Lundi 8 juillet 2019
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission d'enquête
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La commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l'audition de M. Norbert Ifrah, président de l'Institut national du cancer (INCa) et de M. Thierry Breton, directeur général.
Mes chers collègues, notre commission d'enquête auditionne aujourd'hui M. Norbert Ifrah, président de l'Institut national du cancer (INCa) et M. Thierry Breton, directeur général.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je vous rappelle que ces auditions sont publiques, qu'elles sont retransmises en direct sur une antenne de l'Assemblée nationale et consultables sur le site internet de celle-ci. Sachez donc que tout ce qui est dit ici peut être entendu à l'extérieur, par le monde entier.
Avant de vous donner la parole pour une intervention de cinq à dix minutes, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
MM. Norbert Ifrah et Thierry Breton prêtent successivement serment.
Si vous en êtes d'accord, monsieur le président, je propose que M. Thierry Breton commence par présenter l'Institut national du cancer (INCa). Je ferai ensuite un court exposé, qui portera notamment sur le cancer de la prostate.
L'Institut national du cancer, qui a été créé en 2005, est une agence sanitaire rattachée au ministère des solidarités et de la santé et au ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. C'est un groupement d'intérêt public, dont le conseil d'administration regroupe la Ligue nationale contre le cancer, la Fondation ARC, les principaux organismes de recherche, les fédérations hospitalières et les caisses de sécurité sociale. Nos missions sont définies par la loi et elles sont très larges : elles recouvrent l'expertise, les recommandations en direction des professionnels de santé, les actions de communication, ainsi que le financement et la structuration de la recherche. Notre responsabilité, depuis la création de l'agence en 2005, est de coordonner l'ensemble des actions de lutte contre le cancer et d'être les experts en matière de cancérologie dans toutes les dimensions. Nous menons aussi un travail important d'accompagnement social et économique des patients qui sont malheureusement touchés par la maladie.
Cette mission, nous l'exerçons avec une équipe composée d'environ 150 personnes, ce qui fait de l'INCa une agence de taille modeste. Son budget est de l'ordre de 90 millions d'euros par an, qui proviennent pour l'essentiel de subventions du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et du ministère des solidarités et de la santé. Nous travaillons étroitement avec nos partenaires pour soutenir des projets conjoints. Notre métier, c'est l'expertise, la science, la recherche, la prévention et tout type d'action qui permet de dépister la maladie ou d'éviter d'y être atteint.
Pour nous, le paraquat n'apparaît pas comme étant cancérogène, ni chez le rat, ni chez la souris. Il n'y a pas de données chez l'homme : c'est un produit qui est plutôt connu pour sa toxicité aiguë, notamment respiratoire, mais pas seulement. D'après la fiche toxicologique réalisée par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), il ne s'agit pas d'une substance cancérogène. Je propose donc de concentrer mon propos sur le chlordécone.
Il s'agit, vous le savez, d'un insecticide organochloré, perturbateur endocrinien, qui a été classé comme possiblement cancérogène pour l'homme – ce qui correspond au groupe 2B – par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Il a été largement utilisé dans les Antilles françaises entre 1973 et 1993 pour combattre le charançon du bananier. Sa demi-vie chimique est très longue – des dizaines, voire des centaines d'années – et, après ingestion, sa rémanence dans le corps humain est détectable environ six mois. Il est responsable, chez le rat et chez la souris de laboratoire, de tumeurs hépatiques, mais il faut rappeler que le métabolisme du produit n'est pas le même chez ces animaux et chez l'homme : il n'est pas éliminé après hydroxylation en chlordécol. Le rat et la souris ne sont donc pas d'excellents modèles animaux pour le chlordécone.
Permettez-moi de rappeler les principes de classification du CIRC. Il classe en 1 les cancérogènes avérés : il s'agit du tabac, de l'alcool, de l'amiante, du benzène, mais aussi de la viande transformée. Il classe en 2A les cancérogènes probables, parmi lesquels on trouve à la fois la viande rouge et le glyphosate. Il classe en 2B les cancérogènes possibles est c'est là qu'il situe la chlordécone. La catégorie 3 regroupe les produits inclassables pour la cancérogénèse et la catégorie 4, les produits probablement non cancérogènes, au vu des informations bibliographiques disponibles. Cependant, la notice sur le chlordécone date de 1979 et l'INCa a demandé son actualisation. Pour rappel, le chlordécone a été progressivement interdit aux États-Unis en 1977 et 1978 et il l'a été en France en 1990. Son utilisation aux Antilles entre 1990 et 1993 a correspondu à une tolérance spécifique.
J'en viens au risque de cancer de la prostate en général, et au dosage de l'antigène spécifique prostatique (PSA). Le cancer de la prostate est le plus fréquent chez l'homme. Son incidence croît clairement avec l'âge et 85 % des diagnostics sont portés après 65 ans. Des données d'autopsie ont d'ailleurs montré que près de 70 % des hommes, après 80 ans, en sont porteurs. Mais il existe, au-delà de l'âge, d'autres facteurs de surrisque parfaitement établis, sur lesquels il n'y a pas de débat et au premier rang desquels on place les antécédents familiaux. Le deuxième, c'est l'origine ethnique. On sait que les gens issus de l'Afrique, notamment de l'Afrique subsaharienne, ont un risque beaucoup plus élevé que les Caucasiens, lesquels ont un risque plus élevé que les gens issus des pays asiatiques. D'ailleurs, au sein même des Caucasiens, il y a un gradient très bien défini, qui montre que le risque est infiniment plus bas dans les pays de la Méditerranée que dans les pays du Nord de l'Europe.
Outre les antécédents familiaux et l'origine ethnique, il faut encore mentionner les gènes de susceptibilité, qui sont parfaitement établis : le gène BRCA2, qui est impliqué dans le surrisque de cancer du sein et de cancer de l'ovaire, est aussi impliqué dans le cancer de la prostate. Il existe également un gène de susceptibilité sur le bras long en position 24 du chromosome 1. Parmi les autres facteurs de risque, mentionnons encore les habitudes hygiéno-diététiques, notamment les excès de graisse, et le niveau socio-économique.
Je l'ai dit, les populations d'ascendance africaine subsaharienne ont davantage à risque de développer un cancer de la prostate. Des antécédents familiaux au premier degré de cancer de la prostate ont été rapportés chez 24 % des cas aux Antilles. Par ailleurs, un lien avec certains variants a été démontré sur les bras longs en position 24 du chromosome 8 chez les malades dans les populations d'ascendance africaine vivant aux Antilles et à la Barbade. Toutes ces données sont tirées de publications scientifiques référencées.
On a suspecté, par analogie avec les Afro-américains, où ce fait est avéré, que le cancer de la prostate chez les Antillais était plus agressif que chez les Caucasiens. À ce jour, cela n'a pas fait l'objet d'une étude comparative ou homogène. La seule étude qui, à ma connaissance, a analysé l'agressivité du cancer de la prostate au moment du diagnostic, a montré que 16,8 % des nouveaux cas en France hexagonale et 13,6 % en Guadeloupe étaient diagnostiqués avec une tumeur initiale très agressive, selon les critères anatomopathologiques, c'est-à-dire un score de Gleason supérieur ou égal à 8. D'ailleurs, le dépistage très large par le PSA a conduit partout, à partir des années 1980 et jusqu'en 2005 environ, à une croissance majeure de son incidence par surdiagnostic, c'est-à-dire diagnostic de maladie non ou peu invasive. Parfois – on a pu le lire ici ou là – des projections théoriques d'accroissement important n'ont pas été confirmées. Au contraire, il y a eu une réduction régulière de l'incidence, de l'ordre de 1,5 % par an, notamment – mais pas seulement – à cause de la diminution de la prescription systématique du dosage du PSA, après les avis de la Haute Autorité de santé.
J'en viens à la performance du dosage du PSA. Les chiffres varient dans la littérature, mais ils sont très homogènes et permettent de conclure à l'insuffisance de performance en dépistage systématique. Pour faire simple – et je me fonde sur les publications de Santé publique France, de l'ANSES et de la Haute Autorité de santé –, la sensibilité du dosage du PSA sérique total pour le diagnostic précoce du cancer de la prostate, est de l'ordre de 75 %. Ce taux varie si l'on s'intéresse aux cancers les plus agressifs. En population générale et en dépistage individuel, la valeur prédictive positive d'un PSA supérieur à 4 nanogrammes par millilitre est de l'ordre de 30 %, ce qui signifie qu'elle est moins performante qu'une pièce de monnaie. Parmi les personnes qui ont un PSA total supérieur à 4 nanogrammes par millilitre, 3 sur 10 ont un cancer de la prostate et 7 n'en ont pas.
Il n'y a pas et il n'y a jamais eu de démonstration robuste du bénéfice d'un dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA, ni en population générale, ni chez les populations dites à haut risque. La Haute Autorité de santé l'a écrit en 2010 et l'a confirmé en 2012. Ce dépistage n'est donc pas recommandé de façon systématique. Les données de l'assurance maladie montrent que, malgré ces recommandations, il y a toujours eu plus de dosage du PSA aux Antilles qu'en Hexagone – on comprend bien pourquoi – et que dans les autres départements d'outre-mer, quel que soit l'âge. De même, il y a toujours eu davantage de biopsies dans les Antilles, en particulier en Martinique.
Je souhaite, à présent, dire un mot de la création du registre des cancers de la Guadeloupe et du financement de ce registre. La création de ce registre est l'une des mesures décidées dans le cadre du premier plan chlordécone. Créé en 2008, ce registre a fait l'objet d'une demande d'évaluation par le Comité national des registres dès 2011. Ce délai est un peu court, car on considère généralement qu'il faut attendre cinq ans après la création d'un registre pour obtenir des données d'incidence fiables.
Jusqu'à la création de ce registre, les données étaient extrapolées à partir du registre de la Martinique qui, lui, a été créé en 1983. Il était cohérent, avant le lancement du plan chlordécone I, de considérer qu'un unique registre aux Antilles donnait une couverture suffisante du territoire national. En effet, d'après la politique générale des registres, lorsqu'on a couvert environ 20 % du territoire et que l'on a vérifié, notamment par des liens avec les données de l'assurance maladie, que ce qu'on a couvert est représentatif de la population, on dispose de données suffisamment fiables. Néanmoins, le plan chlordécone I a entraîné la création d'un nouveau registre.
La Direction générale de la santé (DGS) a saisi l'Institut national du cancer le 12 novembre 2010 pour pérenniser les registres des cancers de Martinique et de Guadeloupe, afin de renforcer ces actions. L'Institut a évidemment répondu favorablement à cette saisine et a accompagné les deux registres dans leur qualification par le Comité national des registres. L'Institut finance les deux registres à hauteur de 78 %, les 22 % restants étant apportés par Santé publique France. Cela représente un effort d'environ 300 000 euros par an.
Pour finir, je dirai un mot sur l'incidence des cancers en général, et du cancer de la prostate en particulier, en Guadeloupe et en Martinique. Sur la période 2007-2014, avec toutes les nuances que j'ai apportées au sujet du dépistage, l'incidence des cancers de la prostate était de 173 pour 100 000 personnes-années en Guadeloupe et de 164 pour 100 000 personnes par an en Martinique. Sur la même période, le taux en France hexagonale était un peu inférieur à 89 pour 100 000 personnes par an. Ce taux varie beaucoup d'un département à l'autre : vous ne serez pas étonné, puisque je vous ai parlé d'un gradient Nord-Sud, si je vous dis qu'il est de 132 dans le Doubs et de 63 dans l'Aude. Ce serait donc une erreur de considérer le territoire de la métropole comme une donnée unique et stable.
L'incidence est plus forte en Guadeloupe et en Martinique qu'en France hexagonale, mais elle n'est pas différente de celle qui est observée dans les populations issues d'Afrique de l'Ouest dites afro-américaines aux États-Unis, afro-caribéennes et africaines résidant aux États-Unis. Les données sont très claires et proviennent de GLOBOCAN, l'outil développé par le CIRC. D'après ces comparaisons, les zones du monde où l'incidence est la plus forte sont le Michigan, la Géorgie, l'État de New York et le Delaware. Ensuite seulement vient la Martinique, avec un taux toujours très élevé. Ces données n'intègrent pas la Guadeloupe, mais on peut considérer qu'à très peu de choses près, la Guadeloupe et la Martinique se comportent de la même manière. Les chiffres baissent à mesure que l'on se dirige vers l'Ouest des États-Unis, mais ils restent très élevés, puisque l'incidence est de 143 à San Francisco.
Voilà ce que je voulais vous exposer dans mon propos liminaire. Nous sommes, l'un et l'autre, à votre disposition pour répondre à vos questions.
Je vous remercie, messieurs, d'avoir répondu à notre convocation et de venir vous exprimer sur un sujet d'importance.
Pouvez-vous nous dire quels sont les travaux que l'INCa a menés et qu'il mène aujourd'hui sur les pathologies pouvant avoir un lien avec l'exposition aux produits phytopharmaceutiques et, plus précisément, sur les pathologies liées à l'exposition à la chlordécone ? Pouvez-vous nous dire, également, si ce sujet fait partie de vos priorités ?
Madame la rapporteure, je crois utile de vous exposer la manière dont nous procédons habituellement, car c'est un point extrêmement important. Nous soutenons des projets de recherche qui sont sélectionnés par un comité d'évaluation composé des meilleurs experts nationaux, voire internationaux, selon les sujets. Cela garantit la qualité des projets que nous finançons.
Entre 2007 et 2018, quatre projets relatifs au chlordécone ont été présentés par des équipes de recherche, dont trois portaient sur le cancer de la prostate parmi la population des Antilles. Malheureusement, ces projets n'ont pas été retenus par les comités de sélection et ils n'ont donc pas fait l'objet d'un financement. Le projet Madiprostate, sur lequel je pense que nous reviendrons, a fait l'objet d'un financement spécifique.
Nous finançons également depuis 2017, hors appel à projets et avec un effort de structuration, une base clinico-biologique actualisée sur la progression métastatique des cancers de la prostate en fonction des facteurs ethno-géographiques, qui doit nous permettre d'examiner la part des risques environnementaux et génétiques, l'influence du métabolisme et les comorbidités associées au vieillissement de la population.
Nous travaillons aussi avec nos homologues des autres agences, notamment avec Santé publique France, qui a constitué une cohorte rétrospective sur les exploitants et les salariés agricoles et leur exposition entre 1973 et 1993. Nous travaillons avec Santé publique France et l'ANSES sur la valeur du dosage du PSA dans le contexte clinique. Comme le professeur Ifrah l'a déjà indiqué, l'Institut finance aussi, depuis sa création en 2005, le registre de la Martinique, créé en 1983, et celui de la Guadeloupe, à hauteur de 300 000 euros.
Nous avons de multiples appels à projets qui concernent la biologie, la recherche clinique, la recherche interventionnelle, les sciences humaines et sociales et nous avons de quoi financer tous les types de recherche. Nous fonctionnons habituellement sur une logique d'appel à projets libres : cela signifie que les équipes de recherche sont libres de nous proposer leurs thèmes de recherche. Or la question du chlordécone n'a pas fait l'objet de propositions nombreuses : quatre seulement entre 2007 et 2018. Ce fonctionnement par appels à projets libres nous permet de laisser place aux questions que se posent les chercheurs, dès lors qu'ils les ont identifiées : nous laissons ainsi l'initiative entière aux scientifiques. C'est eux qui déterminent les questions qui doivent faire l'objet de travaux de recherche.
Nous finançons aussi de manière plus spécifique, lorsque le cas présente une difficulté particulière, des recherches hors appel à projets, sur les priorités qui sont les nôtres et que partagent nos autorités de tutelle. Ce fut le cas de Madiprostate.
Vous avez indiqué que, dans les appels à projets libres, vous laissez le choix des thèmes de recherche aux chercheurs. Pouvez-vous nous dire quelle est la proportion des appels à projets libres et des appels à projets que je qualifierai de dirigés ? Vous dites que vous avez des priorités : vous pouvez donc engager vous-mêmes des recherches, et vous ne semblez pas avoir de difficultés de financement.
Nous avons parfois des critères de sélection un peu restrictifs, mais nous pouvons financer tous les projets que le comité d'évaluation considère comme étant de qualité. Je n'ai pas en tête le pourcentage des appels à projets libres, mais ils constituent la très grande majorité des projets que nous finançons. Nous participons aussi à la structuration de la recherche, mais c'est une autre question, et nous soutenons des projets spécifiques dans un cadre très dérogatoire, qui fait l'objet d'une évaluation un peu moins exigeante – ça a été le cas de Madiprostate – pour répondre à des questions qui se posent, mais sur lesquelles nous ne recevons pas de propositions dans le cadre des appels à projets libres.
Le problème que nous avons avec la chlordécone, c'est qu'il faut identifier rapidement le mal, pour répondre dans des délais raisonnables à l'opinion publique et orienter les politiques. Cette affaire dure depuis des années. Or on a le sentiment que les études scientifiques ne sont pas réalisées dans des délais compatibles avec une prise de décision efficace. Le temps est trop long entre l'apparition du mal et ses conséquences, à savoir l'éventualité d'un cancer ou d'une autre pathologie. C'est pourquoi je souhaite connaître le nombre de projets « dirigés » que vous avez lancés en plus de Madiprostate qui, d'ailleurs, n'a pas abouti.
Lorsque nous lançons un appel à projets libres, nous signifions que nous avons un intérêt particulier pour certains sujets. Par exemple, lors de l'appel à projets en sciences humaines et sociales de 2017, nous avons précisé que nous avions un intérêt particulier pour la question de la chlordécone aux Antilles. Mais je répète qu'il ne s'agit pas de sujets imposés : nous signalons seulement que les projets de recherche portant sur ces questions seront examinés avec beaucoup d'intérêt.
Notre procédure est celle d'appels à projets libres et compétitifs, avec un jury international indépendant. Il arrive, lorsque la situation est très particulière, que nous organisions ce que nous appelons une mission. Il s'agit d'une procédure d'exception, à laquelle nous recourrons le moins souvent possible. La plus caricaturale est celle des registres qu'on appelle hors appels à projets, mais qui relèvent bien d'une mission. À titre exceptionnel, et sur décision du directoire de l'INCa, des décisions comme le lancement de Madiprostate ont pu être prises. Je répète que l'INCa ne travaille qu'avec des appels à projets compétitifs à jury international et, autant que possible, libres. En tout cas, c'est ainsi que les choses se sont passées jusqu'à présent. Peut-être cela changera-t-il avec les priorités que nous sommes en train de lancer pour l'après plan cancer III, dont nous discutons actuellement et sur lesquelles les ministres nous ont donné des recommandations. Mais, jusqu'à présent, tel a été le mode de fonctionnement demandé à l'Institut.
Vous nous dites que la majorité des projets que vous financez sont issus d'appels à projets libres et que vous lancez peu de projets dirigés. C'est très important pour nous de le savoir. Vous dites aussi que la question du lien entre le chlordécone et le cancer de la prostate est une question qui vous intéresse. Mais il y a d'autres sujets importants liés à la chlordécone, comme les grossesses difficiles ou les accouchements prématurés. Or vous décidez très rarement de lancer des études ciblées sur de tels sujets.
Vous avez dit que vos appels à projets sont libres et évalués par un jury international. Cela signifie que vous ne ciblez pas spécifiquement les études relatives aux produits phytopharmaceutiques et, en l'occurrence, au chlordécone ?
Je répète que, lorsque nous lançons un appel à projet, nous indiquons que l'Institut portera un intérêt tout particulier à certains sujets qui importent au ministère des solidarités et de la santé et à Santé publique France, par exemple la cancérologie pédiatrique ou, comme nous l'avons fait en 2017 lors de l'appel à projets en sciences humaines et sociales, la chlordécone. Nos appels à projets sont libres par essence.
J'aimerais revenir sur les études Karuprostate et Madiprostate. Que pensez-vous de l'étude Karuprostate et de ses résultats ? Fallait-il la dupliquer à la Martinique, et avec quel objectif ? Selon les informations recueillies par la commission d'enquête, l'INCa aurait financé l'étude préalable de Madiprostate en 2012, mais cette étude aurait été retardée en 2014. Le passage à la phase de déploiement aurait ensuite été rejeté par la présidente de l'INCa de l'époque, sans évaluation préalable par des experts. Cette évaluation aurait finalement eu lieu à la demande de la DGS, mais seule une synthèse en aurait été communiquée. Qu'avez-vous à répondre sur les raisons qui ont conduit à l'abandon de Madiprostate ?
On ne peut pas parler de Madiprostate sans parler d'abord de Karuprostate. Les deux sujets sont très liés et ont été travaillés de façon extrêmement coordonnée avec la DGS et les autres agences.
Une étude de type cas-témoins, Karuprostate, menée en Guadeloupe de 2004 à 2007, a suggéré que l'incidence du cancer de la prostate était plus élevée chez les hommes dont la concentration en chlordécone dans le sang est la plus forte, supérieure à 1 microgramme par litre, par rapport à ceux pour qui cette concentration est faible. Comme vous le savez, le cancer est une maladie d'une extrême complexité, plurifactorielle, et qui s'annonce sur la durée. En épidémiologie, une seule étude, même d'excellente qualité, ne constitue pas une preuve suffisante. Il faut un faisceau d'arguments d'études pluridisciplinaires concordantes pour lever les doutes. Il se trouve que cette étude, qui a été publiée dans un excellent journal, le Journal of clinical oncology, en juillet 2010, a apporté des éléments de suggestion, mais qu'elle avait aussi des limites. Je vais essayer de vous expliquer les choses simplement.
Pour rappel, l'incidence du cancer de la prostate croît avec l'âge et 85 % des diagnostics sont portés après 65 ans : c'est très important pour ce qui va suivre. Les causes de survenue du cancer de la prostate sont en grande partie inconnues mais, je le répète, certains facteurs sont bien identifiés.
Pardonnez-moi : êtes-vous en train de nous donner les résultats de Karuprostate ou de reprendre votre analyse préalable ?
On ne peut pas interpréter les résultats de Karuprostate sans ce rappel.
Je veux bien passer. Je vous dis simplement que l'étude Karuprostate est fondée sur une méthodologie de type cas-témoins réalisée en Guadeloupe. Elle compare un groupe de personnes atteintes de la maladie, les cas, à un groupe de sujets qui en sont indemnes, les témoins.
Ce type d'étude est très sensible à plusieurs biais, notamment au biais de sélection. Pour qu'une étude soit performante, les deux groupes doivent être comparables. L'équipe a inclus plus de 600 patients et autant de témoins et elle a fait le mieux possible, mais les groupes ne sont comparables ni sur le critère d'âge ni sur celui des facteurs de risques classiques de survenue d'un cancer de la prostate.
L'âge moyen des malades est de soixante-six ans alors que celui des témoins est de soixante ans – ce qui est très inférieur à l'âge médian de survenue de ce cancer. En outre, il y a davantage d'antécédents familiaux de cancer de la prostate chez les patients – 24 % – que chez les témoins. Il y a plus de personnes obèses chez les malades que chez les témoins : 45 % contre 30 %. Il y a aussi davantage de cas que de témoins à avoir adhéré à une proposition de dépistage par le PSA : 50 % contre 13 %. Je ne fais là que citer l'article.
L'association entre l'exposition à la chlordécone et le cancer de la prostate a été trouvée plus forte chez les hommes qui avaient des antécédents familiaux de cancer de la prostate et aussi – ce qui reste inexpliqué à ce jour – chez les gens qui avaient quitté les Antilles pour un pays occidental pendant au moins un an : le odds ratio, c'est-à-dire le risque, est 2,7 fois plus élevé pour les personnes qui ont quitté cette zone à risque. Certains faits observés demeurent sans explication, ce qui est d'ailleurs signalé par les auteurs eux-mêmes, très honnêtement, dans cet excellent travail. Pourquoi ce risque est-il près de trois fois plus élevé chez les personnes qui avaient quitté la Guadeloupe pendant une durée significative que chez celles qui étaient restées exposées sans discontinuer à la chlordécone ?
Les auteurs suggèrent un lien de causalité entre la survenue du cancer de la prostate et l'exposition à la chlordécone. Bien entendu, monsieur le président, l'article est à votre disposition et je peux vous l'envoyer si vous le souhaitez. De toute façon, je pense qu'il est désormais en accès libre sur internet. Les auteurs écrivent : « En tenant compte de la plausibilité biologique, les résultats suggèrent l'existence d'une relation causale entre l'exposition à la chlordécone et le risque de survenue d'un cancer de la prostate. Cette association pourrait être influencée par le patrimoine génétique individuel ainsi que par des facteurs environnementaux tels que l'alimentation et le mode de vie. »
Il convient aussi de noter que l'hypothèse initiale de ce travail, selon laquelle les effets cancérogènes du chlordécone seraient plus importants chez des individus porteurs de variants fonctionnels du gène de la chlordécone réductase, n'a pas été confirmée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la présidente de l'INCa avait accepté de faire une deuxième étude, cette fois à la Martinique, afin de capitaliser sur l'excellent travail effectué mais en essayant d'avoir des populations de malades et de témoins comparables. Quand les deux populations ne sont pas comparables, il est extrêmement difficile d'interpréter les sujets d'intérêt.
Comme nous vous l'avons dit, l'INCa ne finance normalement que des études sélectionnées par des appels à projets compétitifs, avec un comité d'évaluation. La procédure hors appel à projets est exceptionnelle. C'est donc eu égard à l'enjeu et aussi à la sollicitation de la DGS, dès novembre 2010, que l'INCa a décidé de donner suite à cette demande dérogatoire, sous réserve d'une confirmation de la validité méthodologique de cette étude par un collège d'experts évidemment indépendants de l'INCa. Pour avancer sur les questions, il fallait que les biais construits dans la première étude disparaissent dans la deuxième.
Entre 2002 et 2014, l'INCa a donc financé l'étude de faisabilité Madiprostate de Luc Multigner afin d'étayer de manière statistiquement robuste ce qui devait ensuite être conforté par des données biologiques explicatives car les études épidémiologiques montrent un lien statistique et non pas un lien de causalité. Sur un plan statistique, on peut établir un lien entre les doigts jaunes et le cancer du poumon. Or on sait bien que ce ne sont pas les doigts jaunes qui donnent le cancer du poumon mais une autre cause qui est commune à ces deux constats. D'où l'importance de dépasser un mécanisme statistique pour rechercher un mécanisme explicatif.
Le collège d'experts a demandé la réalisation d'une étude de faisabilité préalable afin de s'assurer que les modalités de recrutement des cas et des témoins, ainsi que le questionnaire de l'étude, permettraient d'avancer sur le sujet en complétant les résultats de l'étude Karuprostate.
L'INCa a accepté de soutenir financièrement cette étude de faisabilité pour un montant de 215 000 euros, conforme à la demande de l'équipe afin de financer le déploiement de cette étude Madiprostate si les experts rendaient un avis positif. En mars 2012, 195 000 euros ont été versés, la remise du rapport final étant prévue en mars 2013. Pour rappel, le budget total de l'étude demandé par l'équipe de chercheurs, en incluant cette phase de faisabilité, était d'un peu plus de 1,2 million d'euros.
Il se trouve que Luc Multigner n'a pas pu réaliser cette étude de faisabilité au cours de l'année 2012, comme prévu aux termes de la convention, pour des raisons qu'il vous a expliquées, je le sais, et dont nous avons eu l'occasion, lui et moi, de parler. Il a demandé une prolongation d'une année et l'INCa qui lui a répondu positivement, lui laissant ce délai supplémentaire pour effectuer le travail.
En avril 2014, le docteur Multigner a remis son rapport sur l'étude de faisabilité, en demandant le déploiement de cette étude. Toutefois, le rapport n'a pas convaincu le collège d'experts. À cela s'ajoute un engagement des dépenses très inférieur à ce qui avait été fourni : sur les 215 000 euros accordés, seulement 81 000 euros avaient été engagés. Nous pourrons revenir en détail sur ces éléments car nous en avons une chronologie extrêmement fine et complète et nous disposons d'une copie des courriers.
Sur la base de ces éléments, l'INCa a proposé à la DGS de ne pas soutenir financièrement le déploiement de l'étude Madiprostate telle qu'inscrite. Pourquoi ? Parce que les experts sollicités pour évaluer le projet et l'enquête de faisabilité se sont accordés à dire que le coordonnateur n'avait pas suffisamment pris en compte leurs recommandations méthodologiques, que l'enquête ainsi construite reproduirait strictement les résultats de Karuprostate et ne permettrait pas d'avancer.
Veuillez m'excuser mais il me semble que vous ne répondez pas à la question très précise de Mme la rapporteure. Vous parlez des conclusions de l'enquête préalable, qui ont été soumises aux experts. Pour notre part, nous parlons de l'étude Madiprostate qui, elle, n'a pas été soumise aux experts, comme en témoigne une lettre de Mme Buzyn, datée du 27 janvier 2014 : « Après lecture de votre rapport, j'ai le regret de vous informer que je ne le soumettrai pas au collège d'experts. » Ce sont les conclusions postérieures de l'analyse préalable qui ont été soumises au collège d'experts et non pas le contenu de l'étude.
Pour quelle raison Mme Buzyn s'est-elle dispensée de l'avis des experts pour pouvoir arrêter cette étude ? Ensuite, lorsque M. Multigner rend ses conclusions, dans des conditions très difficiles, Mme Buzyn lui répond : « Je vous confirme, par la présente, la décision que vous ne disposez pas de fonds supplémentaires. »
Il y a donc deux décisions distinctes. Par la suite, des experts ont d'ailleurs été très étonnés de ne pas avoir le contenu des analyses effectuées au préalable, au moment du dépôt de la demande de Madiprostate.
Monsieur le président, je crains que vos informations ne soient partielles.
En janvier 2014, le courrier signé par présidente de l'époque, Agnès Buzyn, notifie que les éléments fournis sont insuffisants pour évaluer la pertinence scientifique du déploiement de l'étude – c'est ce que vous avez repris. Ce courrier invite aussi le docteur Multigner à apporter les éléments nécessaires à la prise de décision avant le début du mois d'avril.
En janvier 2014, nous avons informé la DGS de l'avancée des travaux, indiquant qu'en cas d'évaluation négative par les experts, l'INCa ne pourrait pas soutenir financièrement le déploiement. Le 20 mars 2014, le docteur Multigner a apporté des éléments complémentaires sur l'inclusion des témoins, réalisée au premier trimestre 2014. Le 1er avril 2014, le rapport final a été transmis par le docteur Multigner avec le rapport financier. En avril 2014, l'ensemble des documents, dont le rapport final du docteur Multigner demandant le déploiement de l'étude, a été transmis pour avis aux experts.
C'est ce que nous avons dans nos dossiers. Pour nous, aucune décision n'a été prise autrement que sur la base d'avis des experts.
Mon propos n'est pas polémique mais, en tant que président de cette commission, je vous ferais remarquer que l'étude Karuprostate a été commandée en 2010, c'est-à-dire il y a neuf ans. Franchement, pour une question aussi importante… Vous avez certes lancé l'étude KP Caraïbes, qui se déroulera en Martinique, pour compléter Karuprostate, mais neuf ans se sont écoulés avant cette décision.
Vous dites que les antécédents familiaux jouent un rôle énorme. Ces antécédents familiaux comprennent l'origine ethnique, et vous nous avez donné l'exemple de certaines villes américaines où il faudra tenir compte de la proportion respective des Noirs, des Blancs et des Chinois pour comprendre ce qui se passe. En Martinique et en Guadeloupe, les gens ont des antécédents familiaux précis – ils sont d'origine africaine – tout en vivant dans un environnement qui n'a pas changé depuis des années et où sont employés des pesticides de toute nature, notamment depuis le développement de la culture de la banane dans les années 1950-1960. Si vous accordez une grande importance à l'origine familiale sans donner une importance méritée à l'environnement, ne prenez-vous pas des orientations scientifiquement non justifiées ? Ne pensez-vous pas que vous allez un petit peu loin ?
Je ne pense pas aller un petit peu loin, monsieur le président, puisque ce sont des données internationales qui ne sont pas spécifiques à la Martinique. Le principal facteur statistique de risque de cancer de la prostate pour un individu est que cette maladie ait touché son père ou un membre de sa fratrie. Ce n'est pas spécifique à la Martinique, c'est le cas général. Les éléments initiaux, que je vous ai donnés sur le cancer de la prostate, sont les éléments généraux, ceux qui sont enseignés à tous les étudiants en médecine.
Mais vous avez ajouté l'origine ethnique. On peut avoir un antécédent familial tout en étant Blanc. L'origine ethnique s'ajoute à l'antécédent familial.
Sur le plan mathématique, les tests multivariés permettent de savoir si des facteurs sont liés ou indépendants. Ce problème mathématique archiconnu a été publié au début des années 1970 et il est utilisé partout. Dans le cas qui nous occupe, les deux facteurs sont partiellement indépendants. Ils sont suffisamment indépendants pour être annoncés séparément.
Prenons un exemple dans ma spécialité, la leucémie aiguë : le risque est plus élevé pour les malades âgés et ceux qui ont plus de 30 000 globules blancs au moment du diagnostic. Les malades âgés étant aussi ceux qui ont plus de 30 000 globules blancs, on pourrait en conclure qu'il s'agit d'un seul et unique facteur. En fait, ils sont quand même séparés. Ils sont partiellement redondants mais les résultats d'un test multivarié montrent qu'ils sont, l'un et l'autre, signifiants.
Le professeur Multigner indique que les récidives sont trois fois supérieures quand la personne est en contact avec des terrains pollués, dans une zone où les sols sont contaminés par le chlordécone. Qu'en pensez-vous ? Au passage, j'indique que deux chiffres circulent : Luc Multigner et Santé publique France parlent de 500 cas pour 100 000 habitants là où vous citez le nombre de 173 cas.
Nous sommes totalement d'accord sur les chiffres. Il y a environ 550 cancers de la prostate par an en Guadeloupe et 540 en Martinique, ou l'inverse, peu importe. Quand on parle de 173 cas pour 100 000 habitants, c'est le chiffre standardisé au niveau mondial. Les deux données ne sont pas comparables. Les chiffres standardisés au niveau mondial ont un intérêt : ils permettent de comparer les résultats, quels que soient les pays, en faisant abstraction de l'âge, des conditions socio-économiques et autres. Ce sont des données épidémiologiques générales.
Début 2019, Luc Multigner a dit que le risque de récidive était trois fois plus élevé pour une personne vivant dans une zone polluée au chlordécone. Partant de là, dans 10 à 40 cas sur 173, le cancer de la prostate pourrait être lié à l'environnement pollué au chlordécone. Le professeur Multigner l'a dit et écrit. Vous avez certainement validé ces écrits, notamment dans la partie de ses travaux sur la récidive du cancer de la prostate.
Je crois qu'il y a une méprise sur les chiffres. De toute façon, il dit qu'il a effectué ce calcul sur un coin de table.
J'y reviendrai parce que ce travail est extrêmement difficile à faire. Avec son calcul, il estime que 30 ou 40 cas sur les 550 – et non pas sur les 173 – pourraient être liés à une surexposition à la chlordécone.
À partir de la même étude, il a publié un autre papier portant sur l'évaluation du risque de récidive après prostatectomie totale. Sans entrer trop finement dans le détail de ce papier publié très récemment dans The International Journal of Cancer, on peut en retenir la donnée suivante : le taux de récidive chimique, mesuré par l'élévation du PSA, est de 28,5 % dans sa population alors que l'on s'attend à un taux de 20 % à 40 % dans la littérature mondiale.
Après trois lectures de cet article, je n'ai pas réussi à savoir s'il avait ou non exclu les malades qui n'avaient pas pu bénéficier d'une chirurgie complète. Or si l'on vous laisse du tissu tumoral, la réapparition du PSA est obligatoire. Le PSA est un mauvais critère de dépistage en population générale. En revanche, c'est un bon critère de suivi d'une maladie déjà connue.
Autre élément : il a enlevé entre 18 % et 20 % des malades qu'il avait criblés. Il l'a sûrement fait pour d'excellentes raisons mais j'aurais bien aimé savoir comment se comportent les 20 % de malades qu'il n'a pas pu analyser, par rapport aux facteurs de risque.
Enfin, le chlordécone persiste dans le corps pendant six mois. Or Luc Multigner n'a effectué qu'un seul dosage du chlordécone, avant le geste chirurgical. Comment peut-on dire que cet unique dosage reflète l'exposition du malade durant sa vie entière ou même pendant sept ou huit ans ? Je ne sais pas.
Luc Multigner a effectué un excellent travail pour chercher à creuser des pistes. Résout-il tous les problèmes ? Non. Est-ce de sa faute ? Non. Je le répète, il a deux populations qui ne sont pas strictement comparables. Il a fait extrêmement bien, le mieux possible, ce qu'il pouvait faire avec les outils dont il disposait.
Vous nous avez demandé ce que nous faisions. Nous avons réuni, à la demande de la DGS et en accord avec elle, un collège d'experts international du plus haut niveau pour essayer de définir les essais et les travaux qui permettraient de répondre à cette question existentielle qui est la même depuis dix ans : quel est le risque attribuable ? Je suis aussi impatient que vous d'avoir la réponse à cette question, croyez-le. Nous savons, par exemple, que 8 000 des 52 000 de cancers du sein détectés en France sont liés à l'alcool.
Avons-nous les moyens de repérer le lien potentiel entre le cancer de la prostate d'un individu et le chlordécone ? Actuellement, nous n'avons pas trouvé. D'ailleurs, dans l'étude Karuprostate, les taux de chlordécone ne sont pas très différents entre le groupe des malades et celui des témoins. Cela étant, je vous rappelle que ces taux n'ont été mesurés qu'une seule fois et qu'ils ont été considérés comme représentatifs de l'exposition durant la vie entière – je vous incite à revoir l'article. Ces taux ne sont pas très différents parce que, malheureusement, tout le monde – près de 95 % de la population – est exposé. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'études de cohorte sur ce sujet.
Je ne sais pas si je vous ai répondu, monsieur le président.
Pas de manière satisfaisante, mais ce n'est que mon point de vue. Je vais laisser la parole à notre collègue Hélène Vainqueur-Christophe.
Revenons sur l'arrêt de l'étude Madiprostate. Le professeur Multigner, que nous avons reçu, semble dire que son rapport préalable n'a pas été soumis au collège d'experts. Comme nous avons des éléments discordants sur ce point, monsieur le président, il faudrait que vous puissiez vraiment faire la lumière : ce rapport a-t-il été ou non soumis à un collège d'experts ? Nous avons un courrier de la présidente de l'époque, dans lequel elle dit très bien qu'elle ne soumettra pas le rapport au collège d'experts. Il faudra faire le point très précisément.
S'agissant de la classification du chlordécone par le CIRC, vous dites qu'elle a été redemandée – j'imagine que c'est par vos services. Depuis quand ? À titre personnel, pensez-vous que le chlordécone devrait être classé dans le groupe 2B ou dans le groupe 1 ?
Nous sommes face à un problème de santé publique majeur aux Antilles. Or nous nous rendons compte que s'il n'y avait pas eu une équipe de chercheurs intéressée par la problématique – l'INSERM Guadeloupe –, nous n'aurions eu aucune étude sur ce sujet puisque ce sont des appels à projet libres. Vous indiquez d'ailleurs qu'il n'y a pas eu forcément de réponse au dernier appel à projets libre.
Je ne comprends pas l'attitude de la DGS. Nous voyons les limites de Karuprostate, l'absence de nouvelles études pour corroborer ces premiers résultats, la difficulté à former des cohortes particulières sur un petit territoire où tous les habitants sont imprégnés de chlordécone. Pourquoi l'État n'a-t-il pas lancé de vraies études pour aller plus loin dans la connaissance du phénomène et pour déterminer quelle est la part de ces cancers de la prostate ou autres qui est imputable au chlordécone ?
Dans l'étude, le groupe de témoins et le groupe de malades appartiennent bien tous les deux à la population guadeloupéenne, n'est-ce pas ? Le taux de chlordécone risque donc d'être le même. Pourquoi n'a-t-on pas envisagé d'avoir des groupes de témoins hexagonaux ?
Qui choisit le groupe de témoins ? Vous avez indiqué que les âges des deux groupes n'étaient pas comparables. Qui choisit les groupes ?
Le coordinateur de l'étude.
Le coordonnateur a donc choisi pour le groupe de témoins des gens qui ne correspondent pas à la structure du groupe de malades.
J'imagine qu'il a eu beaucoup de mal à le constituer, d'autant plus qu'il n'y avait pas encore de registre en 2004-2007.
La question de Cécile Rilhac est pertinente. Pourquoi n'avoir pas choisi un groupe de témoins différent pour avoir une bonne comparaison ?
Avant de passer la parole à Thierry Breton sur la chronologie de Madiprostate, puisque vous le réinterrogez sur ce point, je vais vous redonner quelques éléments concernant l'aspect médical du refus de la prolongation de cette étude en l'état.
L'étude Karuprostate a été financée par le programme hospitalier de recherche clinique – PHRC – en 2004, c'est-à-dire sur fonds de l'État, à la suite d'un appel à projet compétitif. Ces sujets-là étaient regardés de près, ne l'oublions pas. C'était évidemment une préoccupation de l'État.
Karuprostate comparait deux populations – des malades et des témoins – qui étaient toutes les deux exposées puisque tout le monde l'est en Guadeloupe. Par malchance, les deux populations n'étaient pas comparables en ce qui concerne certains facteurs de risque majeurs de cancer de la prostate, le plus important étant l'âge. Alors que l'âge médian d'apparition du cancer de la prostate se situe vers soixante-sept ou soixante-huit ans, en tout cas après soixante-cinq ans, la population des témoins avait soixante ans. En ce qui concerne les antécédents familiaux, il y avait aussi un déséquilibre entre les malades et les témoins.
L'analyse n'en a été que plus difficile et, en outre, elle a fait apparaître des éléments que nous ne savons pas expliquer et dont M. Multigner a fait très loyalement état. Ce qui ressort peut-être le mieux dans son étude, c'est que les malades qui ont quitté la zone d'exposition pour aller dans un pays occidental, probablement les États-Unis, s'extrayant ainsi de la zone à risque, sont ceux qui ont été les plus touchés par le cancer de la prostate.
Nous n'avons donc pas tout expliqué avec Karuprostate. Avec une étude cas-témoins, on essaie de voir s'il y a un lien statistique à explorer, à confirmer et à développer ensuite au moyen d'une étude biologique.
Il ne faudrait pas que nos discussions soient mal interprétées et qu'elles conduisent à penser que nous avons un manque d'intérêt pour ces questions. Nous nous sentons très concernés et, si vous le permettez, je vais donner la chronologie du dossier Madiprostate pour éclairer ce qui a été fait.
D'une manière générale, notre mission est de travailler pour la santé de tous et partout, en France hexagonale ou dans les Antilles. C'était l'une des actions et un point important du troisième plan cancer qui a été arbitré en 2013 et en 2014. Nous sommes allés au-delà puisqu'en 2014, à la demande de la présidente de l'institut, nous avons mis en place une feuille de route pour compléter les actions menées aux Antilles, à la Réunion et dans tous les départements.
Je tenais à dire que nous nous sentons très concernés car nos réponses pourraient donner le sentiment que peu a été fait. En réalité, des choses ont été faites et je vais essayer de vous les donner à voir même si, comme l'a dit le président Ifrah, nous devons trouver la façon de répondre scientifiquement à la question. C'est ce que nous cherchons à faire car c'est le rôle de l'INCa.
Monsieur le président, puis-je faire la chronologie du dossier Madiprostate ?
Nous avons cette chronologie, mais je vous propose d'en donner une version synthétique car il est bon que l'opinion publique vous entende.
Il importe d'avoir à l'esprit le fait que le dossier commence en novembre 2010. À l'époque, il n'est déjà pas certain que le projet va passer le cap de l'évaluation du PHRC, pour des raisons de méthodologie. La DGS et l'INCa considèrent que ce sujet est prioritaire mais, en fait, nous sommes sûrs que le protocole ne passera pas l'évaluation. Nous le faisons donc évaluer par quatre experts indépendants.
En janvier 2011, les experts s'accordent à considérer qu'il est important de chercher à savoir s'il existe un lien entre le cancer de la prostate et l'exposition au chlordécone et qu'il est nécessaire de mettre en place des études épidémiologiques. Des précisions sont néanmoins demandées au porteur du projet, le docteur Multigner. Le 16 mars 2011, ce dernier précise que le protocole initial, transmis à la DGS à l'INCa, n'était qu'un résumé.
Le 31 mars 2011, le collège d'experts effectue une nouvelle évaluation sur la base des réponses apportées par le docteur Multigner. Ces réponses conviennent dans l'ensemble mais des éléments restent encore à préciser, notamment en ce qui concerne les modalités de sélection des cas et des témoins. Nous voyons bien que c'était l'une des difficultés initiales – méthodologique et sans doute technique – du coordonnateur. Les experts préconisent le financement d'une phase pilote afin de s'assurer des modalités de recrutement des cas et des témoins et de tester le questionnaire.
Le 8 juin 2011, l'INCa envoie un courrier au docteur Multigner pour lui notifier l'accord de financement – en dehors des modalités habituelles de sélection – d'une phase pilote de son projet sur douze mois et, si cette étape est concluante, du déploiement du projet Madiprostate. En 2011, nous nous engageons donc sur la totalité du processus mais en prévoyant une étape qui constitue, en quelque sorte, une clause de revoyure destinée à nous assurer que la méthodologie est probante. Quoi qu'il en soit, l'engagement englobe le déploiement.
Le 15 décembre 2011, le dossier complet est déposé et la subvention est octroyée : 215 000 euros sont accordés et 194 000 euros sont versés au docteur Multigner. À sa demande, en janvier 2013, la signature d'un avenant à la convention de subvention lui permet de prolonger l'étude de faisabilité d'une année supplémentaire puisqu'il n'avait pas eu le temps de l'effectuer dans les délais initialement prévus. Le rapport est attendu pour le 1er juillet 2014.
Le 31 décembre 2013, il nous adresse un rapport intermédiaire indiquant que trente-huit cas ont été inclus et qu'il n'y a eu aucune difficulté dans la passation des questionnaires. L'inclusion des témoins ne débute qu'en janvier 2014.
Le 27 janvier 2014, l'INCa envoie au docteur Multigner un courrier lui notifiant que les éléments sont insuffisants pour évaluer la pertinence scientifique du déploiement de l'étude. En fait, le docteur Multigner n'a pas rendu un rapport complet sur cette étude de faisabilité. Dans ce même courrier, l'INCa l'invite à apporter les éléments nécessaires à la prise de décision pour le début du mois d'avril 2014. Ce même 27 janvier 2014, l'INCa envoie à la DGS un courrier pour l'informer de l'avancée des travaux et pour confirmer qu'en cas d'évaluation négative, le déploiement ne serait pas engagé.
Le 20 mars 2014, le docteur Multigner apporte des éléments complémentaires sur l'inclusion des témoins. Le 1er avril, il remet son rapport final qui fait état d'une dépense de 80 000 euros au total, ce qui n'a pas d'incidences particulières mais qui est inférieur à ce qui était prévu. Ce rapport final est transmis aux experts.
En mai 2014, les experts rendent leur évaluation de l'étude de faisabilité. Ils concluent à l'impossibilité de répondre à la question posée avec le protocole proposé par le docteur Multigner dans son rapport final.
Le rapport final que vous évoquez, ce n'est pas le rapport de l'étude Madiprostate. Pour vous, ce rapport préalable est le rapport final.
En 2011, nous nous sommes engagés dans un processus qui prévoyait une étape intermédiaire destinée à nous assurer que le protocole proposé par le docteur Multigner répondrait à la question posée car, comme le professeur Ifrah l'a indiqué, nous avions des interrogations et des difficultés concernant l'étude Karuprostate. Nous sommes allés jusqu'au bout de cette étude de faisabilité. Quand je parle du rapport final, je fais référence à celui qui porte sur cette étude de faisabilité.
Très bien ! Il vaut mieux le dire clairement parce que vous donniez le sentiment que l'étude Madiprostate avait été réalisée.
C'est bien le rapport final énonçant les conditions de faisabilité de l'étude qui a été transmis aux experts. Il a fait l'objet d'une évaluation par quatre experts indépendants, qui ont tous conclu à l'impossibilité, pour le protocole proposé, de répondre à la question scientifique posée.
Je reviens à la question posée par Hélène Vainqueur-Christophe sur la demande de classement de la molécule par le CIRC.
Le classement en 2B date de 1979. J'ai écrit à la directrice générale du Centre international de rechercher sur le cancer en revenant du colloque à la Martinique pour lui demander de remettre à jour cette monographie. Elle m'a répondu il y a quelques semaines que cela entrait dans la liste des missions acceptées mais avec une low priority, c'est-à-dire qu'il ne faut pas s'attendre à ce que cela soit fait dans les deux ans. Je ne peux que la solliciter : c'est le Centre international de recherche sur le cancer, émanation de l'Organisation mondiale de la santé, qui décide.
Par ailleurs, et à la demande de la direction générale de la santé, nous avons réuni un collège d'experts internationaux du plus haut niveau pour répondre à la question centrale du risque attribuable ; il s'est réuni à deux ou trois reprises. S'agissant d'un collège international, j'ai organisé avec ses membres un comité d'appui pour transposer ces questions d'intérêt à la situation en Martinique et Guadeloupe. J'ai transmis l'ensemble très détaillé et chiffré des projets retenus par le collège international à la direction générale de la santé pour qu'ils soient pris en compte dans le prochain plan chlordécone. Toutes les études proposées sont en effet centralisées et analysées par la direction générale de la santé, en coordination avec la direction générale des outre-mer, pour éviter que deux études extrêmement proches soient demandées par deux personnes différentes. Les commentaires que j'ai pu faire sur les études sont évidemment partagés par ces plus grands experts mondiaux.
Au vu de l'étude Multigner, et en dépit de l'absence de preuves biologiques, il serait raisonnable que le Centre international de recherche sur le cancer classe le chlordécone en 2A.
C'est probable mais ce n'est pas moi qui le déciderai.
En 1968, il était classé en A, puis a été classé en B en 1979 pour permettre l'obtention d'une autorisation en 1981. Si vous le reclassez en A, ce serait une bonne nouvelle pour la suite.
Ce n'est pas moi qui le ferai mais le CIRC.
Monsieur le professeur Ifrah, vous me voyez ravie de vous entendre dire qu'il faudrait classer en 2A le chlordécone. En Guadeloupe et en Martinique, nous pensions que l'étude Madiprostate avait été arrêtée du fait de problèmes financiers. Or vous venez de faire état d'un document affirmant que l'étude Karuprostate souffrait d'un problème de méthodologie, raison pour laquelle l'étude Madiprostate n'avait pas été réalisée. Est-ce bien cela ?
Oui : l'étude Madisprostate était en train de reproduire les mêmes difficultés méthodologiques de recrutement, quels que soient les efforts déployés par Luc Multigner et ses équipes. Les experts, suivis par mon prédécesseur, ont donc indiqué que cette étude n'apporterait rien de plus et ont recommandé de l'arrêter. Les quatre rapports sont là pour le prouver, et ils sont unanimes.
Vous affirmez qu'il eût fallu classer le chlordécone en 2A et que Santé publique France a publié un document affirmant que 95 % de la population était imprégnée ; jusque-là, nous sommes d'accord. Vous avez précisé que l'INCa répondait habituellement à des appels à projets compétitifs mais que, eu égard à l'enjeu, vous avez donné suite à cette demande dérogatoire, même si elle n'a pas été finalisée : est-ce bien cela ?
Exactement ! Nous avons donné suite par une procédure exceptionnelle, hors appel à projets, à la demande Madiprostate car nous étions sûrs qu'elle ne passerait pas le seuil très exigeant du jury d'un programme hospitalier de recherche clinique ; or nous souhaitions que cette étude soit menée. Il y a eu une mésentente parce que les experts ayant accompagné la définition de l'étude ont remis un premier rapport recommandant des modifications afin que l'étude ait plus de chances de passer. Puis, une fois l'étude initiale rendue, quatre experts de très haut niveau – je crois que ce sont les mêmes mais je peux me tromper – ont évalué le projet initial et ont dit non : non seulement l'étude était en train de reproduire les mêmes erreurs méthodologiques, mais elle ne tenait pas compte des zones d'exposition et de surexposition, notamment professionnelles. Il serait vraiment dommage de mener une deuxième étude reproduisant les mêmes erreurs.
Selon vous, pour qu'un classement lie la pollution au chlordécone au cancer de la prostate en Guadeloupe et en Martinique, il eût fallu une étude statistique et ensuite une étude biologique. C'est bien cela ?
Plusieurs études statistiques, une seule étude statistique ne suffisant pas habituellement, et plusieurs études biologiques explicatives. Par exemple, la chlordécone fonctionne un peu comme un oestrogène ; c'est ce que l'on appelle un « oestrogène like ». Il se trouve que les oestrogènes, en tout cas les anti-androgènes, constituent un traitement du cancer de la prostate. Sur le plan biologique, cela reste un peu mystérieux pour moi : comment ce qui est habituellement un traitement pourrait-il être le déclencheur ? Je fais surveiller de très près l'incidence des cancers du sein à la Martinique et à la Guadeloupe, parce que je comprends le lien avec les oestrogènes ; mais je ne comprends pas, biologiquement, le lien avec le cancer de la prostate. Tous les travaux biologiques présentés au colloque de la Martinique donnaient des résultats complètement différents d'un essai à l'autre. À ce jour, je n'ai pas trouvé d'explication biologique et personne au sein du colloque n'est parvenu à établir un modèle biologique cohérent.
En revanche, même si le nombre de cancers du sein en Martinique et en Guadeloupe est inférieur de 40 % à celui de l'Hexagone, je le fais surveiller de très près, sur la durée, en finançant des registres. Sur le plan intellectuel, il y a un doute, mais nous n'avons pas de réponse.
Qu'on ne se trompe pas : l'étude Multigner est la meilleure étude possible. Évoquer ses limites d'interprétation ne remet pas en cause la qualité de cette étude, qui est la plus grande étude cas-témoins existant à ma connaissance. À mon avis, il serait cohérent que le Centre international de recherche sur le cancer classe le chlordécone en 2A mais, étant celui qui demande, je ne serai évidemment pas au tour de table de la décision : c'est un jury extérieur qui décidera.
Vous avez pointé les limites de l'étude du professeur Multigner : quelles études faudrait-il lancer ? Les populations dans ces territoires sont restées dans le non-dit, dans le silence pendant très longtemps : est-il envisageable de donner une suite aux études du professeur Multigner afin d'obtenir le classement en 2A et d'indemniser les victimes de la pollution au chlordécone ?
Ces études sont faisables : la liste des essais très détaillés que j'ai transmise à la direction générale de la santé explique comment on peut, notamment en s'appuyant encore mieux sur les institutions, sur les registres,…
Je pense vraiment qu'elles seront dans le plan chlordécone IV.
Quel est le processus ? Ces études seront-elles des appels à projet libres ou des décisions de lancement d'études dites exceptionnelles ou dérogatoires ? Que faudrait-il pour que ces études soient réalisées dans des délais compatibles avec la gravité de la situation ?
Il faut qu'elles soient inscrites dans le plan chlordécone à venir : c'est comme cela que nous le présentons. Ce sont la direction générale de la santé et la direction générale de l'outre-mer qui prendront la décision. Pour notre part, nous avons proposé un schéma validé par les plus grands experts internationaux, avec une étude détaillée expliquant comment répondre à cette question, mais je ne suis pas le porteur du plan chlordécone.
Nous avons déjà décelé le caractère extrêmement éclaté du processus de décision : un mal existe mais 50 000 personnes décident en même temps !
La question de ma collègue Hélène Vainqueur-Christophe est essentielle : avez-vous déposé un dossier pour un nouveau classement ?
Non seulement je l'ai déposé, mais j'ai obtenu une réponse positive : oui, il sera évalué. Toutefois, ils ne l'ont pas classé en haute priorité : il ne faut donc pas s'imaginer que cela sera fait avant deux ans.
Cette demande de classement en 2A est fondamentale puisque cela fait passer le chlordécone de cancérogène probable à cancérogène tout court. Est-ce bien cela ?
Je n'en sais rien ! J'ai demandé une réévaluation et une mise à jour de la notice sur la chlordécone par le Centre international de recherche sur le cancer. Eux, et eux seuls, de façon indépendante, réviseront l'ensemble de la littérature et décideront comment ils le classent : je ne peux pas leur dire « Je veux un classement en 2A », cela n'aurait aucun sens !
Quand vous faites une demande de reclassement, c'est bien parce que vous constatez que le classement actuel n'est pas satisfaisant, n'est-ce pas ?
Le classement actuel ne tient pas compte de l'étude de 2010, qui mérite une réévaluation scientifique.
2B signifie cancérogène possible. Je pense et j'espère qu'il sera classé en 2A, c'est-à-dire cancérogène probable.
Il va falloir sortir le Larousse pour comprendre la différence ! Pourriez-vous nous dire ce que signifient « possible » et « probable » ? « Probable » est plus sûr que « possible » ?
Et moins que « certain » ; jusque-là, nous sommes d'accord.
Nous souhaitons disposer des arguments contenus dans votre dossier, de telle sorte que les administrateurs puissent analyser vos arguments. Cette audition est publique, tout comme votre travail sur cette question essentielle ; je vous remercie d'ailleurs d'avoir fait cette demande. Rappelez-vous que c'était classé en A en 1968.
Relisez les documents, vous verrez ! C'est d'ailleurs ce qui a motivé le refus de 1968. Ensuite, il a été déclassé en 1981, avant de revenir en cancérogène probable en 1989.
J'aimerais savoir ce que peut faire la France pour accélérer ce processus, qui relève d'instances mondiales.
Solliciter à nouveau ! Comme vous le savez, le Centre international de recherche sur le cancer est localisé à Lyon. Par chance, nous avons beaucoup travaillé ces dernières années avec le professeur Weiderpass, qui en a été élue directrice générale. Elle a beaucoup travaillé avec l'Institut national du cancer, présidant certains de nos jurys ; nous avons donc de très bonnes relations avec elle.
Je lui rappellerai l'importance que nous accordons à ce sujet, de même que l'État, et l'importance pour la population d'obtenir des éléments de réponse. Je ne peux que revenir à la charge et la solliciter à nouveau. Même s'il y a une high priority et une low priority, pour reprendre ses termes, elle peut le mettre dans le haut du panier de la low priority, ce qui revient à peu près au même. Mais nous sommes là dans de la négociation interpersonnelle.
Mme Weiderpass est particulièrement sensibilisée à ce sujet car il se trouve qu'elle faisait partie, avant de prendre ses fonctions au Centre international de recherche sur le cancer, du collège international d'experts que j'avais réuni pour réfléchir au meilleur schéma possible. Elle connaît donc très bien le dossier, ses limites actuelles et la façon dont on pourrait le faire avancer. J'ai prévu de la rencontrer en tête-à-tête à la rentrée ; je compte bien la remotiver.
Vous avez proposé un schéma en prévision du plan chlordécone IV : j'aimerais que vous nous en disiez quelques mots.
Voulez-vous me laisser une minute pour reprendre mes documents ? Ce sujet est extrêmement compliqué et nous entrons dans du détail fin : comme je parle sous serment, je vous remercie de m'accorder quelques instants.
Vous avez raison. Pendant ce temps, M. Breton me dira ce qu'il pense des différents plans chlordécone : avons-nous atteint nos objectifs dans le cadre des plans chlordécone I, II et III ?
Je porterai une appréciation non pas sur l'intégralité des plans chlordécone, mais uniquement sur ceux qui concernent notre champ d'expertise. Pour partie, ils ont atteint leurs objectifs : il faut bien avoir à l'esprit que le plan chlordécone I a été à l'origine du financement des registres à la Guadeloupe, lesquels ont ensuite permis, avec tout de même un temps de maturation de cinq ans, de déployer les études. Nous avons considérablement renforcé le dispositif d'observation et de surveillance épidémiologique dans les Antilles. L'étude Karuprostate, qui présentait l'étude Madiprostate, n'a pas permis d'établir un protocole suffisant pour répondre scientifiquement à la question posée ; nous devons encore avancer dans ce travail.
Cette question, scientifiquement compliquée, n'est pas simple à traiter. De plus, ce n'est pas faire injure au docteur Multigner – c'est même rendre grâce à son travail – que de dire que l'enquête est difficile à monter méthodologiquement. En dépit de ses efforts et de l'accompagnement des experts ayant évalué Madiprostate, il n'a pas pu trouver l'organisation permettant de répondre à cette question.
Avec la direction générale de la santé, nous avons réuni un comité d'experts internationaux qui connaissent très bien le sujet afin de définir les conditions de réalisation de cette étude ; nous espérons que celle-ci sera inscrite dans le prochain plan chlordécone. L'attente des populations antillaises est très forte, et c'est bien normal, mais nous devons parvenir à y répondre scientifiquement. Telle est la mission confiée à l'Institut national du cancer ; il faut encore y travailler avec le docteur Multigner.
Avant d'en venir au professeur Ifrah, pouvez-vous me confirmer que votre budget est de 90 millions d'euros par an et que vous octroyez 300 000 euros au registre des cancers en Martinique et en Guadeloupe ?
Aux 300 000 euros de l'Institut national du cancer s'ajoutent 100 000 euros de Santé publique France : 400 000 euros par an pour financer les deux registres, cela représente 10 % du budget que nous consacrons aux registres France entière, qui s'élève à près de 5 millions d'euros.
Pourquoi le registre des cancers a-t-il été mis en place en Martinique dès 1983 et seulement en 2008 à la Guadeloupe ?
C'est la politique générale des registres. Ils ne sont pas exhaustifs : nous estimons qu'ils couvrent aujourd'hui 20 % de la population. Nous avons considéré, en 1983, que cela permettrait de faire les études, sachant que les populations sont très proches les unes des autres, et que, d'un point de vue épidémiologique, nous aurions suffisamment de renseignements pour avoir une vision précise de ce qu'il se passe en Guadeloupe. C'est ensuite le plan chlordécone I qui, compte tenu du sujet, a mis en place un registre supplémentaire spécifique pour traiter cette question.
Pour les deux. Les financements des registres en France sont strictement normés : tous respectent la même règle et suivent les mêmes modalités de financement, avec un contrat d'objectifs et de performances. Il n'y a pas d'exception : ceux qui sont financés le sont au niveau qui correspond au besoin qu'ils ont exprimé.
Pour en venir à la proposition de cahier des charges, l'objectif est de répondre à la question d'intérêt suivante : « Quelle est la part du risque d'occurrence du cancer de la prostate, et particulièrement des cancers évolutifs, liée à la chlordécone parmi l'ensemble des facteurs de risque connus etou potentiels ? »
Les axes de réponse sont multiples. Il y a d'abord des travaux de recherche adossés aux études préexistantes, terminées ou en cours. Les experts pensent notamment qu'il est nécessaire de réaliser des études complémentaires à l'étude Karuprostate. Il y a également besoin d'une étude des facteurs de risques génétiques et de leur interaction avec l'environnement à partir d'échantillons biologiques existants etou de nouveaux échantillons biologiques.
Par ailleurs, des études à visée descriptive doivent être menées, prenant en compte l'historique des tests et des taux de PSA – l'antigène spécifique de la prostate –, les tendances temporelles de l'incidence de la mortalité et de la survie du cancer ainsi que de leur distribution géographique, en tenant compte des inégalités sociales, des données de consommation de soins et des délais de diagnostic.
Il y a besoin d'une étude cas-témoins multicentrique en population générale mais, cette fois, avec une description très détaillée du protocole d'étude et du monitorage du projet, protocole d'étude dont la méthodologie statistique détaillée doit être publiée avant le lancement des travaux pour éviter les études de sous-groupes, qui n'ont pas du tout la même puissance. Normalement, dans un travail statistique, on annonce ce que l'on va faire, on calcule la puissance des échantillons et des effectifs nécessaires sur ce que l'on va faire. L'analyse de sous-groupes ensuite n'a plus du tout la même puissance et la validité des travaux n'est plus la même. Le protocole doit être publié avant le lancement pour que les analyses soient conformes à ce qui avait été annoncé.
Une étude de faisabilité et une phase de déploiement de l'étude – nous retombons sur des choses que vous connaissez – sont nécessaires et doivent être faites en deux phases.
Des travaux en sciences humaines et sociales doivent également être menés car la pollution à la chlordécone suscite des attentes, des débats publics sur les recherches et les résultats attendus, des représentations sociales. La perception des risques et la crédibilité des expertises pourront accompagner l'engagement d'une démarche en démocratie sanitaire.
Il est également proposé des travaux de développement de nouveaux outils de détection et de dosage biologique de la chlordécone ainsi que d'autres pesticides ; des travaux de développement du modèle toxicocinétique – je passe sur les éléments fins car des modèles existent sur ce point – pour évaluer les associations entre l'exposition durant certaines périodes critiques et le risque de cancer de la prostate, et pour estimer la dose externe d'exposition ; des travaux d'association que l'on appelle panexposome : cela consiste à quantifier toutes les substances toxiques auxquelles on a été exposé au cours de la vie – le Centre international de recherche sur le cancer connaît très bien ces travaux puisque c'est son précédent directeur qui a créé le concept.
Sont proposés également des travaux exploratoires évaluant l'exposition par voie aérienne à la chlordécone, avec une modélisation rétrospective ; des travaux ciblant de nouvelles méthodes de collecte de données massives, de stockage et d'analyse de données complexes ; des travaux sur des méthodes d'intelligence épidémiologique avec des algorithmes, des aptitudes d'apprentissage machine.
Le processus de soumission se fera par lettre d'intention, pour une équipe seule ou un réseau de plusieurs équipes – cela est bien adapté à la situation – mais décrira le projet de façon extrêmement précise. Après sélection et éventuellement amélioration, nous pourrions imaginer un séminaire de coconstruction pour constituer des réseaux optimisés – quand je vous dis que nous voulons accompagner ! Voilà l'essentiel de ce que nous proposons.
À partir de ce que vous venez de lister, est-ce que vous pensez que le pilotage actuel d'une politique globale de recherche, avec des thématiques et donc des responsables très différents, est satisfaisant ? Êtes-vous satisfait de la gouvernance actuelle ou faudrait-il la modifier pour obtenir des décisions cohérentes, des garanties de financements, de telle sorte que l'on ne soit pas en attente d'initiatives émanant des chercheurs ou des autorités politiques ?
Je trouve que la gouvernance actuelle est très bonne.
Depuis que je suis président de l'INCa, nous avons été invités à chaque réunion ; nous avons fait valoir nos opinions. La codirection est assurée par la direction générale de la santé et la direction générale de l'outre-mer. La prise en compte des éléments que nous avons donnés avant et surtout après le colloque aux Antilles me semble avoir été faite avec beaucoup d'attention. Voilà ce que je peux vous dire.
Êtes-vous satisfait ? Toutes les études que vous avez citées sont-elles pratiquement lancées, garanties et financées ?
Je vous indique ce que nous et notre réseau international avons pensé être utile. Je compte bien que la direction générale de la santé, qui m'a mandaté pour ce faire et qui sait que nous avons appelé les plus grands experts mondiaux, suivra, tout comme j'espère que vous nous aiderez à faire en sorte que tout le monde suive.
Nous allons vous aider mais nous ne pouvons pas le faire dans un bateau qui avance à deux à l'heure alors que nous devons aller à cent à l'heure ! Neuf ans pour traiter la question de Karuprostate et de Madiprostate ! Vous avez très bien exprimé vos besoins mais vous savez bien que vous n'êtes pas seuls : le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) et l'ensemble des instances en matière de recherche sont également en attente de financements, de décisions politiques ou de décisions des chercheurs. Aujourd'hui, compte tenu de la gravité de la situation, ce schéma vous paraît-il satisfaisant ?
Je ne peux vous parler que du schéma que j'ai apporté. Le principal intérêt d'une étude cas-témoins, c'est qu'elle peut être faite relativement vite. Ce n'est pas une étude de cohorte : si nous avons besoin de beaucoup de personnes, nous n'avons pas besoin de beaucoup de temps pour l'analyser ; cela peut donc aller relativement vite. Je ne réponds qu'à cette partie de la question.
J'ai bien entendu le chemin dans lequel vous vouliez m'emmener mais nous avons eu l'impression, les uns et les autres, que toutes nos propositions étaient bien entendues. Il est normal que la direction générale de l'outre-mer et la direction générale de la santé vérifient qu'il n'y a pas deux ou trois sujets en doublon : c'est une partie de leur rôle. À aucun moment on ne m'a dit que l'on ne donnerait pas suite à cette démarche, d'autant que les budgets sont réels mais raisonnables. Toutefois, il est évident que l'Institut national du cancer ne pourra pas mener cela sans budget spécifique.
Une question scientifique et technique : puisque les liens entre cancer de la prostate et chlordécone seraient relativement mesurés, pensez-vous utile de maintenir les limites maximales de résidus (LMR) ? Pour quelle raison aurait-on instauré des LMR dans un cadre où il n'y aurait pas de grands risques ?
Je ne dis pas qu'il n'y a pas de grands risques, mais je dis qu'il y a un risque que nous devons explorer et quantifier : 92 % à 95 % de la population étant clairement imprégnée par le chlordécone, il est logique de surveiller de façon extrêmement attentive. C'est bien pour cela que nous donnons des consignes et que nous suivons ensemble ce qui est fait aux Antilles. Il n'est pas innocent que la personne nommée à la direction de l'Agence régionale de santé à la Martinique soit l'ancien responsable du pôle santé publique et soins de l'Institut national du cancer, Jérôme Viguier. Il y a une attention particulière.
Il est établi qu'il faut surveiller de très près un surrisque qui, aujourd'hui, est suspecté mais non démontré. C'est d'ailleurs la conclusion de l'article de M. Multigner ; je vous ferai passer cet article.
Tout d'abord, j'aurais souhaité dire au professeur Ifrah que nous souhaitons bien évidemment disposer de tous les documents auxquels il a fait allusion.
Ensuite, j'ai bien entendu toutes vos propositions dans le cadre du colloque scientifique. De quand date le document dont vous nous avez fait lecture ? L'avez-vous envoyé à la suite du colloque ?
Je l'ai envoyé fin décembre ou début janvier.
Vous avez dit que nous devions vous aider : nous avons besoin de votre aide, tout comme nos populations. Vous avez mentionné différentes études : ce ne sont pas des études dans le cadre des appels à projets libres et compétitifs, mais des études dans le cadre du plan chlordécone.
Oui : nous parlons bien d'études dédiées.
Je viens de consulter mes notes : en 1968, le Kepone, comme il s'appelait à l'époque, avait été classé en A, ce qui avait motivé le refus d'homologation cette même année. Par la suite, il a été classé en C en 1971 et a bénéficié d'une première autorisation provisoire de vente en 1972 ; cette première expérience du chlordécone devait durer un an.
En fait, les États-Unis ont interdit ce produit après l'incident survenu dans une usine à Hopewell, en Virginie, qui avait provoqué des complications neurologiques très aiguës, très spectaculaires mais heureusement réversibles. Cela avait été l'une des plus grandes catastrophes sanitaires des États-Unis, qui avait entraîné l'arrêt immédiat de la production. Mais il s'agissait de neurotoxicité. C'est après ces études que l'on s'est rendu compte que la durée de vie du produit chimique se mesurait en centaines d'années, raison pour laquelle il a été classé comme extrêmement toxique.
Aux États-Unis, il est déclaré extrêmement toxique et lorsqu'il arrive en Martinique, il n'est pas toxique du tout ?
Il était très toxique sur le plan neurologique. Aux États-Unis, les expositions constatées étaient de l'ordre du milligramme par litre ; aux Antilles, les plus hautes expositions constatées sont de l'ordre du microgramme par litre. Aux États-Unis, il s'agissait d'une toxicité aiguë pour les personnels exposés à la suite d'un incident dans une usine.
Un personnel exposé à ce produit puisqu'il travaillait dans l'usine qui le fabriquait : il était donc encore plus exposé qu'un travailleur agricole.
À des concentrations majeures !
Bien entendu ! Mais c'est le même produit qui arrive en Martinique sous le nom de Kepone : les travailleurs agricoles sont donc exposés. De plus, les travailleurs de l'usine à Hopewell ont été touchés mais les riverains également. On m'a dit que l'usine avait explosé ?
Non, il y a eu un incident important dans l'usine.
Mais ces gens ont été exposés pendant toute la durée de fabrication. Il s'agit du même produit que le chlordécone. La conclusion de la commission de toxicité, en 1968, a été de classer le Kepone, en A, ce qui a justifié le refus de 1968. Puis, à la suite d'un déclassement de A en C en 1971, une autorisation provisoire a été accordée en 1972 ; le nom de la personne qui a demandé le déclassement est dans tous les documents. L'autorisation dite provisoire sera en fait renouvelée en 1976. Nous tentons d'y voir clair et de comprendre ce qu'il s'est passé pour expliciter les responsabilités des uns et des autres.
C'est ce que nous essayons de faire ensemble. À ma connaissance, les produits ont été interdits dans le monde en 1990 et aux Antilles en 1993 : entre 1990 et 1993, ces produits ont donc continué à être utilisés.
Et même au-delà : il a été utilisé jusqu'en 2002, avec des autorisations un petit peu particulières. Mais arrêtons-nous là. Nous vous remercions pour vos contributions et vos réponses.
La réunion s'achève à onze heures trente.
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Membres présents ou excusés
Réunion du lundi 8 juillet 2019 à 9 h 30
Présents. – Mme Justine Benin, M. Serge Letchimy, Mme Cécile Rilhac, Mme Hélène Vainqueur-Christophe
Excusé. – Mme Véronique Louwagie