Intervention de Michel Larive

Réunion du mercredi 26 février 2020 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive :

Monsieur le ministre, votre projet de loi sert votre objectif de libéralisation économique du secteur audiovisuel public comme privé. Les publicitaires et les financiers jubilent : vous leur accordez ce qu'ils réclamaient depuis longtemps, à savoir le recours au placement de produit, la publicité sur écran partagé pendant les retransmissions des manifestations sportives, ou encore une troisième coupure publicitaire pour les films d'une durée supérieure à deux heures.

La loi interdisait jusqu'à présent la diffusion de films certains jours pour inciter les téléspectateurs à se rendre au cinéma. Cette mesure, qui visait à l'origine à atténuer la pression concurrentielle de la télévision sur le cinéma, a contribué à permettre le développement du septième art dans notre pays. Si votre projet de loi venait à être adopté, cette grille horaire de programmation des oeuvres cinématographiques n'existerait plus, et cela aurait les conséquences que je vous laisse imaginer.

Votre texte ne garantit en aucun cas la liberté d'expression, pourtant fondamentale et indispensable au bon fonctionnement de notre République. Vous vous appuyez sur un système extra-judiciaire pour régler les différends entre les plateformes de vidéos en ligne et leurs utilisateurs. La future ARCOM se verra confier des pouvoirs dont l'exercice devrait normalement être confié à un juge judiciaire. L'utilisation de systèmes de filtrage automatisé par les plateformes Facebook, Twitter, YouTube et consorts ne préserve absolument pas la liberté d'expression sur internet, et ne prémunit en rien contre les risques de censure auxquels sont exposés nos concitoyennes et nos concitoyens.

De plus, la transposition de la directive SMA entérine la méthodologie de contrôle des publications par les plateformes, faisant d'internet un lieu de surveillance généralisée. Dans l'article 59 de votre projet, vous créez une holding France Médias, regroupant France Télévisions, France Médias Monde, l'INA et Radio France. Vous réinventez l'ORTF, une ORTF 2.0 peut-être, mais qui ne sera jamais qu'une sous-BBC à la française, sans moyens pérennes et sans garanties d'indépendance, ce qui va à l'encontre de la mission initiale du service public de l'audiovisuel. La composition de son conseil d'administration et la nomination de son président par le chef de l'État inscriront dans les faits la dépendance de cette entité vis-à-vis du pouvoir en place.

Par la création de ce centralisme médiatique, vous mettez fin à la pluralité d'expression qui faisait de notre service public le reflet des spécificités de nos territoires et de la complexité des centres d'intérêt des Françaises et des Français. J'en veux pour preuve le fait que la musique, en tant que mission de service public, disparaît des attributions de France Médias, alors que les prérogatives de Radio France la mentionnaient. Ce projet de destruction du service public audiovisuel est accompagné par les actuelles directions de ces médias, pour lesquels la variable d'ajustement à vos injonctions réside immanquablement dans la masse salariale. Votre texte entérine la feuille de route de la Commission européenne, qui impose l'autorégulation des acteurs du marché audiovisuel, au détriment, bien entendu, de l'action publique.

La France insoumise entend proposer une alternative à votre projet destructeur. En effet, l'État doit investir dans l'audiovisuel en valorisant la création culturelle, le pluralisme démocratique et la diversité. Nous devons par ailleurs garantir la liberté d'expression sur internet en interdisant la surveillance généralisée, en rendant obligatoire une intervention humaine avant tout blocage de contenu et en sanctionnant les plateformes qui pratiquent outrageusement la censure. Nous proposerons d'imposer l'interopérabilité pour contrecarrer le monopole des géants d'internet. Enfin, l'ARCOM doit voir ses compétences redéfinies : les litiges relevant de la liberté d'expression doivent être confiés à l'autorité juridictionnelle. Nous proposerons donc, par voie d'amendement, la création d'un service public judiciaire dédié et la création d'un Conseil national des médias, véritable contre-pouvoir citoyen qui garantira le pluralisme des opinions et des supports d'information.

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