Intervention de Hervé Macarie

Réunion du mardi 9 juillet 2019 à 9h05
Commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de guadeloupe et de martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d'une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires

Hervé Macarie, microbiologiste à l'IRD Marseille, spécialiste de la bioremédiation :

Aux États-Unis, d'après les informations dont on dispose, ils ont décidé qu'il fallait laisser faire la nature. Une fois cette décision prise, dans les années 1970, la recherche spécifique au chlordécone a disparu. À ma connaissance, il n'y plus d'activité dans ce domaine.

Aux États-Unis, pour mémoire, des eaux usées d'usine avaient contaminé la James River sur une longueur de 150 kilomètres, pour une surface d'à peu près 500 kilomètres carrés, soit tout de même la moitié de la surface de la Martinique. Les Américains ont conclu à la vanité de tout ce qu'ils avaient envisagé : draguer les sédiments contaminés, ajouter des absorbants qu'ils auraient récupérés… Après des calculs, ils en étaient arrivés à la conclusion que cela coûterait plus de un milliard de dollars, sans compter le coût environnemental d'un dragage qui aurait eu des conséquences pour l'écosystème. Ainsi, les Américains sont arrivés à la conclusion qu'une remédiation était économiquement inenvisageable et écologiquement peu satisfaisante.

En outre, comme, dans la zone concernée, une fois l'usine arrêtée, il n'y avait plus de relargage de chlordécone dans l'environnement, et comme il y avait eu une sédimentation très importante, ils se sont dit que, petit à petit, les sédiments contaminés seraient recouverts par des sédiments propres. Par suite, le transfert de la chlordécone vers la chaîne trophique serait cassé, des sédiments vers les organismes qui y vivent, puis vers les poissons qui mangent ces organismes, vers les oiseaux, et vers les gens qui mangent du poisson… En fait, ils ont laissé faire la nature.

Ils avaient calculé qu'il leur faudrait entre une et trois décennies pour arriver à casser ce transfert. Mais, au bout de treize ans, ils se sont rendus compte que les concentrations relevées dans les poissons étaient déjà arrivées à un niveau inférieur à la limite maximale de résidus en vigueur à l'époque pour protéger les populations. Cette limite s'établit par contre à 300 microgrammes par kilo de poisson frais, c'est-à-dire qu'elle est plus de dix fois supérieure à celle que nous utilisons. Ainsi, ils ont seulement laissé faire la nature.

La seule chose qu'ils ont continué à suivre, au cours du temps, est tout de même la décontamination, pour voir comment elle évolue. Au bout de treize ans, ils ont pu lever toutes les interdictions de pêche sur la James River. Aujourd'hui, en 2016, une dernière estimation de la contamination des poissons a révélé que, en 2020-2025, ils ne seraient plus capables de détecter de la chlordécone dans les poissons. On passerait ainsi en dessous de la limite de détection.

Cela étant dit, il y a peut-être d'autres méthodes de remédiation qui ont été développées, mais pour traiter d'autres composés. D'ailleurs, le processus ISCR qui a été testé aux Antilles était basé au départ sur un brevet détenu par une société américaine. Mais il n'avait pas été développé spécifiquement pour le chlordécone.

Les études qui ont été réalisées dans d'autres pays l'ont été après 2009, une fois la chlordécone inscrite sur la liste des polluants organiques persistants annexée à la convention de Stockholm. Des inventaires de la présence de chlordécone dans l'environnement ont été dressés, au titre du suivi des polluants organiques persistants (pop) dans l'environnement. Pour ce faire, des gens ont engagé des développements analytiques. Voilà, à notre connaissance, les recherches qui sont faites.

Il n'y a pas, ailleurs qu'en France, de gens qui travaillent spécifiquement sur le chlordécone. Par contre, il y a, ailleurs dans le monde, des spécialistes susceptibles de s'y intéresser. On a fait appel à eux lorsqu'un atelier chlordécone a été organisé en 2010 ; des experts étrangers sont venus y participer. Mais il est vrai qu'on n'a pas mobilisé la communauté internationale sur cette thématique. Les Américains ont résolu eux-mêmes leur problème. En fait, pour eux, il n'y a plus de problème de chlordécone, donc ils n'incitent pas leurs chercheurs à travailler sur ce sujet.

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