Intervention de Frédérique Dumas

Réunion du mercredi 26 février 2020 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

L'objectif affiché par le Gouvernement au travers de ce projet de loi est l'adaptation de la loi du 30 septembre 1986 aux mutations, notamment numériques, du secteur audiovisuel. Le texte de 1986 était en réalité très précurseur, puisqu'il instaurait le principe des obligations d'investissement et d'exposition des oeuvres, repris depuis au niveau européen, en un combat transpartisan mené depuis trente ans. Notre groupe accueille donc favorablement la transposition de la nouvelle directive sur les droits d'auteur et de la nouvelle directive SMA, qui autorise à déroger au droit du pays d'origine pour l'application des obligations d'investissement, permettant ainsi au pays de destination du service de reprendre le contrôle.

La réduction des asymétries entre les différents acteurs, quels qu'ils soient, est essentielle, et il faut faire preuve de beaucoup d'humilité et de méthode pour y parvenir. C'est à ce titre que nous nous interrogeons sur la méthode utilisée pour la réforme du régime de contribution des éditeurs de services à la production d'oeuvres, telle qu'envisagée à l'article 1er. En effet, dans la pratique, et contrairement à ce qui est prévu dans le projet de loi, vous imposez aux acteurs de négocier entre eux dès aujourd'hui, avant même le vote de la loi et l'adoption du décret cadre. Vous demandez ainsi aux acteurs de négocier sans base légale et en indiquant que tous les paramètres peuvent changer. Par ailleurs, la notion de décret supplétif, qui ne figure pourtant pas dans le projet de loi, a été inventée et présentée aux acteurs pour les obliger à négocier, ce qui a eu pour principale conséquence, comme vous le savez, de bloquer toute avancée.

Vous proposez ensuite dans le projet de loi une homologation par vos soins des accords interprofessionnels comme garantie de leur propre équilibre et de celui du secteur, et de cantonner la future ARCOM dans un rôle très réduit, celui d'une quasi-chambre d'enregistrement des désaccords, maintenant ainsi ce qui était à l'origine du blocage du système actuel. Nous aurons l'occasion de faire des propositions pour rendre le chemin praticable, notamment en renforçant les pouvoirs du futur organe de régulation que sera l'ARCOM, seul garant à nos yeux de l'équilibre des accords ou du bon niveau de régulation en l'absence d'accord.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit de fusionner le CSA et la HADOPI au sein d'un organe unique, l'ARCOM. Ce nouveau régulateur unique se verra confier de nouvelles missions et sera chargé de la régulation des plateformes en ligne, de la lutte contre le piratage, contre les fausses informations et les contenus haineux ; reste à savoir si l'ARCOM disposera des moyens humains et financiers suffisants pour mener à bien ses missions.

Nous proposerons également de donner la possibilité aux différentes autorités de régulation de mutualiser et coordonner leurs travaux pour accroître leur efficacité, et en toute indépendance, contrairement à ce qui est prévu à l'article 6 du projet de loi. Notre groupe proposera aussi des amendements visant à rendre la lutte contre le piratage praticable, en vérifiant la faisabilité des mesures techniques.

La troisième partie du texte transforme la gouvernance de l'audiovisuel public en regroupant les principales entreprises de l'audiovisuel public au sein de France Médias. Mais tel qu'il est rédigé, le projet de loi n'offre aucune garantie en matière de pérennité et d'indépendance de notre service public. Pour ce qui est de l'indépendance, les conditions de la nomination de la présidente ou du président de la holding avec toutes les compétences dont cette autorité serait investie, ainsi que les conditions de gouvernance de la holding, marquent un très net recul démocratique : tous les garde-fous ont été supprimés. Pour ce qui est de la transparence, de l'évaluation et du contrôle, aucun outil ne nous est proposé, mais nous ferons des propositions en ce sens.

En ce qui concerne le financement, qui garantit la qualité, l'indépendance et la pérennité du service public, le texte n'affiche aucune perspective concrète relative à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Il nous a été confirmé récemment que, s'il devait y avoir une réforme de la CAP, elle n'aurait de toute façon lieu qu'à l'extinction totale de la taxe d'habitation, prévue pour fin 2022, donc seulement dans le cadre du PLF pour 2023, autrement dit au cours de la prochaine législature – et Mme la rapporteure vient de proposer que la répartition au sein de la holding ne soit, elle aussi, définie qu'après les élections.

Enfin, le projet de loi présenté comme adaptant la régulation au monde d'aujourd'hui et de demain fait l'impasse sur plusieurs sujets majeurs : l'absence de prise en compte de l'OTT (over-the-top service), autrement dit la distribution sur internet ouvert, qui représente une part croissante de la distribution, et va de ce fait échapper au contrôle des autorités de régulation, comme l'a d'ailleurs reconnu le président du CSA ; l'absence de prise en compte des fabricants de terminaux connectés à internet, qui agissent de plus en plus comme des distributeurs et qui ne seront pas non plus dans le champ de la régulation. Enfin, il conviendra de protéger les contenus radio et de mettre à jour pour cela le code de la propriété intellectuelle – nous ferons des propositions en ce sens.

Enfin, nous aurons évidemment l'occasion de revenir sur la suppression des canaux hertziens affectés à la chaîne pour enfants et au monde ultramarin.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.