Mon collègue vient donc de vous présenter le principe de la remédiation à partir de bactéries, mais il existe aussi le procédé ISCR, par ajout de fer, sur lequel les chercheurs du BRGM ont travaillé. Il a ainsi été démontré qu'en Martinique, on pouvait décontaminer jusqu'à 70 % du chlordécone présente dans les sols du sud, mais seulement 20 % dans les sols du nord. Pour les deux techniques se pose la question de l'accessibilité, et l'une comme l'autre sont inefficaces dans les andosols. La taille des particules d'argile allophane qui caractérisent ces sols est en effet de l'ordre de la dizaine ou de la centaine de nanomètres, tandis que celle des bactéries ou des éléments ferreux est supérieure au micron : il est impossible que ceux-ci pénètrent à l'intérieur des particules d'argile. Or les sols du nord représentent 50 % des sols contaminés. Ces techniques sont donc très intéressantes, et je publie d'ailleurs conjointement avec les chercheurs du BRGM, mais elles ne pourront pas être réellement utiles dans 50 % des sols pollués de Martinique.
J'ai donc tenté une autre approche : si on ne peut pas décontaminer, pourquoi ne pas séquestrer ? Ce qui compte, en effet, c'est que la contamination ne soit pas transférée dans l'eau et dans les cultures de consommation. Je précise que, vivant en Martinique depuis seize ans avec ma famille, je me sens totalement concerné par le sujet, imprégné au sens propre comme au sens figuré. Je ne suis pas un chercheur hexagonal qui regarderait le problème de loin. Le principe de la séquestration est de fixer davantage le chlordécone dans le sol pour éviter qu'il ne parte dans l'eau ou dans les plantes que l'on cultive. Assez naturellement, nous nous sommes tournés vers la matière organique, pour laquelle le chlordécone a une grande affinité. Nous avons ainsi mélangé dans des conteneurs de sol entre 3 et 5 % de compost, et nous avons pu montrer que les taux de transfert dans les radis que nous y avions plantés étaient cinq à dix fois plus faibles. La contamination du sol est inchangée, mais l'eau qui percole ou le légume que l'on fait pousser sont moins chargés en chlordécone. Les résultats sont différents selon les cultures, mais les taux de transfert sont systématiquement de deux à cinq fois plus faibles. Cette solution, en attendant d'en trouver d'autres, permettrait aux agriculteurs d'avoir des taux de transfert plus faibles dans les sols contaminés du nord.
Pour conclure, il n'y a pas de solution unique pour résoudre le problème du chlordécone, pas de poudre de perlimpinpin, pour reprendre ce terme cher à quelqu'un que nous connaissons bien. Les techniques ISCR, par exemple, fonctionnent mais uniquement sur des sols plats, car il faut pouvoir créer des conditions anoxiques. Pour réaliser nos études avec le BRGM, nous avions en effet gorgé les parcelles d'eau et les avions recouvertes d'une bâche pour travailler dans des conditions sans oxygène, ce qui n'est possible que sur des sols plats. Pour avancer, il faudra donc ajuster les techniques à la géographie, à la topographie et à la nature des argiles présentes dans les sols.