Parmi les questions que vous nous avez adressées, l'une concerne ce qui s'est fait sur ces molécules ailleurs où elles ont été utilisées. Des rapports de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques (OPESCT) ont montré qu'on avait une connaissance assez peu développée de ce qu'étaient devenues les 1 600 à 2 000 tonnes de chlordécone fabriqués. La même problématique doit bien exister à d'autres endroits de la planète, mais nous n'avons pas de données avérées de présence du contaminant ou d'impacts ailleurs.
Concernant la pollution chronique de l'environnement par des contaminants organiques comme le chlordécone ou des mollécules métalliques, on trouve malheureusement beaucoup de sites sur la planète, notamment en Europe continentale et dans l'Hexagone, touchés par des éléments très persistants, notamment métalliques ou semi-métalliques, tels que l'arsenic, le mercure ou autres. La contamination chronique d'espaces agricoles n'est pas cantonnée aux Antilles. Le cas du chlordécone est particulier, puisqu'il en a été fait un usage spécifique, mais des sites de contamination chronique qui présentent des impacts potentiels sur la santé humaine, il en existe un peu partout sur la planète, héritages du développement de la culture industrielle et de l'industrie tout court.
Malheureusement, cette problématique ne se résout pas facilement, car on a bien souvent affaire à des contaminants à très longue durée de vie. Pour le chlordécone, on voit ce qu'il en est, mais la contamination par des éléments-traces métalliques est pérenne, à moins de faire de la phytoremédiation ou d'appliquer des méthodes d'extraction extrêmement compliquées.
Face à cette problématique de contamination persistante, il est possible d'activer plusieurs stratégies en même temps.
La première vise à stabiliser la pollution et à éviter qu'elle se répande à distance, par la mise en place de systèmes de contention. Pour évaluer les risques, il convient de considérer le danger que présente la substance en question, donc ses propriétés intrinsèques de toxicité, et l'exposition des enjeux : une plante que l'on cultive, des animaux que l'on élève ou des populations exposées à une contamination. La difficulté de la gestion du risque est d'éviter la dispersion de la contamination et de limiter au maximum l'exposition des enjeux à risque : populations à risque, espèces élevées, espèces cultivées.
J'en reviens aux espèces que l'on peut ou non cultiver sur ces sites très contaminés. Les travaux évoqués par Monsieur Jean-Pierre Cravedi et d'autres réalisés notamment par l'INRA et par le CIRAD, ont montré que le risque de contamination ou de transfert du chlordécone vers le végétal était très différent selon le type de plante. Des légumes-racines ou des tubercules au contact direct du sol contaminé présentent un risque fort de contamination des productions récoltées. Ce sont donc des productions à éviter dans des zones fortement contaminées. Des plantes moyennement sensibles, comme toutes les cucurbitacées, les melons, par exemple, ou les laitues seront un peu moins contaminées lorsqu'elles seront cultivées sur des sols moyennement contaminés. Enfin, il y a des plantes, au premier chef, la banane, pour lesquelles la recherche n'a pas mis en évidence de transfert vers les parties consommées. Il n'y a pas de chlordécone dans les bananes qui poussent dans les bananeraies qui ont été traitées. On peut penser aussi aux ananas et à l'ensemble des fruitiers, aux christophines et à d'autres productions, puisqu'on n'a jamais démontré de transfert du chlordécone dans les fruits.
Si on doit cultiver à certains endroits moyennement contaminés, il est possible de faire évoluer des pratiques en prévoyant des productions végétales non traditionnelles du lieu ou différentes de celles que souhaitait faire le propriétaire du terrain. Il s'agit d'une substitution d'espèces sensibles à la contamination, au sens de capteur de contamination, par des espèces qui y sont moins sensibles.
Peut-on sélectionner telle ou telle variété moins sujette à l'accumulation de chlordécone ? À ma connaissance, cette piste n'est pas fortement explorée, on suit plutôt celle de la substitution. Puisqu'on ne peut pas continuer à cultiver des légumes-racines, on va passer à d'autres types de production. À mon sens, il serait risqué de prévoir de substituer telle variété par telle autre dont on pense qu'elle accumule moins la substance, alors qu'il existe des solutions de substitution d'une plante par une autre.