J'y reviendrai parce que ce travail est extrêmement difficile à faire. Avec son calcul, il estime que 30 ou 40 cas sur les 550 – et non pas sur les 173 – pourraient être liés à une surexposition à la chlordécone.
À partir de la même étude, il a publié un autre papier portant sur l'évaluation du risque de récidive après prostatectomie totale. Sans entrer trop finement dans le détail de ce papier publié très récemment dans The International Journal of Cancer, on peut en retenir la donnée suivante : le taux de récidive chimique, mesuré par l'élévation du PSA, est de 28,5 % dans sa population alors que l'on s'attend à un taux de 20 % à 40 % dans la littérature mondiale.
Après trois lectures de cet article, je n'ai pas réussi à savoir s'il avait ou non exclu les malades qui n'avaient pas pu bénéficier d'une chirurgie complète. Or si l'on vous laisse du tissu tumoral, la réapparition du PSA est obligatoire. Le PSA est un mauvais critère de dépistage en population générale. En revanche, c'est un bon critère de suivi d'une maladie déjà connue.
Autre élément : il a enlevé entre 18 % et 20 % des malades qu'il avait criblés. Il l'a sûrement fait pour d'excellentes raisons mais j'aurais bien aimé savoir comment se comportent les 20 % de malades qu'il n'a pas pu analyser, par rapport aux facteurs de risque.
Enfin, le chlordécone persiste dans le corps pendant six mois. Or Luc Multigner n'a effectué qu'un seul dosage du chlordécone, avant le geste chirurgical. Comment peut-on dire que cet unique dosage reflète l'exposition du malade durant sa vie entière ou même pendant sept ou huit ans ? Je ne sais pas.
Luc Multigner a effectué un excellent travail pour chercher à creuser des pistes. Résout-il tous les problèmes ? Non. Est-ce de sa faute ? Non. Je le répète, il a deux populations qui ne sont pas strictement comparables. Il a fait extrêmement bien, le mieux possible, ce qu'il pouvait faire avec les outils dont il disposait.
Vous nous avez demandé ce que nous faisions. Nous avons réuni, à la demande de la DGS et en accord avec elle, un collège d'experts international du plus haut niveau pour essayer de définir les essais et les travaux qui permettraient de répondre à cette question existentielle qui est la même depuis dix ans : quel est le risque attribuable ? Je suis aussi impatient que vous d'avoir la réponse à cette question, croyez-le. Nous savons, par exemple, que 8 000 des 52 000 de cancers du sein détectés en France sont liés à l'alcool.
Avons-nous les moyens de repérer le lien potentiel entre le cancer de la prostate d'un individu et le chlordécone ? Actuellement, nous n'avons pas trouvé. D'ailleurs, dans l'étude Karuprostate, les taux de chlordécone ne sont pas très différents entre le groupe des malades et celui des témoins. Cela étant, je vous rappelle que ces taux n'ont été mesurés qu'une seule fois et qu'ils ont été considérés comme représentatifs de l'exposition durant la vie entière – je vous incite à revoir l'article. Ces taux ne sont pas très différents parce que, malheureusement, tout le monde – près de 95 % de la population – est exposé. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'études de cohorte sur ce sujet.
Je ne sais pas si je vous ai répondu, monsieur le président.