Intervention de Nathalie Dörfliger

Réunion du jeudi 4 juillet 2019 à 14h10
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Nathalie Dörfliger, directrice du programme scientifique concernant les eaux souterraines au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) :

Nous avons préparé un petit dossier que nous allons vous remettre.

Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), qui est placé sous la tutelle des ministères de la recherche, de l'environnement et de l'industrie, et qui compte plus de 1 000 salariés travaillant sur la compréhension des phénomènes géologiques et des risques qui y associés, dans le sol et le sous-sol. Notre activité est organisée autour de plusieurs missions et enjeux, dont la gestion des eaux souterraines, les risques et l'aménagement du territoire, qui ont un lien avec l'objet de votre commission d'enquête. La structuration du BRGM correspond à six enjeux qui sont couverts par des programmes scientifiques, dont celui sur les eaux souterraines dont j'ai la responsabilité au sein de la direction générale.

Les activités menées à l'heure actuelle par le BRGM au sujet du chlordécone concernent l'appui aux politiques publiques, l'expertise et la recherche, en particulier sur le transfert de la pollution des sols, à l'échelle des bassins versants, vers les eaux souterraines et les eaux de surface. Nous réalisons des travaux à la fois en matière de cartographie de la contamination des sols et de remédiation des sols à la suite d'une contamination au chlordécone.

Nous avons examiné la question du transfert du chlordécone dans l'environnement en partenariat avec d'autres organismes, en particulier le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD), mais aussi avec l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, et désormais avec l'Agence française pour la biodiversité (AFB). L'objectif était de comprendre, dans le cadre d'observatoires, quel était le processus de transfert de ce contaminant et de ses produits dérivés du sol jusque dans l'eau.

Cela nous a amenées à sélectionner deux sites, l'un en Guadeloupe et l'autre en Martinique, qui sont représentatifs du contexte des îles – à savoir des formations volcaniques. Il s'agit du bassin versant Pérou-Pères, en Guadeloupe, et de celui du Galion, en Martinique, qui s'étendent respectivement sur 15 et 40 kilomètres carrés, et vont de 0 à 1 400 mètres NGF (nivellement général de la France) dans le premier cas, et de 0 à 700 mètres NGF dans le second cas. Les sols y sont différents. Leur rôle et celui des formations géologiques sont importants en matière de transfert. Les andosols sont, en particulier, le résultat d'altérations des formations andésitiques, volcaniques, qui sont plus ou moins anciennes – les altérations sont donc plus ou moins importantes. C'est là où il existe beaucoup de sols de ce type qu'il y a le plus fort taux d'absorption, avec les risques les plus élevés, car l'eau qui s'infiltre dans ces sols va transporter des éléments dans le sous-sol, puis dans les eaux de surface.

Nous continuons à travailler sur ce sujet dans le cadre de l'Observatoire des pollutions agricoles aux Antilles (OPALE). Il y a un suivi des eaux météoriques, de surface et souterraines, mais aussi au niveau des sols, avec différents partenaires. On a étudié les temps de résidence du chlordécone dans le sol et dans le sous-sol afin de travailler sur les transferts. On a vu qu'il peut y avoir des contaminations plus importantes dans les eaux souterraines que dans celles de surface, ce qui peut avoir des conséquences sur le cycle de l'eau et sur ce que l'on retrouve en aval. Il y a des échanges entre les eaux de surface et les eaux souterraines, ces dernières alimentant les cours d'eaux, notamment en période d'étiage – quand il n'y a plus du tout de ruissellement lié aux précipitations, pendant des périodes allant de 20 à 80 jours selon les bassins versants, ce qui peut représenter entre 50 et 90 % du total des cours d'eaux. Cela explique que l'on puisse trouver dans certains endroits, situés en aval des bassins versants, de l'eau qui a transité par le sous-sol et qui a transporté du chlordécone ou des produits dérivés, comme le chlordécone 5b-hydro.

Les temps de transfert et de résidence peuvent aller de quelques années à plusieurs décennies. Il peut exister un stock de chlordécone important de pollution dans le sol. On a effectué des mesures sur les 30 premiers centimètres, mais il peut y avoir des paléosols et un transfert dans les eaux souterraines. On observe une contamination des sols en surface et en profondeur, avec un transport par les eaux d'infiltration et une concentration plus élevée dans les eaux souterraines. Il y a évidemment des variations en fonction des cycles hydrologiques.

Une première cartographie des sols a été réalisée par le BRGM en 2004 sur les risques sanitaires liés aux pesticides organochlorés dans les sols en Martinique, puis nous avons réalisé d'autres exercices en Martinique et en Guadeloupe, y compris dans des zones périurbaines, dans le cadre de plans d'action interministériels ou d'autres programmes portant sur le chlordécone. On a constitué des bases de données acquises par différents acteurs – les agences régionales de santé (ARS), les préfectures, les chambres d'agriculture et des personnes ou des bureaux d'études mandatés dans le cadre d'appels à projets. Le BRGM a également réalisé des prélèvements, selon un protocole élaboré avec le CIRAD et appliqué par tous les acteurs. Il y a eu ensuite des restitutions à l'échelle parcellaire ou régionale dans les deux territoires concernés. Des mises à jour régulières des cartographies ont lieu – il y en a une qui est en cours en 2019. Les derniers rapports datent d'octobre 2018, avec des mises à jour de données de 2017 et 2018. Des mises en ligne sont effectuées sur les différents sites, pour la Martinique comme pour la Guadeloupe.

Les pages 16 et 17 du document que nous avons préparé synthétisent les analyses menées sur un certain nombre d'échantillons dans des surfaces ayant un historique bananier mais aussi dans des zones périurbaines, en Guadeloupe et en Martinique, selon que le seuil de détection est franchi ou non.

En Guadeloupe, sur les 792 échantillons prélevés dans des zones périurbaines stratégiques, notamment compte tenu des plans locaux d'urbanisme (PLU), 172 avaient une teneur en chlordécone supérieure au seuil de détection, à savoir 0,0005 mgkg. À l'échelle de l'ensemble du territoire, environ 54 % des plus de 5 000 analyses réalisées au 1er juin 2018 avaient un résultat positif, majoritairement dans le cas de prélèvements issus de zones agricoles impactées. Ces analyses couvrent environ 2 % du territoire. On voit que certaines communes ayant un historique bananier peu marqué ou nul subissent aussi une contamination significative au chlordécone.

Il y a davantage de données en ce qui concerne la Martinique : un peu plus de 12 000 analyses y ont été réalisées, dont environ 9 % ont montré une forte contamination, supérieure à 1 mgkg. Par ailleurs, environ 1,3 % des 774 analyses réalisées dans des zones périurbaines ont permis de détecter une forte contamination.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.