace demeure présente et durable dans le monde entier, et que nous soyons engagés, selon la formule d'un ancien patron de la DGSI, sur « un long chemin tragique et pour longtemps ». La loi SILT a le mérite d'exister, elle constitue un niveau intermédiaire entre l'état d'urgence et la situation qui précédait ce dernier, mais ce cadre n'en reste pas moins dégradé.
Nous estimons, naturellement, que les dispositions contenues dans cette loi doivent être pérennisées parce qu'elles sont utiles. Les conséquences de la visite domiciliaire conduite à Épinal, que vous avez rappelées, l'ont bien montré. Les perquisitions administratives avaient ainsi permis précédemment de déjouer plus d'une dizaine d'attentats.
Au-delà des ajustements évoqués dans la première version du rapport qui nous a été transmise, il est nécessaire selon nous de passer à un autre niveau. Cela impose peut-être, sans doute, une réforme constitutionnelle afin de pérenniser les dispositions contenues dans l'état d'urgence que nous jugeons indispensables.
Nous exprimons par ailleurs, monsieur le ministre, une grande inquiétude quant aux sorties de prison et au suivi des personnes condamnées pour terrorisme islamiste ou pour apologie du terrorisme – que ce soit dans le cadre d'une incrimination criminelle ou délictuelle pour association de malfaiteurs à caractère terroriste, ou pour des faits délictuels d'apologie, ou qu'il s'agisse de détenus de droit commun radicalisés.
Dans les années à venir, plusieurs centaines de détenus sortiront de prison. À partir de 2022, cela risque de concerner des détenus lourdement condamnés après les attentats ayant frappé la France en 1995. Une très grande inquiétude s'exprime sur ce sujet. Vous le savez. Elle a été soulevée notamment dans des termes très forts par le procureur national antiterroriste. Il convient de gérer cette situation. Or, nous avons le sentiment, à ce stade, que rien n'est réellement anticipé en la matière. Et toutes les personnes que nous avons auditionnées dans le cadre du présent rapport, mais aussi toutes celles que j'ai eu l'occasion d'entendre dans le cadre de la commission d'enquête sur les attaques à la préfecture de police de Paris, soulignent cette menace qui est au coeur de leurs préoccupations.
Il y a donc ici un danger majeur, auquel la continuation de la loi SILT devra répondre. Mais, dans l'intervalle, nous avons besoin de mesures. Les MICAS pourraient par exemple être systématiquement mobilisées pour les sorties de prison, dans le cadre qui existe actuellement. C'est en tout cas une proposition que je formule. Le doute doit en effet profiter à la société, et le principe de précaution doit s'appliquer en la matière.
Je voulais donc vous faire part de notre immense inquiétude, au regard des éléments qui ont été portés à notre connaissance et de l'expression de cette inquiétude par les magistrats et les responsables des services de renseignement que nous avons auditionnés.
Pour mémoire, la loi du 30 octobre 2017, dite loi SILT, nous avait permis de sortir de l'état d'urgence institué en France en novembre 2015 après l'attentat du Bataclan.
L'état d'urgence est un régime exceptionnel qui permet de donner à l'autorité administrative, de manière temporaire – il me semble important de le souligner –, des moyens exceptionnels pour faire face à un péril imminent.
Cet état d'urgence a été prolongé à six reprises entre 2015 et 2017. Et la loi SILT nous a permis d'en sortir. Pour continuer à combattre le terrorisme, nous avons transféré dans le droit commun plusieurs instruments de police administrative présents sous l'état d'urgence, tout en mettant en place des garanties afin de les adapter à ce droit.
La loi SILT comporte quatre mesures : les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les MICAS et les visites domiciliaires.
À l'initiative de la commission des Lois et du Parlement, plusieurs garanties entourent son application. Ainsi, un contrôle parlementaire renforcé a été prévu. La totalité des actes entrepris au titre de la loi SILT sont transmis au Parlement. Mme la présidente, M. Éric Ciotti et moi-même avons par ailleurs effectué un certain nombre d'auditions et de contrôles, et avons présenté nos travaux et le bilan d'application de la loi à la commission des Lois tous les six mois environ.
La deuxième garantie est constituée par la clause dite « sunset » ou « coucher de soleil ». Au 31 décembre 2020, en l'absence d'intervention du Parlement, les mesures par lesquelles ont été transférées dans le droit commun les dispositions de l'état d'urgence disparaîtront.
Quel bilan pouvons-nous dresser de la loi SILT ?
Tout d'abord, l'administration s'approprie plutôt bien les instruments qui lui sont conférés au titre de cette loi. Il me semble important de le souligner, car cela n'a pas toujours été le cas.
J'aimerais notamment revenir sur les visites domiciliaires. Lorsque M. Éric Ciotti et moi-même sommes venus vous présenter le premier bilan de l'application de la loi SILT, en février-mars 2018, aucune mesure n'avait encore été mise en oeuvre au titre de ces visites. Il s'agit effectivement d'un instrument un peu particulier. La visite domiciliaire est une mesure proposée par le préfet et décidée par l'autorité judiciaire. Or les préfets, l'autorité judiciaire comme le JLD nous disaient à l'époque que l'habitude manquait et que les préfets étaient réticents à l'idée d'y recourir. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Des JLD nous ont ainsi dit récemment que les choses étaient bien plus fluides. Forts de leur expérience, les préfets se sont appropriés cet outil de police administrative.
Je souhaite à présent revenir sur les chiffres.
Mon collègue Ciotti a estimé que la loi SILT constituait un instrument dégradé par rapport à l'état d'urgence, car plus de 4 000 perquisitions administratives avaient été ordonnées sous l'état d'urgence contre à peine 200 dans le cadre de la loi SILT. En réalité, 80 % voire 90 % des perquisitions administratives ont eu lieu en 2015, juste après l'attentat du Bataclan. À la toute fin de l'état d'urgence, en juillet, août, et septembre 2017, le nombre des perquisitions administratives était comparable au nombre actuel des visites domiciliaires. La présentation consistant à dire, uniquement sur la base des 4 000 perquisitions administratives susmentionnées, que la loi SILT ne fonctionne pas et constitue une version dégradée de l'état d'urgence est donc inexacte et trompeuse. Nous retrouvons actuellement à peu près la même cadence et les mêmes chiffres qu'à la fin de l'état d'urgence, lorsqu'il était question d'un état d'urgence « maîtrisé ».
Le premier bilan que nous pouvons tirer de la loi SILT est donc celui d'une bonne utilisation des instruments de police administrative par l'administration.
Par ailleurs, la pertinence et l'utilité de ces mesures ressortent très clairement de l'ensemble des auditions que nous avons menées depuis un an – y compris des plus récentes.
Cela concerne évidemment les périmètres de protection. Tous les préfets que nous avons entendus nous l'ont dit. Il suffit d'ailleurs de regarder les chiffres. L'utilisation de ces périmètres s'avère toujours pertinente – pour les marchés de Noël, ou pour des rendez-vous sportifs. Les préfets ont besoin de cet instrument et s'en servent pour assurer un meilleur contrôle et une meilleure protection de ces événements.
Il est vrai, en revanche, que la fermeture des lieux de culte a été peu employée. Cela nous a été expliqué. En réalité, en dehors de cette mesure rendue possible par la loi SILT, l'administration dispose d'autres instruments de police administrative qui lui permettent d'agir. Nous avons entendu notamment le préfet de l'Isère la semaine dernière. Certains lieux peuvent ainsi être fermés au titre d'une atteinte aux règles de prescription sanitaire ou de sécurité. Les chiffres qui remontent dans le cadre de l'utilisation de l'instrument offert par la loi SILT ne sont donc pas en corrélation avec ce qui est fait en réalité par le ministère contre ces lieux de culte.
Concernant les visites domiciliaires, le procureur chargé de la lutte antiterroriste a reconnu lui-même qu'il existait plusieurs cas dans lesquels l'autorité judiciaire n'avait pas les moyens d'ouvrir une information judiciaire – les informations présentées et les éléments fournis étant insuffisants. Dans ce cadre, la possibilité pour l'administration d'organiser une visite domiciliaire trouve toute son utilité. Plusieurs exemples de cet ordre ont été médiatisés. Ainsi, une perquisition administrative a été rendue possible en 2019 dans le neuvième arrondissement de Paris et a permis de constater que plusieurs personnes préparaient un attentat de masse dans le quartier de l'Opéra. Cet instrument présente donc une réelle utilité et mérite d'être conservé.
Je souhaite enfin évoquer les MICAS.
L'une des grandes préoccupations actuelles concerne les sortants de prison. Or le rapport qui nous a été transmis montre que la grande majorité des MICAS leur est aujourd'hui destinée – qu'il s'agisse de personnes condamnées pour terrorisme ou de détenus radicalisés condamnés pour des faits de droit commun. Les MICAS constituent donc l'un des instruments privilégiés pour suivre ces personnes à leur sortie de prison.
Dans le cadre du projet de loi qui nous sera transmis, des propositions et des pistes d'amélioration nous seront probablement communiquées, afin de faciliter, par exemple, le recours aux MICAS. Nous pourrions également discuter du caractère potentiellement non cumulatif de certains critères. Cela a été évoqué lors de nos auditions. Et peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous en parler.
Ces débats auront sans doute lieu dans les semaines ou les mois à venir.
Au niveau du calendrier, monsieur le ministre, envisagez-vous de déposer un projet de loi visant à prolonger les dispositions des articles 1er à 4 de la loi SILT ? Et avez-vous déjà des pistes ou des propositions d'amélioration de ces dispositions, notamment concernant les MICAS ?
Le document qui vous a été envoyé le 7 février découlait de la volonté de nos services de préparer au mieux la rencontre de ce jour. Il contenait toute une série de pistes que je considère comme intéressantes mais qui n'avaient pas leur place dans le rapport d'exécution de la loi SILT. Il s'agit néanmoins de pistes sur lesquelles nous voulons travailler.
Je ne suis pas venu ce jour avec une liste de propositions pour la suite, car je souhaitais justement vous entendre pour pouvoir ensuite proposer au Premier ministre un certain nombre de réflexions, d'actions ou d'axes supplémentaires. Il me semblait donc nécessaire et de bon aloi d'inverser le processus et de ne pas considérer que les choses étaient déjà écrites avant de me présenter devant vous.
Entre M. Ciotti et M. Gauvain se joue un débat qui a déjà eu lieu, portant sur la question de savoir si l'état d'urgence devait ou non être maintenu. Je ne rebondirai pas sur ce sujet. Mais je voudrais confirmer ce qu'a dit M. Ciotti : il ne faut pas laisser penser que le risque terroriste serait plus faible aujourd'hui. Il est différent. Mais il est peut-être plus difficile encore à contrer lorsqu'il s'incarne dans des initiatives telles que celles que nous avons connues ces derniers mois au niveau national. Le sentiment, qui serait donné par certains, que la menace serait plus faible est donc erroné. Et nous restons totalement mobilisés sur ce sujet avec les outils à disposition du ministère de l'Intérieur.
Je ne crois pas que la loi SILT constitue un cadre dégradé. Mais elle forme un cadre différent. Et je ne pense pas que l'on puisse comparer, par exemple, l'utilisation des perquisitions avec l'outil dont nous disposons actuellement.
Comme vous l'avez dit, monsieur le député Ciotti, les perquisitions ont été très fortement utilisées dans le cadre de l'état d'urgence immédiatement après les attentats. Nous en avions 150 à 200 par jour ! C'est simple, sur les 4 484 perquisitions réalisées au total dans le cadre de l'état d'urgence, plus de 3 000 l'ont été dans les deux premiers mois. Nous retombons donc sur une moyenne qui correspond à peu près à celle d'aujourd'hui. Ainsi, début 2016, seules quelques dizaines de perquisitions ont été mises en oeuvre.
Les outils que nous utilisons aujourd'hui sont à la fois des outils de recherche servant à déclencher des enquêtes ou des suites, et des outils de levée de doute dans le suivi que nous faisons des individus dont nous pouvons craindre la radicalisation présente ou à venir, ou dont nous pouvons croire qu'ils risquent de préparer un acte répréhensible. Mais ils ne peuvent être considérés comme des outils anodins. Il me paraît donc normal que leur utilisation soit dument motivée. À ce titre, la visite domiciliaire, conditionnée par les autorisations délivrées par le magistrat compétent en la matière, constitue à mon sens un outil équilibré.
S'agissant de l'application de la loi, je voudrais revenir par ailleurs sur la fermeture des lieux de culte.
Comme je l'ai dit, depuis le 1er novembre 2018, deux mosquées ont été fermées pour six mois sur le fondement de la loi SILT. Mais il existe d'autres outils, dont M. le député Gauvain a rappelé l'existence. Je voudrais ainsi préciser qu'au moment où je vous parle trente lieux de culte ont fait l'objet de mesures de fermeture et que les procédures sont en cours pour sept autres. Au total, 63 lieux de culte font actuellement l'objet de mesures. Soit ces lieux ont été fermés, soit leur fermeture surviendra dans les semaines et les mois à venir sur la base de mesures que nous avons engagées. Je ne crois pas que ce chiffre ait été rendu public, mais je vous le livre.
Nous utilisons en effet tous les outils disponibles. J'évoquais plus haut la stratégie d'entrave. La loi SILT conditionne à un très haut niveau d'apologie du terrorisme les raisons pour lesquelles nous pouvons engager une procédure de fermeture administrative. Une telle procédure n'est donc pas toujours possible. Il n'en existe pas moins un prosélytisme religieux potentiellement considéré comme dangereux et non conforme aux valeurs de la République. S'il s'avère impossible d'utiliser la loi SILT pour y faire face, nous utilisons la totalité des moyens disponibles pour prononcer des fermetures. Nous le faisons dans le respect des procédures existantes, mais nous n'en mettons pas moins en oeuvre une stratégie d'entrave.
Ainsi, 63 lieux de culte suivis au titre du renseignement par le Service central du renseignement territorial (SCRT) ou par la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DR-PP) ont fait ou feront prochainement l'objet d'actions susceptibles d'entraîner leur fermeture. Nous ne sommes donc pas inactifs sur ces sujets. Et il nous faut demeurer pleinement engagés et vigilants.
S'agissant des sortants de prison, nous partageons votre préoccupation. Au 4 février 2020, sont détenus 531 terroristes islamistes (TIS). Ce sont des individus condamnés ou mis en cause pour des infractions à caractère terroriste. Et sont identifiés près de 900 individus incarcérés pour des infractions de droit commun et suivis pour leur radicalisation.
Nous suivons aussi les sorties et les prévisions de libération de ces individus. Je ne suis pas capable de vous donner un chiffre à l'unité précise, mais je peux vous indiquer quelle est la moyenne qui figure sur notre « tableau de bord » : 43 personnes devraient être libérées dans ce cadre en 2020, une soixantaine en 2021 et 46 en 2022.
Il s'agit évidemment d'une appréciation. Je ne voudrais pas que vous m'en fassiez le reproche. Les conditions de sortie peuvent évidemment varier. En outre, plus on se projette en 2021 ou 2022, plus les choses sont incertaines.
Ce sont néanmoins des personnes que nous suivons, et dont nous considérons qu'elles font partie des menaces protéiformes que nous connaissons en prison. Ces menaces se trouvent d'abord au sein de l'environnement carcéral, mais sont aussi projetées à partir des lieux de détention ou encore liées au prosélytisme religieux de personnes incarcérées. C'est ce spectre que nous suivons, et que nous suivons attentivement.
Monsieur Ciotti, je ne peux vous laisser penser que rien ne serait anticipé, notamment à travers les indications que je vous donne. Depuis quelques mois, nous assistons à une véritable montée en puissance du Service national du renseignement pénitentiaire (SNRP). Nous avons créé des équipes communes entre le SNRP et la DGSI depuis l'année 2018. Par ailleurs, une cellule de suivi spécifique de la DGSI – l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) – vise à s'assurer que chaque TIS ou chaque détenu radicalisé sur le point d'être libéré soit bien pris en compte par un service, que sa situation soit évoquée de façon systématique dans les groupes d'évaluation départementaux (GED) – du lieu de détention ou de domiciliation, selon les perspectives que l'individu connaît – et que le FSPRT soit bien renseigné sur ce sujet.
Un suivi systématique des sortants de prison est piloté ensuite par la DGSI et l'UCLAT. Ce suivi s'effectue à des niveaux différents. Ne pouvant entrer dans ces détails, je vous laisse les apprécier. Vous savez aussi quels moyens humains peuvent être déployés en fonction du suivi que l'on veut mettre en oeuvre.
Nous adaptons également, avant la sortie de prison et sous l'autorité de la garde des Sceaux, les modalités de détention en fonction des profils. Et l'administration pénitentiaire s'est dotée, comme vous le savez, de quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) et de quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) pour prendre en compte cette dimension.
Pour revenir à la loi SILT, les MICAS constituent un outil très utilisé. J'ai signalé plus haut que 57 % des MICAS prises correspondaient à des sortants de prison. Mais si je cumule le « stock » de personnes suivies sur deux fois six mois et les décisions qui ont été prises, environ 63 % des MICAS actives concernent des sortants de prison.
Monsieur Gauvain, vous avez évoqué le cadre exigeant déterminant la mise en oeuvre des visites domiciliaires. Le texte de la loi SILT prévoit effectivement que ces visites soient mises en oeuvre selon des modalités extrêmement strictes. Elles doivent s'inscrire dans le cadre de la prévention des actes de terrorisme, ou cibler une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics.
Comme vous avez sans doute pu le voir lors de vos auditions, cette notion de « particulière gravité », dont je peux comprendre pourquoi le législateur l'a suggérée, constitue une qualification assez problématique pour nos services. Il est en effet difficile de définir ce qu'est réellement une « particulière gravité » pour la sécurité et l'ordre publics. De nombreuses requêtes préfectorales ont d'ailleurs été écartées, à juste titre, par le JLD au début de l'application de la loi SILT. Les préfets ont donc adapté leurs demandes en fonction de cette dimension.
Pour qu'une visite domiciliaire soit possible, il faut également que des relations habituelles aient été constatées avec des personnes ou des organisations incitant au terrorisme, soutenant ou adhérant à des thèses terroristes, ou faisant l'apologie de tels actes.
Il s'agit donc effectivement d'un cadre strict. Mais ma responsabilité est de faire en sorte que le texte de la loi SILT soit appliqué conformément à ce que vous avez voté. Et il me paraît nécessaire de maintenir cela.
Enfin, vous m'avez interrogé sur le calendrier. Je pense que les outils dont nous venons de parler sont essentiels et indispensables à nos services. Comme une échéance approche, il faudra que nous trouvions ensemble les modalités de vote devant le Parlement avant la fin de l'année 2020. Rien n'est pas arrêté au moment où je vous parle, je n'ai pas la maîtrise du calendrier parlementaire, mais nous sommes en train d'affiner cette question sous l'autorité du Premier ministre, et je lui rendrai compte de nos travaux dès ce soir.
Monsieur le ministre, le rapport de la loi SILT que vous nous avez présenté fait état de deux nouvelles fermetures de mosquées. Ce faible nombre s'explique par la longueur des enquêtes et la minutie requise avant de pouvoir prononcer une fermeture. Cependant, je m'interroge sur les raisons de la non-fermeture de la mosquée de Gonesse, pourtant régulièrement fréquentée par Mickaël Harpon avant son attentat. Pourquoi n'a-t-elle pas été fermée alors qu'elle remplissait les conditions que vous rappelez dans le rapport ? Une faille s'est nécessairement produite. Résidait-elle dans le contrôle et la surveillance de la mosquée ? Dans l'évaluation de la situation ? Ou dans le temps de réaction nécessaire pour prononcer la décision de fermeture ?
Par ailleurs, l'un des apports de la loi SILT réside dans la modification de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure qui permet d'effectuer des enquêtes administratives pour les fonctions de souveraineté, c'est-à-dire des actions de rétrocriblage – enquêtes sur des personnes déjà en poste.
Aucun rétrocriblage n'avait été effectué jusqu'à il y a peu. En effet, une instruction interministérielle était nécessaire pour préciser le déroulement de l'enquête administrative. Le 10 juillet 2019, lorsque je vous ai présenté le rapport d'information sur les services publics face à la radicalisation, je vous ai alerté sur ce point. Le 8 octobre, dans cette même commission, je vous ai dit que cette instruction manquait toujours. Elle est enfin parue le 24 octobre 2019. Comment se fait-il que le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) ait mis deux ans à compter de la promulgation de la loi SILT pour rédiger cette instruction ? Face à l'urgence, ne fallait-il pas un itinéraire signalé ?
Enfin, il me semblerait intéressant d'étendre la rétention de sûreté mise en place par la loi du 25 février 2008 aux détenus radicalisés les plus violents. Cette loi n'est, bien évidemment, pas rétroactive. Mais la Cour d'assises doit pouvoir demander à un juge interrégional de sûreté, appuyé par un groupe d'experts, de placer en rétention les détenus très violents dont les MICAS ne suffiront pas à diminuer la dangerosité. Comme le disait le procureur François Molins, certains de ces détenus radicalisés seront plus violents à la sortie de prison qu'à l'entrée.
Pour commencer, je souhaiterais poser deux questions précises qui n'avaient pas reçu de réponse la dernière fois. Comme nous disposons à présent, deux ans après la promulgation de la loi SILT, de chiffres consolidés, peut-être auront-elles droit à des réponses. Dans un pays démocratique, la force des méthodes de renseignement est justement de pouvoir être mises en discussion et partagées – y compris publiquement.
Combien de cas de procédures administratives avez-vous enclenchés à la suite de renseignements étrangers ? Quelle est la proportion de renseignements étrangers dans les renseignements ayant conduit à de telles procédures ? C'était en effet l'argument principal avancé par M. Laurent Nuñez, alors directeur de la DGSI, pour demander des mesures administratives en dépit des procédures judiciaires existantes et susceptibles de conduire aux mêmes résultats. En matière judiciaire, on peut aussi conduire des visites domiciliaires. En matière judiciaire, on peut aussi effectuer des contrôles judiciaires et mettre en oeuvre des mesures telles que les MICAS. En matière judiciaire, on peut aussi fermer des lieux de culte. On peut donc faire exactement la même chose avec le code de procédure pénale.
Par ailleurs, quelle est la part de renseignements numériques dans la prise de décision présidant à ces mesures administratives ? Et quelle est la part du renseignement humain ?
Je m'inquiète tout de même de constater que, dans les contentieux – peu nombreux, mais existants – relatifs à ces mesures administratives, on finit toujours par utiliser l'argument de la taqiya, c'est-à-dire de la technique de dissimulation de Daesh, pour continuer à mettre en cause des personnes contre lesquelles nous n'avons, en réalité, rien – sinon, leur cas serait judiciarisé beaucoup plus facilement. Cet argument est avancé avec le concept de dangerosité qui l'accompagne, et que vous étendez dans votre politique dite de « prévention de la radicalisation ».
Dans le fait que nous soyons obligés de parler de rétention de sûreté, et de mettre en place des suivis pour les sortants de prison, je vois une forme d'échec des anticorps républicains – ces anticorps qui devraient pourtant intervenir dès la détention. Nous sommes obligés de suivre ces individus car nous n'avons pas rempli notre mission de prévention de la récidive et de réinsertion. Car, oui, le plus souhaitable est que quelqu'un qui est entré en prison pour des faits qu'il a commis – notamment de terrorisme – en ressorte sans en commettre de nouveau ou sans avoir la velléité d'en commettre de nouveau.
Il faut donc mettre en oeuvre tous les anticorps républicains de la réinsertion, et mobiliser tous les droits que peut donner la République à toute personne ayant pu être incriminée par le passé.
Et puis, monsieur le ministre, je pense qu'il faut…
Je terminerai donc par un propos déplaisant pour le ministre, en rappelant que ce n'est pas parce que l'on a l'apanage des mesures administratives en matière antiterroriste que l'on peut se permettre de divulguer des informations à l'extérieur lorsque ces mesures s'avèrent judiciarisées, ou de communiquer sur une enquête en cours.
Je pense notamment au rappel effectué par M. Rémy Heitz, alors nouveau procureur de la République de Paris, en mai 2019, qui soulignait que seul le procureur de la République pouvait s'exprimer sur des enquêtes en cours – et pas même le ministre de l'Intérieur.
Je vois bien que vous aimez les mesures administratives et que vous aimez communiquer sur des enquêtes en cours, monsieur le ministre. Mais votre fonction ne vous permet pas non plus de porter le discrédit sur des décisions de justice comme vous l'avez fait le 11 février lors des questions au Gouvernement en mentant sur les faits qui se sont produits à Bordeaux.
Eh oui, monsieur le ministre ! Vous avez menti ! Et vous avez défié l'autorité judiciaire ! Et cela, ce n'est pas digne d'un ministre de l'Intérieur !
Monsieur le ministre, merci pour cette présentation. Je me félicite pour ma part du contrôle parlementaire, innovation mise en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence et qui trouve toute sa place dans le dispositif de la loi SILT.
J'aurai deux questions assez simples à poser.
La première a trait aux périmètres de protection et à la bonne appropriation de ces outils par l'administration. En page 13 du rapport, vous soulignez qu'il vous a fallu rappeler les conditions strictes d'intervention des mesures chaque fois que leur mise en oeuvre paraissait s'en écarter – ce que l'on conçoit aisément, puisqu'il s'agit de dispositifs nouveaux, appuyés sur des procédures différentes impliquant un travail inédit de lien entre la justice et la préfecture. Mais pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les difficultés rencontrées ? Quels étaient les écarts et quelles voies vous semble-t-il nécessaire de prévoir pour que l'appropriation de ces outils par l'administration soit parfaite ?
Ma seconde question porte sur le recours aux agents privés de sécurité. Nous constatons à la lecture du rapport qu'un peu de plus de 10 000 agents privés de sécurité ont été mis à contribution cette année, contre 2 000 la première année de mise en application de la loi SILT. Je souhaiterais savoir comment cette intégration s'est faite, avec quelle efficacité et dans quelles règles déontologiques il a été fait appel à ces agents privés de sécurité.
Monsieur le ministre, la loi que nous étudions et qui fait l'objet d'une évaluation de la part du Parlement n'est pas née ex nihilo. Elle s'inscrit dans un long processus de lutte contre la radicalisation. Cette radicalisation s'est manifestée dans notre pays dès les années 1990 à travers différentes filières : la filière d'Artigat, la filière toulousaine, la filière des Buttes-Chaumont ou les filières de Molenbeek qui ont eu de premières incidences graves en France lors des attentats commis en 2012 puis en 2015. Ce sont les attentats de 2015 qui ont entraîné le déclenchement de l'état d'urgence.
C'est la nécessité de sortir de l'état d'urgence pour retrouver un état dit « normal » qui nous a poussés à adopter les différentes dispositions que nous étudions ce jour, contenues dans les articles 1er à 4 de la loi SILT. Cela nous a permis de revenir à une situation « normale », dans laquelle le droit commun s'applique, tout en assurant un haut niveau de protection pour nos concitoyens. La loi SILT a permis d'éviter de nombreux attentats, et de fermer plusieurs lieux de culte – cumulés, au nombre de sept –, mais elle n'a pas été utilisée pour fermer d'autres lieux, comme des débits de boissons.
À l'heure où nous nous interrogeons sur les modalités de présentation par le Gouvernement d'un véhicule législatif nouveau visant à pérenniser les dispositions de la loi SILT – dispositions utiles, dont nous avons vu l'usage maîtrisé –, je m'interroge également sur la façon dont le Parlement, dans sa mission de contrôle des libertés fondamentales, pourrait disposer de davantage d'informations, relatives, notamment, à la fermeture de débits de boissons ou d'écoles privées hors contrat, qui constituent des lieux de radicalisation au même titre que certains lieux de culte.
Nous savons tout l'effort qui est fait par l'État pour lutter contre la radicalisation dans toutes les zones qui le nécessitent. Cela mériterait, à ce titre, un contrôle du Parlement.
Je voudrais revenir, quant à moi, sur les fermetures de mosquées. Nous dénombrons cinq fermetures en 2018, et deux en 2019, effectuées dans le cadre de la loi SILT – dont l'une dans mon département, en Isère.
Ces décisions se sont révélées à chaque fois pertinentes et justifiées, car elles ont été confirmées par la justice.
Nous comprenons bien à travers vos propos et votre rapport, monsieur le ministre, que la diminution notée entre 2018 et 2019 ne traduit pas un ralentissement de l'activisme de l'islam radical dans les lieux de culte, mais marque plutôt un changement de stratégie et de visage – plus de prudence, plus de dissimulation.
J'entends que l'article 2 de la loi SILT n'est pas le seul outil à votre disposition et à la disposition des préfets pour lutter contre la radicalisation. Cependant, si l'on reste dans le cadre de la loi SILT, c'est l'occasion de vous demander comment nous pourrions précisément améliorer cet outil. Un défaut se manifeste-t-il au niveau de la détection ? Existe-t-il des verrous législatifs sur lesquels il faudrait travailler ?
Enfin, une fois passée la période de fermeture de six mois, quel dispositif de suivi spécifique est-il mis en oeuvre pour s'assurer que le culte s'exerce ensuite dans le lieu concerné dans des conditions conformes aux lois et aux valeurs de la République ?
Monsieur le député Diard, il convient de faire attention à la désignation médiatique de tel ou tel. Je veux parler à la fois de la mosquée de la Fauconnière, à Gonesse, et d'une personne qui assurait l'imamat sur ce site et qui a vu son statut dénoncé par la presse.
Je rappelle que le statut de l'imam de Gonesse était régulier. Il avait un titre de séjour, validé par une commission d'élus présidée par une sénatrice Les Républicains dont on sait qu'elle n'est pas forcément laxiste sur le sujet. Et pourtant, il a été jeté à l'opprobre médiatique. Je n'ai pas vocation à défendre son honneur, il doit le faire très bien lui-même, mais je veux vous dire qu'il n'existe pas, vu de nos services, d'éléments permettant la fermeture de la mosquée de la Fauconnière.
Cette mosquée est suivie attentivement. Au-delà de l'imam qui a été évoqué et qui n'est pas concerné par l'affaire dite « Harpon », et au-delà de l'attention portée aux prêches qui y sont prononcés, il n'existe aucun élément permettant de considérer que l'on y professe autre chose que l'islam.
Dans ce cadre, nous ne pouvons pas procéder à une fermeture au titre de la loi SILT ni au titre d'une autre disposition.
J'en viens à présent à la commission « L. 114-1 ». Comme je l'ai déjà dit, pour ce qui concerne le ministère de l'Intérieur, l'absence d'instruction interministérielle ne nous a pas empêchés d'écarter, par différentes stratégies et divers moyens, tous les personnels qui paraissaient devoir l'être.
La mise en oeuvre de cette disposition a effectivement pris du retard, mais elle est désormais opérationnelle. Les rétrocriblages sont en cours. Un certain nombre de dossiers font l'objet de procédures. Mais cela n'entre pas dans le cadre du contrôle des premiers articles de la loi SILT.
Nous disposons donc désormais de ces outils. Mais, de toute façon, comme je l'avais déjà souligné précédemment, nous n'étions pas confrontés à cette difficulté s'agissant du personnel de la police. Le rapport d'information que vous avez présenté avec M. Éric Poulliat faisait d'ailleurs état du suivi attentif que nous faisions.
Je veux vous rassurer sur ce point. Si nous pouvons considérer qu'un retard est survenu, il ne nous a pas empêchés d'agir et d'écarter ceux qui devaient l'être en fonction de la connaissance que nous avions. Et les rétrocriblages commencent à être opérationnels sur les nouveaux cas.
Vous avez fait une proposition concernant le recours à la rétention de sûreté ou à d'autres mesures. M. le député Ciotti a abordé également ce sujet. Cette réflexion est en cours. Je ne veux pas me prononcer devant vous sur cela. Le questionnement que vous soulevez est néanmoins parfaitement légitime. C'est une façon de vous répondre.
Monsieur le député Bernalicis, concernant les procédures administratives liées à des renseignements étrangers, je pense que la question devrait être posée au directeur de la DGSI, qui a été entendu, me semble-t-il, à huis clos. Comme il s'agit de situations individuelles, je ne les aborderai pas ici, d'autant que je ne les connais pas et que je n'ai pas à en connaître.
Mais il faut avoir en tête qu'un dialogue permanent et d'excellent niveau s'effectue entre les différents services de renseignement sur la question de la lutte contre le terrorisme – ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Ce dialogue n'est pas organisé dans un cadre européen, mais de façon bilatérale. Et je peux vous dire, pour avoir été confronté à quelques sujets qui ont fait l'actualité depuis quinze mois, qu'il existe un très bon niveau de coopération et que les alertes nous sont toujours utiles.
Une alerte par semaine fait l'objet d'interventions, de contrôles et de levées de doute. Toutes n'aboutissent pas. À titre d'exemple, la première semaine de février, les services britanniques nous ont alertés sur un camion susceptible de transporter des produits explosifs. Nous sommes intervenus pour vérifier. Ce n'était pas le cas.
Nous bénéficions néanmoins d'un niveau de dialogue remarquable, et indispensable. Et je nous invite à ne pas chercher à le mettre en cause – je sais que ce n'est pas le sens de votre question – car il s'agit d'un outil essentiel à notre action.
Vous avez mentionné ensuite un propos « déplaisant ». Il vous est arrivé de l'être plus encore ! C'est presque une habitude, monsieur Bernalicis !
Je vous dénie le droit de dire que j'ai menti le 11 février. Si vous voulez poursuivre les joutes oratoires, nous pourrons les poursuivre, mais pas forcément dans le cadre de la présente commission, dont je ne suis pas sûr qu'il soit le plus adapté.
Comme je n'avais pas totalement terminé mon propos lors de la réponse que je vous ai apportée le 11 février durant les questions au Gouvernement, je souhaite revenir sur la pétition signée par certains de vos camarades et qui a fait la une du journal L'Humanité. Cette pétition mettait en cause les policiers pour avoir tué un certain nombre de personnes. Or, parmi ces personnes, nous pouvons retrouver Mickaël Harpon, Hanane Aboulhana, complice de Michaël Chiolo, les frères Kouachi ou encore « Human Bomb » – qui avait à l'époque, chacun s'en souvient, pris des enfants en otage à Neuilly-sur-Seine avant d'être neutralisé par la police.
Puisque nous parlons de lutte contre le terrorisme, je crois qu'il ne faut pas tout mélanger. Et l'on ne peut pas faire des amalgames de tout…
… Je finissais ma réponse d'hier, puisque cela vous a manqué. On ne peut pas faire d'amalgame sur ces sujets…
Madame Obono, vous avez raison de signaler que vous avez, vous-même, signé cette tribune, dont je pense qu'elle est insultante.
Madame Obono, monsieur Bernalicis, je vous remercie de ne pas couper la parole au ministre.
Monsieur Bernalicis, pendant les trois minutes vingt…
Vous parlez bien de la pétition sur les familles de victimes de violences policières ? Vous faites un amalgame entre les revendications légitimes de ces familles et des terroristes !
Je l'entends. Je vous demanderai de respecter les règles en vigueur dans cette Assemblée, et la courtoisie des débats qui doit prévaloir dans cette commission. Vous n'avez pas la parole. Vous pouvez vous inscrire pour poser une question.
Vous faites un amalgame entre les revendications légitimes de familles de victimes de violences policières et des terroristes !
La séance est suspendue à dix-huit heures quarante-cinq. Elle reprend à dix-huit heures cinquante, M. Ugo Bernalicis et Mme Danièle Obono ayant quitté la salle.
Je ferai état au président de l'Assemblée nationale de ce qui vient de se passer en commission, et des propos qui ont été tenus, inacceptables à l'égard d'un ministre de la République et de certains collègues.
Madame Untermaier, vous m'avez interrogé sur les conditions de mise en place et de fonctionnement des agents privés de sécurité. Ce sujet est lié aux périmètres de protection, pour lesquels il est assez habituel que les collectivités locales fassent appel à des sociétés privées de sécurité. Ce recours s'effectue généralement sous la forme de marchés publics, et toujours sous le contrôle d'officiers de police judiciaire (OPJ) – ce qui me paraît tout à fait indispensable.
Dans la réflexion que nous aurons à conduire sur le continuum de sécurité, il faudra s'interroger sur les modalités de montée en puissance des agents privés de sécurité. Sur ce type d'opération, ces agents ont toute leur place, mais cela doit toujours se faire sous le contrôle des OPJ.
De plus, 760 policiers municipaux sont aussi intervenus sur les périmètres de protection en 2019 pour compléter notre dispositif habituel de droit commun.
Vous avez souhaité également avoir des exemples des actions entreprises afin de veiller à éviter une mauvaise interprétation de nos textes. Ces actions ont concerné notamment des arrêtés que nous avons été amenés à prendre pour la sécurisation des lieux ou des installations sensibles. Ainsi, treize arrêtés de périmètre avaient été pris dans le cadre de manifestations revendicatives pour sécuriser des bâtiments institutionnels ou des sites industriels. Mais ils avaient été fondés seulement sur des motifs d'ordre public. Ce n'était pas là une bonne application de la loi SILT. Le ministère de l'Intérieur a donc procédé à un rappel pour préciser que ce dispositif ne devait être utilisé qu'en cas de risque terroriste. Dans l'intervalle, un nouveau dispositif a d'ailleurs été voté dans le cadre de la gestion de l'ordre public. En principe, plus aucun arrêté de ce type n'a été pris pour ces motifs au titre de la loi SILT.
Il faut avoir en tête que l'esprit de cette mesure s'inscrit dans le souvenir de l'attentat de Nice, auquel M. Éric Ciotti faisait allusion. Il convient de respecter cet esprit et de ne pas le dévoyer.
Monsieur Houlié, vous m'avez interrogé sur l'élargissement de la loi SILT. Nous voyons bien le très haut niveau d'exigence et de sécurité que vous avez mis en place sur la base du texte proposé par le Gouvernement pour l'application de ses articles 1er à 4. Cela nous a conduits à ne pas attendre un nouveau texte ou une nouvelle loi, mais à travailler avec tous les outils dont nous disposons au titre du droit commun. Cela rejoint le point soulevé par Mme Abadie.
J'évoquais plus haut le plan d'action que nous avons mis en oeuvre en 23 mois dans 15 quartiers. Ce plan a entraîné, dans la lutte contre la radicalisation, la fermeture de 152 débits de boisson, 15 lieux de culte – dont 2 au titre de la loi SILT –, 4 écoles et 12 établissements cultuels et associatifs. Nous utilisons en outre tous les moyens fournis par les contrôles des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) et des caisses d'allocations familiales (CAF). Nous avons ainsi redressé près de 19 millions d'euros dans ces quartiers.
Notre stratégie est donc d'utiliser tous les moyens permis par le droit. Pour autant, certains dispositifs législatifs pourront apparaître utiles. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Et certaines dispositions existantes de la loi SILT pourront également être simplifiées. J'évoquais plus haut une piste en ce sens. Mais nous aurons l'occasion d'en mentionner d'autres.
Ces éléments répondent également à la question de Mme Caroline Abadie concernant la fermeture des lieux de culte. Je précise par ailleurs que cette fermeture est d'une durée de six mois. À l'issue de ces six mois, la question de sa poursuite est posée.
S'agissant de la mosquée de Grenoble, les propos tenus par l'imam ne se sont pas reproduits. Ce dernier a d'ailleurs fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et a regagné son pays. D'autres personnes ont pris depuis lors la responsabilité de la mosquée, qui ne nous semble pas présenter actuellement de risque d'apologie du terrorisme.
De la même façon que la mosquée de Gonesse ne pouvait être identifiée comme à risque, une mosquée peut donc rouvrir dans d'autres conditions que celles ayant présidé à sa fermeture. Je rappelle que le ministère de l'Intérieur est aussi le garant des principes de la laïcité, qui consistent notamment à permettre à ceux qui croient à une religion de la pratiquer dans de bonnes conditions.
Je souhaite revenir sur la question, particulièrement d'actualité, des sortants de prison. En effet, Flavien Moreau, le premier djihadiste incarcéré en retour de Syrie, a été libéré le 13 janvier dernier. Vous avez donné les chiffres, je n'y reviens pas. Ils sont assez évocateurs.
J'aimerais savoir comment les sorties de prison de ces personnes – qui sont des sorties « sèches », la loi ne permettant pas de semi-liberté dans leur cas – sont coordonnées au mieux avec les services habituels chargés du contrôle des détenus sortants, notamment les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).
Par ailleurs, serait-il concevable, selon vous, de prévoir, pour les personnes condamnées pour faits de terrorisme ou d'incitation au terrorisme, des formes différentes ou assouplies de MICAS ? Actuellement, deux conditions cumulatives sont requises pour déclencher une MICAS. Pour des personnes dont la dangerosité est reconnue, avérée et constatée judiciairement, serait-il possible d'envisager une approche un peu différenciée sur ce point ?
Enfin, vous avez évoqué, monsieur le ministre, la situation du FSPRT. L'idée est d'assurer une surveillance directe, par les services de renseignement, mais aussi de partager cette surveillance. Or, dans l'état actuel des choses, plusieurs acteurs à mon sens essentiels ne sont pas intégrés dans le FSPRT. Je pense en particulier aux procureurs de la République, pourtant membres des GED, et qui s'inscrivent pleinement dans la logique de la surveillance, du renseignement et de l'élaboration d'une réponse judiciaire – et non seulement administrative – adaptée.
Monsieur le ministre, percevez-vous des possibilités d'évolution sur ces terrains : la coordination, les modalités d'application des MICAS pour les sortants de prison et enfin un meilleur partage du renseignement sur ces personnes ?
Monsieur le ministre, nous sommes présents ce jour pour évaluer les dispositions de la loi SILT. Mais nous ne devons pas oublier qu'il existe de nombreuses dispositions de droit commun, notamment dans le code de la sécurité intérieure ou dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), qui doivent être utilisées par le Gouvernement sous l'angle de la répression et de la prévention du terrorisme.
À cet égard, je voudrais vous interroger – comme je l'ai fait par écrit le week-end des 8 et 9 février – sur une situation précise révélée par la lecture des dépêches de l'Agence France Presse (AFP). Je veux parler de M. Majdi Mustafa Nema, ressortissant de nationalité syrienne né en 1988, dont l'AFP nous dit qu'il est un ancien capitaine des forces armées syriennes ayant fait défection, devenu porte-parole du groupe islamiste Jaysh al-Islam. Il serait en France depuis novembre 2019. Il avait obtenu auprès du consulat de France à Istanbul un visa de court séjour « délivré sur la base d'un dossier complet après interrogation des services ministériels compétents » – je reprends à cet égard les termes mêmes employés le 6 février dernier par le porte-parole du Quai d'Orsay. Il était enregistré comme étudiant à l'Institut de recherche sur le monde arabe et musulman (IREMAM) de l'université d'Aix-Marseille relevant du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), dans le cadre du programme européen Erasmus +. Il a été arrêté, mis en examen et écroué à la fin du mois de janvier 2020 en étant poursuivi par la justice française pour actes de torture et complicité, crimes de guerre et complicité de disparitions forcées. Ce sont en tout cas les faits, tels que relatés par l'AFP.
Vous n'avez pas directement autorité sur les consulats, mais, aux termes de votre décret d'attribution, vous êtes responsable, conjointement avec le ministre des Affaires étrangères, de la politique d'attribution des visas. Au regard de l'objet de la présente audition, j'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez précisément les raisons ayant conduit l'administration placée sous l'autorité du gouvernement français à accueillir en France cet individu, afin d'en tirer toutes les conséquences pratiques, administratives voire politiques.
À ce stade, le bon sens est heurté par la lecture des faits tels qu'ils sont relatés par l'AFP. Nous avons du mal à comprendre comment un tel individu peut faire l'objet d'une autorisation de séjour en France.
Monsieur le ministre, la rapporteure spéciale du Conseil des droits de l'homme (CDH) des Nations unies a effectué une visite en France en mai 2018 sur les questions liées à la lutte contre le terrorisme. Elle a émis à cette occasion des observations positives, mais a également constaté plusieurs problèmes attentatoires, à ses yeux, aux droits de l'homme et formulé plusieurs recommandations parmi lesquelles la création d'un organe d'experts pour exercer un contrôle sur l'ensemble de la loi.
Elle a recommandé aussi d'établir si cette loi est utile compte tenu des principes de nécessité, de proportionnalité et de non-discrimination, et de renforcer le rôle du Parlement – ce que nous sommes en train de faire en ce moment.
Je souhaite revenir sur quelques points, car il me paraît effectivement important de voir si les mesures de la loi SILT sont véritablement fondées.
Pouvons-nous quantifier la plus-value représentée par les périmètres de protection ? Je ne suis pas un spécialiste, mais il me semble que le marché de Noël de Strasbourg était bien un périmètre protégé. Cela n'a pas empêché un attentat.
S'agissant des MICAS, pour un certain nombre d'individus l'objectif est de parvenir à la réinsertion. Or cela peut s'avérer compliqué, certains devant pointer tous les jours voire plusieurs fois par jour au commissariat. Il arrive même, dans certains cas extrêmes, que la personne se soit vu interdire un certain périmètre par le juge et que ce soit dans ce périmètre précisément qu'elle doive aller pointer. Certaines actions peuvent ainsi s'avérer contradictoires.
Concernant les fermetures de lieux et les visites domiciliaires, la question principale qui se pose est de savoir combien de procédures judiciaires ont été engagées à l'issue de ces opérations et combien de condamnations ont été prononcées. Car c'est à l'aune de cela que nous pourrons juger véritablement de l'utilité de la loi.
Enfin, je crois que l'on vous fait un mauvais procès s'agissant de l'état d'urgence. En effet, à la fin de l'état d'urgence les policiers nous disaient eux-mêmes qu'ils ne savaient plus où perquisitionner, et qu'ils s'entendaient dire lorsqu'ils arrivaient quelque part : « c'est seulement maintenant que vous arrivez ? ». Dans de telles circonstances, une perquisition ne sert évidemment pas à grand-chose.
Les rapporteurs chargés du contrôle parlementaire de l'état d'urgence étaient MM. Jean-Frédéric Poisson et Jean-Jacques Urvoas. Or M. Jean-Frédéric Poisson n'a pas voté la continuation de l'état d'urgence, sur la question précisément de l'efficacité des perquisitions. Je crois donc que c'est un mauvais procès que l'on vous fait.
Il n'est pas question de refaire le débat sur la loi SILT elle-même, ce n'est pas le but de la présente audition. Je m'en tiendrai pour ma part à une question et à une proposition.
Ma proposition s'adresse davantage à notre commission et à sa présidente. Elle porte sur les conditions dans lesquelles nous travaillerons en vue de légiférer sur la reconduction, ou non, des quatre mesures de la loi SILT transposées de l'état d'urgence à titre provisoire. Il me semble que nous ne pouvons pas envisager de légiférer d'ici la fin de l'année sur ces quatre propositions en nous tenant uniquement aux communications du ministère de l'Intérieur – communications précieuses, fiables, et auxquelles je crois par ailleurs... Vous voyez que je prends des précautions.
Je pense qu'il serait utile que nous disposions également d'avis d'associations, d'organisations non gouvernementales (ONG), et de juristes. Nous travaillons à présent sur la base de documents transmis par le ministère. D'ici notre débat législatif il faudrait que nous puissions les éclairer de différentes manières, dans le respect de l'indépendance et de la séparation des pouvoirs qui caractérisent le travail de l'Assemblée.
Je souhaite enfin vous poser, monsieur le ministre, une question que j'avais déjà posée à M. Laurent Nuñez en commission des Lois. Vous avez utilisé une formule qui, à mon sens, pose problème par rapport à la réalité du terrain, même si je vois bien à quoi elle fait référence. Il s'agit de l'expression « stratégie d'entrave ». Si nous n'avons pas vraiment les moyens d'attester d'un appel à la haine ou au terrorisme ou si nous ne disposons pas de preuves suffisantes, mais si nous avons des doutes, nous pouvons nous en sortir en mobilisant ce que l'on appelle les moyens périphériques à la lutte contre le terrorisme pour entraver le développement d'une association ou d'un lieu de culte. Cette entrave passe notamment par le recours au droit de l'urbanisme.
Or, confronté à la réalité du terrain, cela pose un véritable problème, car cela fragilise l'état de droit. Lorsque l'on s'adosse à des règles, comme celles de l'urbanisme, l'on peut soit y être conforme, soit ne pas y être conforme. Mais agir de manière périphérique pour essayer de dissuader certaines personnes quand le droit ne dit pas clairement qu'il est possible de le faire me semble poser problème. Cette démarche est parfois justifiée, mais parfois elle ne l'est pas. Je me demande donc si notre démocratie, notre état de droit et notre république ne s'affaiblissent pas de la sorte.
Monsieur le ministre, j'aurai trois questions à vous poser, dont la première concerne les lieux de culte.
Si en 2018 cinq lieux de culte ont été fermés, en 2019 il n'y en a eu que deux, avec une fermeture définitive pour la mosquée Al-Sunnah d'Hautmont et une fermeture de six mois pour la mosquée Al-Kwathar de Grenoble. Dans votre rapport, vous écrivez que le nombre réduit de fermetures prononcées au cours de cette deuxième année d'application de la loi SILT démontre la difficulté à établir les critères permettant de prononcer ce type de décision, les imams des mosquées potentiellement concernées étant extrêmement prudents et évitant de tenir en public et durant les prêches des propos entrant dans le champ d'application de la loi.
Vous venez également de mentionner 63 lieux de culte susceptibles d'actions pouvant donner lieu à des fermetures administratives. Ma première question est donc la suivante : comment expliquez-vous que l'on puisse passer de 63 établissements sous surveillance à seulement une poignée de fermetures effectives ?
Par ailleurs, les écoles hors contrat ne sont pas prévues dans le champ d'application de votre rapport alors même qu'elles sont le terreau d'un terrorisme islamique. Selon Gabriel Attal, « il y a une augmentation de 80 % ces dernières années d'écoles hors contrat dont 60 % sont des écoles confessionnelles musulmanes ». Parmi elles, combien sont islamiques ?
S'il n'est pas question de remettre en cause la liberté d'enseignement des écoles privées, la radicalisation islamique au sein de ces écoles est une réalité dans de nombreux quartiers de France. Jean-Michel Blanquer lui-même affirmait : « Nous avons un problème avec des écoles hors contrat qui sont d'inspiration fondamentaliste islamiste ». Pourquoi ces écoles ne sont-elles pas intégrées à ce dispositif ?
Enfin, en annexe de votre rapport figure une carte des visites domiciliaires réalisées entre le 1er novembre 2018 et le 31 octobre 2019. Dans certains départements, leur nombre pose question. Je regarde avec attention et constate qu'aucune visite domiciliaire n'a eu lieu dans l'Aude, malgré les attentats de Trèbes et de Carcassonne, et qu'une seule visite a été effectuée dans l'Hérault alors que ce département, qui est le mien, possède – ce que je regrette – des communes tristement célèbres comme Lunel, lieu de résidence de plusieurs djihadistes dans les années précédentes.
Pensez-vous que les visites domiciliaires soient suffisamment utilisées ?
J'ai bien entendu qu'il fallait, pour pouvoir y procéder, une particulière gravité pour l'ordre public, mais il me semble que les départs pour le djihad en Syrie et les attentats de Trèbes peuvent être considérés comme étant d'une particulière gravité pour l'ordre public.
Monsieur le ministre, dans le prolongement de la question soulevée par Mme Abadie, et puisque vous évoquiez d'autres pistes, pourriez-vous nous dire quels outils manqueraient au ministre de l'Intérieur pour aller plus loin dans la lutte contre la radicalisation et le terrorisme ?
Comme cela a été rappelé, les quatre mesures de l'état d'urgence transposées dans la loi SILT l'ont été pour une durée limitée, et si nous faisons ce jour le bilan d'application de la loi nous pouvons déjà nous projeter dans les modifications ou les pérennisations à venir. D'autres éléments pourraient également intervenir. Des propositions ont été formulées en ce sens par notre collègue Ciotti, notamment concernant la rétention de sûreté. Vous n'avez d'ailleurs pas totalement écarté cette réponse, en disant qu'elle était en cours d'examen.
Sans anticiper sur des débats à venir, pourriez-vous être un peu plus précis sur les autres pistes et sur les éléments dont nous pourrions reparler ultérieurement ?
Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur un élément complémentaire à la loi SILT. L'on s'aperçoit de plus en plus que des personnes ont été suivies sur un plan psychiatrique avant de passer à l'acte. Or nous rencontrons des difficultés dans certains territoires pour obtenir des informations de la part du corps médical. Nous l'avons vu récemment à Metz, où un jeune homme qui sortait d'un centre hospitalier spécialisé (CHS) a essayé d'attaquer des agents de police. Le corps médical a déclaré qu'il ne souhaitait pas communiquer d'informations aux services de sécurité, y compris sur la possibilité de suivre ce type d'individu à sa sortie de l'hôpital.
Serait-il possible de remédier à ce problème ?
Une demande a été déposée en ce sens auprès des Agences régionales de santé (ARS). Cela avance-t-il ? Et sera-t-il possible à l'avenir soit de contraindre cette communication d'informations par la loi soit de poursuivre la mise en oeuvre du décret Hopsyweb ?
Monsieur Mendes, je ne serai pas aussi brutal que vous concernant la communication des informations. Un bon niveau de communication s'observe à certains endroits. Nous avons travaillé sur la constitution du fichier Hopsyweb, qui permet de suivre et d'avoir des informations sur des personnes placées sous traitement dans un cadre psychiatrique et qui sortent de ce traitement. Mais cela n'est pas parfait.
Il s'agit là de l'un des axes de progrès, bien identifiés, sur lesquels nous devons travailler – avec toute la difficulté liée au secret médical. En effet, la police n'a pas vocation à savoir qu'une personne est suivie pour des raisons psychiatriques. Cependant, dans certains cas, nous avons pu constater que la frontière était ténue entre les actes relevant de la psychiatrie et les actes terroristes. Les deux derniers cas que nous avons connus début 2020 le montrent bien, d'autant que l'un des deux a été classé terroriste par le procureur de la République car des informations montraient l'existence d'un choix religieux sous-tendant l'acte posé.
Il s'agit donc de l'un des axes de progrès sur lesquels nous travaillons avec le ministère des Solidarités et de la Santé.
Monsieur Gosselin, comme je l'ai dit plus haut, les réflexions que nous avons ne sont pas validées au moment présent. Je ne peux donc pas les évoquer. Je voulais aussi m'enrichir de la discussion que nous avons ce jour. En revanche, il faudra que nous revenions très vite devant vous sous la forme que vous déterminerez.
Je me tiendrai évidemment à votre disposition dès que nous aurons formalisé les choses. Ce n'est pas le cas pour l'instant. Mais il ne faut jamais demander à un ministre de l'Intérieur quels seraient les outils dont il rêve…
Vous êtes les garants de ce qui finit par être possible !
Madame Ménard, en réalité il n'y a pas eu deux fermetures de lieux de culte pour 63 lieux contrôlés. Au total, deux lieux de culte ont été fermés dans le cadre de la loi SILT – un à Hautmont, l'autre à Grenoble. Et j'évoquais 63 lieux de culte suivis au titre du renseignement par le SCRT ou la DRPP dont 30 ont fait l'objet de mesures de fermeture. Les procédures sont par ailleurs en cours pour sept de ces 63 lieux.
Nous travaillons sur ces 63 lieux de culte, pour faire en sorte que toutes les mesures permises par le droit puissent être mises en oeuvre.
Cela rejoint la question de M. Stéphane Peu. Ces mesures ne sont pas en effet celles de la loi SILT.
Certains prêches assez facilement identifiés comme faisant l'apologie du terrorisme ne se produisent plus. Ceux qui avaient cette tentation savent en effet désormais que le renseignement n'est pas très loin. Une vigilance s'opère sur ces sujets. Il faut donc avoir en tête que le cadre de la loi SILT – notamment son article 2 permettant la fermeture des lieux de culte – est extrêmement contraint pour le ministre de l'Intérieur. Il faut trouver un équilibre entre l'idéal et le réel.
Je n'ai pas parlé des écoles hors contrat, non parce que je ne les considère pas comme un sujet important dans le cadre de la lutte contre la radicalisation – car c'en est un – mais parce qu'elles ne relèvent pas du bilan de la loi SILT.
Je signale à ce propos la proposition de loi dite « Gatel » qui a permis de mieux contrôler les autorisations d'ouverture des établissements privés hors contrat. Et nous pouvons nous demander s'il ne serait pas judicieux de mettre en place une procédure d'agrément ou de contrôle pour l'ouverture de lieux éducatifs ou religieux. De tels dispositifs n'existent pas aujourd'hui. Mais je rappelle que ce qui est autorisé par la loi est soumis à un contrôle.
Si je n'aborde pas le sujet des écoles hors contrat, ce n'est donc pas parce que cela ne représente pas un vrai problème. À mon sens, il existe un indicateur majeur sur la radicalisation de certains quartiers, celui de la déscolarisation. Ainsi, dans certains quartiers, qui ont bénéficié d'une rénovation urbaine extraordinaire et disposent d'un habitat de qualité, et d'initiatives municipales remarquables ayant fait revenir les services publics, le nombre d'enfants déscolarisés en très bas âge augmente fortement d'année en année. C'est une véritable anomalie.
Par ailleurs, les visites domiciliaires se font dans un cadre précis. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de suivi dans votre département ou dans l'Aude, ou que nos services n'y sont pas engagés. Mais le cadre légal impose l'utilisation des MICAS sur des individus particuliers dans des conditions particulières.
Et je peux vous dire que votre département – non en raison de sa réputation, mais parce que nous savons qu'il connaît des difficultés – fait l'objet d'une attention spécifique.
Les quinze quartiers que j'évoquais plus haut, et qui présentaient une dérive de radicalisation, ont d'ailleurs été choisis selon des critères empiriques. Il s'agissait des quartiers de France dont était parti le plus grand nombre de personnes sur les théâtres de guerre irako-syrien. Il s'agit d'un indicateur précis, portant sur une réalité donnée. La commune de Lunel ne présente plus en revanche la même réalité qu'il y a quelque temps.
M. Stéphane Peu a dit beaucoup de bien de la qualité des données du ministère de l'Intérieur et je tiens à l'en remercier.
S'agissant des modalités selon lesquelles vous allez désormais travailler je laisserai la présidente de la commission en parler avec vous.
Monsieur Peu, concernant la stratégie d'entrave mon sentiment est le même que le vôtre. Il ne s'agit pas de détourner la loi, mais d'utiliser tous les moyens légaux à notre disposition. Je voudrais vraiment insister sur ce point. Nous utilisons dans cette stratégie d'entrave les moyens de droit et rien que le droit. Mais ces moyens ne relèvent pas forcément de la lutte contre le terrorisme. Je peux prendre l'exemple du contrôle fiscal qui a abouti à l'arrestation d'Al Capone pour illustrer ce point. C'était une façon de lutter.
Lorsque j'ai inauguré l'Office anti-stupéfiants (OFAST) le 11 février, j'ai porté le même esprit. Je pense qu'il nous faut être plus performants sur les saisies immobilières, par exemple, dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue. En effet, ce marché représente en volume 80 % de la délinquance de notre pays, et seuls 10 % des saisies immobilières lui sont relatives. De manière générale, je préfère donc mobiliser tous les moyens disponibles.
J'insiste néanmoins sur le fait que tout s'effectue dans le cadre du droit commun. Et tous les outils du droit sont ouverts, y compris le droit au recours. Aucune difficulté ne s'est présentée jusqu'à présent de ce côté.
Monsieur Molac, vous avez abordé plusieurs sujets.
S'agissant des périmètres de protection, l'attentat du marché de Noël de Strasbourg n'est, hélas, pas le bon exemple. En effet, le terroriste habitait au sein même du périmètre. Et il a commis son acte en dehors des horaires dans lesquels le périmètre était en place.
Mais cela n'enlève rien à votre questionnement. Les périmètres de protection ne garantissent évidemment pas un risque zéro, mais ils améliorent la situation. Il suffit de voir comment le périmètre de protection du marché de Noël de Strasbourg a gagné en sécurité en 2019. De même, les habitants de Lille ont déploré un niveau de contrôle trop élevé durant la Braderie. Il y a donc un équilibre à trouver, auquel nous devons travailler.
Vous m'interrogez également sur les suites données à certaines de nos opérations, notamment les visites domiciliaires. Sur les 74 visites domiciliaires réalisées, 40 ont donné lieu à des saisies de données ou de documents spécifiques, 9 projets de visites ont été abandonnés au profit de perquisitions judiciaires, et 7 personnes ont fait l'objet de poursuites judiciaires pour des faits de terrorisme à la suite des visites.
Tous ces outils sont donc utiles. Certes, tous ne frappent pas juste. Mais si 10 % d'entre eux permettent d'engager des procédures pour des faits de terrorisme, nous pouvons dire déjà qu'un niveau d'objectif est atteint.
Les documents saisis sont en cours d'exploitation. Je ne vous parle pas de condamnations, car nous n'avons pas la distance judiciaire suffisante pour répondre à cette question.
S'agissant du rôle de contrôle du Parlement, la loi SILT constitue un sujet sensible en matière de libertés publiques. C'est pourquoi vous avez contraint le Gouvernement à l'exercice auquel je me plie ce jour devant vous. C'est pourquoi également les dispositions de cette loi ont été limitées dans le temps, et soumises à un niveau de contrôle élevé. Je pense qu'il s'agit d'un bon équilibre.
La difficulté est que nos services ont des niveaux d'information que vous ne pouvez pas avoir. Une confiance doit donc s'exercer sur ce point. Mais comme l'on dit souvent, la confiance n'exclut pas le contrôle. Dès lors qu'il est question de mesures potentiellement considérées comme attentatoires à la liberté, ce contrôle paraît essentiel.
Monsieur le député Larrivé, j'ai bien eu votre courrier dont le questionnement est légitime. Je vous répondrai par écrit en détail. Les contrôles réalisés au moment où un visa étudiant a été accordé à la personne dont vous avez parlé ne faisaient état d'aucune inscription dans nos fichiers. Ce n'est qu'après coup que nous avons reçu l'information, et qu'elle est entrée dans le fichier des personnes recherchées (FPR). L'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH) nous a ensuite saisis. Puis une interpellation a eu lieu. Cet individu est placé en détention provisoire depuis le 31 janvier 2020.
Toute la difficulté tient à une information internationale dont nous n'avons pas disposé. Nous n'avons pas pu refuser le visa à cette personne au moment du contrôle réalisé en amont, faute de cette information. Si nous bénéficions d'un bon niveau d'échange en la matière au niveau européen, il n'en va pas de même avec certains pays étrangers.
Sur la base des informations fournies à nos services, les contrôles mis en oeuvre n'ont donc pas permis d'aboutir au refus du visa étudiant de cet individu. En revanche, dès que nous avons été informés du risque qu'il présentait, il a fait l'objet d'une interpellation rapide.
Je vous donnerai davantage de détails par écrit en réponse à votre question. Mais cela montre toute la difficulté que nous rencontrons dès lors que des ressortissants étrangers viennent dans notre pays au moyen de visas ou de simplifications administratives ou pratiques. Nous pouvons nous interroger ainsi sur le développement du système de passage automatisé rapide aux frontières extérieures (PARAFE) dans les aéroports. Ce système vise à fluidifier le trafic des voyageurs. Je rappelle néanmoins que l'on compte un policier de la Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) pour quatre PARAFE, et que cet agent peut procéder à une évaluation de situation. Mais cette évaluation se limite à un examen documentaire. Sa qualité n'est donc pas comparable à celle d'un contrôle individuel réalisé par un policier plus aguerri.
Le système PARAFE est en train d'être élargi à plusieurs pays. La question se pose notamment pour les États-Unis et le Royaume-Uni. Or l'on sait que le risque de présence d'individus potentiellement terroristes est plus élevé dans certains pays que dans d'autres.
Ce questionnement est difficile, mais doit nous interroger de façon systématique.
Enfin, j'en viens aux questions de M. Didier Paris.
S'agissant des sortants de prison, j'ai évoqué plus haut l'amélioration du système de coordination avec les services pénitentiaires. Nous assistons à une vraie montée en puissance de ce système. Cependant, il n'est pas parfait. Il ne neutralise pas tout risque. Et il faudra encore le faire monter en puissance.
Des questions se posent par ailleurs sur la rétention de sûreté, et sur la différence entre l'assignation à résidence et les outils dont nous disposons aujourd'hui. Je suis ouvert au débat parlementaire sur ces sujets, ainsi qu'aux initiatives parlementaires que vous pourriez prendre ou que le Gouvernement pourrait vous présenter.
La rétention de sûreté existe pour certains types de crimes et doit accompagner la décision judiciaire au moment de la sanction. Mais elle n'existe pas pour des faits de terrorisme. En conséquence, faut-il élargir ce dispositif pour qu'un magistrat – et seulement un magistrat, je suis hostile à l'idée d'une rétention de sûreté administrative décidée par le seul préfet – puisse y avoir recours pour des faits de terrorisme ?
Se pose aussi la question des modalités d'application des évolutions législatives potentielles que vous pourriez décider pour des personnes actuellement en prison. Il s'agit d'un vrai débat juridique, auquel je nous invite à réfléchir, pour commencer, d'un point de vue théorique.
Monsieur Paris, vous m'avez interrogé enfin sur l'assouplissement des MICAS. Nous allons de la rétention de sûreté aux assignations à résidence en passant par des MICAS assouplies, et par les MICAS actuelles : le débat est ouvert. Dès lors que l'on considère qu'un risque sécuritaire se présente, il semble préférable que les personnes concernées soient assignées et contrôlées. Mais cette approche est un peu manichéenne. Se pose en effet la question de savoir ce qui déclenche l'assignation ou le contrôle, qui l'autorise, qui l'annule, etc. Il est indispensable de veiller en la matière au bon équilibre entre les libertés et l'exigence de sécurité.
Madame la présidente, je crois avoir répondu ou tenté de répondre à toutes les questions que vous m'avez posées. Si quelqu'un a le sentiment que je n'ai pas répondu à certaines questions, je l'invite à me faire passer un message auquel je répondrais par écrit.
Pour répondre à M. Stéphane Peu, notre contrôle – indépendant, puisque parlementaire – peut porter sur une infinité de sujets. Nous sommes très libres sur ce point. Nous avons procédé à des auditions, nous nous sommes déplacés. Nous avons ainsi auditionné un collectif d'associations dont faisait partie notamment Amnesty International. Il va de soi que nous rendrons compte de notre contrôle de façon globale à la commission des Lois.
Mais une fois que le Gouvernement aura déposé un projet de loi, un rapporteur sera désigné et procédera de nouveau à toute une série d'auditions, auxquelles vous pourrez assister. Vous pourrez également suggérer des auditions qui vous paraîtraient nécessaires. C'est toute l'utilité de ce travail parlementaire, que nous avons tous intérêt à faire vivre pleinement.
La réunion se termine à 19heures 30.
Informations relatives à la Commission
- La Commission a désigné :
- M. Sylvain Maillard rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à moderniser la régulation du marché de l'art (n° 2362) ;
- M. Ugo Bernalicis rapporteur sur la proposition de loi visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d'alerte (n° 2600) et la proposition de loi organique visant à la création de l'inspection générale de la protection des lanceuses et lanceurs d'alerte (n° 2591) ;
- M. François Ruffin rapporteur sur la proposition de loi visant l'interdiction des techniques d'immobilisation létales : le décubitus ventral et le pliage ventral (n° 2606).
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Émilie Guerel, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Guillaume Larrivé, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, M. Rémy Rebeyrotte, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - Mme Huguette Bello, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Philippe Dunoyer, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Aurélien Pradié, Mme Maina Sage, M. Hervé Saulignac
Assistaient également à la réunion. - M. Paul Molac, Mme Danièle Obono, M. Jean-Marc Zulesi