Je remets à chacun d'entre vous le support que j'avais préparé sur notre approche de la remédiation afin de faciliter la compréhension et la discussion. Nos recherches visent à acquérir des connaissances sur la contamination à différentes échelles, du sol jusqu'à la parcelle. Nous avons développé au Lamantin, en Martinique, où je travaille depuis quinze ans, quatre sujets d'étude : outre la contamination des sols, nous avons étudié le procédé de réduction chimique in situ ou in situ chemical reduction (ISCR) en collaboration avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et la biodégradation, sur lesquels mon confrère Monsieur Hervé Macarie reviendra plus en détail, ainsi que la technique de la séquestration, dont j'expliquerai en quoi elle constitue une solution alternative à la dépollution.
La molécule de chlordécone a pour principales caractéristiques une très faible biodégradabilité – on ne se débarrassera donc pas de cette molécule en attendant qu'elle soit dégradée par l'érosion ou par des micro-bactéries –, une très faible solubilité – elle ne peut être facilement éliminée par l'eau – et une grande affinité pour la matière organique, ce qui explique sa persistance dans les sols vingt-cinq ans après l'arrêt d'utilisation du pesticide. Les travaux menés par Yves-Marie Cabidoche de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ont mis en évidence qu'il faudrait des décennies pour que cette molécule soit éliminée naturellement par lixiviation. Parce que la contamination des sols a pour effet une contamination secondaire des aliments et des ressources en eau, il est nécessaire de diminuer la concentration en chlordécone dans les sols.
Il faut savoir toutefois que la contamination diffère selon la nature des sols, selon leurs propriétés. Trois types de sols ont été contaminés en Martinique : les andosols situés dans le nord, près de la montagne Pelée, les ferralsols et nitisols, plus au sud et plus anciens. Les taux de concentration des andosols sont deux à cinq fois plus élevés que ceux des autres types de sols, mais les taux de transfert y sont paradoxalement moins importants. On observe, en d'autres termes, que les sols les plus pollués sont les moins polluants. Étant physicien de formation, j'ai pensé que ce paradoxe pouvait s'expliquer par la nature de l'argile. L'argile des andosols du nord a précisément une microstructure très différente de l'argile classique ou kaolin qui est la caractéristique des sols du sud : elle est hiérarchique et poreuse au lieu d'être homogène, les plus petites particules s'agrégeant pour en former des moyennes puis des grosses. Dans les andosols, 70 % du chlordécone est fixé dans les plus petites particules, alors que cette répartition est assez homogène dans les sols du sud. À cette très petite échelle, qui est de l'ordre de la dizaine ou de la centaine de nanomètres, soit le millième de l'épaisseur d'un cheveu, il est très difficile d'aller chercher la molécule.
Deux paramètres physiques sont à prendre en compte quand on veut transporter une molécule d'un point à un autre ou, en l'occurrence, l'extraire ou la détruire : la perméabilité et la diffusion. La perméabilité se conçoit facilement avec l'image du tuyau d'arrosage : si le tuyau a un petit diamètre ou qu'il est obstrué, la perméabilité diminue. Ainsi, plus une structure est tortueuse, plus elle est complexe, moins la perméabilité est élevée. Quant à la propriété de diffusion, vous l'observez dans votre tasse de café le matin si vous y ajoutez une goutte de lait sans remuer le liquide. Nul besoin d'un transport mécanique, d'un écoulement d'eau pour transporter des éléments chimiques ou biologiques. À cette petite échelle, on ne peut mesurer ces paramètres mais on peut les calculer à l'aide de modèles qui ont permis de démontrer que la perméabilité et la diffusion des structures des andosols sont mille fois plus faibles que dans les argiles à la porosité classique. Nous sommes par conséquent confrontés à une difficulté réelle pour extraire les molécules de chlordécone des sols du nord, et il convient de tenir compte de ces paramètres physiques pour envisager des solutions.
Je laisse la parole à mon confrère sur les méthodes de décontamination que sont la bioremédiation et le procédé ISCR. Je conclurai ensuite avec la question de la séquestration.