Je suis ravie que la commission examine enfin le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, un texte très attendu non seulement par la filière audiovisuelle et cinématographique mais également par les membres de notre commission, dont plusieurs ont participé à la mission d'information que le président Studer avait souhaité créer dès le début, ou presque, de la législature.
En tant que rapporteure de cette mission d'information, présidée par M. Pierre-Yves Bournazel, j'avais préconisé un ensemble de mesures pour actualiser la loi de 1986, devenue complexe et peu lisible du fait de la sédimentation législative, et pour tirer les conséquences des bouleversements sociologiques et économiques induits par la révolution numérique.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis met en oeuvre une large partie des recommandations de la mission d'information. Je ne peux que m'en féliciter, car cela montre que le Parlement a toute sa place dans l'initiative de la loi. Je salue aussi les nombreuses initiatives de nos collègues, tels les rapports pour avis dans le cadre des discussions budgétaires, ou les rapports de la délégation aux outre-mer.
Le projet de loi consacre notamment, dans son titre Ier, la nécessité de moderniser le soutien à la création audiovisuelle et cinématographique, notamment la contribution au développement de la production des éditeurs de chaînes de télévision et des services de médias virtuels à la demande. Dans mon rapport d'information, j'avais appelé à renvoyer plus fréquemment aux accords professionnels entre éditeurs et producteurs dont on a vu ces dernières années qu'ils permettaient au secteur de trouver des compromis féconds. C'est tout l'objet de l'article 1er du projet de loi, qui renvoie à un décret le soin d'établir non seulement des dispositions socles, mais aussi, des marges de manoeuvre pour la négociation professionnelle.
Vous le savez, monsieur le ministre, la rédaction actuelle du texte de loi, comme du projet de décret, suscite des inquiétudes assez vives, parmi les éditeurs et les producteurs. Des clarifications pourront être apportées au texte. Je pense notamment à la mention des mandats de commercialisation, qui doivent être intégrés à la définition de la production indépendante. De la même manière, il semble nécessaire de prévoir une contribution minimale, applicable en matière d'oeuvres cinématographiques, pour éviter toute mutualisation des obligations dans la part dépendante.
Il importe également de préciser la répartition entre les oeuvres européennes et les oeuvres d'expression originale française car elle n'est pas anodine pour les acteurs étrangers qui y seront désormais soumis, alors que la plupart d'entre eux proposent des contenus principalement sinon exclusivement américains.
Sans entrer dans le détail des amendements que j'ai déposés, il me semble indispensable de prévoir une forme d'obligation de diversité dans les investissements auxquels consentiront les chaînes et les services à la demande, pour qu'ils irriguent l'ensemble de l'écosystème, et que l'obligation ne soit pas détournée de ses fins.
Il semble également indispensable de consacrer dans la loi la notion de producteur délégué, qui fait la spécificité et la force du modèle français, et qui pourrait être mise à mal avec l'arrivée de nouveaux acteurs, notamment américains, lesquels recourent plus volontiers à la production exécutive.
M. le ministre a d'ailleurs mentionné dans son propos l'obligation de recourir aux producteurs délégués. Il semble donc pertinent d'étendre à la part dite dépendante l'interdiction, pour le diffuseur, d'être producteur délégué. Dans le cas contraire, il suffira aux géants américains d'ouvrir des studios en France pour remplir une part non négligeable de leurs obligations. Monsieur le ministre, comment appréhendez-vous cette proposition ?
Une autre idée me tient à coeur, car elle est fondamentale pour le monde numérique, et se trouve au centre des bouleversements que connaît l'écosystème, celle de la neutralité technologique. M. le ministre a dit qu'il fallait intégrer les plateformes à notre modèle, et qu'elles étaient les bienvenues. On ne peut pas décemment intégrer les services numériques, notamment étrangers, à l'obligation de contribution sans se poser la question des règles discriminatoires qui existent aujourd'hui, notamment en matière de chronologie des médias. Si nous devons absolument sanctuariser la fenêtre d'exposition en salles de cinéma, et réaffirmer que, pour la France, un film doit sortir en salle, un acteur numérique, qui souhaiterait être aussi vertueux que l'est Canal+ à l'heure actuelle devrait pouvoir bénéficier des mêmes accords avec les producteurs que Canal+ au sein de sa fenêtre de chronologie. Monsieur le ministre, comment envisagez-vous de faire respecter ce principe de non-discrimination ?
Le deuxième chapitre du titre Ier consacre l'instauration d'une concurrence plus équitable, notamment dans le domaine publicitaire. J'avais en effet appelé à un assouplissement de la réglementation relative à la publicité, de sorte que ce gisement de croissance ne bénéficie pas exclusivement aux géants du numérique Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA), mais bien aux groupes audiovisuels français.
De nombreuses règles sont d'ordre réglementaire, néanmoins plusieurs sont prévues dans le projet de loi, comme les écrans partagés lors des retransmissions sportives ou la troisième coupure de publicité dans les films de longue durée.
Je m'interroge toutefois sur la libéralisation du placement de produits. S'il est vrai que la directive SMA offre désormais un cadre très libéral, il n'est pas certain qu'il faille la transposer dans toutes ses dimensions. Certains programmes se prêtent en effet mal à un placement de produits. C'est par exemple le cas des documentaires, qui véhiculent de l'information, et dont les auteurs sont souvent des journalistes. Il ne faut pas que, dans l'esprit du spectateur, une confusion soit possible entre un contenu éditorial et un contenu placé. Il me semble dès lors nécessaire de redonner au régulateur la marge de manoeuvre qui est aujourd'hui la sienne dans ce domaine, afin qu'il décide lui-même si le programme peut ou non faire l'objet d'un placement de produits, et à quelles conditions.
Dès lors que le recours au placement de produits est élargi, il faut renforcer la protection du spectateur, car la technique est par nature plus insidieuse que la publicité classique. Monsieur le ministre, quel est votre point de vue sur cette question, eu égard aux craintes que j'ai formulées ?
Sur un autre sujet, je me félicite de ce que le texte supprime enfin les jours interdits, qui empêchaient la programmation de films à la télévision certains soirs de la semaine et étaient devenus parfaitement anachroniques. Toutefois, j'entends les questions du secteur : ces jours interdits ne seraient pas totalement supprimés et substituerait, par décret, une interdiction concernant certains jours. L'interdiction n'est-elle que transitoire ou a-t-elle vocation à être pérenne ? Auquel cas, il me semble que la suppression de l'article 11 s'impose…
Mais la modernisation de la télévision, c'est aussi la modernisation de sa diffusion et de sa réception. Le projet de loi accompagne le processus de passage à l'ultra haute définition (UHD). C'est un peu moins le cas pour la radio numérique terrestre, aussi appelée DAB+. Les obligations de compatibilité – notamment l'échéance fixée à décembre 2020 pour les autoradios – me paraissent un peu en deçà de l'ambition portée par le Gouvernement et le CSA en matière de déploiement du DAB+. Tout en respectant le nouveau code européen, il me semble souhaitable de revenir partiellement au droit existant, mieux-disant. Sinon, des milliers d'automobilistes seront privés de cette technologie qui permet de capter de très nombreuses radios. Quelles raisons auriez-vous de vous opposer à cette évolution ?
De façon plus générale, beaucoup estiment que la radio est la grande absente du texte. S'il n'y a rien concernant les quotas de chansons francophones à la radio, j'imagine que c'est parce que vous avez souhaité laisser toute latitude au Parlement, compte tenu de la récente mission flash que nos collègues Florence Provendier et Michèle Victory ont conduite ! Je suppose qu'elles vous interrogeront, mais j'aimerais recueillir votre avis sur le sujet connexe de la régulation des nouveaux acteurs de la distribution de contenus audios – agrégateurs de flux radio et de podcasts, enceintes connectées – qui vont devenir le moyen privilégié d'accéder à ces contenus pour beaucoup de Français. Il faut traiter ce sujet majeur, sans quoi le projet de loi manquerait une partie de son objectif.
Je me réjouis que ce projet de loi soit l'occasion de transposer la directive du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, dite directive droit d'auteur, dont on sait que l'adoption dans sa rédaction finale a été emportée de haute lutte dans les instances européennes grâce à la ténacité des autorités françaises face à ceux qui voulaient détricoter le droit d'auteur tel que nous l'entendons. Il convient néanmoins de demeurer attentif à la préservation des équilibres économiques patiemment construits par les conventions collectives. Je pense notamment aux inquiétudes liées à la rémunération proportionnelle pour les artistes-interprètes, alors que de nombreux secteurs ont affirmé leur attachement à la rémunération forfaitaire et se sont émus du contenu du projet de loi. Monsieur le ministre, quel équilibre pourrions-nous trouver ?
Vous le savez, la protection du droit des créateurs à une juste rémunération est un combat qui m'anime depuis le début de la législature. Je me réjouis donc des dispositions prévues aux articles 22 et 23, qui permettront de lutter plus efficacement contre le piratage d'oeuvres culturelles, mais aussi de contenus sportifs – notamment l'inscription sur une liste noire publique des sites massivement contrefaisants. Les débats en commission permettront sans doute d'aller encore plus loin dans la lutte contre les sites miroirs, pour la protection de toutes les compétitions sportives, y compris les plus courtes, ou dans la lutte contre le téléchargement illégal.
Concernant la régulation du secteur de l'audiovisuel et du numérique, je me réjouis de la création d'une nouvelle autorité, résultat de la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), que j'avais recommandée. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) constituera un outil puissant au service du respect de la loi et des droits, le projet de loi renforçant en outre la coopération avec les autres instances de régulation du secteur, ainsi que ses pouvoirs et ses moyens d'enquête. Elle sera notamment compétente pour la régulation des plateformes en ligne et son rôle est accru en matière d'accessibilité des services audiovisuels et numériques aux personnes en situation de handicap.
Cependant, je m'interroge sur la formulation de l'article 41 qui dispose que l'ARCOM veille à ce que les services de radio, de télévision et de médias audiovisuels à la demande ne puissent pas être interrompus ou modifiés sans l'accord explicite de leurs éditeurs. Certains considèrent qu'il s'agit d'une « sur-transposition » de l'article 7 ter de la directive du 14 novembre 2018 révisant la directive relative à la fourniture de services de médias audiovisuels, dite directive SMA révisée. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, le secteur public de l'audiovisuel est particulièrement concerné et impliqué dans la révolution numérique en cours. Sa réorganisation autour d'une société mère, France Médias, doit permettre de lui donner les moyens de faire face à une concurrence mondialisée. Ses missions sont réorganisées et clarifiées. Je regrette néanmoins que le divertissement soit présenté comme un domaine, et non comme une mission. Nous devons inscrire dans la loi la responsabilité particulière de l'audiovisuel public à l'égard de la jeunesse. La suppression de France 4, annoncée par le Gouvernement, laisse beaucoup de parlementaires perplexes : elle doit être compensée par la réintroduction de programmes jeunesse de qualité aux carrefours d'audience des enfants sur toutes les autres chaînes linéaires de France Télévisions.
En outre, pour ne pas contrarier les trajectoires des contrats d'objectifs et de moyens (COM) de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, qui arrivent à échéance en 2022 et nous engagent, je souhaiterais que France Médias ne commence à répartir les ressources publiques entre ses filiales – dites sociétés filles – qu'à partir de 2023. Qu'en pensez-vous ?