Avec mes collègues ici présents, j'ai reçu pour mission de procéder à l'évaluation du plan chlordécone III, qui doit prendre fin en 2020. Cette évaluation doit être suivie d'un quatrième plan, pour la définition duquel il nous est demandé de formuler des recommandations.
Je rappelle que cette mission vient de commencer ses travaux, nous sommes dans les phases préliminaires de collecte de l'information et de rencontre des administrations centrales, notre lettre de mission provient d'ailleurs des ministères dont celles-ci dépendent. Nous ne sommes donc pas, à ce stade, en mesure de vous fournir des informations ou des analyses d'évaluation de ce plan chlordécone III.
C'est pourquoi je vous propose une remise en perspective historique et de vous rappeler quelques conclusions et analyses provenant du rapport fait en 2011 sur le plan chlordécone I, alors que le deuxième plan était en cours. Ce qui sera pour moi l'occasion de répondre aux questions que vous nous avez adressées sur un certain nombre de sujets précis.
Nous pourrons ensuite évoquer les demandes d'évaluation de réalisation des objectifs du plan chlordécone III qui nous ont été adressées par la lettre de mission en précisant qu'elle sera notre démarche et notre méthodologie.
Parmi les thèmes traités dans le rapport de 2011 figure celui de l'impact environnemental. À l'époque, une série d'actions a montré que l'ampleur de la contamination était extrêmement large et touchait l'ensemble des milieux naturels de l'île, avec comme différence que la Martinique était globalement touchée par la pollution alors qu'en Guadeloupe seuls le sud de l'île et la région de Basse-Terre l'étaient.
L'analyse des sols en milieu terrestre a montré que cette pollution excédait largement les anciennes soles bananières et que les eaux souterraines superficielles étaient, elles aussi concernées ainsi que les eaux littorales. Les analyses ont ainsi mis en évidence l'impact de la pollution sur les écosystèmes d'eau douce, les espèces aquatiques ayant accumulé la chlordécone ; les espèces terrigènes vivant dans le sédiment vaseux étant touchées au premier plan ainsi, que leurs prédateurs par voie de conséquence. Cet état de fait n'a évidemment pas été sans conséquence sur la contamination par l'homme de cette chaîne alimentaire.
Par ailleurs, la surveillance des eaux superficielles et souterraines des Antilles a mis en évidence la présence de beaucoup d'autres polluants organiques, notamment organochlorés, et de pesticides autres que la chlordécone dans ces milieux. Ainsi la population antillaise est-elle non seulement exposée à la chlordécone, mais aussi à de nombreux autres pesticides. Du point de vue de la mission de l'époque, cette dimension n'était pas assez prise en compte ; c'est pourquoi les recommandations insistaient sur le comblement de cette lacune.
De son côté, l'impact sanitaire a pu être mesuré par des études épidémiologiques, dont la plus connue est Karuprostate, lancée en 2004 et dont les premières conclusions ont été publiées en 2010. Cette analyse épidémiologique avait mis en évidence une augmentation du risque d'occurrences d'un cancer de la prostate chez les hommes dont le taux de chlordécone dans le sang est élevé. C'est la première fois qu'un lien a été établi entre la chlordécone et un type de cancer au sein de la population antillaise exposée à ce pesticide.
Une seconde cohorte, mère-enfant cette fois, appelée Timoun, a été retenue pour une étude portant sur un temps long ; les premiers résultats avaient permis d'identifier des problèmes de développement psychomoteur chez le nourrisson.
Ainsi, dès ces premières études, on disposait d'éléments de veille sanitaire propres à cibler des populations sensibles afin d'en assurer le suivi dans le temps et de procéder à la prise en charge médicale nécessaire.
Le troisième point digne d'intérêt porte sur la mise en place d'actions spécifiques de recherche, dont les enquêtes épidémiologiques constituent un des éléments. À l'époque, les communautés scientifiques concernées étaient déjà fortement mobilisées, et avaient constaté que l'ajout de matières organiques dans certains sols stabilisait la chlordécone qui ainsi ne passait pas dans les cultures. Des analyses de transfert entre le sol et les plantes ont montré comment la chlordécone s'accumulait de façon différentielle dans les différentes parties de l'appareil végétatif des cultures ; des valeurs absolues plus ou moins importantes en fonction des végétaux ont pu être mesurées. Ces résultats, dans le cadre du programme JAFA (Jardins familiaux) notamment, ont permis d'orienter la pratique de cette agriculture.
Il a encore été montré qu'en faisant paître des ruminants sur des terrains propres, on observait une décontamination de ces animaux au fil du temps.
Des actions de recherche dans le domaine de la dépollution avaient par ailleurs été menées, qui montraient que la dégradation de la chlordécone était possible. Ces travaux menés très en amont ont conduit à rechercher des méthodologies de dépollution et de remédiation en utilisant des bactéries capables de dégrader la chlordécone ou en recourant à des actions chimiques.
Par ailleurs, vous nous avez interrogés au sujet des politiques publiques de recherche. Il est vrai que la recherche s'inscrit dans un temps long au regard de la durée de ces plans et, bien entendu, des attentes des populations qui veulent des résultats. En outre, la mobilisation des fonds nécessaires est complexe, car la recherche fonctionne par appel à projets. Enfin, les actions conduites, dans le domaine de la dépollution par exemple, l'ont été dans un ordre relativement dispersé, quels que soient leur pertinence et leur intérêt ; et d'autres sujets auraient mérité une meilleure coordination.
S'agissant des interdictions d'usage de la chlordécone susceptibles de toucher les agriculteurs, les éleveurs et particulièrement les pêcheurs en eau douce, il est clairement apparu que rien n'avait été anticipé, à part dans une moindre mesure, pour les agriculteurs, mais certainement pas pour les pêcheurs. Les aides à la reconversion proposées à l'époque obéissaient à la réglementation européenne et étaient singulièrement insuffisantes. C'est pourquoi une de nos recommandations de l'époque était que la solidarité nationale s'exprime clairement afin de permettre une reconversion correcte des personnes touchées ; ce qui passait par des mises en préretraite ou des reconversions personnalisées en fonction des profils particuliers des intéressés.
Je viens donc, monsieur le président, de rappeler quelques éléments importants relatifs aux conclusions du rapport de 2011 qui concernait la mise en oeuvre du plan chlordécone I ainsi que le début du deuxième plan. C'est après cette remise en perspective que je me suis proposé de présenter les demandes qui nous ont été adressées dans le cadre de l'évaluation du plan chlordécone III, et quelle sera la démarche que nous adopterons. Ces questions de méthodologie sont encore débattues au sein de la mission puisqu'elle vient à peine de commencer ses travaux.