Je vous remercie de votre présence durant toutes les heures que nous aurons à passer ensemble, tant en commission que dans l'hémicycle, au service de ce projet de loi si attendu, si important, si nécessaire, aussi.
À l'heure où les contenus abondent, où les modes de visionnage se diversifient, où les écrans se démultiplient, notre cadre législatif est dépassé. La loi relative à la liberté de communication date de 1986, avant qu'internet n'existe. L'audiovisuel d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec celui d'alors. Cette loi avait été conçue pour une autre époque, un autre monde. Certes, elle a été modifiée depuis, à de nombreuses reprises, mais avec, à chaque fois, des actualisations à la marge.
Aujourd'hui, le texte a besoin d'être repensé en profondeur. Cela est non pas une option mais une évidence, une obligation car le secteur se trouve face à des mutations majeures. La révolution numérique et les acteurs qui ont émergé avec elle ne sont pas une menace en soi, mais ils peuvent le devenir. Notre responsabilité est de faire de la révolution numérique une opportunité, tant pour les créateurs que pour les publics. C'est tout le sens du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
Le projet de loi est historique parce qu'il établit enfin un cadre adapté à la télévision, à la radio et aux contenus audiovisuels du XXIe siècle ; parce qu'il permet à la France de montrer la voie, d'être un exemple et, d'une certaine façon, un modèle pour ses voisins.
Avec ce texte, nous serons les premiers à transposer plusieurs directives, pour lesquelles nous nous sommes battus, avec le Président de la République, avec le Premier ministre, avec le Gouvernement, avec vous, députés, avec les sénateurs, avec les députés européens et les professionnels de ces secteurs. Notre mobilisation a été déterminante au moment de leur adoption. Avec ce projet de loi, nous montrons à l'Europe que nous sommes aussi mobilisés pour transposer que nous l'étions hier pour négocier et voter les directives.
Je viens vous présenter l'ambition de ce texte – elle est grande –, son contenu et son impact concret dans la vie des Françaises et des Français.
Le projet de loi porte à la fois une ambition culturelle forte, et une ambition de souveraineté. Il s'agit de permettre non seulement le développement de la diversité culturelle et de la créativité, mais aussi à l'audiovisuel et au cinéma français de rayonner davantage encore. Enfin, le projet de loi doit rendre possible l'application de notre modèle culturel français, qui repose sur des règles et des valeurs, à l'ensemble des acteurs, nationaux comme étrangers.
La seconde ambition du projet de loi est démocratique, sociétale et citoyenne : elle vise à protéger les citoyens de certains excès du numérique, et à leur offrir à tous, urbains ou ruraux, de l'Hexagone ou d'outre-mer, de tous les âges et de tous les milieux, un service plus proche et plus efficace.
Quant à son contenu, si nous aurons tout le loisir d'en discuter plus en détail ensemble, tout à l'heure, la semaine prochaine puis dans l'hémicycle, à partir du 30 mars, je souhaiterais d'ores et déjà vous en résumer les grandes lignes.
Le texte se compose de trois parties principales. La première concerne le soutien à l'industrie française de l'audiovisuel et du cinéma, et la protection de tous les artistes engagés dans l'acte de création. Ma conviction est que les acteurs traditionnels de l'audiovisuel et les acteurs numériques doivent pouvoir coexister. Or il existe aujourd'hui une trop forte asymétrie entre eux.
Les chaînes de télévision sont soumises à des règles contraignantes, tandis que les plateformes échappent à la plupart d'entre elles. Le rôle de l'État et l'objectif de cette loi sont de rééquilibrer les règles du jeu, de faire en sorte que ces dernières jouent à armes égales et de maintenir une concurrence équitable entre elles.
Cette loi ne se fera pas contre les plateformes, mais avec elles : elle vise à les intégrer à notre modèle. Intégrer, ce n'est pas opposer. Cela implique de ne pas renoncer à ce que nous sommes, transiger sur nos valeurs ou compromettre les piliers de notre modèle culturel. Cela implique de continuer à exiger que ceux qui diffusent les oeuvres financent ceux qui les créent ; d'encourager les acteurs vertueux et d'avantager ceux qui sont les meilleurs alliés de la création.
Les plateformes comme Netflix, Amazon Prime Vidéo, et demain, Disney+, apportent un service que nos concitoyens apprécient. Elles offrent à nos créateurs de formidables opportunités de diffusion en France et partout dans le monde. Elles sont les bienvenues, mais elles doivent respecter nos règles. Avec ce projet de loi, elles devront respecter les principes de notre système de financement de la création audiovisuelle et cinématographique. C'est une question d'équité.
Les groupes de télévision ont déjà l'obligation de financer des séries et des films français et européens. Le projet de loi prévoit que les nouveaux services soient aussi concernés : ils devront financer la production française et européenne à hauteur d'au moins 16 % de leur chiffre d'affaires pour les services généralistes et d'au moins 25 %, pour les acteurs spécialisés dans le cinéma et l'audiovisuel. Il y aura donc davantage de créations françaises produites par Netflix.
Ces nouvelles plateformes en produisent déjà, mais nous voulons qu'elles aillent plus loin dans cette production, et qu'elles valorisent davantage les oeuvres françaises et européennes. Notre culture est faite de ces oeuvres. Il nous revient d'enrichir, de partager ce patrimoine, de rappeler inlassablement que notre culture est unique, et de la faire vivre. Le texte y contribue.
En outre, avec ce projet de loi, les plateformes devront respecter les fondements du droit d'auteur à la française, par exemple l'obligation de recourir à un producteur délégué ou de laisser le montage final – final cut – entre les mains du réalisateur. Pour faire obstacle aux pratiques anglo-saxonnes de buy out, qui consistent à racheter l'ensemble des droits sans limitation de territoires ou de durée, le projet de loi prévoit que les contrats de production devront comporter des clauses types, qui traduiront les principes du droit moral et les conditions essentielles de la rémunération des auteurs.
Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), résultant de la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), seront chargés de vérifier la présence et le respect de ces clauses types. Si elles sont absentes, une oeuvre ne pourra ni être prise en compte au titre des obligations d'investissement ni être éligible aux aides du CNC. L'ARCOM devra en tenir compte dans le décompte des obligations des diffuseurs.
Rééquilibrer les règles ce n'est toutefois pas seulement en imposer de nouvelles à ceux qui n'y sont pour le moment pas assujettis : cela implique également d'assouplir celles qui s'imposent aux acteurs traditionnels. Je pense notamment aux règles encadrant la diffusion de la publicité à la télévision, dont l'assouplissement donnera aux chaînes l'accès à de nouvelles ressources, qui, une fois réinvesties dans la création, permettront de consolider nos champions français de l'audiovisuel. Je serai clair : le temps de publicité à la télévision n'augmentera pas, seule l'adaptation des règles régissant cette publicité permettra d'augmenter les recettes liées.
Celle-ci a par ailleurs été pensée de manière à ne pas déstabiliser le marché publicitaire des autres secteurs, notamment de la presse, nationale ou régionale. Elle fait suite à une longue consultation, et repose sur une étude d'impact. Ainsi, la publicité ne sera pas autorisée pour les offres promotionnelles du secteur de la distribution car cela déstabiliserait l'équilibre du marché publicitaire, de la radio et de la presse.
En revanche, la publicité segmentée à la télévision sera autorisée, de manière encadrée. C'est non seulement un relais de croissance et de modernisation pour la télévision, mais aussi un élément de compétition équitable entre acteurs de l'internet et télévision. Nous serons évidemment attentifs à la protection des données personnelles dans le déploiement de cette innovation.
Dans sa deuxième partie, le texte s'attache à rénover la régulation et à renforcer le rôle du régulateur. Pour s'adapter à la convergence des médias, il convient de ne pas séparer la régulation de l'audiovisuel et celle du numérique. C'est pourquoi le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la HADOPI seront fusionnés au sein d'une autorité unique, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l'ARCOM. Ce nouveau régulateur assurera la protection des publics sur tous les écrans. Il agira contre les infox – les fake news, en bon français –, contre la prolifération de contenus haineux et pour la protection des mineurs. Il sera également doté de prérogatives renforcées pour lutter contre les sites pirates, y compris en ce qui concerne les compétitions sportives. Sur ce volet, sa coopération avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) sera renforcée.
Dans le même temps, l'État se dotera d'un véritable pôle d'expertise sur la régulation numérique. Les travaux avec le ministère de l'économie et des finances sont d'ores et déjà bien engagés.
Enfin, la troisième partie du projet de loi vise à réaffirmer le rôle et la singularité de l'audiovisuel public français. Je veux en faire une référence en Europe, une source de rayonnement pour notre pays. Pour y parvenir, son offre doit se transformer, en se distinguant davantage des offres privées et en se recentrant sur ses missions de service public. La formation, l'éducation, la culture, la cohésion sociale, le rayonnement international de la France et la proximité doivent être ses priorités, le coeur de son offre de programmes, à la télévision, à la radio, comme en ligne.
Ces priorités communes appellent un renforcement des coopérations entre les sociétés de l'audiovisuel public. Elles doivent rassembler leurs forces pour proposer une offre véritablement complémentaire, sur tous les écrans. À cette fin, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) seront réunis au sein d'un groupe public, chargé de définir une stratégie globale, France Médias. La composition des conseils administration sera modifiée et la nomination des dirigeants relèvera désormais de l'initiative des conseils d'administration.
Nous en venons à la façon dont le texte se traduira concrètement pour les Français. L'offre de programmes sera améliorée, enrichie, diversifiée et rendue plus accessible, sur tous les écrans. Nous généraliserons l'ultra-haute définition sur le réseau de télévision numérique terrestre (TNT) d'ici à 2024, pour que nos concitoyens aient notamment un accès de grande qualité aux retransmissions des Jeux Olympiques. Il y aura aussi plus de cinéma – tous les jours de la semaine, sur les chaînes de télévision gratuites –, plus de films et de séries françaises et européennes sur les plateformes, plus de programmes de proximité, dédiés à la jeunesse, et plus de programmes accessibles aux personnes en situation de handicap, à la télévision comme sur les plateformes.
Les chaînes de télévision ont déjà l'obligation de rendre les programmes accessibles à ces personnes. Avec ce projet de loi, les services de vidéo à la demande comme Netflix, OCS, et les services de télévision de rattrapage seront aussi concernés. Rééquilibrer les règles, cela veut dire imposer les mêmes règles à tout le monde, à Netflix aussi bien qu'à TF1 ou M6.
Mesdames et messieurs les députés, la réforme que nous allons conduire ensemble est historique. Avec ce projet de loi, nous préparons la télévision, la radio et tout le paysage audiovisuel français pour l'avenir. Nous les aidons à entrer véritablement dans le XXIe siècle. C'est une responsabilité de taille, et je compte naturellement sur votre mobilisation, que j'ai pu constater depuis des semaines, et sur celle de l'ensemble du Parlement.
J'ai été auditionné la semaine dernière par la commission des affaires étrangères sur les dispositions relatives à l'audiovisuel extérieur. Une première étape a été franchie ; nous en abordons aujourd'hui une deuxième.
Le texte que nous examinons est très dense. Je vous remercie par avance pour le travail que nous réaliserons ensemble, et salue le travail de grande qualité, réalisé par la rapporteure générale, Mme Aurore Bergé, et par les rapporteures, Mme Sophie Mette et Mme Béatrice Piron.
Je salue aussi l'implication de très nombreux députés sur ce texte, depuis plusieurs années pour certains, comme en témoignent, M. le président l'a mentionné, la contribution rédigée en 2018 par Mme Frédérique Dumas, M. Pascal Bois, M. Raphaël Gérard, Mme Marie-Ange Magne, Mme Sophie Mette, Mme Sandrine Mörch et M. Pierre-Alain Raphan ou le rapport d'information de Mme Aurore Bergé et M. Pierre-Yves Bournazel. À travers eux, je salue l'ensemble des membres de la mission d'information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l'ère numérique.
D'autres travaux parlementaires viennent enrichir nos débats, tels ceux de la mission flash conduite par Mme Florence Provendier et Mme Michèle Victory sur les quotas de chansons francophones applicables aux radios privées. Nous pouvons également compter sur les contributions à l'expertise des rapporteurs des commissions saisies pour avis ou pour observation, Mme Christine Hennion, M. Éric Bothorel, M. Christophe Euzet et M. Jean-François Portarrieu, ainsi qu'aux députés qui, par leur parcours professionnel ou leurs liens avec les acteurs de l'audiovisuel apportent une vraie valeur ajoutée et des propositions concrètes à ce projet de loi, notamment Mme Céline Calvez, M. Bruno Fuchs, Mme Sandrine Mörch, M. Erwan Balanant, M. Bruno Millienne ou M. Frédéric Petit.
En dernier lieu, je remercie l'ensemble des membres de cette commission pour leurs amendements.