Intervention de Jean-Pierre Cravedi

Réunion du jeudi 4 juillet 2019 à 11h15
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Jean-Pierre Cravedi, chef du département adjoint Alimentation humaine à l'institut national de la recherche agronomique (INRA) :

Ce colloque organisé du 16 au 19 octobre 2018, aux Antilles, traitait trois aspects : le devenir et l'impact du chlordécone dans l'environnement ; ses effets sur la chaîne alimentaire, les filières et productions agricoles ; ses impacts en matière de santé et de population.

Concernant, tout d'abord, l'environnement, des observatoires mis en place sur des bassins versants en Martinique et en Guadeloupe ont nettement amélioré les connaissances scientifiques relatives au transfert du chlordécone d'un milieu vers un autre et au rôle majeur joué par les nappes phréatiques dans les flux du produit. On a longtemps pensé que le chlordécone se déplaçait essentiellement via le ruissellement, alors que le transfert est dû à l'infiltration, puis les collecteurs et les exutoires véhiculent l'essentiel des résidus de chlordécone. La mise en évidence de cette dynamique a permis de déterminer les temps de résilience dans les nappes phréatiques et de déterminer si les transferts s'opéraient avec la matière dissoute, c'est-à-dire avec l'eau, ou bien avec les particules. Nous avons constaté que ces transferts étaient principalement liés à l'eau et à la solubilité du chlordécone, ce qui n'était nécessairement pas attendu, car il n'est pas très hydrosoluble.

Concernant les milieux aquatiques, d'eau douce ou marins, d'importants moyens de surveillance ont été mis en place, à la fois en termes d'échantillonnage, c'est-à-dire de capacités de prélèvement automatique d'échantillons d'eau, et de pose d'indicateurs reposant sur des techniques de mesure de l'impact du chlordécone sur des biofiltres bactériens. Un certain nombre d'outils permettent d'améliorer la connaissance des transferts et des flux et d'entrevoir des pistes en matière de décontamination. Si on ne connaît pas la nature des flux, il est difficile de proposer des solutions de décontamination.

Nous avons caractérisé le transfert dans la chaîne trophique et défini comment le chlordécone s'accumule dans les différents maillons : phytoplancton, zooplancton, organismes supérieurs, jusqu'aux poissons du haut de la chaîne qui, comme le thon, sont susceptibles de consommer des animaux déjà contaminés, ce qui a des conséquences en matière de pêche.

Le point a été fait sur les systèmes de dépollution et de décontamination par des méthodes diverses, telles que celle avec les microorganismes, en particulier des microorganismes présents dans les sols aux Antilles pour ne pas importer de la matière biologique, ou la fixation du chlordécone dans le sol, afin qu'il ne soit pas disponible et entraîné par l'eau par percolation.

Nous avons examiné des résultats en matière de phytoremédiation, c'est-à-dire, en l'occurrence, la capacité de végétaux à extraire le chlordécone présent dans les sols.

Certaines solutions fonctionnent. La preuve est faite que ça marche en laboratoire, mais l'efficacité sur le terrain reste à prouver. Il ne faut pas imaginer qu'on puisse raisonnablement utiliser une, voire l'ensemble, de ces techniques pour dépolluer la totalité des sols antillais. En revanche, elles peuvent être appliquées sur des sols particulièrement contaminés à un endroit sensible. Nos connaissances ont beaucoup progressé.

Nous avons identifié un important besoin de connaissance en matière de sciences humaines et sociales. Jusqu'à présent, les sociologues étaient assez peu impliqués dans les programmes de recherche relatifs au chlordécone, alors que c'est indispensable pour agir efficacement, sur place, dans le sens de la conception et de l'innovation. Des travaux scientifiques sont nécessaires pour évaluer les coûts et l'acceptabilité des mesures prises.

Concernant la chaîne alimentaire, de nombreux travaux ont été engagés pour avoir une idée plus précise de ce qu'il est nécessaire de faire pour décontaminer les espèces d'élevage : bovins, petits ruminants laitiers, volailles. Nous avons maintenant toutes les données cinétiques d'élimination du chlordécone chez ces espèces, avec une connaissance importante, à savoir que l'essentiel de la contamination provient de la consommation directe du sol et non de la consommation de denrées végétales. En broutant, les bovins consomment une partie du sol contaminé. Les fourrages interviennent dans une bien moindre mesure que la consommation directe de sol. Nous sommes maintenant en capacité de connaître la demi-vie, c'est-à-dire le temps de séjour des résidus de chlordécone dans les tissus des animaux soumis à cette exposition.

Une cartographie de la contamination des sols a été établie, ainsi qu'une cartographie des niveaux de contamination en fonction des types de denrées, éléments résultant de programmes de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Les modes d'approvisionnement à l'origine de l'exposition des populations au chlordécone ont également été répertoriés, avec la répartition propre aux Antilles entre autoproduction, dons et ventes au bord de la route.

Quant à l'impact sur la santé, l'essentiel des travaux n'a pas été mené par l'INRA, dont la contribution a été mineure dans ce domaine. Nous avons toutefois participé à la caractérisation des flux de chlordécone chez les espèces de laboratoire pour les appréhender ultérieurement chez l'homme, et étudié quelques aspects de la transformation du chlordécone chez l'homme.

Telles sont, brièvement résumées, les conclusions de ce colloque. Le volet santé a été examiné sous l'angle des études d'épidémiologie et de toxicité chez les animaux de laboratoire, parce qu'on ne peut expérimenter les effets directement chez l'homme. L'épidémiologie faisant rarement apparaître une relation de cause à effet, l'expérimentation permet de déterminer à partir de quelle dose peut se produire un effet.

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