Sur le coût du projet, il faut distinguer entre le coût direct de la normalisation et l coût de la mise en oeuvre. Le coût dans les entreprises n'est probablement pas neutre. En revanche, s'agissant de la normalisation elle-même, l'effort est très mesuré. Le budget de l'IASB pour la norme financière est de l'ordre de 25 à 30 millions de livres par an. Le budget du SASB, je l'ai dit, est de l'ordre de 10 millions de dollars. Celui du Global Reporting Initiative (GRI) est de l'ordre de 2 millions de dollars, et celui de l'International Integrated Reporting Council (IIRC), qui a été mentionné s'agissant du rapport intégré, est de 2 millions de livres. Il y a certes des discussions sur le budget, des contraintes budgétaires quotidiennes, mais si l'enjeu est celui du leadership européen, investir ce type de sommes me paraît du domaine du possible, même si je ne prends pas les contraintes de l'argent public à la légère. Faut-il un financement public, un financement public et privé ? Ce qui se passe aujourd'hui dans le domaine financier est un mixte. Les grandes activités sont appelées à contribuer et le budget public contribue aussi. Il est vraisemblablement souhaitable que la contribution publique soit majoritaire pour que l'indépendance soit absolument garantie, notamment dans la phase préparatoire qui commence. Il faudra mettre en place des équipes rapidement, sur la base de contributions de personnes détachées mais qui accepteront bien évidemment la règle du jeu qui est l'indépendance absolue. S'il n'y en a pas, on sort du jeu immédiatement.
Sur la gouvernance du reporting, la Commission européenne a pris une option qui est de confier le travail préparatoire à l'EFRAG, une initiative privée qui a été réformée en 2014 pour prendre une tonalité public-privé. L'EFRAG était en fait le démarrage d'un normalisateur européen dans le domaine du reporting des entreprises. Il avait pour mission de conseiller la Commission sur l'homologation des normes financières ; lui donner la mission de préparer le travail sur la normalisation extra-financière me paraît assez logique. C'est un travail particulier, ce sont des rythmes et des compétences différents. Ce n'est pas un travail qui est du ressort des régulateurs et des superviseurs boursiers des régulateurs et des superviseurs bancaires ou assurantiels. Ils ont tout leur rôle à jouer, mais en qualité de contributeur à ce processus.
Sur la coopération avec les acteurs privés, l'Europe, qui vit de sa diversité et de son ouverture, est fondée sur une capacité de synthèse et de consensus à un moment donné – du moins est-ce ma vision. Si la normalisation européenne est fondée sur un organisme qui fait une large place au public mais qui fait appel aux parties prenantes, la garantie est qu'à la fin, les institutions démocratiques consacrent les normes.
Sur la question du greenwashing, du risque de réputation et des sanctions, il faut plusieurs phases. Il faut une phase d'expérimentation. La réputation est déjà une sanction énorme, parce que la sanction réputationnelle va très vite. Je prends l'exemple d'un grand groupe allemand qui s'appelle Siemens. Il y a deux mois, ils ont fait l'objet d'une charge dans les médias et dans la société en raison de leur rôle dans la plus grande mine de charbon en train de s'ouvrir en Australie. En fait, nous avons appris qu'ils ne faisaient que livrer la signalétique de la voie de chemin de fer de la mine au port pour 18 millions d'euros. Je laisse à chacun la capacité de juger de la proportionnalité de la sanction.
Dans la première phase, il faut être prudent, notamment sur les informations prévisionnelles, sinon on tombera dans le travers des comptables, c'est-à-dire expliquer des choses qui se sont passées – c'est facile –, mais ne rien dire dès que l'on est dans le prévisionnel. Si l'information extra-financière n'est pas prospective, elle n'est pas intéressante. Pour qu'elle soit prospective, il faut accepter aussi que les gens qui vont vous dire quelque chose sur le prospectif ne peuvent pas être immédiatement sanctionnés. C'est d'ailleurs un des freins aux États-Unis, où des armées d'avocats soulignent que les résultats ne correspondent pas aux annonces et demandent à ce titre une indemnisation. J'aurais presque tendance à dire qu'un système de proportionnalité de la responsabilité financière, en tout cas sur le volet prospectif, me paraît préférable, justement pour permettre que l'on en parle. C'est une idée que je n'ai pas développée dans le rapport, parce qu'elle est apparue ensuite.
En ce qui concerne la raison d'être des entreprises, il s'agit tout à fait d'un outil. Il y a une dimension fondamentale dans l'extra-financier et trois types d'informations. Il y a du quantitatif monétaire, par exemple sur le montant des dépenses de formation, des investissements de dépollution, d'infrastructures sociales, etc. Il y a également des informations monétaires et non monétaires, telles que les tonnes de CO2 dans l'atmosphère, les espèces, etc.. Mais il y a aussi le narratif. Il est moins facilement numérisable, mais peut néanmoins être logé dans des endroits identifiables. Il porte sur la gouvernance et sur la stratégie, les politiques que l'on met en oeuvre, les moyens dédiés, les structures, les systèmes et les méthodologies d'évaluation mis en place. La raison d'être participe de la vision stratégique de l'entreprise. C'est un outil qui est optionnel en France mais qui est d'une grande valeur.
Il y a des zones économiques qui ont des priorités autres. Lors d'une récente conférence au Maroc, j'ai souligné que l'interpénétration entre l'économie marocaine et l'économie mondiale – en particulier européenne – conduit, par le biais de la chaîne de production, à ce que l'économie marocaine soit concernée par les décisions européennes. Il y a cet effet, et on ne peut pas fermer les yeux sur le sous-traitant du sous-traitant du fournisseur.
Sur la fracture entre grandes et petites entreprises, encore une fois, si le système est proportionné, il faudra être relativement simple. Sauf pour les petites, qui sont à grands risques, il faut proportionner à la taille et aux risques. On ne peut pas faire l'impasse sur le risque ; sur la taille, il faudra que les systèmes soient assez largement optionnels et avec des indicateurs relativement simples.
Sur la question portant sur la fiscalité et la comptabilité, je suis incontestablement en faveur d'une meilleure concordance, ce qui n'est pas très facile en tant que président de l'Autorité des normes comptables. Je considère que si la comptabilité fait bien son travail, elle reflète à peu près la création de richesses économiques, et c'est la meilleure mesure de l'assiette fiscale. Je me permettrai de relever que, de temps en temps, c'est le législateur qui introduit des différences entre la fiscalité et la comptabilité lors de l'examen du projet de loi de finances. Il y a des incitations fiscales qui sont utiles et qui créent une différence, telles que l'amortissement accéléré. Ce n'est jamais qu'un décalage, mais cela peut être utile à un moment donné. Il faudrait réfléchir sur l'utilité des politiques fiscales en décalage avec l'économie, c'est-à-dire en avance ou en retard de phase. Un exemple de retard de phase porte sur les indemnités de fin de carrière, qui constituent un montant potentiel important de passif qui n'est pas comptabilisé systématiquement dans les entreprises et qui ne sont pas fiscalement déductibles. Je soumets ce point à votre sagacité : il y aurait peut-être une réflexion à avoir non sur le fait de savoir s'il faut ou non déduire ces indemnités, Aucun salarié ne pense à son indemnité de fin de carrière. Pourtant, c'est un passif d'entreprise de plusieurs dizaines de milliards, qui doit être comptabilisé.