Intervention de Franck Riester

Réunion du mercredi 26 février 2020 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Franck Riester, ministre de la culture :

Ma première réponse portera sur l'animation et sur France 4 dont la diffusion cessera, comme celle de France Ô, le 9 août prochain : cet arrêt ne signifie évidemment pas que les contenus relatifs tant à la jeunesse qu'aux Outre-mer disparaîtront des écrans de France Télévisions. Cela étant, il est important, comme l'ont dit Aurore Bergé et Jean-Jacques Gaultier, reflétant ainsi une préoccupation commune à toute la commission, de s'assurer de leur présence dans l'offre globale de l'audiovisuel public, c'est-à-dire du futur France Médias, que ce soit sous une forme numérique ou linéaire.

Un gros travail a été mené concernant l'outre-mer avec les députés et les sénateurs ultramarins, France Télévisions et certains professionnels du secteur pour définir un pacte pour la visibilité dont certains éléments très précis permettront d'une part de s'assurer que France Télévisions les met bien en avant, tant dans les contenus, les visages que dans les lieux de tournage, et d'autre part de suivre la bonne application de ces engagements.

Je pense qu'un dispositif similaire serait utile pour l'animation et la jeunesse. J'ai donc demandé à France Télévisions de me proposer un pacte qui permette, d'ici à la fin du mois d'avril, et en lien avec un certain nombre de parlementaires et de professionnels du secteur, de fixer noir sur blanc son volontarisme en la matière. Celui-ci devra se traduire tant dans l'offre numérique, avec les plateformes Okoo et Lumni, que linéaire. Un groupe de suivi permettrait là aussi de s'assurer de l'engagement de France Télévisions, dont le cahier des charges a par ailleurs été modifié afin d'intégrer cette nouveauté.

Mme Aurore Bergé m'a interrogé à propos des mandats de commercialisation que sans les mentionner le projet de loi intègre bien dans les critères retenus pour le calcul de la part indépendante. Je suis ouvert à toute précision qui s'avérerait nécessaire.

Je souhaite par ailleurs le déploiement de la radio numérique terrestre (RNT) en DAB+ (Digital Audio Broadcasting), que nous avons, en lien avec le CSA, décidé d'accélérer, en veillant à ce que Radio France puisse préempter un certain nombre de canaux de diffusion. Il s'agit d'inscrire l'audiovisuel public dans cette nouvelle technologie, au service du plus grand nombre. Le projet de loi se conforme en l'espèce au nouveau code européen des télécommunications électroniques qui prévoit l'entrée en vigueur de l'obligation de compatibilité des autoradios au 21 décembre 2020, alors qu'elle est actuellement fixée au 20 juin 2020. Cette disposition est sans incidence sur l'obligation de compatibilité au DAB+ applicable aux autoradios. Mais nous pourrions, le cas échéant, revoir cette échéance pour apaiser les inquiétudes et éviter tout malentendu. Au même titre que nous sommes allés très loin dans le texte en matière de compatibilité d'un certain nombre de postes de télévision à la technologie Ultra HD, nous sommes prêts à le faire de même pour la RNT.

J'en viens à l'ARCOM et à l'éventuelle sur-transposition relative à l'intégrité du signal : l'alinéa 2 de l'article 41 du projet de loi se borne à transposer la directive SMA puisqu'il prévoit que « […] Les services de radio, de télévision et de médias audiovisuels à la demande ne peuvent pas être interrompus ou modifiés sans l'accord explicite de leurs éditeurs. »

Pour avoir échangé avec un certain nombre de professionnels et avec vous, je sais que le terme « interrompus » – qui ne figure pas, il est vrai, dans la directive : il est repris d'un considérant de celle-ci – a fait naître des malentendus. Certains y ont vu un lien, que je ne fais pas, avec le litige portant sur le paiement du signal des chaînes. Si le besoin s'en fait sentir, je suis là aussi ouvert à la clarification de la rédaction.

Sur l'autorisation de diffuser des oeuvres cinématographiques tous les jours sur les chaînes de télévision gratuite, j'ai indiqué en septembre dernier qu'il fallait trouver l'équilibre le plus juste entre acteurs de l'audiovisuel et de l'internet pour faciliter l'accès de nos compatriotes à un contenu audiovisuel diversifié et de qualité. La suppression des jours interdits de diffusion constitue un bon exemple de cette volonté. Nous assouplissons les règles afin que les chaînes de télévision puissent proposer des films de cinéma tous les soirs. L'encadrement ne serait plus conservé que le samedi soir, la diffusion étant alors restreinte à des films coproduits ou à des films d'auteur, c'est-à-dire d'art et essai.

Les chaînes de cinéma ne seraient bien évidemment soumises à aucune restriction d'horaires. Quant au plafond de diffusion des films, il serait totalement supprimé pour ces dernières et relevé de cinquante-deux pour les chaînes gratuites.

Techniquement, le décret dont le projet a été transmis au CSA le 18 février et qui pourrait être publié au mois d'avril 2020 constitue la première étape d'un assouplissement mené en deux temps : d'abord, donc, par voie réglementaire, puis par voie législative au travers de l'abrogation, dans le projet de loi, des articles de la loi de 1986 qui interdisait la diffusion de films certains jours de la semaine et qui renvoyait à un décret le soin de fixer ces interdictions.

Ledit projet de décret modifie bien le décret diffusion et prévoit que le CSA évaluera les modifications envisagées au plus tard dix-huit mois après son entrée en vigueur. Au vu du bilan, soit nous supprimerons totalement tous les critères, soit nous en maintiendrons un certain nombre.

La transposition de la directive SMA permettra par ailleurs un assouplissement du placement de produits, alors qu'il revient aujourd'hui au CSA de déterminer les programmes dans lesquels il est possible d'y recourir et qu'il ne l'a autorisé que dans les oeuvres cinématographiques, les fictions audiovisuelles et les clips vidéo. J'ai entendu la proposition d'un élargissement au documentaire : parlons-en en commission puis dans l'hémicycle.

La chronologie des médias, grâce à laquelle les films bénéficient de plusieurs fenêtres exclusives successives d'exploitation, est un élément structurant du financement du cinéma. C'est une des forces du système français qui a permis à notre pays de garder une industrie cinématographique dynamique et diverse. Cette chronologie est le fruit d'accords professionnels. Dès lors que l'on demande à un certain nombre d'acteurs de se montrer vertueux comme les autres, il est important de réfléchir à son évolution pour prendre compte la nouvelle réalité.

C'est la raison pour laquelle j'ai, depuis plusieurs mois, incité les acteurs à se mettre autour de la table pour y travailler, notamment sur la base du projet de loi, afin que, sur cette question comme sur d'autres, des accords professionnels puissent être trouvés.

Comme vous l'avez rappelé, madame la rapporteure, l'esprit du texte est de fixer, par la loi et le règlement, le cadre d'un secteur à l'évolution rapide en se montrant exigeant et ambitieux en matière de financement et de diversité de la création. Il appartient ensuite aux acteurs d'adapter plus régulièrement, plus facilement et plus rapidement les différentes dispositions régissant leurs rapports, au travers soit des conventions de l'ARCOM, soit d'accords professionnels. Mais s'ils ne prenaient pas leurs responsabilités, il reviendrait alors aux pouvoirs publics de prendre les leurs.

J'ai souhaité qu'un médiateur accompagne ces négociations et fasse remonter un maximum d'informations afin de déterminer s'il s'avère d'ores et déjà nécessaire, dans le processus législatif, d'amender le projet de loi pour favoriser la conclusion des accords ou s'il est préférable d'attendre. Cela vaut pour la chronologie des médias mais également pour l'ensemble des règles que nous allons fixer par la loi ou par le règlement.

Sur la production déléguée, le projet de loi définit et circonscrit en effet très précisément la production indépendante et interdit aux diffuseurs d'être producteurs délégués. Pour la part dépendante, le sujet est sensible, car une telle évolution remettrait grandement en cause leur modèle. Je suis prêt à en discuter, notamment à l'issue des discussions interprofessionnelles et du retour d'expérience de l'ambassadeur Sellal, et dans le cadre de l'examen du projet de loi. Il faut malgré tout trouver un équilibre entre le respect du droit d'auteur et les règles de financement de la création, et une certaine souplesse permettant de prendre en compte la spécificité de chaque acteur.

La rémunération proportionnelle, qui constitue l'un des éléments de la transposition de la directive sur le droit d'auteur et qui suscite des interrogations, notamment de la part des producteurs et des artistes-interprètes, représente une avancée importante. Nous sommes d'ailleurs attendus sur ce point en Europe – j'y reviendrai tout à l'heure à propos de la question de l'harmonisation européenne très justement soulevée par Christine Hennion. La façon dont nous la transposerons pourrait en effet donner le la de l'évolution de l'Europe en la matière.

Des pratiques de rémunérations proportionnelles existent aujourd'hui dans certains cas, notamment pour les artistes-interprètes dits principaux, mais aussi de rémunérations fixes, souvent qualifiées de salaires. Il est proposé de transposer fidèlement le principe de rémunérations proportionnelles tout en ménageant la souplesse nécessaire à la prise en compte des pratiques en vigueur et l'équilibre trouvé au travers des conventions collectives – j'y suis évidemment très attaché.

Le projet de loi dresse la liste des hypothèses permettant de recourir au forfait compte tenu de la nature ou de l'importance de la contribution de l'artiste-interprète. Pour autant, une place importante est laissée à la négociation collective, le cadre proposé étant suffisamment flexible pour tenir compte de ces situations. Pour tenir compte de manière encore plus fine des pratiques sectorielles, en particulier dans l'audiovisuel et dans le cinéma, il serait envisageable de retenir l'assiette figurant dans la directive, qui fait référence à la valeur économique des droits. Là encore, je suis ouvert à la discussion.

S'agissant du piratage des contenus sportifs, abordés notamment par Éric Bothorel, je suis prêt à étudier toute solution permettant la plus grande efficacité possible, dans la limite évidemment de ce que permet la Constitution. Le Gouvernement nourrit une très forte ambition en matière de lutte contre les pratiques illicites sur internet, et notamment contre le piratage. Des outils sont ainsi mis à disposition de la justice ou du régulateur, c'est-à-dire de l'ARCOM, pour lutter contre les sites contrefaisants, ceux qui font de l'argent sur le dos soit des créateurs, soit des sportifs, soit des fédérations.

S'agissant de la publicité lors de retransmissions sportives à la télévision, je ne suis pas favorable à la remise en cause des règles issues des discussions qui ont eu lieu il y a dix ans à propos du financement de l'audiovisuel public, prévoyant l'interdiction de spots publicitaires après vingt heures sur les chaînes de France Télévisions. L'absence de publicité en soirée différencie bien en effet le secteur audiovisuel public de son homologue privé. En outre, il existe des moyens de financer les événements sportifs, grâce notamment au parrainage.

Sophie Mette et Christine Hennion ont évoqué les plateformes structurantes. Le Gouvernement a l'intention de continuer à travailler à leur régulation, notamment au travers de ce projet de loi qui octroie de nouveaux pouvoirs à l'ARCOM, régulateur unique des communications non seulement audiovisuelles mais numériques, et en lien avec nos partenaires européens comme avec la Commission.

J'ai eu l'occasion de rencontrer Margrethe Vestager à ce sujet, que j'évoquerai également prochainement avec Thierry Breton et que nous aurons l'occasion de traiter au cours de nos différents échanges.

Si l'harmonisation des moyens donnés au régulateur ou à la justice, notamment en matière de propos haineux, au travers de la proposition de loi de Laetitia Avia, et de lutte contre la manipulation de l'information, avec le texte que vous avez d'ores et déjà voté, constitue l'un des objectifs de ce projet de loi, il faudra aller beaucoup plus loin à l'avenir. Nous allons montrer le chemin en transposant plusieurs directives. Et nous allons poursuivre les discussions avec les autres États membres, le Parlement européen, les commissaires européens.

L'Assemblée nationale, et tout particulièrement cette commission, a vocation à nourrir le débat sur cet enjeu majeur à la fois en termes de lutte contre les propos haineux et la désinformation, de protection des publics des contenus pornographiques, au-delà même de ce projet de loi.

M. Bothorel a également évoqué la notion de follow the money, qui consiste en définitive à s'attaquer au portefeuille de celles et ceux qui profitent de la création sans la rémunérer, ce qui nécessite notamment de mobiliser les acteurs de la publicité et du paiement en ligne. Grâce aux nouveaux pouvoirs de l'ARCOM, une nouvelle impulsion doit être donnée à cette démarche engagée depuis plusieurs années sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur.

Pour responsabiliser les annonceurs, il faut cependant s'assurer qu'ils sont bien informés de la liste précise des sites sur lesquels leurs messages publicitaires apparaissent : d'où la liste noire, et d'où la nécessité de renforcer la transparence de la chaîne publicitaire et donc de moderniser notamment le décret Sapin. Je suis prêt à y travailler avec mes collègues Bruno Le Maire et Cédric O, ainsi, bien évidemment, qu'avec vous.

J'en viens aux missions de service public : précisons les choses au cours des débats tant en commission que dans l'hémicycle. Allons plus loin s'il le faut s'agissant de leur dimension européenne ou scientifique, ou de la jeunesse. Profitons de ce débat législatif pour les réaffirmer avec force. Je regarderai avec bienveillance toutes les dispositions allant dans ce sens.

Cher Jean-François Portarrieu, ce débat nous donne l'occasion de préciser l'importance de la dimension extérieure de l'audiovisuel public. La création d'un groupe public va permettre des synergies en mettant la force de France Télévisions, de Radio France et de l'INA au service de France Médias Monde, cette dernière plaçant ses contenus et son expertise internationale à leur profit. Il s'agit non pas de copier tel ou tel modèle étranger mais d'inventer un modèle audiovisuel public français qui soit fort. Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen des amendements.

Aurore Bergé m'a par ailleurs interrogé sur la répartition de la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Si la création d'un groupe public relève effectivement d'une ambition forte, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation : le projet de loi a donc prévu un temps de mise en oeuvre. En outre, il ne comporte pas de dispositions qui auraient pour effet de relever automatiquement de leurs fonctions les patrons et patronnes des entreprises que rassemblera France Médias. Le groupe public, à travers sa holding, décidera comment répartir la CAP.

La rédaction actuelle prévoit que cette étape interviendra à partir de 2022. Mais, madame la rapporteure, je suis à tout à fait ouvert à ce que, si cela s'avère nécessaire, cette échéance soit repoussée d'un an en vue d'harmoniser durée des mandats des patronnes et patrons de l'audiovisuel public, plan de financement pluriannuel 2019-2022 et création, à partir de 2021, de la holding, avec une accélération à partir du 1er janvier 2023.

J'en viens aux oeuvres européennes et françaises. C'est un point important pour les diffuseurs, pour les producteurs et pour les auteurs. Dans notre esprit, il ne revient ni à la loi ni au décret de fixer la répartition entre oeuvres européennes et oeuvres françaises. Cette question fera l'objet des conventions avec l'ARCOM et des accords professionnels, conformément à la logique de cette réforme. Je ne suis cependant pas opposé à ce que nous en discutions si nécessaire.

Sur les quotas radiophoniques de chanson française, ne nous mentons pas : ils sont au coeur de la réussite de la scène française, qui est extrêmement dynamique. Un tel résultat doit être porté au crédit du volontarisme du Parlement et des gouvernements successifs. Nous devons en être fiers. Il ne faut pas que, par souci de simplification, cet outil fondamental au service de la création musicale française soit remis en question.

Je connais le travail exceptionnel accompli tant par Florence Provendier que par Michèle Victory sur la modernisation de ces quotas. Regardons donc ce qu'il est possible de faire dans le cadre du projet de loi, en lien avec le régulateur qui dispose de leviers pour les faire éventuellement évoluer en concertation avec les acteurs du monde de la musique et des radios. Plus le consensus sera grand, plus nous réussirons à inscrire ces quotas dans le temps long, et plus leurs effets bénéfiques perdureront. Je me tiens néanmoins à votre disposition pour avancer sur ce point.

Enfin, Béatrice Piron a évoqué l'accès le plus large possible aux différents contenus de service public, qui fait l'objet de la transposition de l'article 7 bis de la directive SMA.

La loi du 30 septembre 1986 comporte plusieurs dispositions qui contribuent déjà à assurer une visibilité appropriée aux contenus qualifiés d'intérêt général – le must-carry du service public, ou l'obligation de reprise de la numérotation logique de la TNT.

Il est vrai cependant, les médias et leurs modes de consommation ayant évolué, qu'il est important d'adapter ces dispositifs. Sont ainsi apparus des intermédiaires entre les éditeurs de services et leurs publics, et de nouveaux gardiens d'accès, comme les fabricants de terminaux, les magasins d'application et les assistants vocaux, qui compliquent, voire restreignent, l'accès aux contenus d'intérêt général. Ces contenus pâtissent en outre d'un risque de dilution au sein d'une offre toujours plus pléthorique.

Cet article 7 bis offre, certes, une perspective intéressante, mais il pose de nombreuses questions : les catégories de services ou de contenus mises en avant, les modalités de mise en avant, les catégories soumises à des obligations, la nature de ces obligations… Nous travaillons à la définition des modalités de la transposition, en lien avec les diffuseurs de service public ; une réunion a encore eu lieu lundi dernier. Je vous propose, madame Piron, de vous associer à cette réflexion afin que vos remarques, tout à fait justifiées, puissent être prises en compte sous la forme de propositions rédigées avant la séance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.